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Réforme du Bac: les fins conditionnent les moyens


Réforme du Bac: les fins conditionnent les moyens
Jean-Michel Blanquer, novembre 2017. SIPA. 00831483_000035

Il faut souhaiter bien du courage à tous ceux – à commencer par Pierre Mathiot qui vient d’être choisi pour mener la concertation sur le sujet – qui voudront tenter de réformer le baccalauréat et les séries des lycées d’enseignement général et technologique. Le système actuel est devenu au fil des ans un monstre (le mammouth, c’est le ministère lui-même) dont il faut craindre que l’inefficacité soit devenue irréversible.

Réformer le bac sans réformer les lycées est impossible. Ce n’est pas l’examen qui fait le niveau des élèves, mais l’enseignement qu’ils ont reçu ou plutôt qu’ils n’ont pas reçu. La seule chose qu’un aménagement de l’examen puisse faire, c’est de masquer l’absence de niveau, ce à quoi on s’est largement employé depuis des décennies et, en ce domaine, on a atteint le maximum. Les traitements statistiques des moyennes et écarts-types et l’invention d’options dont seuls les points au-dessus de 10 s’ajoutent au total sans ajouter un coefficient ont déjà réussi à frôler les 87 % d’admis. Des astuces supplémentaires ne donneraient pas grand-chose de plus.

Avis de démolition: tout est à refaire

Mais ces techniques de maquillage ont leurs limites objectives. Pour les lettres, ce n’est pas un problème. Que les élèves soient de faible niveau en expression écrite ou orale et ne soient pourvus que d’un faible sens critique, c’est parfait pour notre société. On aura une population gérable par des slogans et des dénonciations d’apparence morale (les fameuses « inégalités ») et par les ricanements des humoristes officiels, ceux qui sont payés par la Redevance.

Plus inquiétant, pour ceux qui nous gouvernent, est le faible niveau d’anglais, car la pénétration de la culture anglo-saxonne va s’en trouver ralentie. On ne va, en effet, pas bien loin avec du simple globish.

Mais c’est surtout le niveau en sciences des élèves des filières scientifiques qui est le plus alarmant, car c’est l’avenir de la recherche et donc de l’innovation qui est compromis. La question ne se pose pas aux États-Unis (où j’ai eu l’occasion de rencontrer un ingénieur formé sur place qui ne connaissait pas la loi d’Ohm!). L’attractivité de l’économie américaine permet de faire venir du monde entier des ingénieurs qui n’ont pas été formés chez eux. Ce n’est pas le cas en France et l’enquête Timms (Trends in International Mathematics and Science Study : tendances dans l’enseignement des mathématiques et des sciences dans le monde) montre la dégringolade de notre enseignement en mathématiques et en sciences. Pas une chute. Pas un simple recul. Une dégringolade. Elle est d’ailleurs reconnue par le ministère, qui, pour une fois, ne met pas tout sur le dos de la méthode de mesure. Les professeurs ne sont pas surpris de ces résultats : la faute en revient à la conception des programmes et à la suppression, apparemment systématique, de tout ce qui pourrait s’apparenter à une capacité de réfléchir. C’est particulièrement net en mathématiques où les démonstrations ont disparu au profit de l’application mécanique des règles de calcul.

Une brève histoire de l’avenir de la commission…

Il faut donc relever tous les niveaux scolaires et il faut le faire en douceur. La mission Pierre Mathiot devra dépasser les solutions cosmétiques. On parle d’un « rassurant » aménagement technique de l’examen du baccalauréat (moins d’épreuves, une certaine part réservée au contrôle continu). Alléger l’organisation de l’examen et en diminuer les coûts… il faudra tout de même aller plus loin et sans doute remettre en question les lycées eux-mêmes. Et les remettre en question, ce n’est pas seulement procéder à une réorganisation des filières, ou adopter des méthodes d’enseignement réputées plus modernes, comme le numérique. C’est d’abord se demander à quoi ils doivent servir.

Or, ce genre de commission, je le sais d’expérience, ne peut pas aller jusque-là, par manque de temps d’abord, mais aussi parce que les méthodes de travail, toujours les mêmes, n’y conduisent pas.

