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Blade Runner 2049: extension du domaine de l’humanité

Un grand film de science-fiction


Blade Runner 2049: extension du domaine de l’humanité
Image du film "Blade Runner 2049" de Denis Villeneuve (2017). SIPA. AP22110770_000002

Denis Villeneuve rentre dans la cour des réalisateurs qui peuvent se targuer d’avoir créé une oeuvre cohérente. Avec Blade Runner 2049, le Québécois poursuit son exploration des méandres de l’âme humaine, se muant en spéléologue des consciences troublées du siècle.

Un détective nommé Loki

Dès Prisoners, thriller époustouflant sorti en 2013, Denis Villeneuve semblait travaillé par les grands mythes qui ont forgé notre narration collective, ainsi du nom du détective Loki chargé de retrouver les deux fillettes arrachées à leurs parents. Par la suite, il continua à creuser son sillon dans Sicario, qui revenait sur les massacres d’innocents dans la région frontalière de Ciudad Juarez au Mexique, capitale des cartels, puis, dans Premier Contact, film décrivant l’arrivée d’étranges extra-terrestres, anges tombés du ciel pour nous sauver de nos propres péchés. Des longs-métrages denses, riches de sens, visuellement époustouflants et portés par des interprètes talentueux. Autre point fort du cinéma de Denis Villeneuve : des personnages féminins aussi nuancés qu’éloignés des caricatures habituelles du cinéma hollywoodien, preuve que la force peut se cacher sous une apparente fragilité.

Plus moyen de s’émerveiller

Le premier Blade Runner de Ridley Scott est devenu culte en grande partie grâce à son atmosphère si spéciale, conservé par Denis Villeneuve, et à ses thèmes visionnaires en 1982.



Emblématique du néo-noir, Blade Runner inaugurait aussi l’ère du cyberpunk, sous-genre de la science-fiction internationalement popularisé par William Gibson, et, sous nos latitudes, par feu Maurice G. Dantec. L’univers de Blade Runner, s’il n’est pas dénué d’espoir, est fondamentalement dystopique, hanté par le spectre des grandes peurs contemporaines : guerre nucléaire, disparition progressive des « rencontres mammifères » au profit des liens virtuels, et, au bout du compte, la perte de notre capacité à l’émerveillement, au miraculeux. « Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? » est un conte philosophique, peut-être l’un des plus importants du siècle écoulé, dont le sous-texte métaphysique prend une résonance toute politique à l’heure où l’humanité s’apprête à étendre son domaine, d’une intelligence artificielle aux potentialités encore insoupçonnées à une post-humanité entendant donner la mort à la mort.
Un monde post-apocalyptique

Comme son nom l’indique, la suite de Blade Runner commence en 2049, soit précisément une trentaine d’années après la fuite du couple maudit formé par le policier humain Rick Deckard et Rachel, prototype de Réplicant né dans les laboratoires de la Tyrell Corporation. Cette fin lumineuse n’aura pourtant été que de courte durée. Car, le monde de 2049 a subi de terribles changements à la suite d’une apocalypse technologique appelée Black Out, causée par un bombardement nucléaire qui acheva de défigurer la côte ouest de la Californie, désormais perpétuellement plongée dans l’hiver, désertique. Niander Wallace, scientifique de génie, s’est alors imposé comme le fabricant numéro un d’aliments de synthèse à destination de la Terre et des colonies spatiales. Incarné par Jared Leto, David Bowie étant malheureusement décédé avant le tournage, le personnage est un négatif de ces savants détenteurs des nouvelles technologies dont l’humanité contemporaine est de plus en plus dépendante, sorte d’Elon Musk luciférien ou de Sergey Bryn de cauchemar. Démiurgique, il entend nous guider vers un ailleurs, une Espérance. Il est, aux côtés de sa créature Luv, l’incarnation de l’orgueil prométhéen, de la raison déraisonnante qui domine le monde imaginé par Philip K. Dick, le grand architecte qui préside au destin des hommes.

Des androïdes meurent pour la cause

À ce stade, il convient de lever une ambiguïté : non, les Réplicants ne sont pas plus des « robots » stricto sensu que des clones, mais bien des créatures humanoïdes biologiques dotées d’une intelligence artificielle et destinées à servir une société néo-esclavagiste, à occuper l’espace que l’homme ne peut pas habiter du fait de leur résistance physique. Question lancinante de l’œuvre : certains modèles auraient-ils une âme ? Les réactions des Nexus les plus sophistiqués pourraient suggérer que les androïdes soient doués de la capacité d’empathie, animés de sentiments humains. Ainsi de Rachel éperdument amoureuse, ou bien encore de Luv excédée et prête à défier sa programmation pour tuer par pur ressentiment, jalouse d’une humaine. Sont-ce de réels sentiments ou une adaptation, un simulacre d’humanité ? Des interrogations d’une paradoxale actualité, aussi abordées dans L’Eve future de Villiers de l’Isle Adam ou dans l’anime Ghost In The Shell, lentement diffusées dans la Noosphère. Cherchant à s’élever, les androïdes n’hésitent plus à mourir pour une cause, dans leur recherche d’une humanité, d’une vie consciente. D’ailleurs, sans trop lever le mystère du scénario, le miracle est un enfant issu d’une union entre un humain et un androïde, donc un sauveur s’apparentant au Christ, le parallèle avec l’immaculée conception étant évident.
Un émouvant hologramme de Sinatra

Blade Runner 2049 dessine un horizon, esquisse des possibles. Plusieurs scènes resteront longtemps gravées dans les mémoires. Citons, par exemple, cette nuit d’amour entre K, héros vertueux du film, blade runner androïde joué par Ryan Gosling, chargé d’éliminer les modèles déviants et Joi, un hologramme intelligent fusionnant avec un androïde conçu pour donner du plaisir. Troublante de justesse, de délicatesse, d’ingénuité et de sensualité, interrogeant l’idée même que nous nous faisons du rapport amoureux. Autre moment fort, ce passage où K rencontre une créatrice de souvenirs, sculptrice de mémoire « authentique », quand plus que jamais nous faisons collectivement table rase du passé, laissant derrière nous les traces de l’ancien monde. Une métaphore que l’on retrouve dans la chambre de Deckard, musée sorti de notre propre passé, isolée dans un hôtel de Las Vegas, ville morte et inhabitée, remplie de livres, de bouteilles de whisky hors de prix, où surgit sans prévenir un émouvant hologramme de Frank Sinatra. Que faisons-nous de ce qui était hier notre réalité ? L’oublions-nous ? Il faudra du temps pour assimiler le message de Denis Villeneuve, profondément humaniste sous l’apparente débauche d’effets visuels somptueux. Un grand film.



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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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