Les millions d’Algériens de France ne sont pas tous partisans du régime d’Alger, mais celui-ci sait faire pression pour empêcher leur assimilation. Et la propagande officielle qui alimente la haine antifrançaise est secondée par des « influenceurs » enragés. Saurons-nous mobiliser les Algériens qui aiment la France?
L’Algérie a son pétrole, son immense Sahara et sa diaspora de France. Une population estimée à 6 ou 7 millions de personnes qui contribue à atténuer la crise sociale algérienne par ses transferts de fonds. Sur le papier, cette population constitue aussi un formidable levier d’influence sur les autorités françaises. Sur le papier seulement, car elle doit être au préalable contrôlée, quadrillée et mobilisée, ce qui n’est pas encore le cas. Les Algériens de France ne sont pas tous des partisans du régime, une partie d’entre eux est indifférente à son sort, une autre milite ouvertement contre lui. Parmi eux, des islamistes, des activistes kabyles et de simples lanceurs d’alerte, révulsés par les injustices sociales.
La France n’est pas l’Algérie
Dans ce contexte, la diaspora algérienne est l’objet d’une lutte silencieuse et de tous les jours que les Français ignorent généralement. Tout résident algérien, légal ou illégal, doit vivre en métropole comme s’il n’avait jamais quitté son pays. Le binational n’est pas considéré comme un Français : il a beau être naturalisé, il sera toujours considéré comme un Algérien. L’assimilation est stigmatisée, réduite à une trahison. On veut garder les gens à portée de main tout le temps, génération après génération. La diaspora n’a pas le droit d’exister et de penser par elle-même, elle n’est rien d’autre qu’une extension de l’opinion publique algérienne. On attend d’elle l’allégeance, au mieux, et l’apathie, au pire.
Mais la France n’est pas l’Algérie, et même à Marseille, l’on n’est pas à Alger. Il y a quand même des restes de souveraineté française, il y a une société française qui, malgré son prétendu racisme systémique, attire à elle les binationaux, que ce soit à l’école, au travail ou par le biais des relations du quotidien. Alors, comment s’y prendre pour garder la haute main sur la diaspora ?
La formule n’a pas encore été découverte, ni par Alger ni par une autre capitale arabe ou africaine. L’être humain a beau être grégaire et prévisible, il ne répond pas à toutes les commandes, surtout si elles sont effectuées à distance, depuis une lointaine patrie d’origine qu’il ne visite qu’épisodiquement et durant les mois d’été, c’est-à-dire quand elle s’est assoupie.
Le problème est ancien. Déjà dans les années 1950, le FLN surveillait les travailleurs algériens de métropole, les intimidait et les obligeait à financer sa lutte. 4 000 Algériens ont été liquidés par d’autres Algériens en France à cette époque.
Les réseaux sociaux, une façon d’exister
Aujourd’hui, des appels à la violence se font entendre sur TikTok. Des anonymes issus du sous-prolétariat, souvent sans-papiers, s’érigent en gardiens de la diaspora. Ils sont à Brest, Lyon ou Montpellier. Dans leur pays d’origine, ils auraient été des citoyens de seconde zone : gardiens de chèvres, chômeurs ou travailleurs précaires sous-payés, à la limite de l’inanition. En France, ils ont grimpé quelques marches de la pyramide de Maslow, ils commencent à aspirer au prestige et à la considération de leur groupe. Dans le monde d’avant, ils auraient gardé leurs opinions pour le bar PMU du coin. Aujourd’hui, ils s’adressent à la planète entière grâce à un smartphone rendu accessible par un ouvrier chinois et à une application rendue ergonomique par un ingénieur indien.
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Et cela permet d’envoyer fréquemment menaces et insultes. Les déclarations du tiktokeur de Brest, Zazou Youssef, sont glaçantes de vulgarité, mais terriblement compréhensibles. Quand on n’a rien à dire, on se limite aux gros mots. Quand on a la tête vide, on se replie sur la religion et le nationalisme, deux manières faciles d’attirer l’attention à soi dans les cultures maghrébines. Délicieux sentiment de vertige. « Moi, le déshérité, le sans-papiers, l’abonné aux petits boulots, moi j’existe maintenant sur TikTok, moi j’attire l’attention du gouvernement de mon pays ! » Cela s’appelle une consécration.

Les Algériens n’ont pas le monopole de ce raccourci vers la gloire. Mais la névrose antifrançaise qui sert désormais d’identité à une partie du peuple algérien rend ces manifestations plus exaltées. La guerre civile intra-algérienne, mal digérée et mal expliquée, y trouve un mince filet où elle peut écouler ses eaux teintées du sang et des larmes des innocents.
