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Macron, la République des hipsters


Macron, la République des hipsters
Emmanuel Macron inaugure la station F, Paris, 29 juin 2017. Crédit photo : BERTRAND GUAY.

« La pensée du président est trop complexe pour les journalistes. » Cette pique élyséenne, qui a notablement agacé les confrères, était assez méritée s’agissant d’une profession qui sert volontiers au public un récit à la fois benêt et binaire du monde, dans lequel des gentils ouverts à l’autre affrontent des méchants à l’esprit étriqué. Que le président malmène un peu les médias enchante sans doute la sympathie de nombreux Français, excédés par le prêchi-prêcha de l’information. Mais pour la complexité, sauf le respect qu’on doit à la fonction, on repassera. La dialectique, qui permet, justement, de prendre en compte la complexité, n’a rien à voir avec la juxtaposition de propositions contradictoires qui est la marque du verbe macronien.

Ainsi, dans son discours au Congrès, le 3 juillet, le président a-t-il, comme toujours, équitablement distribué les gracieusetés : une cuillère pour les réacs une cuillère pour les progressistes, une cuillère pour les souverainistes une cuillère pour les fédéralistes, une cuillère pour les colbertistes une cuillère pour les libre-échangistes. Si on ajoute les lieux communs, du genre « je suis pour la paix et pour la fraternité », après une heure de cet agréable ronronnement servi par la voix chaude de notre jeune roi, n’importe qui pouvait se sentir globalement d’accord avec lui. Il faut être un sacré mauvais coucheur pour résister à la promesse de « l’ouverture à des possibles qui nous rassemblent » ou refuser « un imaginaire puissant et désirable où chacun trouvera sa place ». D’accord, ça ne veut rien dire. Mais ça sonne bien.

Au Château, on se targue de raréfier la parole présidentielle, afin de lui donner de la hauteur. En réalité, si le chef de l’État se soustrait autant qu’il le peut à tout ce qui pourrait ressembler à un débat, ses interventions sont abondamment saucissonnées et relayées sur son fil twitter. Chacun donc a pu prendre connaissance de l’exhortation qu’il a adressée, le 28 juin, à la jeune génération, en inaugurant avec Xavier Niel la station F, une pépinière d’entreprises située dans un ancien dépôt ferroviaire. « Une gare, c’est un lieu où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien. Parce que c’est un lieu où on passe. Parce que c’est un lieu qu’on partage. » Certes, le président voulait certainement rappeler à ses jeunes auditeurs que rien n’est jamais acquis et il a rappelé plusieurs fois que la réussite ne se mesurait pas à la possession de biens matériels. Cela n’a pas empêché les réseaux sociaux, chauffés à blanc par les mélenchonistes, de lui intenter un procès en mépris de classe.

En marche vers la « start-up nation »

Il peut sembler aussi injuste de juger Macron sur cette subtile distinction entre « ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont rien » qu’il l’était de réduire Sarko à son « casse-toi pauv’ con ! ». N’empêche, dans les deux cas, la gaffe révèle sans doute une part de vérité – plus attachante en l’occurrence chez Sarko que chez Macron. Toutefois, il s’agit moins, chez ce dernier, de mépris que d’une compassion de dame patronnesse, qui ne s’adresse pas aux pauvres mais à tous ceux qui ne sont pas dans le vent. Emmanuel Macron n’admire pas tant les riches que les néo-entrepreneurs : le vieil argent, qu’il appelle rente, et la bourgeoisie old school ne sont pas sa tasse de thé. Et sans doute a-t-il plus de considération pour un chômeur longue durée que pour un notaire – mais qui s’insurgerait contre la notairophobie ?

