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Guerre postmoderne à Bordeaux: #metoo balance l’artiste contemporain

Le lanceur de chats, Jan Fabre, rattrapé par la patrouille féministe


Guerre postmoderne à Bordeaux: #metoo balance l’artiste contemporain
Jan Fabre. Musée des Beaux-Arts de Bruxelles. 2015; sIPA; Numéro de reportage : 00705922_000020

Le Festival international des Arts de Bordeaux Métropole pourrait être pollué par l’affaire Jan Fabre. Une vingtaine de ses collaborateurs et stagiaires ont en effet dénoncé, dans une lettre ouverte, le comportement « inapproprié » de l’artiste. Postmodernes contre postmoderne, le match a commencé.


« Un spectacle m’est toujours apparu, au moins depuis une vingtaine d’années, comme quelque chose relevant de la servitude volontaire. » Philippe Muray a bien vu la pente idéologique vers laquelle glisse peu à peu, inexorablement, toute ambition festivalière, théâtrale et artistique institutionnalisée. Il n’est plus guère question de réfléchir à la complexité du monde et à ses nuances, mais de revêtir en permanence l’armure du chevalier pourfendant les armées du Mal au nom du Bien. Et dans ce combat où les acteurs culturels demandent aux spectateurs une adhésion totale (qui oserait siffler aujourd’hui au théâtre ou invectiver un conférencier ?), l’objectif est de véhiculer une morale sur le mode du « consensus », l’autre nom de la « servitude » pour Muray.

Baudelaire voisine avec Joe Dassin

La programmation du Festival international des Arts de Bordeaux Métropole (FAB) est à cet égard révélatrice. Qu’y trouve-t-on ? Tout d’abord le jargon creux des thuriféraires de la novlangue officielle, qui expliquent avoir conçu ce FAB « comme un moment de vie décloisonné, mixte, collaboratif et attractif ». S’ensuit le relativisme habituel et son refus de toute hiérarchie pour mieux niveler selon la doxa égalitariste, avec deux citations consécutives : l’une de Baudelaire et l’autre de… Joe Dassin (mais après tout, qui a dit que Le petit pain au chocolat ne valait pas De profundis clamavi ?). Enfin, il manquerait quelque chose au livret de présentation si l’on n’y trouvait pas la fameuse écriture inclusive et ses ridicules points médians, beaucoup plus utilisés que ce que l’on croit, en particulier de la part des communicants du monde culturel. Ayant choisi pour fil rouge de cette troisième édition le thème du paradis, on peut ainsi lire : « Qu’elle soit circonscrite à un petit coin synonyme d’une plage de sable fin bordée de cocotiers, que certain.e.s soient prêt.e.s à lui sacrifier leur passage sur terre ou que d’autres s’y réfugient artificiellement, que l’on soit croyant.e ou pas, cette aspiration nous hante. » Peut-être serait-il bon que quelqu’un rappelle un jour que l’écriture est dite cursive car elle permet à la main de « courir » sur la feuille avec le moins d’interruptions possibles et que le prétendu « progrès » de l’écriture inclusive n’est en réalité rien d’autre qu’une régression prétentieuse.

Transgression et envie de pénal

Il arrive aussi que la volonté de Justice des cultureux se heurte à la propension transgressive du milieu artistique contemporain. Même s’il s’agit de transgression à bon compte (présenter des corps nus en est l’une des plus fréquentes), il n’est pas sans risque d’inviter un artiste laissant dans son sillage une odeur de soufre. Cela sera-t-il le cas au FAB en raison du focus prévu sur le plasticien, metteur en scène et chorégraphe Jan Fabre ? Possible. Puisqu’il est bon et juste aujourd’hui de « balancer son porc » sur la place publique au lieu de porter plainte devant les tribunaux, il se pourrait bien que la tête d’affiche du festival métropolitain fasse les frais de la lettre ouverte publiée sur le site internet du magazine spécialisé dans l’art Rekto : Verso, dans laquelle une vingtaine de collaborateurs et stagiaires de l’artiste anversois l’accusent de faits d’intimidation et de harcèlement. « Nous découvrons la lettre ouverte dans laquelle sont mentionnés les comportements inappropriés de Jan Fabre. Nous la prenons très au sérieux », écrivent en chœur Catherine Marnas (directrice du Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine), Sylvie Violan (directrice du FAB et de Carré-Colonnes) et Olivier Lombardie (administrateur général de l’Opéra national de Bordeaux), avant d’ajouter : « Nous précisons que ces accusations ont circulé dans la presse et les réseaux sociaux mais qu’aucune plainte officielle n’a été déposée à ce jour. Une enquête du Ministère de la Culture belge est en cours, à laquelle Jan Fabre s’est engagé à pleinement coopérer. » Le CV de l’artiste en question ? Le revêtement du plafond de la salle des Glaces du palais royal de Bruxelles au moyen de 1,4 million de carapaces de scarabées ; des polémiques à la pelle concernant la nudité, la sexualité et la scatologie (au point que Marianne parlait du « niveau de déchéance » de la production du festival d’Avignon en 2005) ; sans oublier des lancers de chats sur plusieurs mètres de hauteur pour une photo faisant référence à une œuvre de Dali, ce qui provoqua l’ire des associations de défense des animaux. Avec de telles prouesses à son actif, il serait tout à fait regrettable que Jan Fabre soit déprogrammé du FAB, non ?

Infos pratiques : exposition du 5 au 24 octobre 2018. Programmation ici.

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est docteur en lettres modernes, correcteur et journaliste indépendant.

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