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Lyrique: «Ah, je ris de me voir si belle en ce miroir…»

« Faust », opéra de Charles Gounod, à l’Opéra-Comique, à Paris


Lyrique: «Ah, je ris de me voir si belle en ce miroir…»
Vannina Santoni (Marguerite) et Julien Dran (Dr Faust) dans "Faust" à l'Opéra-Comique, du 21 juin au 1er juillet © Stefan Brion

Faust, le chef-d’œuvre de Charles Gounod, est revisité à la salle Favart dans sa version « opéra-comique » primitive. Une vraie découverte.   


Il y a un an, l’Opéra de Paris reprenait le Faust de Gounod dans la version monumentale, en cinq actes, celle qui s’imposera par la suite sur toutes les scènes : la quintessence même du Grand Opéra à la française, avec ballet, grosses machineries faisant se succéder des décors grandioses, etc. Pour Causeur, votre serviteur avait rendu compte de cette production, indiscutable sur le plan vocal – Pene Pati dans le rôle-titre, Alex Esposito dans celui de Méphistophélès, Florian Sempey en Valentin… Marina Viotti y assurait l’emploi travesti du jeune Siebel, Amina Edris campait  l’éplorée Marguerite… Millésimée 2021, la mise en scène de Tobias Kratzer laissait dubitatif – passons.  

Retour aux sources

Le Faust accueilli en cette fin de saison à l’Opéra-Comique dans la production initialement montrée en avril dernier à l’Opéra de Lille est d’une mouture différente à tous égards. En effet, sur la base des recherches musicologiques menées par le Palazetto Bru Zane dont une somptueuse édition CD, avec Benjamin Bernheim et Véronique Gens est l’aboutissement (basée à Venise, cette fondation renommée à juste titre est spécialisée dans l’étude et la promotion de la musique romantique française) Louis Langrée, l’actuel directeur musical de la prestigieuse maison sise place Boieldieu, a opté pour un retour aux sources : soit l’exhumation de la version en un prologue et quatre actes, avec dialogues parlés et non récitatifs chantés, telle qu’elle fut créée au Théâtre-Lyrique en 1859.

Exit, donc, la version canonique, celle-là même qui, entrée dix ans plus tard au répertoire de notre opéra national, puis promise à la postérité fabuleuse qu’on sait, occupe systématiquement les plateaux depuis lors. Intégralement inédite, donc, cette version ‘’primitive’’ ? Pas tout à fait. Plutôt une savante combinaison. Elle témoigne précisément de cette tradition qui consistait à sacrifier, remanier, ajouter, abréger, réduire, récrire sans hésiter des bouts de partition au fil des représentations. C’est ainsi que le présent spectacle conserve, par exemple, l’incontournable « Nuit de Walpurgis » du cinquième acte, ajout tardif de Gounod, justement écrite pour répondre aux exigences de l’Académie impériale de Musique, salle Le Peletier (établissement auquel succèdera, à peu de temps de là, le Palais Garnier, pas encore construit alors). Ou encore cette scie absolue du répertoire lyrique, entonnée par le chœur à l’unisson dans la cinquième scène du premier acte : « Ainsi que la brise légère/ Soulève en épais tourbillons/ La poussière des sillons/Que la valse nous entraîne !/ Faites retentir la plaine/ de l’éclat de vos chansons ! »… Disparait en revanche le fameux air du « Veau d’Or », tandis qu’on découvre un air « du chiffre 13 » jusqu’alors inconnu…  Bref, sur l’immortel livret signé du duo Barbier & Carré, librettistes vedette du temps (Gounod leur devra également une Reine de Saba, un Roméo et Juliette, un Polyeucte…), Faust n’a jamais été gravé, on le voit, dans une seule et unique pièce de marbre.

