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Le marché des vanités


Le marché des vanités

Poussiéreuse, louis-philipparde, en somme balzacienne : les derniers développements de l’affaire dite « Woerth-Bettencourt » révèlent une navrante image de notre société. Après avoir indiqué n’être pour rien dans la nomination de Patrice de Maistre à l’ordre de la Légion d’honneur, le ministre, confronté à la lettre qu’il avait envoyée à Nicolas Sarkozy, a bien dû reconnaître qu’il était intervenu. Avec des justifications atterrantes : « J’ai fait comme de multiples députés », « C’est d’une banalité totale ».

Le pire, c’est qu’Eric Woerth dit vrai. Le marché des vanités connaît une activité ébouriffante transcendant les clivages politiques, car il est de notoriété publique que le besoin de reconnaissance n’est ni de droite, ni de gauche mais en quelque sorte consubstantiel à la nature humaine. Sans tomber dans les errements du beau-fils de Jules Grévy qui avait, en son temps, défrayé la chronique judiciaire pour avoir organisé un trafic de décorations (à toi le ruban, à moi les biftons), le système actuel permet tous les dérapages.

Au départ, il y a une vaste hypocrisie originelle qui pervertit l’ensemble du système.
On ne demande pas sa décoration, mais on la fait demander. Il faut ménager l’amour-propre de l’impétrant en lui évitant de quémander piteusement une médaille, ce qui le contraindrait à un humiliant plaidoyer pro domo, sur le thème « loréalien » de « parce que je le vaux bien ». Justement, heureuse providence, il se trouve un député, un ministre, un secrétaire d’Etat qui, toutes affaires publiques cessantes, a pris conscience de l’injustice flagrante qu’il y a à laisser Messieurs Tartemolle ou Dugenou, professionnels reconnus, sans aucune distinction de leur pays pourtant reconnaissant de les compter parmi ses citoyens, ou disons ses électeurs.
Cette fiction selon laquelle la distinction est octroyée par l’intervention d’une main auguste et acceptée sous l’emprise d’amicales pressions a produit un dispositif de renvoi d’ascenseur qui justifie toutes les suspicions.

Usines à hochets : des fabriques de clientélisme

Rappelons en sus que sont fixés des quotas annuels d’attribution, prouvant le Génie français qui, y compris dans le domaine du mérite, sait mettre en place une planification digne de ce nom.

Une fois choisi le demandeur officiel, il faut trouver le contingent ministériel dans lequel prélever une médaille. Pour un magistrat ou un avocat, aucun problème ce sera le ministère de la Justice. Mais se posent parfois des questions byzantines de préséance et de choix: la décoration de Patrice de Maistre pourrait relever du ministère des Finances, on comprend aisément pourquoi, de celui de l’Intérieur, pour service rendu à Nicolas Sarkozy, à l’époque 1er flic de France, voire de la Culture – si l’on considère l’intégration de l’île d’Arros au patrimoine national via François-Marie Banier.

Ces piteuses combines prospèrent et tourneboulent ainsi depuis des lustres. Et c’est précisément la banalité de tout ce processus, son caractère normal et admis par tous, qui sont un scandaleux.
Les usines à hochets que sont l’Ordre national du Mérite, l’Ordre de la Légion d’honneur, toutes les palmes académiques et mérites divers et variés sont des fabrique de clientélisme. Comment s’étonner que, sur un terreau aussi fertile, se déploient à l’occasion des conflits d’intérêts ?

Mettre hors-la-loi la vanité, la prétention, la frime, le désir d’en être, l’illusion de compter et interdire toute manifestation extérieure de sa propre importance au revers d’une veste est irréaliste. Il faudra se résoudre à garder nos décorations et médailles. Peut-être pourrait-on au moins en limiter les effets en distinguant exclusivement les actions hors-normes, relevant de l’exploit (intellectuel par exemple) et de l’héroïsme militaire. Pour le reste, accordons une super médaille du travail à ceux qui ont conduit leur vie professionnelle normalement pendant de nombreuses années. Le risque est qu’il y ait beaucoup de personnes éligibles, ce qui va contrarier tous ceux qui goûtent le plaisir raffiné d’appartenir à un club fermé. Je dois pour ma part confesser une forme de snobisme qui m’interdit de me mêler à la masse des récipiendaires passés et à venir . Cette motivation n’est certes pas plus glorieuse que la soif de reconnaissance, mais j’ai la faiblesse de penser qu’elle est moins dangereuse.



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Avocat et chroniqueur radiophonique occasionnel à Paris. Catalan d’origine, fait du <em>stand-up-paddle</em> sur l’Océan. Ne participe pas à la guerre des pro-Méditerranée contre les pro-Atlantique.

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