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Dieu a passé ses vacances avec moi


Dieu a passé ses vacances avec moi
Le pape François fait un selfie au Vatican, août 2017. SIPA. AP22093657_000004

A Bergame, j’ai entendu les cloches des églises sonner à toute heure. En Acadie, j’ai vu des foules en liesse chanter l’Ave Maria Stella. Et de retour à Paris, j’ai eu à me justifier en tant que papiste sur les dernières folies de François. A croire que Dieu m’a suivi partout. D’ailleurs c’est gentil de sa part, vu son agenda.


 

PIZZA VECCHIA

Dimanche 9 juillet

Charmant séjour à Bergame en compagnie de ma marraine, qui me reçoit dans sa maison de la Citta’ Alta. « Chargée d’histoire », comme souvent les vieilles villes, Bergame s’est notamment illustrée dans le Risorgimento ; elle est aussi la patrie du Tasse, de Donizetti, de Jean XXIII et de San Pellegrino.

À propos de saints, il semble y avoir ici autant d’édifices religieux que d’habitants. À elle seule, la piazza Duomo en compte quatre : le Duomo lui-même, autrement dit la cathédrale, la chapelle Colleoni, le baptistère Vescovado et l’étonnante basilique Sainte-Marie Majeure. Sa construction, inachevée, s’est étalée sur cinq cents ans, et ça se voit : extérieur roman, intérieur baroque. Avec tout ça, il ne reste plus beaucoup de place pour la place elle-même. Allez-y quand les cloches sonnent, c’est-à-dire tout le temps.

Tout ce qui vous arrive vous ressemble, comme disait Wilde, et mes déambulations au hasard des rues m’ont conduit de la via Pignolo à la via del Vagine – sans que j’ose jamais demander le sens de ce dernier mot (visiblement un faux-ami) en italien ou en bergamasque.

Il n’est pas toujours évident de retrouver son chemin dans le dédale de cette ville résolument pré-haussmannienne. Je me suis résolu à investir dans une carte détaillée le jour où, en désespoir de cause, j’avais abordé un couple d’Américains penchés sur la leur (de carte).

Dialogue en V.F. :

– Bonjour, la piazza Cittadella, s’il vous plaît ?

– Oh, des pizzas, vous en trouverez partout !

Dès le lendemain, muni de ma carte, j’ai pu retourner faire un selfie via Pignolo.

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VANITÉ DES VANITÉS

Jeudi 20 juillet

Je pense souvent aux mille pages brûlées du Journal de Jules Renard. Dois-je poursuivre mon œuvre quand même ?

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CATHOLIQUES ET FRANÇAIS TOUJOURS…

Mardi 15 août

L’Acadie, vous connaissez ? Une petite France du bout du monde, située pour l’essentiel au nord-est du Nouveau-Brunswick – le seul État du Canada à être officiellement bilingue. En tant que nation, l’Acadie n’existe pas et n’a jamais existé, sauf dans la tête et le cœur des Acadiens. Ça ne suffit pas pour siéger à l’ONU, certes, mais ça manque cruellement ailleurs…

À l’origine, les Acadiens sont des Français comme tout le monde, établis progressivement dans les « Provinces Maritimes » au cours du XVIIe siècle, après l’expédition de Champlain en 1604. Les problèmes ont commencé quand nos amis les Anglais – qui avaient hérité de la région à Utrecht, hélas – se sont mis en tête de déporter tous les Acadiens, pour ne plus voir leurs sales gueules de cathos franchouillards.

1755 : cette date est restée pour nos cousins d’outre-Atlantique celle du « Grand Dérangement », comme ils disent joliment. N’empêche ! Ce genre de vexations stimule le sentiment national ; c’est ce qui s’est passé, et qui dure depuis tantôt quatre cents ans.

La « Nation acadienne », autoproclamée en 1881, s’est aussitôt dotée de symboles nationaux trop cools dans le genre catho, limite mariolâtre. Un drapeau tricolore, identique au nôtre mais avec, tout en haut du bleu, l’étoile de la Vierge ; un hymne national qui n’est autre que la vieille hymne catholique Ave, Maris Stella (« Salut, Étoile de la mer ») ; et pour couronner le tout, une fête nationale fixée au 15 août, jour de l’Assomption. Si j’étais Marie, je passerais mes vacances ici !

Chaque année, à l’approche du 15 août, tout le monde pavoise sa maison et le jour venu, dans toutes les villes d’Acadie, on organise le « Grand Tintamarre », bruyant défilé tricolore à base de crécelles, cornes de brume et autres instruments de torture auriculaire. Cette cacophonie se veut protestation, joyeuse mais persistante, des Acadiens contre le traitement infligé à leurs ancêtres.

À Caraquet, ils étaient 30 000 ce jour-là, pour une population de 4 000 âmes, à participer à l’événement. Il faut dire que la petite ville se proclame officiellement « capitale de la nation acadienne », c’est même pour ça que j’y suis allé : il faut toujours être là où ça se passe, comme disait Beigbeder.

Aller en Acadie, pour moi, c’est faire un voyage dans l’espace-temps. Dix heures de vol (avec escale), et hop ! Me voilà propulsé dans une sorte de mini-France qui aurait dérivé du continent depuis le xviie siècle – s’épargnant ainsi, dans ses tribulations, quelques pénibles détours de notre histoire contemporaine. Dépaysement spatio-temporel garanti !

Un soir, lors d’un concert du festival, un gars genre Acadie profonde m’entend parler à un autre, et il m’interpelle :  – Tu viens d’où, toi, avec ton drôle d’accent ? De Paris.Paris, en France ?Ben, oui.

Son visage s’éclaire : – Alors si tu es de Paris, tu dois connaître mon cousin Daniel Comeau !

Quand j’ai dit non, je me suis senti con.

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VIVE LE PAPE QUAND MÊME !

Lundi 28 août

Hourvari général chez mes amis de droite (j’en ai moins à gauche) : François en a encore remis une couche avec l’« accueil inconditionnel des migrants » !

Est-ce bien raisonnable ? Non, sans doute ; mais si on va par là, les Évangiles, la foi chrétienne et le Christ non plus ; or ce sont les boussoles du pape. Dès son élection, il s’est donné pour but de remettre à l’ordre du jour le message évangélique dans sa radicalité : l’amour du prochain, en particulier du plus pauvre, matériellement ou spirituellement (le mendiant et le publicain). Et l’éminente dignité de la personne humaine – de toutes les personnes humaines, dont la sécurité passe avant toute autre considération.

Qu’un tel discours semble aberrant, à l’heure où les migrants venus du Sud affluent vers des frontières européennes préalablement démantelées, j’en conviens volontiers. Mais que voulez-vous que j’y fasse ? Dieu a conçu l’homme à son image, pas les nations. Quant au pape, eh bien c’est le pape, et en ma qualité de modeste fidèle, je ne me sens guère apte à le juger.

Sur la question des migrants, je n’arrive pas à partager le point de vue du Saint-Père – surtout après dissipation des nuances qu’il avait introduites sur les droits des nations. Et pour tout vous dire, ce n’est pas la première fois que je me trouve en désaccord avec un pape depuis Vatican II (j’avais raté le I). Eh bien même dans ces conditions, j’ai continué de considérer, tout bêtement, qu’en fait de catholicisme la légitimité des papes restait supérieure à la mienne.

La discipline est la force principale des armées catholiques. Sans elle, les rébellions engendrent des schismes conduisant inéluctablement à l’hérésie, qui elle-même ne mène nulle part. Cela dit, j’ai d’excellents amis protestants.

Septembre 2017 - #49

Article extrait du Magazine Causeur




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