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Le Maire: une volonté sans diagnostic


Le Maire: une volonté sans diagnostic
Romain GAILLARD-POOL/SIPA Numéro de reportage: 00965623_000035

« Cela fait quarante ans que nos États dits républicains sont tributaires d’un groupe social qui s’est soustrait à la réglementation publique. Et que les banques ont ainsi pu développer leurs innovations financières toxiques »


Tout commence par une proclamation. Le gouvernement français s’est affranchi des dogmes qui paralysaient l’action publique. Il s’agit en l’occurrence de l’abandon de la limite du déficit public inscrite dans la table des lois européennes. Mais nécessité fait loi, la chose est aussi simple que cela. Il n’y a pas un seul gouvernement en Europe qui n’ait du laisser exploser ses dépenses et son déficit. Qu’y a-t-il d’héroïque à suivre la retraite d’une armée économique en déroute ? Bruno Le Maire déguise sous le masque du volontarisme une impuissance de fait qui atteint tous les Etats pris au dépourvu par la crise.

Ce qu’il ne nous dit pas, pas plus que ses homologues en Europe ou les « experts » attitrés de la sphère médiatique, c’est comment nous ferons face demain à une dette qui aura explosé bien au-delà des seuils anciens jugés « insoutenables » il y a quelques semaines encore.

Il y a trois points à prendre en considération.

Le premier est le caractère « subi » du déficit. Nous sommes placés dans l’hypothèse inverse de celui d’un déficit voulu, par des dépenses ciblées jugées propres à soutenir l’investissement et la productivité. Une illustration suffit. La prise en charge du chômage partiel, évalué à 25 milliards d’euros par Bercy mais à 58 milliards d’euros par la commission des finances de l’Assemblée. La dépense quelle qu’en soit le montant véritable, et si nécessaire soit-elle, ne saurait être considérée comme une dépense d’avenir. La dette supplémentaire est une dette à l’état pur.

Le deuxième est la question de la solvabilité de l’Etat engagé dans un processus d’endettement sans fin. Il existe des seuils discrets à partir desquels même les Etats disposant d’un fort crédit historique basculent dans l’insolvabilité. C’est la question de la solvabilité, et non celle, technocratique, de la « soutenabilité », qui est posée depuis que nous avons commencé à accumuler les déficits en dépit des mises en garde des « experts » et des proclamations de vertu des politiques. En nous annonçant la bonne nouvelle de la répudiation des dogmes, Bruno Le Maire aurait du nous dire qu’à 110 ou 115% du PIB, le Trésor public est encore solvable. Et bien d’autres Trésors en Europe et dans le monde avec lui. Point que je crois devoir mettre en doute. Et d’autant plus que nous sommes entrés dans les sables mouvants de la récession et de la déflation.

Car si, ainsi que je le soutiens, l’explosion du déficit et de la dette nous met en risque d’insolvabilité, le troisième point s’avère  crucial. Le déficit nouveau est couvert par l’emprunt auprès des banques. Précisons : par la création monétaire ex nihilo des banques commerciales soutenues par la Banque centrale européenne. Ce qui signifie que l’on a écarté sans débat l’hypothèse d’un financement monétaire direct par la banque centrale venant au secours des Etats, financement qui aurait permis de couvrir les besoins de l’heure sans gonfler la dette.

Nous observons à l’occasion que si le dogme de la vertu budgétaire est répudié, celui de son financement bancaire reste inentamé. Bruno Le Maire enjambe la question mais avance le fait favorable que nous pouvons emprunter à taux zéro grâce à la monnaie unique. Or il ne peut pas ignorer que, depuis quelques années, tous les Etats développés bénéficient des taux zéro pour leur refinancement. En Europe même, dans les pays qui ont renoncé à la monnaie unique, tels que l’Angleterre, la Suède ou le Danemark. Les taux zéro ne relèvent pas d’une providence monétaire que l’euro incarnerait  mais de la politique volontariste des banques centrales à Washington, à Londres, à Tokyo et en d’autres lieux encore. Cessons de fétichiser l’euro. Et prenons plutôt exemple sur le pragmatisme anglais qui voit la banque d’Angleterre monétiser la dépense publique à hauteur de quarante milliards de livres sterlings. Encore un effort pour répudier les dogmes !

J’en viens à l’essentiel. Si le financement monétaire direct est toujours tabou, c’est que les politiques sont aujourd’hui les subordonnés de la bureaucratie bancaire. Cela fait quarante ans maintenant qu’ils s’en remettent à son bon vouloir pour le financement de leurs déficits. Cela fait quarante ans que nos Etats dits républicains sont tributaires d’un groupe social qui s’est soustrait à la réglementation publique. Et que les banques ont ainsi pu développer leurs innovations financières toxiques.

L’ironie suprême de cette affaire est que le lien de subordination se situe à l’intersection exacte du bureau occupé par le ministre des finances à Bercy. Bruno Le Maire est pris dans un fil invisible qui est en train de se resserrer sur sa personne et sur l’Etat du fait même que Trésor public est devenu plus dépendant encore du financement bancaire qu’il ne l’était il y a quelques semaines.

Nous aurions été pleinement satisfaits s’il avait levé ce lièvre essentiel en toute simplicité. Ne serait-ce que sous la forme d’un ballon d’essai : « le moment n’est-il pas  venu d’ouvrir le dossier de la création monétaire pour financer certaines de ces dépenses primordiales dont l’insuffisance est apparue au cours du drame ? Notre action politique ne souffre-t-elle pas de cette autre entrave intellectuelle liée à celle du dogme budgétaire ? ». Car il en conviendra, rien de ce qu’il dit par ailleurs, sur les différents sujets mis à l’agenda par la crise, ne vaut si  le nerf de la guerre est en d’autres mains que l’Etat.

Quand il n’est pas assorti d’un diagnostic réaliste et exhaustif, le volontarisme est celui de Matamore.



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est un économiste français, ancien expert du MEDEF

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