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FIAC : le nouvel art bourgeois contemporain


FIAC : le nouvel art bourgeois contemporain

Wim Delvoye Fiac

Préparez-vous à en prendre plein la gueule, ils reviennent plus grands, plus forts, et ils ne vous louperont pas. L’édition 2012 de la Fiac (Foire Internationale d’Art Contemporain) annonce un cru d’exception, « une programmation renforcée et enrichie ». Avec elle, son lot d’esprits convaincus de leur supériorité d’âme pour trouver aux enfants involontaires de la mouvance duchampienne un génie artistique que peu ne peuvent percevoir – les autres ne sont pas artistes, ils ne sont pas sensibles, ils ne peuvent pas comprendre. Si quelqu’un ose la critique, haro sur le baudet et reductio ad hitlerum garantie[1. Pour s’en convaincre, il suffit de relire l’article du philosophe Jean Baudrillard dans Libération de mai 1996 fustigeant l’art contemporain. Cet article avait suscité une réponse des tenants de l’art contemporain qui n’avaient pas manqué de taxer le philosophe de fasciste].

On y verra des dandys assommés par le bénéfice narcissique s’entretenir de leur œuvre avec Onin et des impétrants sommés de s’exstasier sur des univers Vespasien où la merde et la pisse sont sanctuarisés. Bien sûr on qualifiera les œuvres de subversives en se réclamant de Baudelaire condamné par le procureur Pinard, alors même que chaque année l’ordre mondialisé – François Pinault en tête – déroule le tapis rouge à ces déconstructionnistes qui vivent des lois du libre échange. Il ne faut pas oublier que si ce sont les marxistes qui ont voulu faire de l’art une expression commune minimale à toute l’humanité (donc qui ne nécessite aucun savoir-faire) pour détruire le monde bourgeois, son sens de la culture et de l’esthétique, ce sont désormais la gauche universaliste et la droite libérale (donc les bourgeois) qui se régalent de ce qui est devenu un moyen de spéculation.

Que verrons-nous cette année ? Les petites culottes-balançoires se promenant au plafond comme à Beaubourg lors de sa réouverture ? Le « Cloaca » de Wim Delvoye, une machine révolutionnaire qui nous fabrique des cacas d’une finition à faire pâlir de jalousie les meilleurs orfèvres de la place Vendôme ? Le lapin transgénique vert fluo d’Eduardo Kac qui n’a même pas peur de José Bové ? Les fragments de cadavre humains de Teresa Margolles parce que en art on peut tout faire, même ignorer que les restes des personnes décédées doivent être traités avec respect, dignité et décence – putain de code civil ? Peut-être qu’on aura mieux encore ! Des martyrs de l’art contemporain qui se jetteront du vingtième étage pour marquer le linceul blanc de leur sang, des anthropométries nature en quelque sorte ? Hervé Paraponaris pourrait revenir avec sa collection de menues rapines qu’il exposa à la Fiac en 1994 et que la police saisit en 1996 ? À moins que le groupe chinois « Cadavre » ne débarque à Paris et cuisine comme à son habitude un fœtus avant de le dévorer – Goya et son Saturne dévorant ses fils peut aller se rhabiller ! Et si Libera revenait créer son camp de concentration en legos comme il le fit au musée du jeu de Paume ?

Transgresser, choquer, blesser pour tordre le cou à l’ordre établi, à la morale bourgeoise, alors même que toutes ces œuvres ne trouvent leur existence que dans l’allégeance à Mammon, voilà tout le paradoxe d’un « art » qui a chassé à tout jamais l’idée de Beau et détruit le rapport de force qu’entretiennent le concept et l’imaginaire. Car il faut désormais conceptualiser à outrance la matière pour l’élever, comme la pornographie a conceptualisé le sexe, lui enlevant par la même ce qui faisait sa beauté. Où est l’objet sans concept d’une satisfaction nécessaire dont parlait Kant dans son Analytique du beau ? Car il existe.

