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Langue française: la France n’est pas une région de l’Union européenne!

Le pouvoir politique de la langue


Langue française: la France n’est pas une région de l’Union européenne!
À l'imprimerie nationale de Douai, Marlène Schiappa présente la nouvelle carte d'identité, 16 mars 2021 © FRANCOIS GREUEZ/SIPA Numéro de reportage : 01009527_000001

L’anglais s’impose comme langue de travail et de communication au sein de l’Union européenne, malgré le Brexit. La nouvelle carte d’identité sera bilingue. Tout cela en violation de l’Ordonnance de Villers-Côtterêts ! L’Elysée vient enfin de communiquer sur la langue de l’Europe, en faisant des « promesses » pour la fin du quinquennat. Le temps qu’une common law s’impose?


«  En français, et non autrement. » Ainsi doit-on écrire. Ces mots lapidaires de l’Ordonnance de Villers Côtterets, promulguée en 1535, sous le règne de François Ier, affirme sans ambiguïté la suprématie du français comme langue d’État et comme instrument essentiel du pouvoir. Dans la droite ligne de cette Ordonnance, l’article 2 de la Constitution française de 1958 déclarera: « La langue de la République est le français. » Socle de la République, une et indivisible, le français est aussi le ciment de la francophonie internationale. En 1921, est créée une carte d’identité— la CNI— rédigée en français, et pas autrement. Ce document, enrichi, par la loi du 27 octobre 1940, d’une empreinte digitale, justifie de l’identité de la personne et de notre identité commune. Et c’est en 2021 que le gouvernement français annonce la création d’une nouvelle carte d’identité, plus « sécurisée », moderne, entendez, européenne, en franco-anglais ! Double forfaiture : civique et linguistique.

Il ne suffisait pas que nous consommions en anglais, en violation de la loi Toubon de 1994. Que les grandes firmes « françaises » ne communiquent qu’en anglais. Que Ouigo soit le passeport de la SNCF. Que les news et les newsletters soient notre pain quotidien. Que les clusters configurent la France. Que nous vivions au rythme du stop and go, du talk et du débrief, bref de l’empowering de la langue de l’empire. Qu’avec la loi Fioraso, certaines universités enseignent Proust en anglais pour faire vivre dans le texte « la langue de Molière. » Que les collectivités publiques rendent attractifs leurs territoires en utilisant le globish: Only Lyon, Invest in Lyon, in Annecy Moutains. Il fallait que le président de la République française, insatiable d’atlantisme, choisisse la semaine de la francophonie pour annoncer la nouvelle carte d’identité française. Mesure-t-on la forfaiture ? Le drapeau bleu aux étoiles jaunes sans légalité ni légitimité n’a aucune raison de figurer sur une carte d’identité française. Le F de la France au milieu du drapeau européen est l’aveu éclatant que la langue française est devenue une langue régionale, vassale de l’anglais qui nous est imposé comme langue commune. La France est devenue une région de l’Union européenne.

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Francophonie: Macron envoie des signaux contraires

En 2017, le président Macron s’était engagé pour le français et la francophonie. En 2018, il reprenait un projet de campagne, lancé en 2001, de « l’Institut de la Francophonie, à Villers-Côtterets ». Tout avait été fait pour une inauguration en 2022. Hélas, des signaux contraires firent déchanter. Un collectif d’associations de défense de la langue française regroupées au sein du « Haut Comité de la Défense de la langue française et de la Francophonie, » (HCDLFF),  envoya au Président de la République, le 14 septembre 2020, une lettre ouverte, relayée par les médias, pour lui rappeler ses promesses. Des protestations s’élevèrent partout. Le 19 mars 2021, un communiqué de l’Élysée fait savoir qu’Emmanuel Macron pourrait —quand la France présiderait le Conseil de l’Union, au printemps 2022— mettre à l’ordre prioritaire du jour, la question du statut des langues officielles et du travail des institutions. Il pourrait. Que ne le fait-il tout de suite ? Pour une raison simple: ce délai permet d’imposer l’anglais comme langue de travail, sans réaction française, afin que cette jurisprudence pérennise le fait accompli. L’inauguration de Villers-Côtterets, elle, serait prévue à la fin du mandat présidentiel, en 2022.

Le Conseil de l’Union n’est pas sans savoir la fragilité du statut de l’anglais au sein de l’Union européenne, depuis le Brexit. Or, un puissant mouvement se développe pour le confirmer voire le promouvoir comme « langue commune » de fait, en arguant une domination de 46 ans, allant  même jusqu’à plaider que l’anglo américain serait une langue neutre, une sorte de volapük consensuel. Madame Ursula von der Leyden elle-même, donne l’exemple en ne parlant presque qu’anglais. Quelques associations envisagent de porter plainte devant la Cour européenne de Justice (CJUE) contre cet usage illégal de l’anglais comme langue commune puisque, selon le règlement n°1 de 1958 modifié, l’UE doit fonctionner avec au moins trois langues de travail.

