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Elon Musk: le Don Quichotte américain

IA / Transhumanisme: plus l’homme se libéralise, plus il se machinise...


Elon Musk: le Don Quichotte américain
Rome, 20 janvier 2025 © Mauro Scrobogna/LaPresse/Shutter/SIPA

L’enfer est toujours pavé de bonnes intentions. L’arrivée d’Elon Musk à la tête du nouveau Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE) pour nettoyer les écuries d’Augias de l’administration américaine, et notamment du wokisme, est un miroir aux alouettes qui ne dit pas encore son nom. 


Le fondateur de SpaceX en a fait son cheval de bataille : il détruira la maladie woke qui infecte les États-Unis. Il assèchera l’hydre wokiste et ses associations. Il annihilera cette plaie des temps modernes. Il redonnera aux États-Unis une identité sexuelle différenciée. Il y aura de nouveau une femme, et de nouveau un homme. Du moins, le croit-il. Car Elon Musk ne voit pas qu’il est, en réalité, l’un des pères fondateurs de cette idéologie mortifère.

Idéologie globale

Le wokisme, comme mouvement idéologique global, n’est possible qu’à partir du moment où une masse de gens – notamment celle des jeunes générations – s’enfonce dans un monde où la virtualité s’est substituée à la réalité. C’est « le règne absolu de l’abstraction réelle » pour reprendre le mot du philosophe slovène Slavoj Žižek. En effet, le woksime n’est autre que la face émergée de la progression du capital algorithmique dans tous les pores de la société. Cette organisation technologique du vivant grave dans le marbre la distance sociale avec autrui, celle d’une vie intériorisée, d’une machination des êtres, de la marchandisation constante des liens, et de l’emprise d’une vie spectrale sur l’ensemble de l’existence. « C’est cette vision utopique de pures consciences qui pourrait se libérer totalement du poids du corps, et par là même de la différence sexuelle, qui fait pour une bonne part le succès de cette utopie du genre », explique le philosophe Jean-François Braunstein dans son livre La religion woke. Cette scission de l’âme et du corps est la conséquence de la forme sans cesse renouvelée de l’avancée du techno-libéralisme. Une conception déjà présente dans la théologie paulinienne du christianisme, et qui trouve dans cette théodicée numérique son apothéose car « ni le sang, ni la chair ne peuvent hériter du royaume de Dieu » (Epître aux Corinthiens)Or, le nouveau Dieu c’est la technologie, et son nouvel apôtre s’appelle Elon Musk.

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Désirs d’avenir

Dès lors, Elon Musk se bat contre des créations qu’il enfante. Le milliardaire américain est celui qui considère le programme Stargate comme une chance pour l’humanité sans saisir qu’« il ne sert de rien à l’homme de gagner la Lune s’il vient à perdre la Terre » (Mauriac) ; il est celui qui présente ses futurs robots Optimus comme des promesses d’avenir; il est celui également qui possède l’entreprise Neuralink capable d’implanter des puces dans le cerveau humain. Mais il est aussi celui qui alerte en permanence de la chute démographique sur son réseau X, de la maladie wokiste qui ravage les États-Unis, des délires idéologiques de gauche qui envahissent les programmes scolaires, ou de l’absence de liberté d’expression des médias traditionnels. Cette « double pensée » (Orwell) provient de son incompréhension à faire le lien entre wokisme et société technologique, d’envisager le tout comme « un fait social total» (Mauss). Le capital algorithmique en éliminant les rapports charnels – la sexualité des jeunes est en berne – efface du même coup les marqueurs de la différence sexuelle, et laisse proliférer la croyance entretenue d’une âme asexuée, flottante, indépendante de son corps. Bref, à un remodelage infini de soi. Ainsi plus l’homme se libéralise, plus il se machinise ; plus il se machinise, plus il supprime l’expérience sensible; plus il supprime sa sensibilité, plus il fait abstraction de son corps. En clair, plus la réalité devient technologique et plus le wokisme à encore de beaux jours devant lui.

Le laissez-faire technologique

Mais si le nouveau président américain, Donald Trump, a chargé le chevalier blanc Musk de faire le ménage dans l’appareil d’État, c’est aussi pour permettre au libéralisme de se défaire pleinement de ses fers étatiques. La croyance est forte de croire que le « solutionnisme technologique » (Morozov) permettra le délestage de l’État libéral de toutes ses normes inutiles.

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En réalité, c’est l’inverse qui se produira mais sous la forme, cette fois, d’une bureaucratie algorithmique. Karl Polanyi, grand économiste austro-hongrois, dans son ouvrage La Grande transformation (1944)soulignait «qu’entre 1830 et 1850, on ne voit pas seulement une explosion des lois abrogeant des règlements restrictifs, mais aussi un énorme accroissement des fonctions administratives de l’État ». Déjà, Honoré de Balzac, dans son roman Les employés décrivait l’État français du XIXème siècle comme infecté d’ « armées bureaucratiques » et qu’ « il se faisait en France un million de rapports écrits par année ; aussi la bureaucratie régnait-elle ! Les dossiers, les cartons, les paperasses à l’appui des pièces sans lesquelles la France serait perdue, la circulaire sans laquelle elle n’irait pas, fleurissaient ». Dès lors, le libéralisme économique – et Musk est libertarien – n’a jamais eu pour but de se défaire de l’État, ni même d’en supprimer l’intervention mais d’en faire une courroie de transmission. L’objectif de l’État a toujours été d’organiser et de planifier le laissez-faire. Toute nouvelle libération économique se paie toujours en retour d’un amoncellement supplémentaire de normes. «C’est ainsi que même ceux qui souhaitaient le plus ardemment libérer l’État de toute tâche inutile, et dont la philosophie tout entière exigeait la restriction des activités de l’État, n’ont pu qu’investir ce même État des pouvoirs, organes et instruments nouveaux nécessaires à l’établissement du laissez-faire» (Polanyi). Tant que le marché auto-régulé constitue l’alpha et l’oméga de la réalité ambiante, sous sa forme aujourd’hui techno-marchande, le contrôle normatif se poursuivra. Par conséquent, tous ceux qui croient à la disparition des gabegies d’État ou des suppressions en tout genre pour le rendre au peuple se fourrent le doigt dans l’œil. Musk, en effet, liquidera une partie de la bureaucratie humaine pour y adjoindre une bureaucratie, cette fois machinale, faite d’algorithmes, de robots conversationnels et d’IA génératives, qui sera tout autant gigantesque et surtout sans aucun retour possible. Il s’agira alors peut-être de constater « jusqu’à quel point les conditions du processus vital de la société sont elles-mêmes passées sous le contrôle du général intellect, et sont réorganisées conformément à lui » (Marx). Cela marquerait l’avènement du grand remplacement technologique.

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