L’invasion des réacs géants


L’invasion des réacs géants

eric zemmour reac

SAINT VINCENT, RIEZ POUR NOUS !

Vendredi  28 février

 Dans Le Figaro du jour, Bertrand de Saint Vincent consacre à la « vague réac » une chronique aérienne et narquoise. « Si l’on en croit ceux qui les pourfendent, les réacs sont de retour. Ils menacent le nouvel ordre moral » et à travers lui, ça va sans dire, la démocratie.

Laurent Joffrin ne s’est-il pas dit « épouvanté », tel un Léon Blum à la proue du Titanic, par le retour de la momie du 6 février 34 ? Élisabeth Lévy dans Causeur, Ivan Rioufol dans Le Figaro et Zemmour partout avec sa « droite de fer » (sic)… Selon cet anxieux de Laurent, tous ces hooligans, et bien d’autres encore, œuvreraient de conserve à « délégitimer l’humanisme républicain pour passer en contrebande une marchandise xénophobe, antieuropéenne et nationaliste », rien que ça.[access capability= »lire_inedits »]

C’est à Laurent, notamment, que Bertrand pense lorsqu’il ironise : « Il règne une certaine confusion dans les esprits éclairés […] Des noms sont jetés en pâture par des commentateurs, indignés que l’on puisse émettre des opinions contraires aux leurs, sur des sujets dont ils se pensaient légitimement les propriétaires. »

Le seul problème avec ce Saint Vincent-là, c’est son manque de charité. Sinon, il comprendrait l’affolement légitime d’une gauche décapitée face au danger de contradicteurs dont la tête, sans crier gare, semble avoir enfin repoussé. Mais bon, on peut toujours s’arranger : Saint Vincent avec nous, et sainte Rita pour eux !

VAS-Y FILLON, C’EST BON !

Lundi 3 mars

Première fois, depuis Maastricht, que je suis d’accord avec Fillon ! Ça s’arrose, au moins à coups de Guignolet. Dans La Croix du jour, interviewé sur le « mariage pour tous », il dit ce que je pense, y compris au niveau de Barjot :

« Il faudra réécrire le texte. L’abrogation et le retour pur et simple à la situation antérieure aboutiraient à une nouvelle fracture de la société française […] L’idéal serait de réintroduire une distinction entre mariage hétérosexuel et union homosexuelle, avec une égalité des droits excepté les droits sur la filiation. »

Pas mieux ! Sauf que Fillon, qui n’est même pas encore aux affaires, parle déjà de cette réforme nécessaire comme d’un « idéal » au conditionnel passé première forme. On est mal pris.

QU’EST-CE QU’ONFRAY SANS LUI ?

Mercredi 5 mars

J’aime de plus en plus Michel Onfray, depuis dix ans déjà qu’il a cessé de s’attaquer aux religions du Livre pour s’en prendre à celles de l’époque : Freud, Sartre, Internet et le libéralisme, y compris dans sa version Mélenchon.

Ce qui me séduit bien sûr, c’est son indépendance d’esprit ; au début, je l’avoue, je la confondais bêtement avec la philosophologie de ce con de Sponville. Grave erreur : Michel, lui, trace son contre-sillon sans souci des oukazes de la post-pensée post-moderne ; pour moi, c’est l’essentiel. « Il faut suivre sa pente pourvu que ce soit en montant », comme disait Gide, à défaut de le faire.

Au vu de ses travaux et interventions récents, Onfray, lui, fait le job. J’en avais déjà eu l’agréable impression en l’interviewant ici-même (cf. Causeur n° 39, septembre 2011 : « La police de la pensée française a la matraque facile ».) Depuis, ça se confirme dangereusement – pour lui. Fini la chasse aux tigres empaillés ! Désormais, il se collette avec les idoles du temps. En plus, chose admirable pour un transfuge du Bon camp, il s’en fout magistralement d’être diabolisé.

