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Harcèlement: l’école comme expérience carcérale

Après avoir été reçue à l'Élysée par Brigitte Macron, hier, la mère de Lindsay (une jeune qui s'est suicidée à 13 ans) pourrait devenir ambassadrice du programme Phare


Harcèlement: l’école comme expérience carcérale
Brigitte Macron et Charlotte Caubel, Secrétaire d'État chargée de l'Enfance en déplacement à Esbly, journée nationale contre le harcèlement scolaire, 7 novembre 2022 © CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Lucas, Shaïna, Lindsay, Thibault et les autres… Suicidés ou tués, leurs noms ne hanteront malheureusement pas suffisamment longtemps les esprits de nos gouvernants, des recteurs, des professeurs ou des pions. Leurs familles, elles, devront vivre avec le souvenir qui mine, celui qui rime avec regrets et remords… La mise en accusation des réseaux sociaux est trop facile. Analyse.


Et si l’école était ce qui ressemblait le plus à la prison ? L’enfant est encadré par le personnel éducatif, doit respecter des horaires et se conformer au règlement de l’établissement. Sa peine est fixée d’avance mais peut évoluer, en fonction d’examens sanctionnés par des notes – de moins en moins exigeants, cela étant. Autre chose, les pires ennemis de l’enfant scolarisé ne sont pas ses professeurs mais bien ceux qui partagent son sort : ses camarades de classe et de cour de récréation. Sortir à l’heure de la promenade peut être une aventure périlleuse pour les condamnés dont le caractère, le parcours ou le physique, se distinguent un peu trop de la masse.

Le couteau de fortune fabriqué avec du plastique durci n’est jamais loin, comme la balayette ou la calotte derrière la tête. Le petit coup qui humilie, l’attentat préparé qui tue. Un contre un. Bande contre bande. Tous contre un, un contre tous. Des groupes se forment, antagonistes et agressifs, prêts à en découdre pour le plus petit détail, la moquerie qui nous semble dérisoire, les dernières baskets à la mode, le mot de trop, la jalousie pure et simple. En prison comme à l’école, les rancunes sont tenaces et les réputations sont tatouées à l’encre indélébile. Surveillants de prison et surveillants de collège ont, au fond, le même travail. Ils doivent faire régner l’ordre dans un univers clos soumis à ses propres règles coutumières.

Honte collective

Il n’est pas rare qu’au petit matin, le maton découvre un corps inanimé, pendu de fortune au barreau ou vidé de son sang aux poignets. Plus fragiles ou n’ayant plus aucun espoir en l’avenir, ils sont quelques-uns à préférer se donner la mort plutôt que d’attendre que d’autres la leur donnent. Une société ne peut pas sauver tout le monde, n’a pas la charge de la santé mentale de tous les éléments qui la composent, certes. Mais une société qui se résoudrait à voir ses membres les plus faibles soumis à l’arbitraire de la violence n’aurait pas de futur. La récurrence des drames en milieu scolaire, – avant peut-être pire, les massacres scolaires aux États-Unis étant aussi causés par l’expérience carcérale qu’est devenue l’école, devrait nous faire collectivement honte.

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Lucas, Shaïna, Lindsay, Thibault et les autres. Suicidés ou tués, leurs noms ne hanteront malheureusement pas suffisamment longtemps les esprits de nos gouvernants, des recteurs, des professeurs, des psychologues et des pions. Leurs familles devront, elles, vivre avec le souvenir qui mine, celui qui rime avec regrets et remords. Dernière victime en date, Thibault s’est suicidé à l’âge de 10 ans après avoir été harcelé pendant deux ans, ses bourreaux lui ayant même cassé la main. Il était scolarisé en CM2 à Saint-Bonnet-le-Château. Sa mère a déposé une plainte contre X, regrettant, dévastée au micro de CNews, de n’avoir pas perçu les signaux faibles de la dépression de son petit garçon.

