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Danemark: la croisade laïque de Mette Frederiksen

À bas le voile ?


Danemark: la croisade laïque de Mette Frederiksen
Le Premier ministre du Danemark photographié à Aarhus, 3 mars 2025 © Bo Amstrup/AP/SIPA

La Première ministre danoise, Mette Frederiksen, vient de raviver un débat explosif au Danemark : celui de la place de l’islam et de ses symboles dans l’espace public, et plus particulièrement dans les écoles et les universités.


Début juin 2025, Mette Frederiksen, 47 ans, chef de file des sociaux-démocrates, a plaidé pour un durcissement de l’interdiction du voile intégral — burqa et niqab — déjà proscrits dans les lieux publics depuis sept ans, mais jusque-là tolérés dans les établissements d’enseignement. Pour la Première ministre du royaume du Danemark, il est temps de refermer une « brèche » dans la loi, qu’elle juge être le terreau du « contrôle social » et de « l’oppression » des femmes musulmanes au Danemark.

Contrôle des corps « avéré »

Au-delà du symbole vestimentaire, la Première ministre cible aussi l’existence même de salles de prière dans certaines universités et collèges. Elle y voit un outil d’isolement plus qu’un espace de liberté religieuse : « Nous ne les voulons pas, car elles sont utilisées comme des mécanismes d’oppression envers les filles et, potentiellement, envers les garçons », a martelé la dame de fer danoise. Pour le gouvernement danois, la neutralité de l’école est non négociable : « Vous pouvez avoir votre religion, mais à l’école, vous êtes là pour être à l’école », résume Mette Frederiksen qui dénonce un « contrôle social musulman avéré».

Cette nouvelle offensive s’inscrit dans un contexte européen où le débat de certaines pratiques musulmanes avec les valeurs démocratiques ne cesse d’augmenter. Au Danemark, pays de près de 5,9 millions d’habitants, les musulmans représentent environ 5 % de la population (majoritairement issus de Turquie). Une minorité démographique, mais dont le poids symbolique et politique reste disproportionné aux yeux de nombre de Danois, notamment à la suite de plusieurs attaques terroristes islamistes ces dernières années — à l’instar de la fusillade de Copenhague en 2015 qui visait un débat sur la liberté d’expression et une synagogue.

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Face à cela, la société danoise, longtemps vantée pour sa tolérance, se montre de plus en plus perméable aux discours sécuritaires et identitaires. Au nom de la lutte contre le « séparatisme islamiste », les gouvernements successifs ont multiplié les restrictions : limitation du regroupement familial, contrôles renforcés dans les quartiers dits « ghettos », durcissement du droit d’asile. « Dieu doit céder le passage. On a le droit d’être croyant et de pratiquer sa religion, mais la démocratie a la priorité », a rappelé la social-démocrate à l’agence de presse danoise Ritzau.

Amnesty International pas content

Mais la question du voile reste particulièrement inflammable. Pour ses défenseurs, continuer à interdire la burqa ou le hijab au sein même des écoles revient à piétiner la liberté individuelle, à commencer par celle des femmes qu’on prétend émanciper. Au grand désespoir d’Amnesty International qui a rappelé que : « Toutes les femmes devraient être libres de s’habiller comme elles le souhaitent et de porter des vêtements qui expriment leur identité ou leurs convictions. ». 

Pour ses partisans, à l’inverse, cette loi serait un rempart indispensable face à un islam rigoriste qui instrumentalise le religieux pour asseoir un contrôle communautaire. Les salles de prière, tout comme le voile intégral, deviennent ainsi le credo d’une bataille plus large : celle pour préserver la laïcité (le nombre de mosquées dans le pays a augmenté entre 2006 et 2017 de 50%) et l’égalité entre les sexes, valeurs que le Danemark place au cœur de son identité nationale. 

Selon un sondage réalisé par l’institut Wilke, près de 40 % des musulmans sont d’accord pour dire que la loi danoise devrait être basée sur le Coran, dont 11,3 % qui réclament que la loi danoise soit basée exclusivement sur le Coran et les 26,5 % restants favorables à un mélange du Coran et de la Constitution du Danemark…

Alors que la société danoise oscille entre défense des libertés individuelles et protection de la cohésion nationale, la manœuvre de Mette Frederiksen est aussi éminemment politique : rassurer une opinion publique inquiète, tout en coupant l’herbe sous le pied d’une extrême droite qui prospère sur le rejet de l’islam et du multiculturalisme, récemment confortée par un document… gouvernemental. Selon le Centre national danois de recherche sociale qui a publié un rapport commandé par le ministère de l’Enfance, de l’Intégration et des Affaires sociales, pas moins de 15 groupes extrémistes musulmans opèrent sur cette terre de Vikings. Un terreau propice pour les milieux nationalistes puisque d’après un sondage de 2017, 55% des Danois pratiquants de confession chrétienne et 50% des non pratiquants assurent que l’islam reste incompatible avec leur culture nordique. Reste à savoir si cette surenchère législative ne risque pas de produire l’effet inverse : stigmatiser davantage une minorité déjà sous pression et alimenter le ressentiment dont se nourrit, précisément, l’extrémisme que Mette Frederiksen prétend combattre.




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Journaliste , conférencier et historien.

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