Stéphane Oiry fait revivre la folle cavale du regretté Gilles Bertin, bassiste chanteur du groupe punk mythique Camera Silens. Ça déménage !

Fin des seventies ; début des eighties. De l’autre côté de la Manche, il y avait les Sex Pistols, Clash et Jam ; à Paris, Asphalt Jungle (de notre ami Patrick Eudeline), La Souris Déglinguée, Parabellum et les Porte-Mentaux. Et à Bordeaux, il y avait Camera Silens, un groupe anarcho-punk, composé de squatteurs urbains qui propulsaient un rock urgent, brutal comme une eau de vie de prune serbe, avec une Gibson SG qui dispensait des riffs d’acier en fusion…
A la basse et au chant de ce gang de fous furieux : Gilles Bertin, un blondinet à tête d’ange lestée de pensées abimées par les songes de Kropotkine. Ils donnent des concerts, connaissent un certain succès. Mais le Bertin, qui vient de devenir père, se lasse. Il devient cambrioleur ; puis il réussit un gros coup, un braquage du tonnerre et doit quitter la France pour échapper à la police. Il commence une nouvelle vie, tient une boutique de vente de disques à Lisbonne, change d’identité…
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Tutoyer son héros
C’est cette cavale que raconte avec vivacité, panache et talent Stéphane Oiry dans son album Les héros du peuple sont immortels (nom d’un album compilation Gougnaf Mouvement). Il s’est inspiré de l’autobiographie de Gilles Bertin, Trente ans de cavale : ma vie de punk, parue en 2019 chez Robert Laffont, année de sa mort. Trois ans avant, il était revenu en France pour se livrer à la Justice qui, clémente (des juges rouges, d’anciens punks ?) ne l’avait condamné qu’à cinq ans de prison avec sursis. Il aurait pu profiter d’une vie tranquille mais ses excès divers, la shooteuse et l’hépatite l’ont rattrapé. Bertin est aujourd’hui au paradis des punk rockers au côté de Sid Vicious et de Schultz, de Parabellum.



La ligne presque claire de Stéphane Oiry fait merveille ; sa narration aussi. Il tutoie même le Bertin ce qui procure une proximité avec nous, lecteurs épatés, anciens crêtés empâtés. A quand des albums sur Roland « Chamallow » Chamarat, bassiste des Rats, décédé en 2011, Roger « Schultz » Fritsch, chanteur guitariste de Parabellum, mort en 2014, et quelques autres, histoire de faire revivre nos années mortes ?
Les héros du peuple sont immortels, La cavale de Gilles Bertin, Stéphane Oiry ; Dargaud ; 128 p.