Interrogé dans le cadre de cet article, Axel, un Français d’origine kabyle qui a choisi de s’assimiler, estime qu’une majorité des influenceurs « influents » sont liés aux services algériens. Très probable, effectivement, mais difficile à établir avec certitude.
Au-delà de ces forces supplétives que sont les influenceurs enragés, les autorités algériennes ont d’autres moyens de faire pression sur les binationaux. Dès qu’ils remettent les pieds en Algérie, ils sont Algériens et seulement Algériens, donc propriété du régime qui fait d’eux ce qu’il veut. Axel raconte qu’il a été interpellé plusieurs fois en débarquant à Alger à cause de ses opinions pro-kabyles. Et on pense évidemment au calvaire de Boualem Sansal, arrêté lui aussi en débarquant à l’aéroport d’Alger. Cruel avertissement envoyé à la diaspora : restez dans le rang sinon on vous cueillera à la descente de l’avion lorsque vous viendrez rendre visite à vos familles.
Quand les médias algériens s’en mêlent
Mais il n’y a pas que l’intimidation pour contrôler une population et la pousser à agir de telle ou telle manière. La persuasion a aussi toute sa place.
Créée en 2022, la télévision algérienne AL24 News s’est lancée dans la bataille des cœurs et des esprits. Ses émissions, parfaitement réalisées, déversent un discours sur-mesure pour une diaspora en quête de repères. Dans une langue française plus que parfaite, ses chroniqueurs mettent systématiquement la France en accusation. Ils voient partout des nostalgiques de l’OAS et de l’Algérie française. Ils fustigent les ennemis de l’Algérie qui conspirent depuis la métropole ou depuis le « mauvais voisin », c’est-à-dire le Maroc. Ils aperçoivent le sionisme à chaque coin de rue. Ils peuvent passer une émission entière à ressasser les crimes de Bugeaud, mais ils n’ont aucun mot pour les crimes de la décennie noire.
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Le talent est réel, mélange séduisant de langue de bois et d’esprit pamphlétaire. L’on fait le procès de la France en utilisant la langue française et en usant de ses propres références : gauche, droite, extrême droite, République, progrès, etc. Paradoxe inaperçu.
Xavier Driencourt y est qualifié de « serpent à lunettes qui crache son venin sur l’Algérie ». BHL, « un pauvre type, un clown triste ». Kamel Daoud et Boualem Sansal sont dépeints sans pitié en « harkis de la pensée » ou en « agents pour la déstabilisation de l’Algérie… payés par des gens qui sont nostalgiques de l’Algérie française ».
Trouble allégeance
L’Algérien qui s’exprime librement n’exerce pas son libre arbitre, il trahit. On vit encore mentalement dans le monde féodal que l’on pensait éradiqué par la colonisation, or il est toujours là, dans les esprits. Dans ce monde, il n’y a que des seigneurs et des larbins, il n’y a pas de citoyens. Soit on baise la main du caïd, soit on lui plante un poignard dans le dos. Quand Boualem Sansal dit du bien du Maroc, il ne pense pas, il se vend au plus offrant. Cette culture ignore la liberté, car elle ignore l’individu. Il n’y a que des larbins à perte de vue et, ici et là, une poignée de seigneurs. Mais l’Algérie n’a pas l’exclusivité de cette maladie nord-africaine.
Tout cela peut prêter à sourire, mais l’enjeu est sérieux. Il s’agit de l’allégeance de six ou sept millions d’Algériens, dont des binationaux, qui votent et qui se font élire. C’est ainsi que vient de naître une Coordination des élites algériennes. Son objectif : fédérer médecins, avocats, ingénieurs et hommes d’affaires algériens de France pour infiltrer nos institutions. Projet judicieux du point de vue algérien, très inquiétant du point de vue français. Seulement, à Paris, il n’y a que naïveté et ignorance, comme si les diasporas (quelles qu’elles soient) étaient des minorités comme les autres, tels les écolos ou les LGBT.
Et pourtant la France a encore la main, pour quelque temps encore. Il est encore temps de mobiliser des influenceurs franco-algériens qui aiment la France. L’un d’eux, Ben le Patriote, un ancien militaire du Sud-Est, fait un carton sur TikTok. Il ne reste qu’à convaincre RFI et France 24 de défendre la vérité historique et les intérêts de la France, en lieu et place de la doxa médiatique parisienne qui est par définition plus antifrançaise qu’autre chose. Enfin, il est encore temps de coopter les élites algériennes de France, celles qui sont conscientes des tristes réalités algériennes. Certaines sont sensibles à l’accueil reçu – comme ces réfugiés qui ont fui les massacres islamistes des années 1990. Tout cela nécessite de la volonté politique (il y en a apparemment chez M. Retailleau) et une dose d’intelligence émotionnelle, car on ne mobilise pas un Algérien comme on mobilise un Suisse.
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