Dans un jugement récent, V.M. c. Directeur de l’Etat civil, 2025 CCS 1304, la Cour supérieure du Québec conclut qu’est contraire à la (trudeauesque) Charte des droits et libertés canadienne le régime québécois qui limite les droits parentaux à deux adultes.
Familles, je vous hais !
André Gide.
Oh, quelle vie d’orgie,
quel monde de sexe,
y’a plus rien a l’index
Les hommes aux hommes,
les femmes aux femmes.
Les hommes aux deux,
les femmes aux trois.
Quand j’dirai go,
mélangez-vous et puis
swingnez votre compagnie.
Jean-Pierre Ferland.
Les ménages à trois (et plus) ont désormais droit de cité au Québec au nom du droit à l’égalité de tous les enfants; l’honorable juge (tel est son titre au Canada) Andres Garcin, tel un prestidigitateur qui sort un lapin d’un chapeau, le puise audacieusement dans l’esprit du paragraphe 15(1) et il s’inspire ouvertement du « modèle » (si l’on peut dire) de pluriparentalité en vigueur dans d’autres provinces canadiennes.
Pavé dans la mare
D’aucuns se sont émus, y voyant une avancée vers la reconnaissance de la polygamie, ce que nie le juge, appuyé dans une tribune par le juge à la retraite Daniel W. Payette (esprit de corps oblige), qui affirme que ce jugement ne « pave » (sic) pas la voie vers la polygamie. Ces deux oracles de la loi dénoncent insidieusement une crise d’hystérie islamophobe typiquement québécoise et lancent un appel au calme puisque que ce jugement ne concerne que l’intérêt de l’enfant et donc son droit à de multiples parents. Ni plus ni moins.
A ce stade, la messe n’est pas encore dite. Le gouvernement québécois portera en appel cette décision de première instance et l’on peut tenir pour acquis que, tôt ou tard, elle sera déférée à la Cour suprême du Canada. Mais les pluriparents peuvent sans doute compter sur la confirmation du premier juge par celle-ci, qui n’en serait pas à sa première décision politique.
La question est donc posée : cette doctrine de la pluriparentalité peut-elle constituer un précédent favorable à la reconnaissance de la polygamie en droit canadien et québécois (pénal et civil)?
Ce n’est pas inévitable, mais un jalon important a d’ores et déjà été posé. Au moins un pavé dans la mare. Mais revenons en arrière.
Peines non dissuasives
Le climat social canadien hors-Québec était déjà apparemment plutôt favorable à la reconnaissance de la polygamie. Pendant plusieurs décennies, les procureurs se sont abstenus d’engager des poursuites à ce titre de crainte de donner lieu à une jurisprudence favorable aux accusés polygames, au nom de la liberté de religion. Cette crainte semble avoir été écartée par un jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique qui consacrait la constitutionnalité de l’interdiction de la polygamie en droit pénal, ce qui a permis la condamnation en 2017 de deux mormons fondamentalistes anglo-saxons disposant respectivement de 25 et de 5 épouses pour un total d’environ 150 enfants. Ils ont écopé de… 6 mois et 3 mois de détention à domicile. Peine exemplaire, très dissuasive.
Nouvelle rassurante? Voire…
Et pourtant… Les polygames musulmans, eux, vivent en toute impunité au Canada, multiculturalisme du parti libéral du Canada oblige : les imams qui célèbrent ces unions ne les déclarent tout simplement pas à l’état civil. La solution était simple, mais il fallait y penser!
[Note de droit comparé pour les lecteurs français : en France, est pénalement sanctionnée la célébration d’un mariage religieux sans cérémonie civile préalable; en Amérique du nord, les ministres du culte peuvent célébrer des mariages qui sont reconnus par l’état civil, mais ils doivent être déclarés].
En 2019, un de ces imams canadiens, Aly Hindy du Centre islamique Salaheddin de Toronto, mettait même publiquement les autorités au défi de le poursuivre, ayant pleine confiance de triompher devant la Cour suprême du Canada. Et de nombreux spécialistes partagent, en effet, son optimisme : la haute juridiction pourrait tout simplement accorder sa bénédiction à une nouvelle, mais simple, redéfinition du mariage.
A lire aussi, Jérôme Blanchet-Gravel: Canada: la chute hors de l’histoire d’un pays en pyjama
[Note de droit comparé pour les lecteurs européens : la Cour « suprême » de Colombie-Britannique est un faux ami, car c’est une juridiction de première instance et la Cour suprême du Canada aurait toute latitude pour répudier – c’est le mot exact dans ce contexte – cette censure de la polygamie].
Même en faisant abstraction de la doctrine de pluriparentalité, le climat semble donc propice aux polygames qui pourraient utilement invoquer l’esprit du paragraphe 15(1), à l’instar du juge Garcin. A fortiori, cette jurisprudence constitue un point d’appui supplémentaire.
En effet, il faut rappeler à ces deux éminents juristes un principe élémentaire en matière de raisonnement judiciaire : la portée de telle ou telle jurisprudence échappe toujours au magistrat qui en est l’auteur; il revient au juge ultérieur de l’interpréter, que ce soit de manière élargie ou restrictive. Leurs onctueuses assurances quant à l’exclusion de la polygamie n’engagent donc qu’eux seuls; pourtant, mieux que personne, ils devraient savoir que les juristes savent faire feu de tout bois et que le droit évolue souvent par sédimentation, parfois par tsunami. En l’occurrence, dans un avenir peut-être pas si lointain, il sera loisible à des plaideurs polygames d’inviter le juge à aller plus loin et à raisonner par analogie : si un enfant peut avoir plus de deux parents, on voit mal pourquoi une personne ne pourrait gratifier plus d’un époux de son inépuisable affection (de manière équitable, bien entendu, comme pour les enfants, selon une planification équilibrée du calendrier).
(Précision importante, égalité des sexes oblige : le concept de « polygamie » se subdivise en « polygynie » et en « polyandrie »).
On nous dit que la jurisprudence V.M., quant à la filiation à deux personnes, « il ne s’agit plus du seul modèle de parentalité »; de même, l’on peut aussi soutenir que la monogamie a fait son temps en matière matrimoniale. On n’arrête pas le progrès.
Une nation toujours à la pointe du progressisme
Signalons incidemment que, avant de quitter le pouvoir, le pluriculturaliste d’esprit Justin Trudeau, qui est bien le fils de son père, a fait de nombreuses nominations de dernière minute que l’on pourrait charitablement qualifier de clientélistes, et a notamment infiltré au sein de la même Cour supérieure du Québec un « honorable » correspondant, Robert Leckey, à la langue française rugueuse, dont le titre de gloire est d’avoir été doyen de la faculté de droit de l’Institution royale pour la promotion du savoir de Montréal (université McGill pour faire simple), tribune décomplexée du lobby religieux. Nul doute qu’y a vu un signe dans le ciel Amira Elghawaby, groupie de Justin devenue « représentante spéciale du Canada chargée de la lutte contre l’islamophobie », qui a juré (sur le Kamasoutra et sur le recueil des Mille et une nuits) de mener une guerre d’enfer contre la laïcité rationaliste québécoise honnie.
Le Canada éblouit déjà par sa lumière les nations. Il semble en bonne (ou mauvaise) voie, à terme, de décrocher le titre prestigieux de premier État occidental à reconnaître la légalité du mariage polygame.
Et l’enfer, lui, est toujours « pavé » de bonnes intentions.
Esprit, es-tu là?
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