Ce mois-ci, dans la chronique que Michel tient sur son site, et sous le titre « Mauvais genre », il s’attaque à l’icône Judith Butler. Dès la semaine suivante, pilonnage des Inrocks, qui font donner toute l’ironie lourde dont ils sont capables : « Le philosophe politico-médiatique Michel Onfray s’en prend au genre sans avoir étudié la question. » Contrairement aux Inrocks, n’est-ce pas, dont c’est la spécialité…

« Il n’y connaît rien, affirme l’autrice du papier : il n’a pas lu Judith Butler. » La preuve : il prend prétexte, pour la contrer, du malheureux cas de ce David, suicidé parce qu’on l’avait charcuté contre son gré pour le transformer en Brenda.

En vrai, ce regrettable incident n’a rien à voir avec la « loi du genre » ; tout est dans la nuance, nous enseignent patiemment les Inrocks. Le chirurgien qui voulait à tout prix transformer David en Brenda « essentialisait le genre ». Judith Butler, au contraire, prône « la liberté pour chacun de se définir en tant qu’homme ou femme, ou autres » (sic). Pendant qu’on y est, j’espère qu’il y a aussi une case « ne sait pas ».

THE MONDE IS NOT ENOUGH !

Vendredi 7 mars 

Ce qu’il y a de bien avec les éditos du Monde, outre leur componction de référence, c’est qu’on peut sans rien perdre aller tout droit du titre à la conclusion. Un exemple au hasard, choisi dans ma pile : « L’accablant poison des soupçons ».

Sous ce titre, on peut lire tour à tour deux attaques aux violences calibrées : l’une, morale, vise la droite et les lourds soupçons qui pèsent sur son honnêteté intrinsèque ; l’autre, tactique, porte sur les regrettables maladresses du pouvoir dans la gestion de ces scandales.

Après avoir ainsi convenablement pointé les responsabilités, l’édito nous balance, en guise de conclusion, l’essentiel : cette ritournelle solennelle dont on nous tympanise depuis trente ans : « Tout ça ne fait-il pas le jeu du Front national ? » Et mon cul ne serait-il pas du poulet ?

LA DÉFENSE TAUBIRA

Mardi  11 mars 

 Quand donc Christiane Taubira, débordée, a-t-elle eu connaissance de la mise sur écoute de Sarkozy et de son avocat ? Dans ses réponses successives et contradictoires, il semble que la garde des Sceaux se soit quelque peu emmêlé les pinceaux. À la place de sa dircab, au lieu de l’enfoncer encore un peu plus, je lui aurais proposé, au choix, trois lignes de défense autrement plus solides :

– Version Buisson : « Je pouvais pas savoir, les écoutes se sont déclenchées toutes seules. »

– Version Kev Adams : « Je n’étais au courant que pour le babyphone de Giulia. »

– Version Cahuzac : « Je ne savais même pas que les Sarkozy avaient le téléphone. »

TONY & MARGARET

Vendredi 14 mars 

 Tony Benn est mort. Sans doute suis-je le seul de mes amis à le pleurer, au même titre que Maggie Thatcher. Pour moi, le tempérament compte plus que les idées, ne serait-ce que parce qu’il est plus difficile d’en changer. Aussi eussé-je volontiers marié ces deux-là dans l’intérêt de la Couronne, qui par ailleurs est le cadet de mes soucis.

À ma droite, une fille d’épicier qui s’impose à la force du poignet à la tête de ces machos de tories, puis du pays, avant d’être virée pour autoritarisme. À ma gauche, un vicomte qui renonce à son titre pour entrer à la Chambre des communes, puis dans les gouvernements du Labour, avant d’en être évincé pour « gauchisme ».

Deux personnages que j’aurais bien aimé rencontrer, avec une petite préférence quand même pour le dernier : question sens de l’humour, l’aristo à pipe était plus crédible que la « Dame de fer ». Un exemple entre cent : Tony, partisan de l’abolition de la monarchie, s’était néanmoins prononcé pour le maintien d’Elizabeth II à Buckingham Palace, à titre d’« icône touristique ».

BÊTISIER MONDAIN

Samedi 15 mars

Intéressante question à la une du Monde Télévisions : « La télévision est-elle devenue réac ? » Au terme d’une double page d’enquête serrée, la réponse est oui.

