Le journal Charlie Hebdo et la famille du dessinateur Charb demandent sa panthéonisation. Elisabeth Lévy n’est pas de cet avis. Nous vous proposons de l’écouter.
Rappelons que Charb était rédacteur en chef de Charlie. Il a été assassiné le 7 janvier 2015, parce que Charlie avait publié les caricatures de Mahomet parues il y a exactement 20 ans dans le journal danois Jyllands Posten.
Cette idée ne me scandalise pas, mais…
J’avais beaucoup d’affection pour Charb (Ce n’était pas un ami, mais un copain). J’aimais me disputer avec lui. Et c’est parce que j’ai de l’affection pour lui que cette idée lancée la semaine où Robert Badinter fera son entrée au Panthéon ne m’emballe pas.
D’abord au Panthéon il fait froid. Et puis si on veut y mettre Charb, ce n’est pas pour son œuvre mais pour sa mort. En ce cas, pourquoi Charb et pas Cabu, Wolinski et les autres ? pourquoi pas Samuel Paty et Dominique Bernard, et tous les résistants assassinés au fil de notre histoire ?
Cet épisode révèle un malentendu sur le rôle du Panthéon. Il avait déjà surgi avec la proposition de panthéoniser Alfred Dreyfus. Aussi méritantes soient-elles, le Panthéon n’est pas un mémorial pour les victimes des fascismes mais le tombeau d’une super-élite dont l’œuvre restera à l’échelle des siècles.
Bien sûr, Charb avait du courage, il n’a pas cédé à la terreur islamiste. Mais son arme, c’était les dessins, l’humour, la dérision, le déconnage. Le Panthéon c’est trop institutionnel, trop solennel. On ne couronne pas les anarchistes.
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N’enterrerait-on pas ainsi la liberté d’expression ?
Toutefois, ne serait-ce pas une façon de dire notre attachement à la liberté d’expression, objecte-t-on ?
C’est ce que plaident Riss et la famille de Charb dans une lettre au président de la République. Dans son éditorial, Riss écrit aujourd’hui dans son journal : « Que transfère-t-on au Panthéon, des hommes ou leurs idées ? » Il répond : leurs idées et leurs valeurs avant tout. Non. En réalité ce qu’on transfère au Panthéon ce sont des hommes et des femmes illustres, des destins singuliers et pas seulement des grands principes. Riss écrit aussi que cette grave décision « graverait dans le marbre de notre République l’attachement viscéral du peuple français à la liberté d’expression ». Eh bien justement, graver dans le marbre la liberté d’expression c’est très joli mais ce n’est pas ça qui la fera vivre. Et je crains que l’attachement des Français à cette liberté d’expression ne soit pas si viscéral que ça. N’acceptent-ils pas déjà beaucoup de ses amenuisements ?
Il y a mille autres façons d’honorer Charb. On peut par exemple donner son nom à des écoles, à des places ou à des rues. Mais pour qu’il ne soit pas mort pour rien, notre devoir c’est de faire vivre cette liberté, de défendre la liberté d’expression même quand elle choque et est contraire à nos propos convictions. Et en commençant par apprendre à tous les enfants de France qu’au pays de Voltaire et de Charb, on a le droit de se moquer de leur dieu et de tous les autres.
Cette chronique a été diffusée sur Sud radio
Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Patrick Roger
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