L’appel du Haut Comité de la Défense de la langue française et de la Francophonie

C’est donc de la France qu’est attendue partout l’opposition à la langue commune unique de communication, acceptée et imposée par la Commission de Bruxelles, sans aucun débat parlementaire ni débat de la part de la France. Le Président de la République doit demander que le Conseil des chefs d’État se réunisse pour statuer sur le statut post Brexit des langues officielles de travail dans l’esprit du règlement n°1. « Cette décision », dit Monsieur Salon, secrétaire vigilant du Haut Conseil, « aurait des effets et un retentissement considérables. Elle serait à la hauteur de tous les « non » historiques lancés au nom de la France : le non à la capitulation en 1940; le non à l’AMGOT, en 1944; le non à l’OTAN militaire, en 1966 et, au président Bush, en 2003, à la guerre en Irak ; le non à la Constitution européenne, cette fois dans la bouche du peuple lui-même, lancé en 2005. En revanche cette capitulation à la langue de l’empire serait un abandon des intérêts fondamentaux, une forfaiture, au regard des devoirs de tous les états membres d’affirmer leur langue nationale surtout quand celle-ci a une dimension mondiale. Elle serait un « écocrime » contre la diversité des langues et des cultures, et contre la civilisation. » Il faut revenir à l’esprit des textes. Il faut dire non aux menées impériales soutenues par certains milieux français — sauf à en être complices.

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«  Nous sommes en guerre. » L’ennemi est autant à l’intérieur qu’à l’extérieur, protéiforme et omniprésent. L’empire a subverti notre pensée et notre langue en nous imposant son logiciel de marché et un globish qui défigure notre langue. En même temps, la langue française subit les attaques des idéologies régnant partout, dans les services publics et les facultés, elle se délite, s’appauvrit, se déconstruit et devient une arme dont l’inclusive est le signe le plus caricatural mais non le moins dangereux. En France — c’est dans nos gènes— se perçoit une poussée révolutionnaire d’envergure venue des indigénistes, des racialistes, des décolonialistes mais aussi des héritiers. De même qu’en 1793, les révolutionnaires s’en prennent au temps du calendrier, de même les révolutionnaires s’en prennent à « la langue mère » ou langue maternelle, comme le disait déjà l’Ordonnance de Villers-Côtterets. Soumis et insoumis se donnent la main pour mieux s’enchaîner, communiant dans l’oubli ou le rejet d’un passé commun, et reniant une identité. La France, pendant ce temps, perd de plus en plus sa souveraineté et son identité linguistique. Si le président n’intervient pas — et il a, comme de Gaulle, tout loisir de le faire à temps et à contretemps— nous serons soumis à des forces extérieures que nous ne voudrions pas. En attendant, à la faveur du brouillage des signes, les tenants des langues régionales rejouent leur air connu. Ils ne se trompent pas sur le caractère politique de la langue ni sur celui de leurs revendications sans savoir qu’ils montent éternellement le même rocher sur la même pente. La lutte entre universalisme et particularismes fait rage de nouveau en France. Ainsi le Courrier picard déclare passer à l’écriture inclusive, le jour de la déclaration du droit des femmes. Les écoles immersives catalanes sont débordées par leur succès. Le samedi 20 mars, les défenseurs du breton et du gallo sont montés au créneau et, dans le Haut—Rhin, Saint-Louis agglomération, seule intercommunalité alsacienne à disposer d’un service ad hoc, fait la promotion de sa langue régionale. Comme attendu, une proposition de loi sur les langues régionales est déposée, à l’Assemblée, par le député Molac. Demande récurrente, dira-t-on, dans un état jacobin qui montre parfaitement que la langue est, en France, une affaire politique c’est-à-dire liée au pouvoir d’État. Ces revendications linguistiques, vouées à l’échec, n’en sont pas moins perturbantes et inutiles.

La guerre au français remonte à loin

Ne nous y trompons pas. L’hégémon de l’empire anglo-américain est une guerre à l’héritage avec la convergence et la divergence, tout ensemble, des luttes, à l’intérieur de la France. On déboulonne les statues, on fait repentance, on supprime les chiffres romains, on s’attaque, après le lexique, au disque dur de la grammaire, on féminise la langue en la violentant, on a une langue déstructurée, sans vocabulaire, perméable à toutes les idéologies. La guerre au français, il est vrai, remonte à loin. En 1999, ne parlait-on pas, en haut lieu « du droit démocratique de chacun d’user de la langue comme il l’entend ? » Dans son Dictionnaire Critique de la Révolution française, Mona Ozouf consacre donc un chapitre à la tentative, en 1793, de remplacer le calendrier grégorien par le calendrier républicain. Il fallait instaurer, par violence, un temps révolutionnaire : débaptiser les jours, supprimer les fêtes religieuses, créer « un annuaire de la liberté ». Au lieu de cela, qu’ont trouvé les révolutionnaires ? Une éternité qui monte de la nuit des temps et qui n’a besoin d’aucune institution pour exister. Pour l’écrivain Alain Borer, auteur du beau livre De quel amour blessée — il parle de la France, blessée dans la chair de sa langue—, c’est Waterloo que d’accrocher « identity card » aux mots « carte d’identité nationale », deux mots latins transmis à la bataille d’Hastings. Réfléchit-on que notre soumission à l’empire porte atteinte aussi à la francophonie riche de trois-cents millions de personnes ? Qu’elle fragilise d’autant la nôtre ? Si « la langue instituée » est faible, qu’en sera-t-il de la francophonie ?

Retour à l’histoire de France. Quatre ans après l’Ordonnance de Villers-Cotterêts, en 1539, François Ier, dans les articles 110 et 111 concernant les actes de justice, proscrit tout retour à l’état ancien, ne laissant aucun choix entre le latin et le français ni entre le français et les dialectes locaux. Cette Ordonnance, toujours en vigueur, n’empêche personne de parler breton ou basque ni les radios d’émettre en langue régionale. Elle assure seulement l’unité de notre pays mise à mal en ce moment. Il faudrait le rappeler.

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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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