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Estrosi fait son cirque

Il faut sauver Jumbo!


Estrosi fait son cirque
Echange houleux entre Christian Estrosi et John Zavatta, Nice, 27 février 2023 © SYSPEO/SIPA

« Pour Jumbo, avec Christian Estrosi, nous ne lâcherons rien » annonce le premier adjoint au maire de Nice. Les habitants susceptibles de se rendre à une représentation du cirque Zavatta sont passibles de poursuites, prévient-il. Les professionnels du cirque, quant à eux, dénoncent un « génocirque », et menacent à présent de bloquer la Promenade des Anglais le 7 mars.


« Dans un bief, il ne peut exister qu’un hippopotame mâle » écrivit Ahmadou Kourouma dans son roman En attendant le vote des bêtes sauvages. Christian Estrosi, l’édile de Nice, confronté cette semaine au cirque animalier Zavatta bien déterminé à planter son chapiteau pourtant jugé indésirable en terre niçoise, vient d’expérimenter cette vérité.

Face aux frères Zavatta, accompagnés de leur ménagerie (dont l’emblématique Jumbo, hippopotame mâle âgé de 38 ans), le maire de la cité azuréenne nous a gratifié, pour notre plus grand plaisir, d’un savoureux numéro de clown blanc. Si notre apprenti circassien, n’écoutant que son courage, n’a pas hésité à grimper sur des tabourets et à sauter dans tous les cerceaux en feu que lui présentaient les deux frères Zavatta, il s’est quand même, force est de le reconnaître, un peu cramé les moustaches. On vous raconte la… corrida.

Christian Estrosi, Hugo Clément: même combat

Lundi matin, à Nice, le cirque Zavatta (environ 20 camions et caravanes, 50 animaux sauvages) a investi, sans autorisation, un terrain communal boueux sis près de la zone commerciale Lingostière. Cette invasion visait, comme l’a expliqué John Zavatta, le directeur dudit cirque, à sensibiliser l’opinion quant à la mort annoncée d’une profession qui propose encore des spectacles avec des animaux sauvages, exhibitions activement combattues par les défenseurs de la condition animale. Aussi, John Zavatta, solide gaillard, auprès duquel Christian Estrosi fait figure d’ablette, ne redoutant rien, pas même des mots, n’a pas hésité, au cours de l’altercation, à évoquer le « génocirque » menaçant son métier.


La Métropole et la Ville, avisées de l’intrusion des circassiens, sont immédiatement montées au créneau. C’est d’abord Anthony Borré (premier adjoint au maire) qui a signifié sur Twitter un refus catégorique (partagé par Christian Estrosi) d’accueillir un cirque qui « exploite des animaux sauvages ». Concomitamment, le premier magistrat de la cité et président de la Métropole annonçait qu’une plainte allait être déposée contre le cirque.

Puis, vers 13h30, une escouade d’officiels (dont était le préfet des Alpes-Maritimes, Bernard Gonzalès), menée par le preux Christian Estrosi, s’est rendue sur place. Encravatés, vêtus de costumes légers et de mocassins en chevreau, nos valeureux guerriers, patouillant allègrement dans la gadoue, ont entamé les pourparlers avec un adversaire à l’aise en milieu hostile. On a alors assisté à une scène digne du film L’âge de glace. Estrosi et ses chevau-légers se sont, en effet, pris pour Carl et Frank, les deux rhinocéros du film.

T’es mal placé dans la chaîne alimentaire

Après s’être consultée : « Carl ? », « Tout doux Franck… », la troupe s’est lancée à l’assaut des frères Zavatta, bien décidée à les « emplafonner » à coup de tirades technocratiques.  « On vous enverra la facture de tout ce que vous avez couté à la collectivité. Nous allons aller, avec notre référé d’heure à heure, tranquillement devant la justice qui aura à trancher », a lancé l’édile. Antony Borré a renchéri : « Il y a des procédures à respecter. Vous êtes ici sur le patrimoine des Niçois ». Christian Estrosi est alors monté dans les tours, déclarant à ses interlocuteurs qu’ils étaient « une menace à l’ordre public. » John et Alexandre Zavatta, goguenards, ont recadré leurs adversaires d’opérette comme le fit Diégo, le Tigre à dents de sabre, toujours dans L’âge de glace pour Sid le paresseux qui plastronnait. On se rappelle la réplique culte du félin préhistorique : « T’es mal placé dans la chaîne alimentaire pour faire ta grande gueule. ».

« La menace (à l’ordre public), ce n’est pas nous, c’est ceux qui vendent de la drogue dans les quartiers » a rétorqué Alexandre Zavatta. Il a ensuite traité le maire de « dictateur » et « de raciste des gens du cirque », usant de la rhétorique convenue pour discriminer un opposant désarçonné de voir ses armes de destruction lourdes se retourner contre lui.Les belligérants campent sur leurs positions tandis que le cirque annonce son premier spectacle pour samedi.

