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La fièvre du samedi soir

Suite du confinement berrichon, en musique


La fièvre du samedi soir
George Benson, interprète de "Give me the night", ici à Juan les Pins en 2014 © Music Pics/REX/REX/SIPA Numéro de reportage : REX40330954_000004

Si la musique pouvait adoucir les censeurs de l’écrit, juste le temps d’une soirée…


Le journaliste confiné subit une double peine. Il est bloqué chez lui, et on lui interdit d’écrire. Du moins, on le met en garde, on le prévient qu’il ferait mieux de se taire, bientôt, on lui demandera de faire les moissons, puis les vendanges, la rééducation paysanne est en marche. Ce travailleur indépendant qui ne vit que de sa plume, souvent sans aucun filet, doit prendre des gants pour s’exprimer. Que peut-il bien connaître de la souffrance qui secoue notre pays ? L’intellectuel précaire vit sous cloche, sa prose est perçue comme une insulte nationale. Une faute de goût impardonnable. Alors que l’hôpital explose, lui, cet inconscient, ce pisseur de copie, ce planqué des écritoires, ce barbouilleur de mots, continue de faire des lignes. Inlassablement, ce professionnel écrit comme le pâtissier pâtisse. Il n’a pas le sens des responsabilités. Ces gens-là, des lettres et de la presse, inutiles et sourcilleux, pigistes surnuméraires, ne savent pas se tenir en société. Ils n’ont même pas la peur du ridicule quand ils débarquent en province.

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Au pays de la liberté d’expression, les censeurs Mao-compatibles, chassent en meute, ces derniers jours. Ils ne critiquent pas le contenu des journaux de ces confinés, ils ne moquent ni leurs âneries, ni leurs petites compromissions, ni leur style imbitable, fondamentalement, ils leur dénient le droit de pratiquer leur métier. Avec eux, nos libertés individuelles seront, soyez-en sûrs, bien surveillées. Ils penseront toujours avec une muselière à la gueule, ils ont l’emprisonnement dans le sang. Que vous soyez un auteur inconnu, un écrivain célèbre ou un rédacteur coefficient 105 (vieille blague des salles de rédaction), vous n’avez qu’à la fermer et ranger vos crayons durant toute la crise sanitaire ! La fin de l’écrit est inscrite dans vos gênes. La soupe populaire en septembre, votre terminus des prétentieux. Si l’on avait interdit, un jour, à nos hommes politiques de dire des conneries, nos hémicycles seraient vides. Ici, je défendrai toujours un confrère, même une star des libraires dont le papier est truffé d’inepties et les prises de position sont involontairement comiques, car j’ai horreur des leçons de morale. L’écrit est, peut-être, le dernier espace où les passions futiles et contradictoires, le génie et la bêtise, la beauté et les souillures luttent dans un combat inégal. Car, à la fin, c’est le lecteur qui juge, qui décide si la chronique lui a été ou non profitable, s’il a été amusé, blessé, agacé ou conquis. Dans cette opération de séduction à deux, il n’y a pas de place pour le triolisme. Tout se joue entre l’auteur et celui qui reçoit son texte. Ce couple improbable, exclusif sans sexe apparent, encore que l’échange de mots soit plus impudique que les flux corporels, résiste à toutes les infidélités. J’ai connu des couples « auteur-lecteur » d’une longévité surhumaine qui défiaient les lois du temps.

