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Le Clézio, Nobel sans Frontières


Le Clézio, Nobel sans Frontières

Le lauréat français du prix Nobel de littérature a une formidable qualité : français, il ne l’est pas vraiment. Dans les traces de Sean Penn et d’une palme d’or politique récompensant la « diversité », les jurés suédois labourent le politiquement correct planétaire et sacrent un écrivain « d’ailleurs » – forcément d’ailleurs. On se rappelle qu’il y a quelques années, Le Monde avait salué, l’entrée du métissage au Panthéon, avec celle de la dépouille d’Alexandre Dumas. Malheureusement, il avait fallu se passer du consentement de l’auteur. Mais cette fois, le « citoyen et écrivain transculturel » (formule employée par l’Académie Nobel) était bien là, ressemblant à ce qu’on attendait de lui. Il faut reconnaître que si l’on fait abstraction de son deuxième prénom, Gustave, transformé en un mystérieux G., moins franchouillard, Le Clézio a vraiment le grand chic voyageur. Son cosmopolitisme et son amour des cultures dominées n’ont rien de feint. « L’écrivain est celui qui écoute le bruit du monde », a-t-il immédiatement précisé. Sans doute. À condition de se rappeler que c’est dans sa chambre de malade que Proust entendait et créait le monde. S’il ne suffit pas d’arpenter son âme pour faire de la littérature, il ne suffit pas non plus d’arpenter les grands espaces.

Précisons que je n’ai strictement rien contre Le Clézio dont je connais mal l’œuvre. Et si son nomadisme revendiqué ne me semble pas en soi admirable, il est encore moins critiquable en tant que tel. Par ailleurs, il n’est pas question d’embrigader un écrivain, quel qu’il soit, sous la bannière tricolore. Que la France revendique Zidane ou Manaudou, passe encore, mais vous vous voyez beugler votre satisfaction sur les Champs Elysées parce que le Nobel français a foutu la pâtée à son rival américain – Philip Roth, dont le nom circulait avec insistance ?

Il est vrai cependant que Le Clézio est certainement moins français que Roth n’est américain. Raison pour laquelle, sans doute, une petite dinde s’est crue autorisée à déclarer sur France Inter, que le premier, lui, était un vrai écrivain. Non, vous n’avez pas la berlue. Moi, Marie Colmant, spécialiste de la branchouillitude vintage et de l’impertinence à deux balles, je vous le dis, Philip Roth, c’est de la daube. Et Dostoïevski, c’est écrit au manche de pioche ?

Le dialogue entre l’animateur de l’émission, Vincent Josse, et sa subversive chroniqueuse mérite d’être restitué :
– Alors Marie, le Nobel de Le Clézio, ça vous a fait plaisir ?
– Oui, je ne vois pas pourquoi je bouderais mon plaisir.
– Dîtes-nous en un peu plus…
– Je ne vais pas rentrer (sic) dans les détails… (on comprend qu’elle n’a pas lu une ligne de Le Clézio). Non, je vais vous dire (en marquant un petit silence pour montrer qu’elle s’apprête à dire un truc vachement courageux) : Philip Roth, j’ai toujours trouvé ça surcoté.

Oui, Mesdames et Messieurs, ouvrez les yeux, Philip Roth est surcoté. Si vous avez du Roth chez vous, vendez ! Encore un coup des Américains pour nous fourguer leurs junk bonds. Mais ne vous faites pas rouler dans la farine, comme dirait PPDA il n’est pas bankable le Roth. (Tant que vous y êtes, si vous avez du Joseph Roth, bazardez aussi, c’est poussiéreux tout ça).

Josse (qui est plutôt talentueux et pas ramenard) devait être trop abasourdi pour réagir. La bécasse qui ne doute de rien a profité de son silence pour proférer une dernière ânerie.
– Alors c’est vrai, je suis contente que cette fois, le Nobel aille à un vrai écrivain.

Et moi, j’étais contente de ne pas l’avoir sous la main parce que j’avais une furieuse envie de lui tirer les cheveux en l’obligeant à demander pardon, cette Verdurin des ondes. Or, cette insignifiante vaniteuse n’a fait que répéter les niaiseries débitées dans un langage plus châtié par le secrétaire permanent de l’Académie Nobel, Horace Engdahl. À Cannes, Sean Penn avait entendu récompenser un film « conscient de la souffrance du monde ». L’honorable imbécile nommé Engdahl trouve, pour sa part, que « les écrivains américains composent des œuvres trop repliées sur les Etats-Unis et ne participent pas au « grand dialogue » de la littérature ». Les méchants ! En plus, je parierais qu’ils refusent d’écrire sur du papier recyclé.

C’est fou comme les rebelles peuvent se révéler normatifs. Au moins savons-nous désormais reconnaître un bon film et un bon livre. Si l’œuvre que vous avez entre les mains ne participe pas « au grand dialogue de la littérature », si elle pue le terroir, vous perdez votre temps. Il va de soi qu’un écrivain africain qui évoquerait son village ne serait pas « replié sur lui » mais « héritier de l’exil ». Alors, ce n’est pas de sa faute, à Le Clézio, s’il a exactement le profil du job. Sachez en effet que cet « écrivain cosmopolite, qui partage aujourd’hui son temps entre Nice, le Mexique, l’île Maurice et d’autres horizons a étudié à Bristol et à l’université de Londres aussi bien qu’au Collège littéraire universitaire de Nice ». Mieux encore, il a en 1967 effectué son service militaire en Thaïlande, au titre de la coopération, mais « a été expulsé pour avoir dénoncé la prostitution enfantine ». Si l’on ajoute à ce tableau immaculé qu’il a, durant quatre ans, étudié la vie des Indiens, au Panama, on comprend que les Nobel n’ont pas récompensé une œuvre, mais un héros de notre époque, une sorte de croisement entre Lawrence d’Arabie, Bernard Kouchner et Mère Térésa. Encore un peu et ils se présenteront comme l’académie alter-Nobel.

L’honneur est sauf – c’est bien un citoyen du monde qui a été honoré. Certes, il se trouve encore quelques réacs pour penser qu’un écrivain, serait-il tourné vers le grand large, habite une langue et par conséquent une culture. C’est qu’ils n’ont pas encore compris que le grand métissage des langues et des cultures rendra bientôt obsolètes ces vieilles distinctions. On pourrait aussi faire remarquer à tous ces adorateurs du déracinement et contempteurs du « repli sur soi » que le cosmopolitisme a partie liée avec la culture française, mais ce serait déjà manifester un chauvinisme coupable. Remarquez, le choix judicieux de nos Fenouillards suédois a permis à la presse de s’enthousiasmer sans que l’on puisse l’accuser d’être cocardière. Toutes nos gazettes ont donc glosé sur l’écriture nomade, la culture du métissage et la dénonciation de l’Occident qui caractériseraient la prose leclézienne. Dans Le Monde, Patrick Kéchichian a salué le « Nobel de la rupture » (et Claude Simon, c’était quoi au fait ?). Le Clézio, a-t-on pu lire dans Libération, est bel et bien ce qu’en disent les jurés, « un nomade, jamais là où on l’attend, conquis par les cultures non occidentales, attaché à défendre les plus fragiles, un type bien, avec des antennes de poète. Mais il est aussi un romancier simplement fraternel, à la prose accessible, séduisante sans renoncer à la complexité ». Gageons que Le Clézio n’est pas dupe de ces fadaises et qu’il s’amuse du malentendu qui lui vaut d’être honoré. Et retenons pour notre gouverne que désormais, un grand écrivain est un type bien. On en a fait du chemin, depuis Baudelaire et Céline.

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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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