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La « génération attentats »

Une analyse du think tank « Le Millénaire »


La « génération attentats »
Bordeaux, minute de silence pour Dominique Bernard, 16 octobre 2023 © UGO AMEZ/SIPA

Par crainte du terrorisme, la génération Z préfère abandonner des acquis occidentaux, jusqu’à sacrifier une partie de l’art de vivre à la française. Cela traduit l’échec de notre modèle, et la difficulté de lutter contre l’islamisme international. Analyse.


En causant la mort de plus de 260 personnes en France depuis les attentats de Merah ou de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, le terrorisme islamiste est le terrorisme le plus meurtrier depuis la guerre d’Algérie. Seulement, l’ampleur de cette terreur et la difficulté des pouvoirs publics à appréhender les menaces ont traumatisé une nouvelle génération née entre 1996 et 2010. En effet, la génération Z est plus encline à changer ses comportements à cause du terrorisme que les générations précédentes, au point de consentir à abandonner une partie de ses libertés. Cette « génération attentats » symbolise le déclin occidental qui a pourtant érigé la défense des libertés fondamentales comme un pilier de son modèle de société.

Le camion qui a foncé sur la foule à Nice, le 14 juillet 2016 (Photo : AFP VALERY HACHE)

Une guerre totale contre le terrorisme islamique 

La guerre contre le terrorisme islamiste est totale. D’une part, nous affrontons le totalitarisme islamique qui nous mène une guerre sur le plan culturel avec sa doctrine d’entrisme dans tous les domaines (vestimentaire, alimentaire, sportif, etc.) et sur le plan militaire, sur notre sol et dans le monde. D’autre part, les attentats et leurs objectifs se sont diversifiés depuis 2015. Charlie Hebdo et Samuel Paty sont des attaques stratégiques ciblées contre des valeurs françaises (liberté d’expression, laïcité). Les tueries de masse du 13 novembre 2015, au Bataclan et sur des terrasses de cafés parisiens, ou du 14 juillet 2016, sur la Promenade des Anglais à Nice, ont surtout vocation de semer la terreur au sein de toute la population. Enfin, les attaques isolées sur des cibles « aléatoires » sont plus fréquentes, comme à Annecy l’été dernier ou en Isère en 2020. Ces derniers attentats sont le symbole d’un risque terroriste qui touche désormais tout le territoire, notamment les villes moyennes et non plus seulement les grandes métropoles.

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Les ennemis de l’intérieur ont des profils plus diversifiés aujourd’hui. En 2015, il s’agissait de terroristes étrangers provenant de pays étrangers, ou de Français issus de l’immigration recrutés et formés, soit à distance via les réseaux sociaux, soit directement sur les théâtres d’opération du djihad en Syrie et en Irak par des groupes terroristes comme l’État islamique. Cela répondait davantage à une logique de réseau. En 2023, ce n’est plus toujours le cas. En effet, l’apparition d’individus isolés rend leur surveillance plus ardue. Identifier la cible, le motif exact ou encore le momentum du passage à l’acte diversifie la menace et crée un « djihadisme d’atmosphère » au sens de Gilles Kepel. 

Impossible de répondre comme en 2015

Ce « djihadisme d’atmosphère » rend le terrorisme islamiste impossible à appréhender comme en 2015. Après les événements du 13 novembre 2015 ayant fait 131 victimes, le président François Hollande avait décrété un état d’urgence donnant des moyens exceptionnels à l’administration pour museler les réseaux terroristes. La saisie d’armes lourdes, les perquisitions administratives pour se passer de la décision d’un juge, les assignations à résidence, ou les moyens de surveillance accrus étaient utiles pour appréhender des réseaux. Or, le glissement vers un terrorisme low cost, avec ses profils isolés dotés de moyens rudimentaires (couteaux ou véhicules) rend la menace plus difficile à anticiper. Ces individus sont à la marge de la société, déjà présents sur le sol européen et français, et ont leur propre logique de passage à l’acte qui peut reposer sur un événement national, international ou encore lié à leur situation personnelle, comme ce pourrait être le cas de l’assassinat de Dominique Bernard à Arras.

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De plus, les puissances islamistes ont changé depuis 2015. Avant, il a été possible, pour la France, de frapper l’État islamique – né en Irak des suites de l’intervention américaine de 2003 et en Syrie après le Printemps Arabe – qui était une puissance soutenant le djihad mondial. À ce titre, il s’était mis à dos toutes les puissances du Conseil de sécurité de l’ONU. En effet, les tueries d’Orlando aux États-Unis, le Bataclan en France, les attentats de Londres au Royaume-Uni, le terrorisme dans le Caucase en Russie ou à travers les Ouighours en Chine les ont conduits à frapper le même ennemi. Seulement, la quasi-disparition de l’État islamique au Proche-Orient a reconfiguré le terrorisme islamiste. Il serait davantage soutenu par deux États intouchables : la Turquie, membre de l’OTAN et l’Iran allié de la Russie et de la Chine.

Une « génération attentats » 

La nouvelle génération préfère abandonner des acquis occidentaux par crainte du terrorisme. Selon une étude Elabe publiée le 18 octobre 2023, 81% des 18-24 ans se disent inquiets face à la menace terroriste en France tout comme le reste de la population (84%). Pourtant, ce sont les plus jeunes qui sont les plus susceptibles de changer leurs habitudes de vie. 52% des 18-24 ans le déclarent contre 43% en moyenne globale, soit 9 points de plus. Cela traduit l’échec de notre modèle, avec des jeunes qui assument de vivre avec cette menace depuis toujours, quitte à sacrifier une partie de l’art de vivre à la française.

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Le modèle occidental n’attire plus suffisamment. Comment expliquer que des jeunes Français puissent être enrôlés dans une idéologie qui tue leurs camarades d’école ? La liberté occidentale et l’originalité laïque du modèle français convainquent moins les jeunes générations de Français de confession musulmane. Selon une étude IFOP parue en 2020, 74% des jeunes Français de confession musulmane mettent les lois islamiques devant les lois de la République, contre 25% de leurs aînés. Ces fractures au sein des jeunesses françaises expliquent qu’il y ait 183 élèves qui n’ont pas respecté l’hommage à Dominique Bernard.

Loin des réponses apportées en 2015, la France s’habitue au terrorisme. Seulement, cela pose le risque qu’une « génération attentats » côtoie, voire vive face à une génération gagnée par l’entrisme, au détriment de la France du XXIe siècle.



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Matthieu Hocque, Directeur adjoint des Études du think-tank gaulliste et indépendant Le Millénaire ; Alessandro Roberto, Analyste au Millénaire. 

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