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Avant que l’on nous impose d’écrire avec une autorisation signée par la préfecture, pouvons-nous, au moins danser, chaque samedi soir ? Ou, là aussi, faut-il une dérogation spéciale de déplacement dans nos salons ? Les spécialistes de la mobilité vont pouvoir réviser leur logiciel, car le mouvement n’est pas seulement contraint dans les rayons des supermarchés et sur les routes de France, la circulation sera réglementée aussi dans nos appartements. Je le pressens. Alors, une bonne « playlist », c’est comme un bon polar. Il faut une ligne de tension qui dure toute une soirée, au moins pendant cinq heures, des plages de slow, des pics d’érotisme, des moments où la sueur exulte sur le visage, et puis des standards « Soul » qui se sirotent à la manière de ces cocktails caribéens. Derrière leur suavité estivale, ces tubes sont d’une âpreté assassine. Une bonne « playlist » doit surprendre, et, en même temps, ne pas négliger les classiques. Tous les DJ vous le diront, c’est la base du métier. Ne pas désarçonner le danseur, réussir à lui insuffler des sons nouveaux, tout en l’accompagnant sur la piste. Une bonne « playlist », c’est un travail d’alchimiste, oser s’aventurer sur des terres dangereuses comme l’Italo Disco des années 80, ne pas refuser un Sheila par principe de précaution, abuser sans modération de Pino d’Angio, d’Adriano Celentano et de Drupi, ne pas s’interdire un Line Renaud, son « Copacabana » est aussi doucereux que celui de Barry Manilow, ne pas snober les Donna Summer, Diana Ross, Gloria Gaynor et Minnie Riperton et encore moins une Sabrina ou Ricchi e Poveri. Et puis, toujours mettre un Nicoletta en exergue, « Fio Maravilla », par exemple car « Le reste de l’humanité descend des singes, les rousses, elles, descendent du chat » comme l’écrivait Marc Twain. Je suis partisan également de toujours placer un Julio Iglésias en apesanteur. Le crooner madrilène permet de reprendre ses esprits en milieu de soirée. Je préconise, par contre, d’ouvrir par « J’aime regarder les filles » de Patrick Coutin, certains trouveront cette introduction un peu cavalière mais elle a fait ses preuves. Et terminer la nuit avec un Teddy Pendergrass ou un Peter Skellern, à la limite un Roy Ayers et pourquoi pas un Nino Ferrer.

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Playlist d’un confiné berrichon : 

J’aime regarder les filles de Patrick Courtin/Brigitte Bardot de Dario Moreno/Copacabana de Line Renaud/Fio Maravilla de Nicoletta/Gibraltar de Marc Chantereau/ País Tropical suivi de Taj Mahal de Jorge Ben/Mas que Nada de Sergio Mendes & Brasil 66/Lady from Amsterdam de Catherine Deneuve/Boys Boys Boys de Sabrina/Leçon d’érotisme de Jacques Morali/Feel Like Makin Love de Dann Finnerty/Ouvrier de l’amour de Guy Marchand/Un sogno  di televizione de Bertrand Burgalat/Ma Quale Idea de Pino d’Angio/Sara Perche Ti Amo de Ricchi e Poveri/Susanna de Adriano Celentano/Vento di Maggio de Drupi/C’est toujours comme ça l’amour de Toulouse/Germaine de Serge Delisle/Don’t Think Twice de Blizzard/Stomp de The Brothers Johnson/Everybody Needs Somebody de Ann-Margret/Call Me de Blondie/Don’t You Leave Me This Way de Thelma Houston/Walking On Music de Peter Jacques Band/Ai No Corrida de Quincy Jones/Wishing On a Star de Rose Royce/Tatou strip-tease de Eddie Vartan/Frivole de nuit de Laurie Destal/Vacances j’oublie tout de Elégance/Sunny de Boney M./Can’t Fight The Feelin’ de Gloria Gaynor/Pobre Diablo de Julio Iglesias/Perfect Angel de Minnie Riperton/Street Life de Randy Crawford/Rapper’s Delight de Sugarhill Gang/Heaven Must Be an Angel de Tavares/Love To Love You Baby de Donna Summer/Sometimes You Win de Chic/Got to Love Somebody de Sister Sledge/Perfect Love Affair de Constellation Orchestra/ Disco Inferno de The Trammps/You Should Be Dancing de Bee Gees/Love Hangover de Diana Ross/Fantasy de Earth, Wind & Fire/Love In C Minor de Cerrone/ Give Me the Night de George Benson/Ain’t That Enough For You de John Davis &The Monster Orchestra/Spacer de Sheila/To Know You Is To Love You de B.B.King/Parlez-vous français ? de Baccara/So Many Sides of You de Bobby Womack/One Night In Bangkok de Murray Head/You’re Lady de Peter Skellern/ Off The Wall de Michael Jackson/ Got to Be Real de Cheryl Lynn/On va s’aimer de Gilbert Montagné/Just The Two of Us de Bill Withers/Your Eyes de Cook Da Books/All Night Long de Lionel Richie/Don’t Let Me Be Lonely Tonight de Issac Hayes/Close The Door suivi de Turn Off The Lights de Teddy Pendergrass/Too Young to Die de Jamiroquai/Gogol de Gonzales/Alcina de Jésus de Nino Ferrer 



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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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