Denis Podalydès à la mise en scène, Christian Lacroix aux costumes

A la présente régie qui associe une fois encore Denis Podalydès pour la mise en scène, Eric Ruf pour les décors et Christian Lacroix pour les costumes, il faut reconnaître une sobriété, une lisibilité, une efficacité sans mélange. La production esquive adroitement l’habituelle surenchère propre à tant de productions lyriques d’aujourd’hui. Elle replace l’action dans l’époque romantique, sur un plateau épuré à l’extrême dont le sol forme un disque tournant sur lequel s’agrègeront éléments de mobilier, portants et structures, dans un clair-obscur, voire une pénombre subtilement travaillée, jusque dans l’apothéose finale, empreint de cette religiosité grandiloquente propre à tant d’opéras de ce temps-là… Mais la présente production a justement le mérite insigne de se garder de tout anachronisme, raccordant la proposition dramaturgique aux mœurs, à la culture et à l’imaginaire de l’époque romantique, sans ces a priori idéologiques et intentions lourdement moralisantes dont, en 2025, sont gavées tant de mises en scène.  

Julien Dran (Dr Faust), Jérôme Boutillier (Méphistophélès) Photo: Stefan Brion

La réussite de ce Faust revisité ne serait pas complète sans cette distribution vocale intégralement francophone, notons-le (chose rare aujourd’hui dans l’expression du répertoire lyrique français). Sans conteste, le ténor bordelais (né en 1983) Julien Dran, dans le rôle-titre, concentre sur lui les plus entiers suffrages : articulation impeccable, phrasé d’une délicatesse infinie, aisance parfaite dans les aigus à très haute altitude tout autant que dans le pianissimo, timbre ouaté, velouté, toutes qualités qui se conjuguent à une présence scénique ardente, juvénile, rafraîchissante à souhait. (Excellente, soit dit en passant, l’idée scénographique de transformer le Faust cacochyme du prologue en jeune Faust immaculé, par le simple arrachement d’un masque en latex sur son visage !) Marguerite, sous les traits de la soprano Vannina Santoni – qu’on a encore pu applaudir en concert le 12 juin dernier, à l’Auditorium de Radio France, son orchestre maison placé sous la direction  de Mikko Franck, dans le Poème de l’amour et de la mer, d’Ernest Chausson  – offre l’étoffe d’un beau vibrato serré, sans épuiser jamais les considérables ressources requises pour chanter avec une aimable rondeur de phrasé les plus longs airs de cet opéra de près de quatre heures (entracte compris) ! Si la mezzo Juliette Mey campe un jeune Siebel moins affirmé, le baryton Jérôme Boutillier nous fait un Méphistophélès admirablement incarné, sardonique et cabot, bondissant et canaille, flanqué qu’il est de ses deux diablotins nippés de noir et chapeautés de melons, qui gambadent tels les animaux de compagnie du Malin…

Si au soir de la première, l’orchestre si subtilement dirigé par Louis Langrée a souffert, au tout début, de quelques très légers décalages avec un Chœur de l’Opéra de Lille néanmoins parfaitement à l’aise dans les demi-teintes modérant à bon escient la puissance sonore de l’organe masculin, le spectacle dans son ensemble, servi par une mise en scène et un casting de haut vol, mérite des éloges superlatifs. Sans rire, Marguerite peut décidément se voir fort belle en ce miroir que lui tend L’Opéra-Comique jusqu’au 1er juillet.


Faust. Opéra en un prologue et quatre actes de Charles Gounod. Avec Julien Dran, Jérôme Boutillier, Vannina Santoni, Lionel Lhote, Juliette Mey…  Direction : Louis Langrée. Mise en scène : Denis Podalydès.

Orchestre National de Lille, Chœur de l’Opéra de Lille.

Opéra-Comique, Paris. Les 23, 25, 27 juin et 1er juillet, 20h. Le 29 juin, 15h (suivi d’un récital Faust, par Tanguy de Willencourt, piano).

Captation de l’opéra diffusée l’automne prochain sur operavision.eu




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