Si l’Iran ne dispose (ou ne disposait) que « presque » de la bombe, elle possède, sans contestation possible, un des plus beaux et surtout un des plus riches musées d’art contemporain du monde.
Tout comme le centre Pompidou, le Téhéran Museum of Contempory Art a été inauguré en 1977. Avec, pour le TMoCA, un look nettement moins « avant-gardiste » que l’usine à gaz parisienne. Karam Diba, architecte du projet et cousin de la Chahbanou, s’est plutôt ingénié à contemporiser des éléments architecturaux traditionnels. Ce qui donne des badguirs, tours « attrape-vent », cohabitant fort harmonieusement avec des blocs de béton-brut et des toits en cuivre.
Des espaces intérieurs d’exposition savamment pensés, un atrium spacieux avec un bassin rectangulaire inspiré des howz de l’architecture persane, des jardins organisés pour accueillir des sculptures contemporaines, le projet était sans conteste de faire jouer l’Iran dans la cour des grands. Avec un écrin à la hauteur de l’ambition.
Portrait lacéré
Et pour le contenu, Farah, aidée de Karam, avait constitué une collection considérée, à l’époque et encore aujourd’hui, comme la plus importante collection d’art contemporain tant oriental qu’occidental, hors Europe et États-Unis.
Deux petites années plus tard, fin du conte de fées. Mais, Téhéran n’est pas Bâmiyân, ayatollah n’est pas taliban. Même si la tentation est forte, aucun pillage, aucune exaction, à part un portrait lacéré : « Farah Diba by Andy Warhol ». Un jeune gardien œuvre au sauvetage des œuvres dans des circonstances rocambolesques et les trésors sont rangés dans les sous-sols. Les nouveaux maîtres congédient sans façon les experts des grandes maisons de vente, arrivés au pas de course, et ferment le palais au public. En veillant, au fil du temps, à tout bien préserver.
Tout doucement, le lieu commence à reprendre vie. Biennale des graphistes de Téhéran à partir de 1987. Biennale de la peinture iranienne à partir de 1993. Biennale internationale de l’illustration de livres pour enfants à partir de 1993. Biennale de la céramique contemporaine iranienne à partir de 1994. Triennale de sculpture contemporaine à partir de 1997. Biennale internationale de peinture dans le monde islamique à partir de 2000. Et aussi, quelques expositions thématiques : Miniatures persanes en 1990, Exposition internationale de dessin en 1999, Jardins d’Iran en 2004. Mais, rien d’échevelé. On est loin de ce qu’avaient prévu Farah et Karam.
En 1997, à l’arrivée à la présidence de Mohammad Khatami, l’intelligentsia artistique se prend à rêver. Des artistes iraniens incontestables (et octogénaires) ont droit à leur rétrospective : Mohsen Vaziri Moghaddam, Behjat Sadr, Morteza Momayez, Mansoureh Hosseini…
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Et, curieusement, le nouveau directeur, Alireza Sami Azar, qui dirigera aussi Tehran Auction (initiative privée lancée en 2012) organise une grande rétrospective… du Français Arman. Qui devient ainsi le premier artiste occidental à être réexposé en Iran depuis l’instauration de la République Islamique. Certes, « Le Cœur en Verre » (1969), bloc de résine avec objets incrustés, appartenait à la collection du TMoCA, mais sans vouloir minimiser le talent d’Arman, pourquoi l’avoir choisi quand on possède des Monet, des Gauguin, des Warhol, des Pollock, des Picasso, des Giacometti, des Magritte ? Pourquoi commencer par un nouveau réaliste et de surcroît pas le plus emblématique ? Peut-être tout simplement parce que Arman connaissait bien l’Iran et que l’Iran le connaissait bien. En 1958, il avait rallié Téhéran en 2CV pour rejoindre la mission archéologique d’un moine dominicain. Dans la foulée, il avait exposé une crèche de Noël, réalisée à partir d’éclats de verre et d’un ballon de football, au collège Saint Louis de Téhéran des Pères Lazaristes. Sa première exposition à l’étranger !
Train-train islamique
L’esprit d’ouverture est de courte durée. À partir de 2005, le musée retombe dans son train-train islamique : biennales sans réelles portées internationales, dessins de tapis… En 2014, surprise ! Une initiative inattendue change la donne. Pour « Unedited History, Iran 1960 – 2014 », le TMoCA accepte de prêter au musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, deux cents peintures, photos, vidéos produites par des artistes iraniens historiques (Bahman Mohassess, Kaveh Golestan) et contemporains (Barbad Golshiri, Tahmineh Monzavi). L’exposition, qui permet de reconstituer un panorama de l’Iran des cinquante dernières années, se montre difficile à organiser mais a lieu. Et, c’est parti !
En 2015, le musée expose cent trente tableaux de la peintre iranienne, de renommée internationale, Farideh Lashai, récemment décédée, et surtout quarante œuvres d’artistes occidentaux. « Mural on Indian Red Ground » (1950) de Jackson Pollock, estimé à deux cent cinquante millions de dollars par Christie’s en 2010, « Suicide » (1963) d’Andy Warhol, de la série « Death and Disaster » (une pièce de cette série est partie à cent cinq millions de dollars chez Sotheby’s, en 2013). Que du lourd !
Nouvelle surprise en 2022. L’exposition « Minimalisme et art conceptuel » présente cent trente-deux œuvres (d’avant 1979 ) de trente-quatre artistes « contemporains »… plus vraiment contemporains : Marcel Duchamp, Sol LeWitt, Donald Judd, Christo et Jeanne-Claude, Michelangelo Pistoletto, Robert Smithson, Dan Flavin… Trente-huit œuvres sont montrées pour la première fois. Petite fantaisie de la modernité, l’exposition a le droit à son quart d’heure warholien. Une vidéo de deux insectes argentés, bien visibles sous le cadre en verre d’une photo signée Bernd et Hilla Becher, devient en effet virale worldwide. Un vrai ramdam. Peu habitué à la dictature des réseaux sociaux, le musée commence par nier la présence scandaleuse des deux intrus, refuse ensuite que l’authenticité de la vidéo soit vérifiée de manière indépendante. Puis finit par céder et présente ses excuses. Le musée est fermé pendant deux jours pour cause de… fumigation.
Puisse très bientôt le TMoCA proposer au monde entier des expositions et des performances qui décoiffent. Avec ou sans chiures de mouches. On ne fera pas les dégoûtés.
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