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Et Barry créa la love musique…

« Barry White - A Dream of Love », un film de Oliver Schwabe, sur arte


Et Barry créa la love musique…
Le chanteur américain Barry White (1944-2003), émission "Sacrée soirée" sur TF1, mai 1993 © CHOGNARD/TF1/SIPA

Un documentaire allemand inédit sur la carrière du chanteur à la voix symphonique, à visionner gratuitement sur le site d’Arte jusqu’au 20 août


Trop de sueur, trop de kilos, trop d’huile dans les cheveux, trop de cordes, trop de sucre, trop de miel, la musique de Barry White (1944-2003) est excessive et se consomme aujourd’hui encore sans modération. Le prêcheur de l’amour, généreux en harmonie et envolées lyriques, qui plongeait dans les graves pour séduire son large public, ne comptait pas ses notes à la petite cuillère. Il ne chipotait pas sur l’orchestration, elle était ample et riche, flamboyante et onirique, débordante et dégoulinante de bons sentiments. Il ne connaissait pas l’ascèse des politiques de rigueur budgétaire. Il était keynésien, par nature. Il favorisait la demande de ses auditeurs et le rapprochement des corps, à la nuit venue. Il abolissait les distances et les coupures d’électricité. Tout le contraire de l’action gouvernementale actuelle. Avec lui, on avait un peu trop chaud sur la piste de danse, été comme hiver. Le chanteur à la stature de bouddha tranquille ne se déplaçait pas sur scène avec sa seule boîte à rythme pour faire « peuple ». En tournée, son interminable suite musicale se composait de plusieurs cars. Il donnait dans l’emphase quand d’autres ont le rationnement dans la peau. On frôlait souvent l’overdose avec sa soul caverneuse à la logorrhée disco. Déjà dans les années 1970, on lui reprochait son œcuménisme du lit à baldaquin, son badinage grasseyant, son côté trop consensuel ou trop commercial, pas assez radical pour les aristos de la critique qui jouissent dans du papier de verre. Chanteur de l’anti-crise et de l’expansion romantique sur toute la planète, Barry White remplaçait les pilules bleues pour nous faire voir enfin la vie en rose. Il fut le meilleur conseiller conjugal de l’ère post-SIDA. Après un trou d’air dans les années 1980, il revint plus fort et plus pachydermiquement soyeux dans la décennie suivante. Sur le site d’Arte, jusqu’au 20 août en accès libre, le documentaire « Barry White – A Dream of love » d’Oliver Schwabe retrace cette longue carrière aux 300 millions de disques vendus, de son enfance dans un quartier pauvre de Los Angeles où il fut arrêté pour avoir volé des enjoliveurs de Cadillac à sa rédemption dans les studios par l’invention d’un style glamour-disco-philarmonique. Je n’ai jamais aimé les rires haineux des spécialistes quand on évoque notre admiration pour Barry. Ils nous jugent, ils nous snobent, ils ne savent que disqualifier les élans du cœur et salir la musique populaire (et néanmoins empreinte d’une ornementation complexe) de ce prodigieux entremetteur. N’ayons pas honte d’aimer Barry ! N’ayons pas peur de le clamer haut et fort ! On croit tous le connaître, nous l’avons entendu tellement de fois, dans des discothèques miteuses, des bars patibulaires ou des autoradios poussifs que ses hits semblent couler sur nous, sans réellement nous atteindre. Détrompez-vous ! Car, le miracle se produit toujours. Lorsque Barry apparaît sur une archive de la télé américaine dans un costume vert pomme ou bleu lapis-lazuli à reflets pailletés, chevalière en diamant à l’auriculaire, barbe frisée de dieu grec, s’épongeant abondamment le front avec un carré de soie à la main, ne correspondant à aucun dogme esthétique, ne singeant aucun de ses prédécesseurs, derrière un piano blanc ou sensuellement accroché à son micro d’argent et puis, et puis… Sa voix, cet autre instrument tentateur, constellée de mille variations, nous extrait de notre torpeur quotidienne. Avec lui, l’apesanteur est un coup d’État permanent. Il extrait les mots de sa bouche avec la puissance démesurée et feutrée d’un moteur V12 d’origine Rolls-Royce, sans à-coups, dans une fluidité rêveuse, dans une onde aristocratique. L’allonge est extraordinaire, le timbre envoûtant, son tempo laboure notre mémoire. Qui peut résister à cette force tellurique ? Elle secoue les plus blasés d’entre nous. Barry, c’est l’été qui revient, à chaque fois, le même et un peu différent avec l’âge qui avance, la saison des amours qui accoste sur nos terres en jachère, l’expression d’une chanson sincère, douce et profonde qui accompagne notre errance. C’est Ulysse qui revient à la maison.

A voir sur Arte ici.




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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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