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Yann Moix : une certaine complaisance

"Paris" de Yann Moix, la confession d'un enfant du siècle un peu trop cynique.


Yann Moix : une certaine complaisance
Yann Moix au 5ème édition Festival des livres, des stars 2021, Paris, le 27 juin 2021 / © LAURENT BENHAMOU/SIPA

L’avis de notre chroniqueur Jacques-Emile Miriel sur le dernier livre de Yann Moix, Paris, se révèle moins enthousiaste que celui de Pascal Louvrier


La plupart des livres de Yann Moix sont centrés sur lui-même. En général, quel que soit son sujet, il fait tourner le propos autour de sa personne, point de référence obligé. Le projet autobiographique, chez lui, est donc fondamental. Il a déjà consacré trois livres à raconter son parcours tortueux, sa jeunesse douloureuse, son éducation, certes brillante, mais plombée par des maltraitances familiales. En voici aujourd’hui le quatrième et dernier volume, Paris, évoquant son arrivée dans la capitale, et sa volonté farouche de devenir écrivain, dans un monde hostile où il sera amené, avant toute chose, à franchir certaines étapes obligées, pour avoir une chance de survivre.

Le roman de la jeunesse perdue

Il faudrait déjà, concernant cet ouvrage, s’arrêter sur le style de Moix. Dans la première partie, le lecteur est frappé par l’utilisation trop systématique de métaphores précieuses, qui deviennent des sortes de clins d’œil comiques. C’est une manière, je le conçois, pour Yann Moix, de prendre de la distance avec ce qu’il raconte de douloureux. Mais cette sorte de ricanement continuel a pour conséquence, indirectement, de le décrédibiliser, lui et sa jeunesse perdue. La vie, pour Moix, dès lors, ne semble plus une chose sérieuse. Elle devient caricaturale, comme un caprice d’adolescent.

A lire aussi, Pascal Louvrier : Moix: profession écrivain

Il y a aussi une faiblesse assez nihiliste pour le sordide, le sale. Les rares amis qu’il nous présente sont d’étranges individus, pourvus de tares physiques et mentales que Moix aime souligner avec complaisance. Il ne s’épargne pas lui-même. « Mon enfance se voyait en moi », écrit-il. Il revient souvent sur le traumatisme qu’il a subi, étant enfant. Ce traumatisme a créé en lui une poussée narcissique, qu’il évoque à profusion, et un trouble de l’identité, sur lequel il se fait plus discret ‒ Moix n’a apparemment pas suivi de psychanalyse, du moins pas encore. La perspective d’écrire un livre, et même, dans son cas, un chef-d’œuvre, ne résoudra pas cependant tous ses problèmes, notamment avec les filles. Il le note de la manière suivante : « Je sentais bien que la littérature, fussé-je un Proust nouveau, ne suffirait jamais à contrebalancer tantôt le dégoût que j’inspirais, tantôt l’invisibilité qui m’habitait. » 

Devenir un romancier à succès

Après divers péripéties, où il n’a pas le beau rôle, Moix se met donc à rédiger son fameux premier roman, qui doit, pense-t-il, le faire entrer dans le club très fermé des écrivains à succès. Encore semble-t-il y aller à reculons, comme doutant en fait de son talent, de sa passion pour la littérature : « Je me décidais à suicider mon livre en le bâclant je torchai la fin, dégoûté par ma prose, glacé par mon absence de style. J’étais un charlatan… » Yann Moix, indiscutablement, aime se caresser à rebrousse-poil. Au fond, n’est-ce pas cela, la littérature ? Se mettre dans les situations les plus inconfortables ? Encore y faudrait-il un minimum d’engagement et de conviction, et moins de ressentiment blessé. 

Yann Moix est incontestablement un surdoué de l’écriture (entre autres). Souvent, dans les interviews qu’il donne, il confie qu’il écrit ses livres avec une rapidité et une facilité déconcertantes. On sent cette fluidité pressée d’elle-même, dans Paris. Il y avait là beaucoup de matière, mais elle est au final traitée négligemment, distribuée peut-être avec une trop grande profusion, et pas assez de réflexion. Ce qui, bien sûr, ne retire rien à la délectation spéciale et très fin de siècle qu’on prend à lire Moix, même si, pour ma part, j’ai été frustré sur le chapitre de l’œuvre en train de naître, qui aurait dû être une apothéose. 

Une couronne d’épines

L’auteur de Mort et Vie d’Edith Stein a toujours su appuyer là où ça faisait mal, il faut lui reconnaître ce talent. Lorsqu’il raconte sa folle jeunesse, il le fait avec les yeux du romancier, mais sans doute avec trop de cynisme, en déformant la réalité à force d’insister sur le noir, comme si son âme était vouée à une malédiction éternelle. Paris est le roman de la confession d’un enfant du siècle qui ne croit pas (pour le moment) à la rédemption. D’où une impression de cul-de-sac et de malaise propre à la modernité, dont Moix recherche visiblement les épines ‒ pour en être couronné.

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Jacques-Emile Miriel, critique littéraire, a collaboré au Magazine littéraire et au Dictionnaire des Auteurs et des Oeuvres des éditions Robert Laffont dans la collection "Bouquins".

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