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Insoumis et Rassemblement national, la lente convergence

LFI / RN : la convergence des buts?


Les états-majors se déchirent, mais les enquêtes d’opinion montrent une très nette porosité entre les électeurs de Jean-Luc Mélenchon et ceux de Marine Le Pen. Le discours indigéniste et antiflic du leader de LFI y est pour quelque chose.


27 avril 2021. Jean-Luc Mélenchon et son état-major écrivent au procureur de la République de Paris pour lui demander « d’engager des poursuites » contre les auteurs de la tribune des militaires dénonçant le « délitement » de la Francediffusée une semaine plus tôt par Valeurs actuelles.

Les Insoumis ne le savent pas encore, mais l’institut Harris Interactive se prépare au même moment à sonder 1 613 Français sur ce qu’ils ont pensé de cette tribune. Les résultats tombent le 29 avril et font l’effet d’une douche froide chez les cadres mélenchonistes. 70 % des sympathisants LFI ont entendu parler de la lettre ouverte des militaires. 43 % la soutiennent en bloc. C’est nettement moins que la moyenne des sondés (58 %), mais c’est tout de même très significatif. Et dans le détail, les résultats sont encore plus éloquents. 77 % des électeurs mélenchonistes sont d’accord avec l’idée contenue dans la lettre qu’il existe en France des quartiers et des villes « où les lois de la République ne s’appliquent pas ». Pire encore, 74 % sont d’accord avec la proposition selon laquelle « en France, il existe une forme d’antiracisme qui produit une haine entre les communautés ».

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Bien entendu, cette enquête fait apparaître des divergences flagrantes entre les électorats LFI et RN. Par exemple, 83 % des sympathisants RN seraient favorables à un coup d’État des militaires visant à rétablir l’ordre, contre 38 % seulement des Insoumis. Le vrai enseignement de l’enquête est plutôt dans les convergences, que souligne HarrisInteractive : comme les frontistes, les sympathisants LFI sont beaucoup plus nombreux que les autres à penser que la France connaîtra bientôt une guerre civile : 78 % et 61 % respectivement, contre moins de 40 % pour la moyenne des autres sondés. Des deux côtés, la crise des Gilets jaunes a laissé un goût amer : huit frontistes sur dix et près de neuf Insoumis sur dix pensent qu’elle a « provoqué une perte de confiance des Français dans les forces de l’ordre ». Des scores deux fois plus élevés que chez les électeurs macronistes…

Le RN, une valeur qui monte chez les Insoumis

Un sondage, c’est un sondage. Mais plusieurs sondages cohérents, c’est un mouvement d’opinion. L’enquête d’avril n’est pas la première à mettre en évidence un rapprochement des deux électorats. Il est net et rapide. En 2015, on pouvait parler de franche hostilité. Seulement 18 % des Insoumis pensaient que le Front national était « un parti comme les autres » et un sur vingt (5 %) en avait une bonne opinion. Un revirement spectaculaire s’est opéré en quatre ans. Dans une enquête Odoxa de mai 2019, les Insoumis étaient trois fois plus nombreux qu’en 2015 (58 %) à considérer le Rassemblement national comme aussi légitime que toute autre formation politique. Quant à la part de ceux qui en ont une bonne opinion, elle a été multipliée par sept, pour s’établir à 36 % ! À tout prendre, désormais, un électeur insoumis sur trois voterait plus facilement RN que LR ou LREM, voire PS.

L’évolution est d’autant plus surprenante que dans l’intervalle, Jean-Luc Mélenchon a multiplié les appels du pied aux communautaristes et à l’électorat des cités. « Je conteste le terme d’islamophobie […], je défends l’idée qu’on a le droit de ne pas aimer l’islam », lançait-il une semaine après les attentats du 13 novembre 2015. Quatre ans plus tard, presque au jour près, il marchait dans les rues de Paris « contre l’islamophobie », avec des sympathisants des Frères musulmans, partisans avérés de l’islam politique, qui scandaient « Allah akbar » à portée de fusil-mitrailleur du Bataclan.

Encore quelques mois et il faisait acte de présence, en juin 2020, à une manifestation amalgamant délibérément les protestations contre leracisme et les violences policières. Même si le député de Marseille évite de parler de « racisme d’État », le message passe ! Il ne peut pas lui faire perdre des voix de gendarmes et de policiers, elles n’existent pas : 2,3 % seulement des représentants des forces de l’ordre avaient l’intention de voter Mélenchon au premier tour de la présidentielle de 2017. Le problème est qu’il ne lui en fait pas gagner d’autres, semble-t-il. Entre avril 2017 et septembre 2020, le nombre de Français pensant que Jean-Luc Mélenchon a la stature d’un homme d’État s’est effondré, de 46 % à 22 % (enquête IFOP). 