Garder l’idée de Beau comme référentiel de distinction entre ce qui est de l’art et ce qui n’en n’est pas paraît être la valeur la plus sûre pour ne pas succomber au narcissisme moderne du « tout artistique » prôné par les solipsistes. Opérer une dualité entre le concept et l’objet dans une satisfaction désintéressée, en considérant l’esthétisme du concept et la saveur de l’objet, voilà comment doit s’apprécier une œuvre d’art. Car une œuvre d’art doit pouvoir se passer du discours qui l’accompagne pour se révéler, ce dont souffre incontestablement l’art contemporain. Alors que l’art véritable s’impose de lui-même au spectateur comme œuvre (transcendance), l’art contemporain n’est que ce que le spectateur ressent (immanence), aidé en cela par la rhétorique de l’artiste et des institutions complices qui comblent le non-sens de l’œuvre. C’est l’art du hasard, de l’éphémère, contre celui qui s’appuie sur la réflexion, le savoir-faire, la construction, l’expérience, l’esthétique. Et qui n’oserait ressentir n’est pas artiste. En 1837, un petit conteur danois[2. HC Andersen, Les habits neufs de l’empereur] soulevait déjà l’absurdité de ce mécanisme intellectuel. Il mettait en scène un empereur à qui deux charlatans avaient promis un habit à l’étoffe uniquement visible par les sujets intelligents. Ni l’empereur, ni ses ministres, ni ses courtisans n’osèrent constater l’absence réelle de l’habit. Ils préférèrent admirer cet habit que, pour preuve d’intelligence, ils voulaient percevoir malgré son inexistence. Il n’y eut qu’un enfant pour s’écrier « le roi est nu ». Dans une lettre écrite en 1952 par Picasso à son ami Giovanni Papini, on retrouve sur le sujet une confession étonnante : « Dans l’art, le peuple ne cherche plus consolation et exaltation […] mais l’étrange, l’original, l’extravagant, le scandaleux […] J’ai contenté ces maîtres et ces critiques avec toutes les bizarreries changeantes qui me sont passées en tête. Et moins ils comprenaient, plus ils m’admiraient […] Je n’ai pas le courage de me considérer comme un artiste dans le sens grand et antique du mot […] Je suis seulement un amuseur public qui a compris son temps et épuisé le mieux qu’il a pu l’imbécilité, la vanité, la cupidité de ses contemporains. »

Le mouvement des arts incohérents du XIXème siècle aide à comprendre le défaut de base artistique de l’art contemporain dont il est le géniteur. Il commence avec Alphonse Allais qui propose un sobre bristol blanc intitulé « Première communion de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige » ; en 1884, le rouge est à l’honneur et Allais expose la « Récolte de la tomate sur le bord de la mer rouge par des cardinaux apoplectiques ». Suivrons Malevitch, Klein ou Soulages qui n’ont, en réalité, rien inventé. Dans le même mouvement, d’autres sensibilités se dégagent. La marche funèbre incohérente est composée : une partition vierge puisque les grandes douleurs sont muettes. Et entre un cheval vivant peint aux couleurs nationales en 1889 et quelques sculptures en gruyère, on retrouve un cadre vide : le « Tableau d’à-venir ». Avec ce qui nous est proposé aujourd’hui, finalement, rien de choquant. Sauf que ce mouvement avait l’honnêteté d’affirmer « Nous ne faisons point de l’art ».

Quoiqu’il en soit, la mort de l’art contemporain est imminente, elle a été annoncée. Elle remonte au 11 septembre 2001, lors de l’attentat contre les tours du World Trade Center. Stockhausen, le chef de file de la musique sérielle (une sommité dans le milieu de l’art contemporain) affirma alors à l’occasion d’une conférence de presse : « Ce qui s’est passé là est la plus grande œuvre d’art au monde ! ». Que reste-t-il à faire maintenant ?
Attendre patiemment la mort de l’entreprise de crétinisation dont parlait Salvador Dali (un intégriste ?) et relire le courageux Baudrillard : « Toute la duplicité de l’art contemporain est là : revendiquer la nullité, l’insignifiance, le non-sens, viser la nullité alors qu’on est déjà nul. Viser le non-sens alors qu’on est déjà insignifiant. Prétendre à la superficialité en des termes superficiels ».
Enfin pour ceux qui croient aux possibilités de l’art avec le temps (contemporaneus) et non pas à ce qui constitue à la production d’« une avancée dans la progression des avant-gardes»[3. Nathalie Heinich, « L’art contemporain est-il une sociologie ? » p. 63 in Grand Dictionnaire de la philosophie, sous la dir. de Michel Blay, Larousse – CNRS Éditions, 2003], il existe ,selon le 1er marquis de Púbol, trois choses pour ne pas verser « dans le ridicule anecdotique du simple dilettantisme expérimental et narcissique » : « Du talent et de préférence du génie, réapprendre à peindre aussi bien que Velasquez et, de préférence comme Vermeer, posséder une cosmogonie monarchique et catholique aussi absolue que possible et à tendances impérialistes. »[4. Salvador Dalí – Les cocus du vieil art moderne]

*Photo: Wim Delvoye, « cochon tatoué », Ergonomik/Flickr



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