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Tout parsemé qu’il soit de noms glorieux et imprégné d’une emphase signalée par la fréquence des qualificatifs « vibrante », « ardente » et « profonde », le verbe présidentiel laisse finalement percer une vision du monde et de la vie assez simple : « Si t’as pas fait ta start-up à 25 ans, t’as raté ta vie ! » L’idéologie fondatrice du nouveau pouvoir, plus managériale que politique, n’est pas le libéralisme, même néo, mais le startupisme qui vise à créer une « société efficace ». En vérité, ce meilleur des mondes où tout marcherait, où rien, ni les gens ni les choses, ne serait déglingué, a de quoi filer le bourdon. « Avec Macron, la “marque France” est de retour ! » exultait Richard Attias, époux de Cécilia ex-Sarkozy, dans Le Figaro du 27 juin. Emmanuel Macron ne s’en cache même pas, il veut faire de la France une « start-up nation » (en angliche dans le texte), c’est-à-dire « une nation où chacun peut se dire qu’il pourra créer une start-up ». Et tant pis pour les attardés qui voudraient surtout que la France reste une nation tout court. Certes, il a voulu les rassurer devant le Congrès : « Ce n’est pas la société des entrepreneurs que nous voulons, ou la société de l’équilibre des finances publiques, ou la société de l’innovation. Tout cela est bien, tout cela est utile. Mais ce ne sont que des instruments au service de la seule cause qui vaille […]. Et cette cause est la cause de l’homme. » La cause de l’homme, on n’est pas rendus. Depuis Staline, y a-t-il eu un seul dirigeant qui n’ait pas proclamé que l’homme était le centre de son action ?

Le mépris des « gens de rien »

Après la gaffe de la station F, les conseillers de Macron ont tenté de limiter la casse en expliquant qu’il s’agissait d’une évocation affectueuse des « gens de rien ». Sauf que, deux heures plus tard, leur patron employait exactement les mêmes mots pour qualifier les djihadistes qui détiennent une humanitaire française : « Ils ne sont rien. » Cette récurrence révèle peut-être une autre facette de la « pensée Macron » : une propension à écarter de la photo les réalités déplaisantes, par exemple celles qui ont trait à la progression du fondamentalisme islamique à laquelle le président ne semble pas avoir grand-chose d’autre à opposer que des incantations et la conviction que les débordements identitaires seront solubles dans la croissance retrouvée. Or, en dépit des innombrables séductions du monde nouveau, cette question reste, à en croire un sondage publié dans Le JDD, une priorité pour 61 % des Français, loin devant les retraites (43 %), l’emploi (36 %) et le pouvoir d’achat (30 %).

Bien sûr, on peut se réjouir que l’élection d’Emmanuel Macron paraisse avoir redoré le blason de la France et qu’après la déprimante normalité hollandienne, le pouvoir retrouve une forme de verticalité. Mais le président devrait se rappeler qu’entre le sublime et le ridicule, la différence est ténue.

Ne pas parler des sujets qui fâchent

En attendant, le climat non pas euphorique mais résolument optimiste a quelque chose d’irréel. Que la France qui gagne – économiquement et/ou culturellement – aime Macron, qui le lui rend bien, rien de surprenant. Mais à l’évidence, malgré les éructations des « insoumis » et les aigreurs des vieux partis soumis à la force centripète exercée par REM, il bénéficie aujourd’hui sinon de l’adhésion, du moins de l’indulgence d’un grand nombre des Français qui n’ont pas voté pour lui. Ils savent bien, pourtant, que les problèmes qui les hantaient il y a quelques mois n’ont pas disparu et que la désintégration française est loin d’être enrayée. Mais après cette année à haute tension, ils veulent être traités par la méthode du docteur Coué. Qu’on ne leur parle pas des sujets qui fâchent. En conséquence, rien n’entame la bonne humeur ambiante : ni la cascade d’affaires qui oblige opportunément le pouvoir à en rabattre sur l’exemplarité et la transparence, ni l’arrogance des hipsters façon Castaner (le porte-parole du gouvernement) qui constituent la garde rapprochée de Macron, ni la vacuité et le débraillé de leur langage, ni l’arnaque de « la société civile » qui cache une reprise en main de grande ampleur par les experts et les hauts fonctionnaires sous la haute surveillance d’une cohorte d’inspecteurs des Finances. « Laissez nous bronzer et faites le boulot », semble dire le bon peuple à son monarque. Et cette humeur collective n’est pas une pure fabrication, les médias étant, quand on regarde dans le détail, moins macronisés que ce que laisse penser la musique des chaînes tout-info.

On dirait, en somme que toutes les colères françaises se sont écrasées dans un grand édredon.  Comme l’a résumé Alain Finkielkraut, que nous remercions pour nous avoir soufflé le titre de ce numéro, l’atmosphère rappelle « Tout va très bien madame la marquise ! », chanson populaire sortie en 1935 et devenue le symbole de l’inconscience d’un monde qui danse sur un volcan. Reste à espérer que notre réveil sera moins brutal qu’à l’époque. Et à profiter de l’été. Après tout, comme le disait Mathieu Kassovitz dans La Haine, jusqu’ici tout va bien…

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Été 2017 - #48

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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