Fraternisation sur un rond-point, en gilet jaune

« La garde rapprochée emmenée par Éric Coquerel et Danièle Obono qui a vendu à Jean-Luc l’idée que le vote des “racisés” existait et était mobilisable s’est complètement plantée, analyse un ancien Insoumis. Leur discours antiflic est un truc de bobo. Ils se font intoxiquer par des diplômés de Sciences-Po qui prétendent parler au nom des quartiers parce qu’ils ont le teint mat. Des musulmans de gauche qui en ont marre du deal et veulent plus de patrouilles au pied de leur tour, je vous en trouve autant que vous voulez. Ils ratent le vrai phénomène de fond, qui est la porosité croissante entre leur électorat et celui du RN, indépendamment de la couleur de peauet de la religion. »

Ce n’est pas faute d’avoir été prévenu. En janvier 2021, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, avouait sur BFM TV sa crainte d’une « fusion des électorats, à force de laisser penser que l’adversaire, ce serait principalement le social-démocrate ». Il n’allait pas, toutefois, jusqu’à imaginer que « les Insoumis soient en volonté et en situation un jour de rejoindre Marine Le Pen », etinversement. Pour le moment, il y a effectivement eu très peu de transfuges, en dehors d’Andréa Kotarac, ancien candidat insoumis aux législatives, conseiller régional, devenu tête de liste RN aux régionales en Auvergne-Rhône-Alpes. Un passage d’une rive à l’autre qui lui a valu des bordées d’injures, mais plus de la part des cadres que de celles des électeurs. Le jeune homme mène campagne sans se faire traiter de traître dans la rue. 

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« Il s’est passé quelque chose au début du mouvement des Gilets jaunes, analyse un élu RN. Des électeurs de gauche ont rencontré des électeurs frontistes. Ils ont vu qu’ils n’avaient pas de croix gammée tatouée sur le front. Et ils se sont retrouvés avec eux, pris en tenaille entre la police et les black blocks ! Ça n’a pas duré longtemps, mais la glace était rompue. » Plutôt au bénéfice du Rassemblement national, à en croire les enquêtes d’opinion.

Devant l’érosion de leur base électorale, l’inquiétude monte chez les Insoumis. À l’image de François Ruffin, de nombreux élus sont embarrassés depuis des années par les appels du pied aux islamistes. Ils ne rejoindront jamais le RN, mais pour eux, il devient urgent de corriger le tir. À Roubaix, début mai 2021, les Insoumis ont rompu l’union de la gauche en négociation depuis des mois, dans la perspective des départementales. Motif, le candidat que voulait imposer EELV, Ali Rahni, était trop connoté islamiste (il n’a effectivement jamais caché son admiration et sa proximité intellectuelle avec Tariq Ramadan). Précision importante, la cellule insoumise roubaisienne a pris l’avis du national avant de rompre les ponts. Ce n’est qu’un canton, certes, mais le département du Nord comme la région Hauts-de-France auraient été à la portée de la gauche unie. Les divisions là-bas portent plus à conséquence qu’en PACA, où tout se jouera entre LR et le RN.

Les précédents grec et italien de l’impossible alliance

L’état-major de la France insoumise s’est mis lui-même dans une position singulière. Son programme de 2017, toujours d’actualité, n’est ni particulièrement laxiste en termes de sécurité ni promigration. Il entend au contraire réduire les flux, en agissant sur les causes dans les pays d’origine. Si jamais les élus insoumis renonçaient à leurs sorties démagogiques à destination des cités, que resterait-il de la ligne rouge qui le sépare du rassemblement national ? Deux formations souverainistes, eurocritiques et anti-élites…

Beppe Grillo, cofondateur du Mouvement 5 étoiles (M5S), Rome, 23 mai 2014 Andreas Solaro / AFP.

Le scénario d’un rapprochement paraît irréaliste. Il s’est pourtant concrétisé en Italie en mai 2018, avec l’alliance inattendue du Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo et de la Ligue de Matteo Salvini, dans le cadre du gouvernement Giuseppe Conte I. Grillo était comparé à Mélenchon par Libération, alors que Salvini s’était affiché en maintes occasions avec Marine Le Pen (1). Les deux se sont retrouvés partenaires. Leur mariage de raison a duré plus d’un an, ce qui n’est pas rien en Italie. La vie politique est tellement complexe à l’ombre du palais Chigi qu’il serait imprudent d’en tirer le moindre enseignement, si c’était un événement isolé. En réalité, le gouvernement Conte I n’était pas une première en Europe. En 2015, le parti Syriza d’Alexis Tsipras s’est allié avec une formation de droite souverainiste et eurocritique, les Grecs indépendants, pour former une majorité de gouvernement.À l’époque, Tsipras était le héros de Jean-Luc Mélenchon (ils se sont violemment disputés par la suite). Quant au leader des Grecs indépendants, Panos Kamménos, il était en très bons termes avec Nicolas Dupont-Aignan, intervenant – dans un français remarquable – au congrès de Debout la France à Paris, en octobre 2013.

La France n’est ni l’Italie, ni la Grèce, ni une autre planète. Les coalitions peuvent survenir chez nous. Marine Le Pen, si elle était élue, n’aurait probablement pas une majorité de députés RN à l’Assemblée nationale. Pour nommer un Premier ministre et constituer un gouvernement, elle devrait former une coalition.

Il est très facile aujourd’hui de dire quelle personnalité LFI pourrait rejoindre le Rassemblement national : pratiquement aucune. Dans un an, la question sera sensiblement différente. Quelle personnalité LFI refuserait de devenir ministre d’ouverture dans un gouvernement souverainiste et eurocritique ? La réponse est nettement moins évidente.

(1) « Mélenchon, le Beppe Grillo français » avait précisément titré Libération le 27 avril 2017. La comparaison revenait souvent avant l’alliance avec la Ligue. Par la suite, beaucoup moins : « il est inapproprié de considérer le Mouvement 5 étoiles comme le cousin italien de La France insoumise », expliquait France Info le 24 mai 2018…




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