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Marina rit, Ingrid pleure


Marina rit, Ingrid pleure

On avait failli les oublier : les images de Marina Petrella, l’ex-brigadiste italienne en attente d’extradition à l’hôpital Sainte Anne, et d’Ingrid Bétancourt, en odeur de béatification dans un palace des Seychelles s’étaient peu a peu estompées dans les brumes des petits matins d’été. Les ennuis de Marina avaient commencé quand ceux d’Ingrid prenaient fin, et il eût été de bonne symétrie qu’elles fussent à nouveau réunies dans un happy end de conte de fées – Marina retrouvant son HLM du 9-3, son Jules et sa fille, et Ingrid recevant le prix Nobel de la paix sous les acclamations de ses fans rassemblés sur l’esplanade du Trocadéro. Feux d’artifices, larmes de joie, liesse populaire…

Pour Marina, c’est tout bon : saint Nicolas, quelque peu en avance sur le calendrier, a dépêché son épouse Carla pour lui signifier qu’elle ne serait pas envoyée en Italie pour y répondre de ses activités terroristes. Madame Sarkozy et sa sœur Valeria ont donc eu gain de cause : leur pardon privé d’exilées de luxe pour cause d’années de plomb a été promu au rang d’amnistie à titre individuel par la grâce présidentielle. Les Italiens de tous bords font valoir, à juste titre, que Mme Petrella aurait très bien pu recevoir des soins adéquats dans un établissement psychiatrique transalpin, et qu’en conséquence, la motivation « humanitaire » de la décision présidentielle est un camouflet administré à un pays voisin et ami. Tout cela est vrai, mais qui n’aurait, dans ces circonstances, la tentation de se montrer bon et généreux à peu de frais ? Supposons un instant que Mme Petrella eût succombé à la « grève de la vie » entamée lors de sa mise sous écrou d’extradition. L’intransigeance présidentielle, juridiquement impeccable, se fût révélée politiquement dévastatrice : Nicolas Sarkozy aurait été irrémédiablement repoussé dans le coin maudit des sans-coeur. N’est pas Margaret Thatcher qui veut, qui laissa jadis mourir de grève de la faim un tueur de l’IRA dans sa cellule, avec l’approbation de la majorité du peuple britannique. Cela prouve simplement que les Anglais ne sont pas des gens comme nous. Bon vent, donc à Marina Petrella, parce qu’on n’est pas des sauvages, comme dirait Popeck.

Si cette histoire sans fin des années de plomb italiennes est plus triste que divertissante, les aventures d’Ingrid au pays des Nobel devraient contribuer à nous faire sourire, ceci en dépit des angoisses relatives à l’amaigrissement de notre magot personnel.

Le fan-club français de l’ex-otage des FARC était si fort persuadé que le Prix Nobel de la Paix ne pouvait échapper à son héroïne, qu’il avait loué, vendredi dernier, un salon de l’Hôtel Meurice, rue de Rivoli, à Paris, pas vraiment une gargote, pour fêter dignement l’événement. Comme on n’est pas, chez les Bétancourt-boys, des manchots de la com’, on envoie dans toutes les rédactions un communiqué de victoire, avec embargo à 13 heures, heure où les jurés d’Oslo devaient dévoiler le nom de la lauréate. « Ce prix est un message fort adressé aux preneurs d’otages et aux terroristes qui jouent impunément avec la liberté de tout être humain », pouvait-on lire dans cette proclamation dont la lecture est aujourd’hui jubilatoire. La suite est connue : les gnomes d’Oslo ont préféré la grisaille nordique d’un tâcheron finlandais de la négociation internationale à la flamboyance de la pasionaria franco-colombienne. Mon quotidien local, Le Dauphiné Libéré, qui pourtant n’a pas coutume de s’indigner outre mesure au sujet des affaires du monde, s’en est étranglé d’indignation : « La paix, Ingrid ! » clame l’éditorialiste du journal le plus lu dans les alpages, en révélant les petites manœuvres dont même les chasseurs d’ours locaux ont appris à se méfier, grâce au bon Jean de la Fontaine. Il reste à espérer que ce « message fort » venu des Alpes sera répercuté par l’écho, de sommets en vallées jusqu’aux berges de la Seine. Quant aux preneurs d’otages, FARC, Hamas, Hezbollah et consorts, qu’ils prennent patience : s’ils ont l’amabilité de s’assagir quelque peu, il n’est pas impossible qu’un jour le Nobel…



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