À vrai dire, on s’en serait douté. La thèse en vogue, désormais, dans les médias dominants, ça ne vous aura pas échappé, c’est qu’ils sont eux-mêmes dominés par une poignée de journalistes droitistes. Rien d’étonnant à ce que Le Monde reprenne cette antienne baroque, psalmodiée en chœur par tous ses confrères de progrès. Ce qui est distrayant, en revanche, c’est l’argumentaire.

Tout part d’un constat si puissant que j’ai dû le relire pour en croire mes yeux : « L’arrivée de François Hollande à l’Élysée a libéré la parole de ses détracteurs. » De fait, avant 2012, l’anti-hollandisme primaire tournait un peu à vide.

On plaidera, bien sûr, que le quotidien de référence s’est trompé d’erreur ; il voulait dire sans doute : « L’arrivée de la gauche au pouvoir a libéré la parole de ses détracteurs. » Eh bien, c’est pire ! La première formulation avait au moins l’avantage d’être drôle. La seconde l’est moins : elle reproche tout bonnement aux opposants de s’opposer.

Dorénavant, qu’on se le dise, « intellectuels et journalistes  » marqués à droite  » ont trouvé leur place dans les émissions de débat. » Et même si c’était vrai, comme dirait Marc Levy, où serait le scandale ?

C’est que, par leur seule présence sur les plateaux, ces gens-là empêchent toute saine controverse : « Le classique débat d’idées a cédé la place aux  » idéologues » ». Autrement dit : le débat d’idées, c’était mieux avant, quand ça se passait exclusivement entre gens de progrès – parmi lesquels, comme chacun sait, il n’y a pas d’idéologues.

À en croire l’enquête de la Brigade mondaine, l’invasion des réacs géants n’épargnerait plus aucun talk-show, ou presque. Bien sûr, il y a le magazine « Z & N » où sévit Éric Zemmour, « journaliste controversé » (c’est pas Edwy Plenel qu’on gratifierait d’une telle épithète.) Bien sûr aussi, il faut compter avec « Ce soir (ou jamais !) », dont récemment encore « l’animateur invitait en catimini le sulfureux écrivain Marc-Édouard Nabe ».

Sans vouloir critiquer, un tel vocabulaire contredit la thèse développée, selon laquelle le camp de la Réaction aurait déjà conquis le pouvoir culturel. « Controversé », « sulfureux », « catimini » : ces mots sont ceux de l’establishment dénonçant ses dissidents, pas l’inverse.

Ça n’empêche pas Le Monde d’en rajouter, allant jusqu’à enrôler drôlement dans la dérive droitière « Mots croisés » et « C dans l’air ». Yves Calvi, lui aussi, ferait-il donc partie du complot, sous ses airs si « corrects » ?

C’est ce qu’explique au Monde Noël Mamère, jamais décevant. Dans ces émissions, à l’en croire, « le droit d’ingérence de personnalités qualifiées ne peut s’exercer, car elles sont rarement invitées dans la citadelle où l’on préfère débattre entre soi. » Bizarre ! Moi qui me tape régulièrement « Télé-Calvi» pour raisons professionnelles, j’y vois exactement l’inverse. À coup sûr, entre Mamère et moi, il y en a un qui yoyotte de la touffe.

Le plus grave, aux yeux du Monde, dans cette « libération de la parole réactionnaire », c’est que « les chaînes en profitent pour faire grimper leurs audiences », au mépris de la plus élémentaire déontologie. Léa Salamé, journaliste à i-Télé, confirme : « La pensée réactionnaire est à la mode […] Lorsqu’Éric Zemmour passe à l’antenne, il booste l’audience. » Quant à Brigitte Benkemoun, rédactrice en chef du désormais « controversé » « Mots croisés », elle n’hésite pas à dire pour sa défense : « Ce qui manque aujourd’hui, ce sont des commentateurs de gauche favorables au gouvernement et capables de le défendre. »

Argument original certes, mais moyennement crédible. Des « commentateurs » comme ça, il y en a pléthore ; simplement, ils sont mauvais. À leur décharge bien sûr, ce n’est pas un métier facile ; mais il serait quand même injuste de reprocher ça aussi aux « réacs ».