Creil: misogynie archaïque et omerta

Shaïna a été ciblée par les garçons de sa cité de Creil. D’abord agressée sexuellement, avant d’être humiliée et traitée de tous les noms, elle a fini sa vie assassinée et brûlée au dernier degré dans un sordide cabanon. Le procès de son meurtrier présumé s’est ouvert ces derniers jours, Shaïna était enceinte de lui. Omerta du quartier, misogynie archaïque et absence de vraies mesures de protection auront eu raison de cette malheureuse innocente. Un témoin interrogé au tribunal dans le cadre de cette affaire a assuré ne plus se souvenir, après avoir été conduit au tribunal par les forces de l’ordre. Maître Adel Fares, avocat de la défense, a fait cette étonnante confession : « [Il a été amené par les forces de l’ordre], c’est une espèce de code d’honneur des quartiers, il ne faut pas passer pour une balance ».

Musk et Zuckerberg : des coupables un peu faciles

Aurions-nous pu sauver ces enfants ? Les protéger d’eux-mêmes et des autres ? On a tôt fait de pointer du doigt la « responsabilité des réseaux sociaux », ce qui fut d’ailleurs la première réaction du ministre de l’Éducation nationale. Comme si nous accusions les voitures des accidents provoqués par le mauvais comportement des conducteurs et le mauvais entretien des routes ! Bien sûr, les réseaux sociaux entraînent un suivi du harcèlement. L’enfant n’est plus à l’abri chez lui, pourchassé jusque dans son intimité numérique, saoulé de messages haineux et de moqueries. Mais, les réseaux sociaux ne sont qu’un outil. La responsabilité est beaucoup plus large. Nous sommes face à une déroute anthropologique. Le harcèlement a toujours existé. Qui peut toutefois prétendre que l’école a toujours été frappée par autant de drames, dont les victimes sont de plus en plus jeunes ? Les bourreaux n’ont d’ailleurs plus peur, en témoigne l’acharnement post-mortem des jeunes filles qui ont poussé Lindsay au suicide.

L’Éducation nationale est désemparée. Les parents n’apprennent plus à leurs enfants à se défendre. Comment les professeurs et surveillants peuvent-ils ignorer de telles haines entre les élèves ? Pourquoi nous donne-t-on l’impression que personne n’est jamais sanctionné ? Que les chaines de responsabilité ne sont jamais établies ? Laxisme et manque de psychologie élémentaire sont pourtant les mamelles de ces maux. Les enfants font la loi entre eux quand ils voient que la loi n’est plus respectée. Ajoutons à cela la glorification permanente de la superficialité à travers la sous-culture de la téléréalité, une partie du rap qu’ils prennent au premier degré et la disparition des sociabilités traditionnelles (relations de voisinage, vie de quartier ou du village, paroisses etc.) qui étaient autrefois les piliers fondateurs d’une société digne de ce nom. Qui se soucie de son voisin ? Et même des enfants de ses frères et sœurs ?

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Tous seuls

Livrés à eux-mêmes, dépourvus d’objectifs communs, les enfants reproduisent les schémas à leur petite échelle. Ne croyons d’ailleurs pas que cela n’affecte qu’un milieu social ; villes, banlieues et campagnes sont touchées. Agir ? Oui, à l’évidence. Mais rendez-vous compte que des gangs d’adolescents comme la DZ Mafia se promènent dans les rues de Marseille avec des armes de guerre… Nous ne sommes plus en état de paix sociale, la guerre de tous contre tous est la nouvelle norme. Il serait donc peut-être temps de jeter un regard fraternel par-dessus les épaules de nos jeunes frères et sœurs.

« Et certainement il est également vrai, et qu’un homme est un dieu à un autre homme, et qu’un homme est aussi un loup à un autre homme. L’un dans la comparaison des Citoyens les uns avec les autres ; et l’autre dans la considération des Républiques ; là, par le moyen de la Justice et de la Charité, qui sont les vertus de la paix, on s’approche de la ressemblance de Dieu ; et ici, les désordres des méchants contraignent ceux mêmes qui sont les meilleurs de recourir, par le droit d’une légitime défense, à la force et à la tromperie, qui sont les vertus de la guerre, c’est-à-dire à la rapacité des bêtes farouches », disait Thomas Hobbes. Il semblerait que notre classe politique l’ait oublié.




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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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