Accueil Édition Abonné Décembre 2018 Natacha Polony: « J’espère faire mieux pour Marianne que Macron pour le pays! »

Natacha Polony: « J’espère faire mieux pour Marianne que Macron pour le pays! »

Entretien avec la directrice de la rédaction de Marianne (2/2)


Natacha Polony: « J’espère faire mieux pour Marianne que Macron pour le pays! »
Natacha Polony ©SIPA

Souverainiste bon teint, la directrice de la rédaction de Marianne entend réveiller de sa torpeur l’hebdomadaire fondé par Jean-François Kahn. Europe, gilets jaunes, nouvel actionnaire tchèque: en détaillant son projet éditorial, Natacha Polony passe les sujets d’actualité au crible (2/2).


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Marianne a une identité. Quelle est celle de son lecteur ?

Quand j’étais jeune journaliste à Marianne, notre public couvrait à peu près tout le prisme politique. J’ai à cœur de reconstruire cette diversité, non pas en draguant les électeurs de tel ou tel bord, mais en faisant du journalisme, c’est-à-dire de l’enquête. Pour le dire autrement, je veux organiser la convergence des luttes ! Un journal comme Marianne devrait s’adresser autant aux fonctionnaires de son actuel lectorat qu’aux petits commerçants, artisans et patrons de PME. Par-delà leurs intérêts et leurs visions du monde, parfois divergents, tous sont les dindons de la farce d’un système économique qui est en train de désindustrialiser les pays occidentaux et de détruire les bases culturelles et économiques d’organisation des sociétés.

Daniel Kretinsky, le magnat tchèque qui a racheté Marianne, partage-t-il votre agenda politique ? Qui est-il exactement ?

C’est un industriel qui a fait fortune dans les centrales à charbon. Bizarrement, la présentation du personnage a changé du tout au tout quand il a annoncé son intention de mettre des billes dans Le Monde. Soudain, c’est devenu un faux-nez de Poutine !

Son profil d’industriel charbonnier doit chatouiller votre fibre écolo…

Totalement. On peut surtout déplorer le fait que les médias appartiennent à des milliardaires, qui ne sont plus forcément des hommes de presse, comme cela pouvait être le cas autrefois. Reste que Daniel Kretinsky n’a pas de contrat avec l’État français ni de conflit d’intérêts, ce qui me semble plutôt sain.

Ce n’est pas forcément rassurant, mais le seul pays où le paysage médiatique est suffisamment fragilisé pour qu’on puisse essayer d’y construire quelque chose, c’est la France

Est-il déjà intervenu dans la rédaction de Marianne ?

Jamais. Il explique croire dans le rôle démocratique des médias et ce n’est pas seulement un beau discours. Il est en pointe sur le combat pour la souveraineté numérique de l’Europe face aux Gafam, quand nombre de politiques sont encore à la traîne. Pour ce qui est de Marianne, nous avons prouvé notre indépendance avec notre une sur Bernard Arnault, un des principaux annonceurs de la presse. Nous avons publié en exclusivité un rapport dévastateur de la Cour des comptes sur la fondation Vuitton. Eh bien, pas un mot de reprise chez nos chers confrères.  Ce n’est pas une info, nous a dit l’AFP. Mais pas un mot de notre actionnaire non plus.

Pourquoi Kretinsky a-t-il choisi d’investir dans la presse française ?

Il s’est sans doute senti à l’étroit en République tchèque où il possède un groupe de médias. Francophone, il a observé le continent et sait que les autres pays européens n’offrent pas vraiment d’opportunités dans la presse. Ce n’est pas forcément rassurant, mais le seul pays où le paysage médiatique est suffisamment fragilisé pour qu’on puisse essayer d’y construire quelque chose, c’est la France.

Vous avez aussi fait cette une sur l’immigration. Croyez-vous le continent menacé par les flux migratoires venus du Sud ?

Un simple regard sur les courbes démographiques laisse penser qu’il faut se poser la question maintenant. Si la gauche trouvait normal que le paysan du Larzac rêve de vivre et travailler au pays dans les années 1960, on ne voit pas pourquoi elle refuserait ce rêve au paysan ivoirien ou kenyan. En tant qu’Européens, nous devrions avoir conscience qu’il n’y a pas d’émancipation humaine possible tant qu’on ne choisit pas son destin. Faisons en sorte que chaque être humain puisse vivre et travailler au pays. S’il veut ensuite vivre ailleurs, pourquoi pas, mais cela nécessite qu’il adhère aux valeurs de la société qui l’accueille.

La liberté et la souveraineté d’un pays impliquent de pouvoir choisir qui il accueille sur son sol

Pouvons-nous accueillir tous candidats à l’immigration, quand bien même ils adhéreraient à nos valeurs ?

Non. La liberté et la souveraineté d’un pays impliquent de pouvoir choisir qui il accueille sur son sol. Évidemment, il ne faut pas fermer les yeux sur la misère et la désespérance qui gangrènent l’Afrique, mais prenons les problèmes à la racine. Il est irresponsable de continuer à exploiter les matières premières africaines à travers des multinationales, puis d’exiger que la misère qui a été créée par ce système économique soit accueillie en France. Le tout sans jamais se demander comment faire pour que ces miséreux soient intégrés, puissent travailler et devenir véritablement européens.

L’intégration passe notamment par l’école. En tant qu’ancienne enseignante, comment jugez-vous le premier bilan du ministre Blanquer ?

La destruction du système scolaire français et de l’idéal de l’école républicaine est tellement profonde qu’on ne peut pas y remédier en dix-huit mois. Pour autant, les discours comptent, car ils définissent une certaine vision de ce que doivent être l’éducation et la transmission. Si Blanquer a une vision plus utilitariste que la mienne de l’école républicaine, nous sommes d’accord sur le fait que notre système scolaire devient le plus inégalitaire des pays de l’OCDE, parce qu’on a détruit les méthodes d’apprentissage. Jean-Michel Blanquer essaie de régler ce problème, ce qui prendra beaucoup de temps.

De toute façon, tant qu’on en est à apprendre à lire, écrire, compter, on ne peut être que d’accord !

C’est la base, mais toute la structure de l’Éducation nationale n’en convient pas ! Blanquer n’aura fait bouger le système que quand il aura refondu la formation des enseignants. C’est un travail de Romain.

Tout comme diriger un journal ! Trouvez-vous cette tâche épanouissante ?

C’est une question très difficile, parce qu’en effet, Marianne est un journal qui a souffert, qui a besoin d’être repositionné sur ses bases, de retrouver le sens de ce qui a fait son succès et sa place dans le paysage médiatique. Même si les journalistes font un boulot formidable, ils se sont retrouvés parfois prisonniers de situations qu’ils n’avaient pas choisies, donc il va falloir retrouver cette envie de faire un journal ensemble. En somme, c’est très proche de la situation de la France : comment reconstruire un destin commun autour de valeurs partagées, au-delà de nos divergences ?

En somme, vous voulez être la Macron de Marianne

J’espère faire mieux pour le journal que Macron pour le pays !

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Décembre 2018 - Causeur #63

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste.

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