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Téléthon, piège à dons


Téléthon, piège à dons

Pierre Bergé

Il pleure, il pleure, Bergé, sur l’argent non récolté par le Sidaction à cause du Téléthon. Croyant apparemment dans la théorie éculée des vases communicants, le professionnel de la haute couture passé à la basse politique s’est agacé lors d’une interview désormais célèbre,tapant sur le Téléthon qui « parasite la générosité des Français ».

L’affaire a aussitôt déclenché les prises de position les plus fondamentales depuis – au moins – l’affaire Dreyfus.
Le socialiste Manuel Valls a originalement jugé ces propos « intolérables ». L’incontournable umpéiste Frédéric Lefèvre, qui n’en rate pas une, a demandé à Ségolène Royal – financée par Bergé – de s’expliquer. Les people habitués des plateaux du Téléthon ont crié au scandale. Daniel Auteuil a parlé de violence. Thierry Lhermitte est « navré ».

Voix discordante, l’antédiluvienne Line Renaud elle-même s’est mise de la partie : « il y a trop d’argent pour le Téléthon. Les enfants qui ont le sida sont des enfants handicapés pour la vie ». (L’inverse n’est pas toujours vrai, rassurons-nous). Le comble de l’hypocrisie a été atteint par le généticien Axel Kahn, qui a essayé de ménager la chèvre (du Bergé) et le chou : « Je le comprends et pourtant il a tort de dire tout cela ». Une sorte de responsable mais pas coupable à la sauce virale.

Bref, on a assisté à l’une de ces guerres picrocholines qui font l’honneur de notre peuple, et accessoirement les conversations des germanopratins.

Reste une impression de malaise diffus : Pierre Bergé, entre une vente du siècle à Paris et un séjour d’une semaine à Marrakech, n’aurait-t-il pas poussé le bouchon un peu loin ?

Une question se pose : certains malades sont-ils plus méritants que d’autres ? Un sidéen vaut-il autant qu’un myopathe ? Peut-il valoir plus ? Le double, comme une blanche compte deux noires en musique ? Quel est alors la valeur pondérée d’un myopathe ayant contracté le virus du sida ? Afin de ne pas être suspecté d’anti-myopathisme aiguë, Pierre Bergé a pris soin de signaler qu’il était lui-même myopathe ; à ce titre, a-t-il finement analysé, il pouvait ainsi « s’opposer au Téléthon ». Outre le fait que cet argument coluchien rappelle les affirmations blanchissantes de conscience du type « je ne suis pas raciste car j’ai un ami noir », il oppose singulièrement, sur le terrain de la critique constructive ou destructive, ceux qui en sont et ceux qui n’en sont pas… Un myopathe a le droit de taper sur le Téléthon ? Cela veut-il dire qu’il faut être sidéen pour critiquer le Sidaction ? Nazi pour s’opposer au NSDAP en 1933 ? Chien mexicain pour questionner un chihuahua ? On le voit, « tout cela », pour reprendre les mots de Kahn, se mord la queue.

Revenons à nos moutons : la logique de compétition – issue du monde des affaires – dans le domaine du don mène à des polémiques ineptes. Le « combien de divisions ? » débouche rarement sur l’analyse sereine d’une situation. Pierre Bergé n’a pas le monopole du cœur ; celui de la remarque idiote non plus, malheureusement. À vouloir appliquer au Sidaction une mentalité de businessman trader, il va finir par titriser les malheurs à la Bourse du misérabilisme. Qui alors, du sidéen ou du myopathe sera alors le subprime de la maladie grave ?

Une réflexion s’impose. L’inflation caritative guette. Chaque année, les Français sont appelés à donner plus pour guérir plus. Le problème, c’est que dans notre bon pays des droits du l’homme et du sidéen, l’appel au don privé pour financer la recherche est une injustice sociale et une erreur économique. Nous ne sommes pas aux Etats-Unis, où la bonne volonté libérale pallie l’absence d’efforts d’un Etat qui réduit ses interventions péri-caritatives à leur minimum. De l’autre côté de l’Atlantique, fondations privées, levées de fonds amicales, associations locales très actives contribuent au financement des secteurs délaissés – avec l’assentiment général – par l’Etat. En gros, les Américains croient plus à la goutte de générosité individuelle qu’à l’averse de dollars publique. Question de latitude et d’attitude.

En France, en revanche, le modèle de solidarité nationale est basé sur un financement public alimenté par diverses contributions et autres impôts. Doubler la mise, si l’on ose dire, en faisant directement appel à la générosité des Français, qui ont déjà raqué via des prélèvements obligatoires, est peut-être cathodique mais pas très catholique.
À ce dysfonctionnement redistributif, il faut ajouter l’aberration économique. Les chiffres sont cruels : utiliser l’impôt pour financer la recherche coûterait moins cher : près de 20 fois moins ! Pierre Bergé le reconnaît, qui se fend d’une tribune dans Le Monde daté du 25 novembre 2009 : « Dans notre monde idéal, les associations caritatives ne devraient pas exister, les impôts que paient tous les citoyens devraient suffire à répondre à leurs besoins, et les pouvoirs publics devraient suffisamment entendre ces besoins pour en faire des priorités d’action. ». Dont acte.

Une réponse surgit : pendant que Pierre Bergé pleurniche sur les fonds trop faibles accordés à son Sidaction, le téléspectateur moyen qui assiste au larmoyant spectacle téléthonesque peut légitimement se demander pourquoi il n’y pas un grippAthon, un cancerathon ou un Ségothon, voire un Bergéthon. Bergé a sa réponse toute prête ; conscient que trop de caritatif tue le caritatif (puis que les téloches en ont certainement assez de se faire kidnapper leurs antennes par les bonnes actions des autres), il « appelle de nos vœux, à nos côtés, une présence constructive, égalitaire, et positive, de l’association [organisatrice du Téléthon] avec laquelle les Français montrent la plus grande générosité ? ». C’est à dire, traduite en espèces sonnantes et trébuchantes, une mise en commun des dons. Le sacro-saint adjectif est lâché : « égalitaire ». Rien ne doit se faire qui ne réponde au vœu d’égalité juste et parfaite. On croirait entendre un discours col Mao des années 70, revu et retaillé modèle costard d’YSL Rive Gauche. Une riche idée quand même que cette règle de partage, malheureusement non généralisable à tous les dons. Pensons aux cafouillages inévitables si la règle bergégalitaire était appliquée dans les banques du sperme !



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