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La créolisation chère à Mélenchon, est-ce aussi l’avenir du français?

“Les Mots immigrés” (Stock, 2022)


La créolisation chère à Mélenchon, est-ce aussi l’avenir du français?
Le candidat d'extrême-gauche Jean-Luc Mélenchon lors d'un meeting organisé à Paris, Place de la République, le 20 mars 2022 © Thomas Padilla/AP/SIPA

En faisant l’éloge des mots métissés et en minorant le poids de l’héritage latin dans notre langue, le nouvel essai d’Erik Orsenna et Bernard Cerquiglini entend clouer le bec aux apôtres d’une illusoire pureté nationale.


Dans le débat télévisé du 23 septembre 2021, le leader de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, opposait, au discours identitaire de Zemmour, le concept politique de créolisation, repris d’Edouard Glissant et professé dans certaines universités parisiennes. Pour le chantre du Tout-Monde, notre langue française serait vouée à la créolisation, phénomène dû à la rencontre souvent violente de cultures, mêlé « d’avancées de conscience ». De loin venue, la créolisation aux effets imprévisibles — par opposition au métissage— serait donc le remède à l’hégémonie culturelle contre « le grand remplacement ».

Un grand enrichissement

Pour satisfaire notre besoin de biodiversité, l’Académicien Erik Orsenna vient d’écrire, à quatre mains avec le linguiste Bernard Cerquiglini, un conte, intitulé Mots immigrés. Tout un programme: la langue française serait un métissage de mots, venus d’ici et là, au fil du temps. Ainsi compterait-elle autant de mots arabes que gaulois. Grand remplacement ? Non, mais grand enrichissement. Si la langue arabe n’est pas encore le berceau du français avec ses pousses — arabe d’oil et d’oc— il était bon de prévenir toute considération discriminante.

Pour nos deux auteurs, le français se serait forgé par « vagues successives » venues d’un peu partout. Aucune souche (source de haine), aucune hérédité mais la vie en héritage, diverse, sans cesse renouvelée. Alors, pourquoi cette éventualité que notre langue sinon disparaisse du moins soit remplacée ? À cause du globish, grand prédateur, source de fracture, entre une élite parlant l’anglais et les locuteurs d’une « langue traditionnelle » sans qu’il soit précisé en quoi consiste cette dernière. Peu importe : le mal c’est le globish. L’important est qu’il n’y ait pas de souche— toujours un fantasme— à la langue française.

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Latin de Gaule

Et si on remettait les pendules à l’heure ? A défaut du serment de Villepinte (2021), il n’est pas interdit de relire, dans le texte, le serment de Strasbourg (842) qui scelle la naissance du français, langue romane distincte du tudesque. Si le français est issu directement du latin, c’est que les liens entre la Gaule et Rome sont très étroits, dans tous les domaines, dès le deuxième siècle avant Jésus-Christ. Il suffit d’ailleurs d’ouvrir le dictionnaire de l’Académie Française et d’en feuilleter quelque pages pour voir que plus des trois-quarts des mots viennent du latin, du bas latin, du latin chrétien, ecclésiastique, juridique, et du grec. Les mots donnés comme gaulois (il y en a peu) par Erik Orsenna sont « du latin de Gaule ». Quant à l’accueil de mots anglais, arabe, persan, il se fait naturellement, comme dans toutes les langues, avec l’histoire. En revanche, le parti-pris— et pourquoi ?— de ne pas prendre en compte sinon privilégier l’origine latine des mots français empêche le recours à l’étymologie, avec les racines et les familles de mots, qui favorise pourtant (tout professeur en témoigne) l’apprentissage du français et son appropriation.

« Le français deviendra-t-il, pour l’essentiel, compte tenu de notre infériorité démographique, une langue franco-africaine, franco-arabe » comme le prédisait, en 1988, l’ancien secrétaire d’État des relations culturelles, sous la présidence de Mitterrand, Thierry de Beaucé, adepte de l’internationalisme linguistique, cité par Jean-Michel Delacomptée dans son livre Notre langue française ? De ce « grand basculement historique » nous voyons des prémices inquiétantes : une connaissance insuffisante de notre langue, de sa littérature rendent problématique l’enseignement supérieur. Et quelle « langue » enseignée dans l’école à part la langue des robots ?

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Français autoritaire contre langue de l’Autre

Depuis quelques années, la langue française devient un enjeu politique, et c’est préoccupant. Ainsi, comment le créole « cette langue orale que l’écrit fait changer de statut » comme dit Delacomptée, aussi nombreuse et variée qu’il y a de pays, est-il devenu, avec le mot créolisation, un concept voire une arme politique ? Il n’y a pas, d’un côté, une vision « centralisatrice et autoritaire » et, de l’autre, la langue des autres, de l’Autre, la langue de nulle part, diluée dans la multiculturalité. Il y a « notre langue » que nous avons en partage avec ceux qui la parlent et l’aiment, riche de mots créoles dont il existe, d’ailleurs, des dictionnaires. La langue française, accueillante par vocation, ne se violente pas. La preuve en est qu’une ouverture à tous vents aboutit à la colonisation par l’anglais, au globish, à la sinisation de l’Afrique, à la désintégration de notre langue. Le grand fauteur de troubles, le globish, est l’effet, non la cause de cette détérioration.

Enfin, si notre langue s’affaiblit, adieu la francophonie. Le grand projet politique, unique, qu’est cette francophonie, cette unité qui repose sur une langue commune, se diluera-t-il dans une idéologie mortifère ? Les mots métissés sont une jolie fiction qui ne date pas d’hier. Encore faut-il ne pas se contenter de jouer au jeu des sept familles en passant sous silence l’héritage du latin et la culture gréco latine.

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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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