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Un été avec… Charles Denner


Un été avec… Charles Denner
Charles Denner dans "L'homme qui aimait les femmes" (1977) de François Truffaut © DOMINIQUE LE RIGOLEUR / COLLECTION CHRISTOPHEL VIA AFP

« T’as déjà pris des cours de bronzage ? »


A la limite du malaise, par timidité ou par pudeur, il faut écouter Charles Denner répondre à une interview durant le tournage de L’Homme qui aimait les femmes de François Truffaut, en janvier 1977.

Bien que détendu, en blouse bleue, à l’institut de mécanique des fluides, il ne lâche rien. Il n’a pourtant pas l’air très en colère, ni particulièrement sur la défensive. Sa présence rayonne par ses silences et sa diction en apesanteur. Elle ne s’incarne pas dans l’arabesque des mots, un comble pour un acteur. De sa bouche, ne sortent que des pénibles « peut-être » et « oui », entrecoupés de temps morts, avec le sourire poli d’un écolier interrogé par sa belle institutrice. Un faux rythme qui ne laisse poindre aucune gêne, ni agacement, plutôt une dissonance assez plaisante à l’oreille et une vérité qui semble enfin éclore d’une conversation à sens unique.

Le refus de commenter

On est d’abord surpris par son manque de mordant tellement nous sommes habitués aux acteurs bateleurs qui enflent devant les micros et dont le bavardage signe leur médiocrité artistique. Denner n’est pas en représentation commerciale. Il ne se sent investi d’aucune mission civilisatrice. Il aurait trop honte d’être un porte-drapeau. Denner n’est pas un commentateur de son métier. Dans cet exercice inconfortable de l’entretien télévisé, il donne, par son ardeur à éluder les questions et son peu d’entrain à expliquer son rôle dans le détail, une puissance peu commune à son personnage.

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Nous avons envie de retourner au cinéma parce qu’il n’a pas instrumentalisé son temps de parole. Il ne brouille le filament de son discours d’aucune pellicule disgracieuse et de ce baratin qu’on nomme aujourd’hui la promotion. Denner n’est pas contraint d’amuser la galerie ou de provoquer des sentiments contradictoires chez son interlocuteur. Il ne fait strictement rien et on l’applaudit pour cette ascèse-là. Il ne quémande ni notre approbation, ni notre complicité. Il est là, dans sa maigreur fantomatique et son trouble intérieur. Sa réserve naturelle l’absout de toutes ces misérables compromissions avec le réel. On le croyait faible, il se révèle incroyablement fort.

Séducteur à l’équilibre précaire

Il tient tête au système médiatique par son absence de morgue et sa poétique de l’évasion qui inspirera longtemps les fuyards que nous sommes. Il court après cette inaccessible liberté, bataillant contre ses propres démons et le combat semble inégal. C’est là que réside le génie de ce comédien au phrasé en dentelle et au regard pénétrant. On aime Denner pour sa frénésie sourde, son enfièvrement délicat ; avec lui, la mémoire était un muscle à effet grossissant. Il suffisait de l’apercevoir dans un film et sa mélancolie venait nous cueillir jusqu’à nous couper le souffle. Il nous plongeait dans un état second où le passé révélait nos failles, peu d’acteurs ont si bien habité nos doutes et notre désespoir. Il imposait sa dramaturgie à faible bruit. Il était le porteur de nos ombres.

Ce second rôle volait souvent la vedette à l’acteur principal par une onde nostalgique qui ceignait ses gestes et sa voix, son charme déstructuré et sa folie sourcilleuse, sa méticulosité à figer un caractère et aussi cette empreinte fêlée qui demeure à travers les âges son meilleur costume. Il semblait inconsolable, toujours au bord du gouffre et cependant, il avait trouvé la parfaite articulation entre une âme torturée et un jeu aérien. Qu’il soit David Loweinstein dans L’Héritier ou Henri Désiré Landru chez Chabrol, il marquait ses rôles à l’encre noire de l’irrémédiable.

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Ce séducteur à l’équilibre précaire savait aussi pousser la caricature comique et abandonner son blouson en cuir maronnasse typique des années 1970 pour une tenue plus estivale. Héron dégingandé sur une plage de sable fin, entraîné par un Aldo classieux, dans L’Aventure, c’est l’aventure de Claude Lelouch en 1972, Simon était un tueur-à-gages qui ne tuait pas (jamais !). Chapeau de paille et chemisette colorée, il professait en bermuda des théories irrésistibles sur la versatilité des idéologies et la délinquance-spectacle. Prodigieux pied-nickelé, il s’était mué en expert du bronzage grâce aux conseils d’un gentil animateur-gauchiste du Club Med. Depuis ce moment, plus aucun homme de ma génération ne lézarde au soleil, chaque été, sans penser à Denner.

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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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