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Issy-les-Moulineaux, la mosquée des micmacs

Enquête autour de la construction d'une grande mosquée démesurée pour cette petite commune


Issy-les-Moulineaux, la mosquée des micmacs
André Santini, maire d'Issy-les-Moulineaux. Photo: Tristan Reynaud/SIPA

En marge des travaux du métro, Issy-les-Moulineaux doit détruire une salle de prière musulmane. L’occasion de construire une grande mosquée démesurée pour cette petite commune. L’opposition municipale a déposé un recours contre le montage juridique baroque.


Officiellement, il ne se passe rien. Dans le cadre des travaux d’aménagement accompagnant la création des nouvelles lignes de métro du Grand Paris Express, la ville d’Issy-les-Moulineaux (69 000 habitants) remodèle un quartier où s’implantera une nouvelle station, sur la zone d’aménagement concerté Léon-Blum. Il faut détruire un local qui fait office depuis quelques années de mosquée, 103 avenue de Verdun. Un autre local sera construit, 350 mètres plus loin, toujours avenue de Verdun, au n° 135. Début du chantier : automne 2019, inauguration prévue en 2021. Fin de l’histoire.

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Ou plutôt, début de la polémique. À l’heure actuelle, deux recours ont été déposés contre le projet au tribunal administratif. Le premier, sans surprise, émane de riverains qui s’inquiètent de problèmes de voisinage, en particulier concernant le stationnement. Le second recours est plus inhabituel. Il a été formé par six élus LR de la majorité, dont Martine Vessière, ex-adjointe au protocole, et Paul Subrini, ex-premier adjoint, en guerre ouverte depuis juillet 2017 avec le maire UDI, André Santini. Ce dernier leur reproche d’avoir contribué à la défaite de son poulain aux législatives. Jérémy Coste, 30 ans, avait été balayé par le candidat LREM, Gabriel Attal, élu avec 61 % des suffrages.

Dans cette ambiance propice aux règlements de compte, le projet de mosquée est un dossier en or, tant la ville a multiplié les maladresses. La plus ahurissante est sans doute de ne pas en avoir parlé dans l’enquête d’utilité publique préalable au projet de ZAC Léon-Blum, qui s’est déroulé du 22 mai au 22 juin 2018. Le commissaire enquêteur, Olivier Jacque, a peu apprécié cette négligence. Il l’a fait savoir dans ses conclusions, rendues le 15 juillet : « L’installation d’une salle de prière et d’un centre culturel musulman n’apparaît pas dans le dossier, ce qui a motivé 60 % des observations reçues sur les différents registres, dont une large majorité́ de personnes opposées à cette implantation […]. Les intervenants ont le sentiment d’être mis devant le fait accompli. »

Olivier Jacque a rendu un avis dévastateur sur l’ensemble du projet, pointant « l’absence dans le dossier du projet de salle de prière et de centre culturel musulman », mais aussi « l’actualisation très incomplète » d’un projet esquissé en 2015. La mairie est passée outre. Le permis de construire a été validé en août 2018.

Non-dit et opacité

Le défaut d’actualisation est incompréhensible. Six mois avant l’enquête publique, en décembre 2017, le conseil municipal avait acté la création d’un nouveau lieu de culte musulman, article dans Le Parisien à la clé. La mairie n’avançait donc pas masquée. De là à dire qu’elle a joué franc-jeu… Les délibérations municipales évoquent un « centre culturel Georges-Dumézil », auquel serait adossé un espace d’étude et de prière (à aucun moment le terme « mosquée » n’est employé) avec une salle pour les hommes et une salle pour les femmes, entrée et bibliothèque distinctes selon les sexes. Capacité : 1 000 fidèles. Superficie des lieux de culte : 1 100 m2 (contre 135 m2 pour la salle existante) plus 400 m2 pour le centre George-Dumézil proprement dit. « Nous estimons que la commune compte 4 000 musulmans dont 1 000 à 1 200 pratiquants, plaide Thierry Lefèvre, premier adjoint. Le projet n’est pas surdimensionné. Issy-les-Moulineaux compte plusieurs églises catholiques, deux églises arméniennes, une église maronite, un temple protestant, une synagogue… Pourquoi les musulmans seraient-ils les seuls à ne pas avoir de salle pérenne ? »

En réalité, ils en ont une, dans la commune voisine de Boulogne-Billancourt. La mosquée de l’Olivier, à moins de 2 km de l’avenue de Verdun, peut abriter plusieurs centaines de fidèles. Par ailleurs, la construction de lieux de culte n’est pas exactement dans les compétences municipales. Les églises catholiques sont entretenues par les communes, car elles en sont propriétaires depuis 1905. À Issy, selon nos informations, la chapelle Saint-Sauveur, reconsacrée en janvier 2018 pour accueillir le culte maronite, a été rénovée grâce à un généreux donateur, Bernard Azzi, qui a versé 2 millions d’euros. Les associations arméniennes sont subventionnées régulièrement par la mairie, mais elles ont financé leur lieu de culte.

