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« Un taxi pour Tobrouk » entre les lignes

Le dialogue-culte de Michel Audiard enfin retranscrit


« Un taxi pour Tobrouk » entre les lignes
"Un taxi pour Tobrouk", film de Denys de La Patellière.

Il y a des livres qui sortent le critique professionnel d’une profonde léthargie et lui facilitent grandement le travail. Il lui suffit de recopier seulement quelques phrases, piochées au hasard, sans aucun discernement, pour que son article soit rédigé par magie. C’est moi qui l’ai fait, pourrait-il prétendre indument. Pourquoi vouloir absolument toujours tout expliquer, rappeler la genèse de l’œuvre, les intentions plus ou moins cachées de l’auteur, ses démons intérieurs, son enfance miséreuse, son dépucelage hâtif, se décarcasser, en somme, à sublimer le style pour séduire quoi ? Une poignée de futurs lecteurs/acheteurs ? Peines perdues.

Audiard superstar

Toutes ces gesticulations sont dérisoires face au maître du genre, j’ai nommé « Audiard superstar ». Ses mots graves et hilarants continuent de nous hanter. Les entendre fut un enchantement, les lire aujourd’hui, un ravissement. Ils sont d’un ordonnancement parfait, prêts à être dégoupillés, ils déclenchent un rire immédiat et nourrissent l’esprit en profondeur. Ils instruisent sur les mentalités d’avant et leur modernité jouissive ridiculise tous les stand-uppers plagiaires. La jeune maison d’édition Pottok, créée en 2017 et basée à Lyon, a eu l’idée géniale (n’ayons pas peur des mots) de retranscrire intégralement les dialogues d’Un taxi pour Tobrouk (film de Denys de La Patellière) en les accompagnant « de nombreuses notes de bas de page à vocation didactique » dans une nouvelle collection appelée « Dialoscope ».

Tourné en Andalousie

Ce livre rare et pénétrant, tiré à 1 000 exemplaires, auto-distribué en France et en Belgique doit prendre place dans la bibliothèque d’un honnête homme. Ne pas se le procurer serait une faute de goût impardonnable. On le trouvera dans certaines librairies à Marseille (Arcadia et Maupetit), Aix (Goulard), Lyon (Le Bal des Ardents et Librairie du Parc), Paris (Librairie de la Cinémathèque), Bruxelles (Filigranes, Tropismes, Cook & Book, À livre ouvert) et Liège (Pax, Le Comptoir du Livre et Le Livre aux Trésors), mais également sur Ebay.be et Amazon. Ce long-métrage tourné dans le désert de Tabernas en Andalousie, sortie en France le 10 mai 1961, d’après un scénario original de René Havard sur une musique de Georges Garvarentz, est inoubliable par la qualité de ses interprètes : Lino Ventura (le brigadier Théo Dumas), Maurice Biraud (François Gensac), Charles Aznavour (Samuel Goldman), German Cobos (Jean Ramirez) et Hardy Kruger (Capitaine Ludwig von Stegel). L’action principale se déroule « pendant l’ultime contre-offensive alliée lancée le 6 septembre 1942 à partir d’El-Alamein » précise l’éditeur. Je vous en ai assez dit, maintenant goûtez la langue d’Audiard, buvez au goulot cette liqueur ironique et désespérée, c’est plein d’amertume et de brio, de fulgurances et d’abattements. Dans ses répliques fracassantes, brille un esprit parisien, pinardier et volcanique :

« En langage clinique, on appelle ça un paranoïaque. En langage militaire, un brigadier. »

« Mais tu causes français, ma salope. »

« Je ne le cause pas, je le parle. »

« Je crois, docteur, que l’homme de Neandertal est en train de nous le mettre dans l’os. »

« Oh ! Allez, grimpez. Nous, en France, les prisonniers on les flingue pas. »

« Forcément, on n’en a pas tellement, hein. »

« Eh, que voulez-vous ? Nous allons vers des temps où chaque écorchure sera monnayable. »

« Grattez un boxeur, un philosophe apparaît. Y a dans chaque Dudu un Platon qui sommeille. »

« A mon avis, dans la guerre, ce qu’il y a de plus chouette, c’est le défilé de la victoire. L’emmerdant, c’est tout ce qu’il y a avant. »

Un taxi pour Tobrouk – de Rodolphe – Les dialogues de Michel Audiard – Collection Dialoscope – Pottok éditions, 2018.

Un taxi pour Tobrouk

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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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