LE ZORRO 2.0 DU ZÉRO FAUTE

Jeudi 20 mars  Depuis quelques semaines, sous le pseudonyme de « Bescherelle ta mère », un justicier masqué de l’orthographe sévit sur Twitter, corrigeant impitoyablement les fautes des twittos célèbres ou anonymes – non sans les insulter au passage. Déjà « followé » par 21 000 suiveurs, il n’est lui-même abonné qu’à « Bescherelle Officiel ». La classe !

Tout ça a fini par attirer l’attention de la maison Hatier, éditrice de la Bible du bon usage. Ils ont même démasqué le concombre : son nom est Sylvain Szewczyk, et du coup on croit comprendre d’où lui vient cette étrange fixation sur l’ortograf…

Aux dernières nouvelles, après l’avoir menacé de poursuites, Hatier songerait désormais à travailler avec lui, pour peu qu’il cesse d’être « vulgaire ». Mais il y a des gros mots français, merdre !

POIRET AU VINAIGRE

Mercredi 26 mars

Le mercredi matin, après le turbin, pause-détente. Je déguste une fois de plus, et toujours avec plaisir, le succulent Poulet au vinaigre de Chabrol. Pour moi qui n’ai guère besoin de noirceur, celle du père Claude est ici agréablement éclairée − filons la métaphore − par le lumineux je-m’en-foutisme de son acteur. Jean Poiret fait pétiller Lavardin, ce flic ricaneur à qui on ne la fait plus depuis trop longtemps – modèle de cynisme humaniste, à moins que ce ne soit l’inverse. Roland Jaccard, explique-leur !

Même les dialogues sont classieux, par exemple quand le flic Poiret réveille en pleine nuit le notaire Michel Bouquet :  « Mais enfin, inspecteur, il est cinq heures du matin ! – Pour moi aussi, Maître… »

Il y a bien sûr de la lutte des classes là-dedans, Jérôme Leroy vous l’expliquera mieux que moi. Chabrol donne à fond, et avec génie, dans la « critique d’une certaine bourgeoisie », figure imposée du cinéma-européen-intelligent de ces temps-là (un peu démodée aujourd’hui, par bonheur). Mais au-delà, c’est-à-dire au fond, il y a surtout chez lui une plaisante misanthropie. Dans son monde cruel et vrai, être pauvre ne suffit même pas pour être bon ; juste inoffensif ou con.

MINI-MOI

–          Vladimir Poutine : « Les Russes qui ne regrettent pas l’Union soviétique n’ont pas de cœur. Ceux qui la regrettent n’ont pas de tête. »

–          Vincent Peillon, futur ex-ministre de l’Éducation : « Quand on interdit les mots, on interdit les pensées. L’épuration de la langue est le premier acte. »

–          South Park. Cartman, arrêté en flag par un flic : « Est-ce qu’il y a un agent, Monsieur le problème ? »

–          13 mars. Titre du Monde sur 4 colonnes : « Les socialistes européens assurent qu’il existe encore un clivage gauche-droite ». Hélas, qu’apprend-on juste après ? « En France, les deux camps abordent les européennes avec des slogans semblables. » Plus qu’un mois pour ressortir Le Bourget…

–          14 mars. Au menu de l’excellent « Europe 1 Social Club », Rémi Brague et Didier Super ! Y’a que Taddeï pour nous concocter des plateaux pareils.

–          Jules Renard : « On se trompe toujours sur les écrivains contemporains. C’est pour ça qu’il ne faut pas les lire. »

–          24 mars, 0h30, fin de soirée électorale sur i-Télé. Nicolas Domenach, pas content mais digne : « Attendons le second tour pour commenter le premier ! »[/access]

*Photo: CHAMUSSY/SIPA. 00615048_000021

Avril 2014 #12

Article extrait du Magazine Causeur



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