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La communauté musulmane, pour sa part, va bénéficier d’un geste fort généreux. « La construction du lieu culturel et cultuel musulman est estimée à 5 millions d’euros hors-taxe », précise Thierry Lefèvre, qui ajoute que « le projet ne coûtera rien à la commune, car il est financé par les plus-values générées par l’opération d’aménagement. » Mais en bon financier (il est cadre au Crédit Agricole), l’élu ajoute spontanément : « Enfin, c’est une recette en moins pour la ville, bien entendu. » La collectivité reste propriétaire des lieux. Elle va les louer à l’Association socioculturelle des musulmans d’Issy-les-Moulineaux (Ascmi). Valeur de marché, dans du neuf, près d’une future station de métro du Grand Paris Express ? Au moins 250 000 euros de loyer annuel. « Nous allons demander aux domaines de fixer le loyer, par souci de transparence », ajoute Thierry Lefèvre, qui assure qu’il n’est « pas question d’un montant symbolique ».

L’Ascmi a-t-elle les moyens de payer ? Ses porte-parole n’ont pas souhaité s’exprimer, mais à lire leur site web, ils ont des doutes : « La capacité d’accueil du futur centre musulman est de 1 000 personnes et nous sommes aujourd’hui un peu plus de 500 adhérents. Si nous voulons être entendus, respectés et considérés, nous devons absolument agir et nous soutenir les uns les autres », en adhérant et en faisant un don. De l’art d’embarrasser par des cadeaux démesurés…

Brouillard juridique

Tout ceci est-il juridiquement bordé ? La question pourrait occuper un moment les avocats et les magistrats du tribunal administratif. La ville, en effet, a choisi un montage particulièrement complexe. Par un bail emphytéotique de longue durée, elle a confié le terrain, dont elle est propriétaire, à la société publique locale (SPL) Seine Ouest Aménagement, dont Issy est actionnaire à 51 % (avec Boulogne-Billancourt, Chaville, Meudon, Sèvres, Vanves et Ville-d’Avray). La SPL sera le maître d’œuvre et le bailleur. Il y aura d’ailleurs deux baux. Le premier sera signé avec une association municipale loi 1901, le Clavim, qui gérera le centre culturel. Le second bail, concernant la partie cultuelle, sera signé avec une association loi 1905… qui n’existe pas encore. « L’association des musulmans d’Issy va la créer », assure Thierry Lefèvre. C’est une obligation. La jurisprudence permet à une collectivité de mettre un local à disposition des fidèles, mais seulement dans le cadre de la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État. Les associations loi 1901 ne peuvent en bénéficier. En pratique, jouant sur la diversité des missions assumées par les mosquées, beaucoup d’associations musulmanes, dont celle d’Issy, gardent aussi longtemps que possible le statut loi 1901, plus souple. Résultat, la ville délibère en ce moment d’un chantier à plusieurs millions au profit d’une association… qui n’existe pas. « J’en ai vu, des montages acrobatiques pour financer la construction de mosquées, confie l’ancien directeur financier d’une société publique locale francilienne, mais ce montage-là est à ma connaissance le premier du genre ! La créativité de M. Santini est sans limites… »

Pourquoi la ville prend-elle tant de risques, sur le plan juridique et électoral ? Martine Vessière (LR, ex-adjointe en délicatesse avec le maire) est perplexe. « Je ne comprends pas. Cette nouvelle mosquée est très grande par rapport à la demande identifiée. Il fera plaisir à l’électorat musulman, mais celui-ci n’est pas déterminant à Issy-les-Moulineaux. » La liste d’André Santini est passée avec 67 % des suffrages dès le premier tour, en 2014. Le maire, qui ne se représentera d’ailleurs peut-être pas en 2020, n’a aucune raison de donner dans le clientélisme religieux. « Issy-les-Moulineaux se boboïse, analyse Martine Vessière. Le maire et son premier adjoint souhaitent peut-être montrer leur ouverture d’esprit. » Issy-les-Moulineaux, modèle de cohabitation interreligieuse ? L’idée peut séduire, à un détail près : rejetée par une minorité active de musulmans, la coexistence des religions est en plein recul dans des dizaines de communes franciliennes. Issy-les-Moulineaux pourra-t-elle inverser la tendance ? Thierry Lefèvre assure que la ville a « protocolé les droits et obligations des parties : pas de communication agressive, pas de prière dans la rue et des prêches traduits en français ». On dirait que le minimum légal ne va pas de soi pour tout le monde.

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Mars 2019 - Causeur #66

Article extrait du Magazine Causeur




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