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La redoutable diplomatie du masque chinoise


La redoutable diplomatie du masque chinoise
Emmanuel Macron en visioconférence avec ses homologues européens, le 26 mars 2020 © Lemouton / POOL/SIPA Numéro de reportage: 00952239_000004

Après avoir un temps tancé les États qui osaient leur fermer les frontières et après avoir caché puis minimisé la pandémie du Covid-19, les Chinois mettent le système immunitaire géopolitique de l’Europe en danger.


Tout le monde le sait : le masque est à la fois ce qui protège et ce qui cache.

Il est naturel qu’il en soit de même pour la « diplomatie du masque » – c’est-à-dire le fait d’utiliser un produit indispensable à la prévention du nouveau coronavirus pour promouvoir son « modèle » politique et économique, et accroître son influence à l’international. La Chine a montré la voie. Côté face : Docteur Jinping et la Chine envoient matériel médical et docteurs qualifiés pour faire profiter l’Europe de leur généreuse expertise. Côté pile : Mister Xi et le Parti ont transformé une « pneumonie du Wuhan » en pandémie mondiale par leur volonté d’étouffer les voix dissidentes évoquant début janvier une maladie mortelle et transmissible.

L’Europe a tardé à fermer ses frontières

On dit que la crise médicale, sanitaire, économique et sociale actuelle démontre les limites de la mondialisation. En réalité, ce que la pandémie met en lumière (mais la lutte contre le réchauffement climatique nous l’avait déjà montré), ce sont les limites d’une globalisation où les problèmes seuls sont mondiaux tandis que les solutions, elles, restent étroitement nationales.

On dit que l’Europe a abandonné l’Italie parce qu’elle n’a pas su répondre à temps à sa demande de masques et de ventilateurs respiratoires. Mais si l’Europe a « abandonné » Rome, ce n’est pas ces deux dernières semaines quand les morts se chiffraient par milliers, c’est le 31 janvier lorsque l’Italie décida de suspendre les vols issus de Chine et qu’elle fut seule à le faire. À ce moment-là, il y a une éternité déjà, il y avait plus de cas en France (6) et Allemagne (5) qu’en Italie (2). Regardons les faits en face : Vietnam : arrêt des vols (depuis la Chine) le 23, fermeture des frontières le 27 ; bilan : 141 cas, 0 morts ; Taiwan, arrêt des vols le 27, fermeture le 5 février ; bilan : 235 cas, 2 morts. À l’inverse la Corée du Sud qui, pour maintenir ses bonnes relations avec Pékin, n’a pas voulu prendre de telles mesures de précaution : 9137 cas, 126 décès. La conclusion est assez simple : plus un pays a su contrôler tôt et suivre intelligemment les flux humains issus du Wuhan et de Chine, moins il a de morts à déplorer aujourd’hui.

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Pourquoi donc l’Europe n’a pas écouté l’Italie le 31 janvier 2020 – dont le cavalier seul était perdu d’avance – et n’a-t-elle pas pris à ce moment-là, collectivement, la mesure du problème ? Certes, étant donné que l’épidémie a commencé fort tôt en Chine (on parle du 17 novembre), un arrêt des vols fin janvier était presque déjà trop tard mais cela aurait pu aider à limiter les foyers.

Les Européens confinés

L’Europe a sans doute pensé que fermer les frontières aurait « donné un mauvais signal » alors que les partis nationalistes gagnent partout du terrain. In fine, si le refus de laisser entrer les « autres » a pour conséquence d’empêcher aux « siens » de sortir (confinement), il n’est pas sûr que le signal politique soit meilleur… Bruxelles a sans doute voulu montrer son respect des directives internationales. Homme politique éthiopien, le directeur de l’OMS Tedros Ghebreyesus (l’Éthiopie est le principal récipiendaire des investissements chinois en Afrique…) déclarait le 3 février que les restrictions de vol étaient inutiles et l’Organisation de l’aviation civile internationale (dont la directrice, Fang Liu, est chinoise), le 12, qu’elles devaient être assouplies. Pékin, qui désormais interdit l’entrée aux étrangers, vilipendait alors tous les pays se fermant aux Chinois. L’Europe, enfin, a cru en la capacité chinoise à juguler seule l’épidémie. Le 20 février, le Global Times clamait encore, bravache : « Sans les avantages uniques du système chinois, le monde pourrait être aux prises avec une pandémie dévastatrice ». Chacun peut le constater tous les jours (de sa fenêtre ou son balcon) : grâce à Mr. Xi, il n’y a pas eu du tout de pandémie dévastatrice…

Quand l’Europe se réveillera-t-elle de son sommeil géopolitique ? Le directeur de la Croix Rouge chinoise, Sun Shuopeng, le 20 mars, critique publiquement, à Milan, le gouvernement italien et le peuple d’Italie pour son laxisme. Imaginons la scène inverse : un responsable médical européen vilipendant le gouvernement chinois pour son incurie. Que n’entendrions-nous pas ! Néo-colonialisme, orientalisme, racisme… Mais, ici, tout le monde dodeline du chef et commence à battre sa coulpe : ne sommes-nous pas incapables de construire des hôpitaux en trois mois ? Des millions de masques en une semaine ? Seul la Chine le peut ! Ainsi soit-il…

La démocratique Formose plus menacée que jamais

La diplomatie du masque avance masquée. Tandis que Dr. Jinping et la Chine se posent en sauveur du monde (profitant, comme à Davos en 2017, du repli de l’Amérique de Trump), Mr. Xi et le Parti empêchent Taïwan d’accéder à l’OMS, même comme simple observateur ; pis encore, Pékin multiplie les provocations militaires : manœuvres d’encerclement par avions de chasse et bombardiers le 12 février et 17 mars, attaques d’hors-bords le 20 mars. Pendant que l’Europe a les yeux de Chimène pour le bon Dr. Jinping, Mr. Xi menace l’existence de 23 millions de personnes vivant démocratiquement en paix à Formose (la reconnaissance mondiale du succès taïwanais à contrôler l’épidémie est intolérable pour la République populaire).

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Faut-il s’étonner que le combat contre la pandémie qui fait vaciller nos libertés fondamentales en Europe voit Pékin s’engouffrer dans la brèche pour y vanter son « modèle », tout en continuant à souffler les braises en Asie ? Le 22 mars, c’était au tour de la Russie de Poutine d’envoyer masques et médecins militaires en Italie et, le 23, ce sont des médecins cubains qui arrivent : il ne manque plus que des docteurs de la Corée du Nord, et la péninsule sera définitivement « sauvée » ! 

On le voit : le SARS-CoV-2 est devenu bien plus qu’un virus ; c’est le cheval de Troie de l’illibéralisme eurasiatique. 

Grâce à lui, les Routes de la Soie (ou plutôt de la Suie – tant elles ont permis l’exportation d’usines de charbon chinoises en Asie !) sont maintenant en train de toucher toute l’Europe. Alors que Madrid vient de renvoyer à Pékin des kits de test massivement déficients et que la Hollande a dû aussi recaler 600 000 masques, faute d’anticipation, on en est donc réduit à espérer que l’aide médicale arrivant en France sera cette fois de meilleure qualité.



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