A lire aussi, du même auteur: C’est l’élégance à la française qu’on assassine à l’Assemblée et c’est l’ironie qu’on muselle

Pour autant, l’affaire rocambolesque n’est pas réglée ! On a appris que la friche occupée par le cirque n’appartient ni à la Ville de Nice, ni à la Métropole, mais à l’Établissement public foncier, ce qui rend caduques les menaces de poursuite annoncées par la municipalité. Contacté, le camp estrosiste confirme mais précise que la Ville est toutefois gestionnaire du terrain.

Borré sort les griffes, Estrosi démasqué

De plus, mardi, sur le plateau de BFM TV, Anthony Borré dénonçait une supposée mutilation des félins du cirque. On leur aurait ôté leurs griffes. Côté Zavatta, une plainte a été illico déposée contre le premier adjoint. « Il raconte n’importe quoi, c’est plus possible. Tenez, je vais vous montrer si mes animaux sont mutilés » s’est agacé mercredi matin John Zavatta à l’occasion d’un échange avec Le Figaro. Et le circassien de tendre un balai dans la cage des fauves. Ceux-ci, tous rasoirs sortis, s’y sont agrippés fermement.

Pour John Zavatta, la posture de Christian Estrosi vis-à-vis des animaux frise l’imposture : « Le maire dit ne pas pouvoir cautionner une soi-disant maltraitance des animaux alors que lui-même est allé voir un spectacle de cirque avec animaux, à Monaco, début janvier. Et il a même dit que le numéro qu’il avait trouvé le plus beau, c’était celui avec les tigres. (…) C’est comme moi, si je vous disais de ne pas manger de viande et que je me préparais une côte de bœuf. » En effet, c’est ballot. Notre Tartuffe-Estrosi, qui excelle aussi dans le rôle de Dom Juan : « (…) l’hypocrisie est un vice à la mode (…), la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée ; et quoi qu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle », a été ici malheureusement démasqué.

Une bataille semble perdue, mais pas la guerre. Il s’agit maintenant, pour les estrosiens, de sauver Jumbo, afin de ne pas perdre la face. Aussi, Antony Borré vient de twitter : « Avec@cestrosi nous lançons une grande pétition pour que l’hippopotame Jumbo du cirque de la famille Muller (Zavatta) puisse enfin vivre dignement loin de cette bassine honteuse ! Aidez- nous à sauver Jumbo et ses compagnons sauvages, signez la pétition. » Ce tweet fait suite à un précédent : « Pour Jumbo, avec @cestrosi, nous ne lâcherons rien. » John Zavatta n’a pas été pris au dépourvu. Il a pu expliquer que la mascotte était bichonnée : « Il a une piscine de 50 000 litres d’eau et une autre de 23 000 litres dans le camion. Il faut savoir que la peau d’un hippopotame, au bout de quatre ou cinq heures commence à sécher. Or ici, on voit très bien que ça n’est pas le cas. (…) L’eau est d’ailleurs chauffée comme c’est prévu par la loi. »

Menace de blocage sur la Promenade des Anglais

Notre belliqueux circassien, un brin excédé, dit avoir été contacté par « tous les directeurs de cirques » et envisage maintenant de « descendre dans la rue », le 7 mars, sur la Promenade desAnglais avec « les animaux, les camions, les artistes et les manèges. » Il s’agit de représenter la profession menacée. En attendant, Antony Borré prévient les spectateurs tentés d’assister aux représentations du cirque réprouvé : ils seront « eux aussi passibles de poursuites en pénétrant sur un terrain privé. »

À ce stade, on redoute un dénouement tragique de l’affaire, si la France est à l’arrêt, à partir du 7 mars. Olivier Véran a, en effet, affirmé, cette semaine également, à l’issue du Conseil des ministres : « Mettre la France à l’arrêt, ce serait laisser filer une crise qu’on peut encore éviter. (…) Mettre le pays à l’arrêt, c’est prendre le risque d’une catastrophe écologique, agricole, sanitaire, voire humaine dans quelques mois. » D’ici à ce Nice soit coupée du monde comme le fut jadis Paris, assiégée par l’armée prussienne, à la fin de l’année 1870, le pire est à craindre. Il ne faudrait pas que la clique des élus niçois, affamée, s’avise de boulotter Jumbo. Nous gardons en mémoire la funeste destinée de Castor et Pollux, les deux très populaires éléphants d’Asie du Jardin des plantes. Les malheureux furent cuisinés lors du siège de la capitale française en ce sinistre hiver de 1870. Ils furent servis à ceux qui avaient les moyens de s’offrir ce met de choix, tandis que les pauvres se contentaient de surmulots.

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est professeur de Lettres modernes

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