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Christiane Taubira remporte la primaire ratée de la gauche

C'était écrit d'avance


Christiane Taubira remporte la primaire ratée de la gauche
Christiane Taubira, Bordeaux, 27 janvier 2022 © UGO AMEZ/SIPA

Mais vous auriez tort de vous contenter de prendre à la rigolade cette obscure consultation…


La victoire de Christiane Taubira à la “primaire populaire” (elle a obtenu la meilleure « note » (!), devant Jadot second et Mélenchon troisième) n’aura qu’un seul mérite : conforter ceux qui voyaient dans la tenue de cette consultation une entourloupe, pour servir de marchepied à l’ancienne députée guyanaise et pour disqualifier ses concurrents à gauche. 

C’est quoi le programme ?

C’est un trentenaire, Samuel Grzybowski, ancien boy-scout et fils d’un chansonnier chrétien, qui a porté cette idée, soutenue par des personnes de la « société civile » (traduction : des militants professionnels encartés dans diverses associations depuis des années). Fondateur de Coexister, association qui a tenu un stand aux rencontres de l’UOIF (la section française des Frères musulmans) en 2016, le jeune homme a tenté de traduire son expertise œcuménique cette fois sur le terrain politique, en poussant la gauche à trouver et désigner le candidat le moins mauvais. Plus petit dénominateur commun nécessaire pour participer : se retrouver dans le « socle commun », un programme qui a opportunément disparu du site de la primaire depuis mais qu’Erwan Seznec a étudié de près, et qui promet hausse des cotisations salariales, retrait des brigades d’interventions dans les « quartiers populaires » et référendum sur l’écriture inclusive. 

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Malgré la tenue de cette primaire, la plupart des candidats de gauche continueront leur chemin et ne tiendront aucun compte du résultat. Le mode de sélection des participants a été particulièrement obscur ; si vous pensez y avoir compris quelque chose, c’est peut-être qu’on vous l’a mal expliqué. Des personnalités comme Clémentine Autain ou François Ruffin, qui n’ont jamais manifesté leur souhait d’être candidats à cette élection présidentielle, ont pourtant été plébiscitées et ont dû être retirées de la sélection finale ; à l’inverse, point de trace de Nathalie Arthaud, Philippe Poutou ni de Fabien Roussel, eux pourtant réellement candidats. Pire encore, des candidats qui ont expressément demandé à ne pas participer continuaient malgré tout de figurer dans la liste officielle. Sur le site, celle-ci était précédée de cette mention lunaire : « Les sept personnalités ci-dessous seront présentées au vote de la Primaire Populaire. Anna Agueb-Porterie, Pierre Larrouturou, Charlotte Marchandise et Christiane Taubira ont donné leur accord pour être présentées et présenté (sic) au vote. Anne Hidalgo, Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon n’ont pas donné leur accord ». Après #metoo et #balancetonporc, on aurait pu s’attendre à un plus grand souci du consentement de la part des organisateurs.

La volonté de nuire aux réfractaires

Il est vrai que pour un Jean-Luc Mélenchon, requinqué dans cette campagne après des débuts poussifs et rompu aux combinazione politiques après tant d’années chez les trotskystes et au Parti socialiste, l’idée de laisser 470 000 militants (c’était le nombre d’inscrits que revendiquaient les organisateurs) décider de la suite de sa campagne a tout l’air d’un traquenard, alors qu’il avait réuni sept millions de voix il y a cinq ans et qu’il est désormais évalué à 12,5% par certains sondages. Un traquenard, c’est bien comme cela que semble avoir été pensée la chose par Samuel Grzybowski, qui détaillait avec le plus grand naturel sa stratégie dans une vidéo qui a fuité : empêcher les candidats réfractaires – Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel, Yannick Jadot – d’obtenir leurs 500 signatures s’ils refusent le verdict de la primaire populaire ; les critiquer sur les réseaux sociaux (il en restera toujours quelque chose) et surtout tenter de taper au portefeuille en essayant de nuire à leur obtention de prêt bancaire. Les notes de guitare au coin du feu sont déjà loin. 

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Même Anne Hidalgo, si enthousiasmée par l’idée d’une primaire en décembre, en est désormais revenue : « Je ne vais pas dire que ça ne me concerne pas. C’est intéressant, sympathique, mais moi je continue mon chemin » dira-t-elle un jour. Puis, « la page est tournée, j’ai une proposition, un projet, une équipe avec des maires, des élus, beaucoup de femmes et d’hommes partout sur le territoire ». Volte-face de la maire de Paris, mais sa candidature est en soi une volte-face, quand on se rappelle sa promesse pas si lointaine de ne pas participer à la course présidentielle. Quant à Yannick Jadot, il a déjà eu fort à faire dans sa propre primaire face à Sandrine Rousseau, obligé de changer le mode de scrutin in extremis pour éviter un afflux de petits rigolos de droite prêts à voter pour sa concurrente. Trois tours de primaire EELV avant d’entrer dans la course présidentielle, ça fait déjà beaucoup pour un seul homme.

Fini de rire

On aurait tort de ne prendre qu’à la rigolade cette primaire. 470 000 inscrits, c’est trois fois plus que le nombre de votants au congrès des Républicains de décembre dernier. Même si on peut quand même se demander ce que pouvaient bien faire tout ce monde, lundi 24 janvier à 22 heures, pendant le débat diffusé sur Franceinfo, qui n’a attiré que 69 000 téléspectateurs. Il faut dire qu’avec Charlotte Marchandise, Anna Agueb-Porterie et Pierre Larrouturou (dont la grève de la faim pour l’union de la gauche n’aura duré que sept jours), le plateau proposé donnait l’impression d’un marécage de seconds couteaux. Christiane Taubira, peut-être par peur de ne pas être assimilée, par effet d’optique, à cet attelage de candidats microscopiques, avait elle-même dépêché un lieutenant. Pour les moins courageux qui ne regarderont pas le replay en entier, Marianne en a fait une petite synthèse.

Le résultat désormais connu, on se demande si c’est maintenant que tout commence ou que tout s’arrête pour cette primaire populaire. On ne doute pas, depuis que l’on connait la vidéo de Samuel Grzybowski, que ces organisateurs tenteront quelques coups fourrés. Cléo Belaïche, attachée de presse du mouvement, déclarait il y a encore quelques jours : « ce vote n’est qu’une longue étape sur la route de la victoire ».



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