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La prison honteuse

Les Français et leurs prisons : toute une histoire!


La prison honteuse
Déplacement d'Eric Dupont-Moretti, Ministre de la Justice, dans un centre éducatif fermé à Epinay sur Seine, juillet 2020 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA Numéro de reportage: 00972346_000006

La question carcérale est toujours évacuée par nos gouvernements, à cause d’une impasse idéologique


Par une décision en date du 8 juillet 2020, la Cour de Cassation tire les conséquences de la condamnation prononcée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme contre la France le 30 janvier 2020. La France s’était vue condamnée pour les conditions indignes de détention dans plusieurs centres pénitentiaires et maisons d’arrêt.

Cette décision rend donc immédiatement effective la possibilité pour tout juge national d’appliquer la décision européenne, en libérant tout prisonnier qui serait considéré comme subissant des conditions de détention indignes.

D’après l’Observatoire International des Prisons, au 30 janvier 2020, 39 établissements pénitentiaires français étaient considérés comme exposant les personnes détenues à des traitements inhumains ou dégradants par la justice française et/ou par la Cour européenne des Droits de l’Homme. Ces traitements dégradants ou inhumains tiennent essentiellement à une surpopulation carcérale qui a pu monter jusqu’à 140% avec parfois 3 ou 4 détenus dans neuf mètres carrés et des matelas à même le sol…

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Si les conditions exceptionnelles liées à la crise du Covid ont entraîné une chute importante du nombre de détenus (environ 13 000 en moins début mai sur un total de 72500 le 16 mars), il reste que la décision de la Cour de Cassation constitue une rupture tout à fait spectaculaire dans le laisser-aller qui semblait devoir s’éterniser sur ce problème.

La France obligée de se pencher sur son problème

Certes, la possibilité de libérer immédiatement un prisonnier sur cette base peut susciter des craintes. Malgré tout on ne peut que s’en féliciter. D’abord parce que tout condamné a le droit d’être traité humainement, c’est l’honneur de notre civilisation. Ensuite, parce que cette décision éclaire de façon crue la grande lâcheté de nos gouvernants.

Si la France a des prisons indignes, cela peut s’expliquer d’un point de vue idéologique : la France a honte de ses prisons. Non parce qu’elles imposent des conditions dégradantes aux détenus. Après tout, c’est un problème tout à fait soluble si l’on s’en donne les moyens. Non, ce dont elle a honte, c’est de l’existence même de ces prisons.

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Depuis des décennies, depuis la mainmise de la gauche bien pensante sur les esprits, on pense chez nous que la prison ne sert à rien, voire qu’elle est injuste, parce qu’elle punit des gens qui sont victimes de leur situation sociale, de leur milieu, de leur origine… Victor Hugo l’a dit : ouvrez des écoles vous fermerez des prisons… La prison, un peu comme la police, c’est mal ! Et si l’on n’a pas encore réussi à s’en défaire, comme on a pu le faire de la peine de mort, c’est à contre cœur qu’on y enferme encore les condamnés.

La prison, c’est tabou, on en viendra tous à bout

Et c’est bien la raison qui explique leur délabrement et leur surpopulation. Un président ou un garde des Sceaux ne peuvent proclamer vouloir créer de nombreuses et vastes prisons, ne serait-ce que pour qu’elles soient plus vivables, ce qui somme toute serait un prétexte acceptable pour nos belles âmes, ils auraient bien trop peur de passer pour des fachos, des répressifs. Quant à le faire pour accueillir en plus grand nombre tous ceux qui méritent d’y faire un séjour, ça n’est même pas envisageable pour un politique qui tient tant soit peu à conserver l’estime de l’intelligentsia humaniste. Alors on dit, oui on va construire des places, et puis on se dépêche de ne plus en parler et de ne rien faire. Nous sommes un pays très fort dans l’art de glisser ces problèmes sous le tapis.

La prison c’est tabou, on ne doit pas en parler trop, ne pas lui attribuer trop de budget, ne pas valoriser le travail extrêmement difficile de son personnel. C’est pourquoi depuis des décennies elles posent problème et que pourtant jamais rien ne se passe. Il existe une justification toute trouvée, répétée ad nauseam pour que la France n’alloue pas de vaste budget à la construction de places supplémentaires : la prison fabriquerait des récidivistes. CQFD.

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Nous sommes un pays très spécial : nous mettons des radars sur les routes mais nous prévenons de leur présence, nous prenons des mesures d’expulsion mais nous subventionnons des associations qui organisent défense, appel et contre appels, voire qui mobilisent l’opinion si l’on ose reconduire un clandestin à la frontière de façon un peu trop visible. Nous déplorons le niveau très faible des collèges et lycées dans les quartiers « défavorisés », mais chacun sait que le problème vient de la chienlit qui règne dans de nombreuses classes et à laquelle personne n’ose s’attaquer réellement.

Récidivistes de la couardise

Dans notre pays très spécial, il existe même un « défenseur des droits », noble et utile mission certes, mais dont on peut se demander s’il est bien dans son rôle en expliquant, comme il vient de le faire, les bonnes méthodes (on pourrait presque dire les bonnes manières) pour l’exercice du maintien de l’ordre et l’usage de la force publique.

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Justice, police, éducation devraient inspirer le respect, et la crainte si nécessaire. Cela suppose un exécutif fort qui ose assumer ces missions régaliennes.

Depuis longtemps, nos gouvernants sont d’une grande lâcheté : ils ont peur des voyous comme des intellectuels de gauche, des bien-pensants, des banlieues, de la rue et du spectre de la guerre civile.

Observant constamment l’opinion, les réseaux sociaux et les journaux qui déversent tous la même eau tiède, ils naviguent à vue, au jour le jour, évitant soigneusement tous les écueils que leur imagination entrevoit. Ce faisant ils ne font qu’attiser encore plus ce feu qu’ils voudraient éviter.




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Réalisateur de films d'entreprises et institutionnels. Organisateur de spectacles.

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