D’abord on procède à un grand nombre d’auditions, obligatoires pour ne pas froisser les « forces vives de la nation ». Leur nombre sera tel qu’on ne pourra rien en faire. On s’autorisera, cependant, d’un invérifiable consensus.

Ensuite, on se déplacera sur le terrain. Par exemple, on ira voir des lycées « innovants » dont les recteurs ou la rumeur auront signalé les succès. On veut dire succès dans la réduction des inégalités, bien sûr, et pas succès dans les études. Avec, au moins, un lycée du 9-3 dont les réussites « magnifiques » auront forcé l’admiration de toute la commission. Voilà pour le « nous sommes allés au plus près des réalités ». Mais ces « réalités », on les aura en fait obtenues par les enquêtes, forcément scientifiques, des sociologues et les chiffres, forcément objectifs, de l’INSEE.

Enfin, on s’informera de ce qui se fait ailleurs. Et on n’en tirera rien puisque les systèmes scolaires sont tellement liés à l’histoire et à la nature propres de chaque pays qu’une comparaison ne peut rien apporter d’autre qu’une coloration internationale, indispensable, il est vrai, en ces temps de mondialisation.

Sauf si la mission a reçu des consignes particulières pour avancer telle ou telle solution préalablement arrêtée par le ministre – espérons que ce soit le cas – on se bornera à un compromis plus ou moins acceptable et qui se traduira par des dispositions, que la presse sera appelée à qualifier de « hardies », mais qui ne changeront rien au fond.

On se demande « comment » quand il faudrait savoir « pour quoi »

On abandonnera peut-être la répartition en séries L-S-ES. Elle ne sert plus à rien. La section L n’est pas assez lettrée, la section S, pas assez scientifique et la section ES bien trop partisane, tenant, sans critique, l’économie pour une science. Aucune de ces sections ne prépare correctement aux filières universitaires censées leur faire suite.

On permettra, qui sait, des parcours personnels « innovants », comme aux États-Unis où l’on accepte comme équivalents des projets aussi riches que la « customisation » de sa voiture (le permis de conduire est à 16 ans), une enquête sur la lutte contre le gaspillage du McDo du coin et une option mathématiques renforcées.

On valorisera, peut-être, la classe inversée et, sans doute, l’utilisation renforcée des moyens numériques. Sans oublier le tutorat exercé par les grands auprès des petits… Et bien d’autres choses encore puisque la pédagogie, c’est bien connu, n’est qu’affaire d’imagination.

Mais ces commissions ou missions, surtout lorsqu’elles sont contraintes par des délais courts, éludent toujours l’essentiel, qui est la question des fins. Or c’est par les fins et non par les moyens que se construisent les systèmes de formation et d’éducation. On le voit bien lorsque les parents décident d’inscrire leurs enfants dans une école privée, par exemple une école Steiner, c’est une certaine vision de l’homme et de la société qui est choisie et pas du tout une certaine pédagogie. Ce sont les fins qui commandent, non les utilités. Mais ne pas poser la question des fins, c’est accepter, sans la moindre critique, les fins impliquées par le monde tel qu’il va. Et c’est probablement ce qui est voulu.

Rien n’est secondaire dans l’enseignement secondaire

Pourtant le changement rapide de ce monde tel qu’il va devrait faire reconnaître que nous n’avons aucune idée des métiers qui seront nécessaires dans dix ou vingt ans ni non plus de ceux qui auront disparu. La déduction est facile : seule une formation générale substantielle peut garantir un avenir professionnel. Sauf si l’on n’envisage, comme avenir, que le renforcement de l’indemnisation du chômage et l’augmentation (progressive) de la prime de Noël.

En l’absence d’une réflexion sur les fins, les modifications de surface ne produiront que des aspects négatifs. Voudra-t-on augmenter le savoir qu’on ne produira que du bachotage. Voudra-t-on remonter la valeur du bac, qu’on ne fera que favoriser les « boîtes à bac ». Voudra-t-on définir des « attendus » ou des « prérequis » qu’on ne fera que développer l’apparition du coaching. Voudra-t-on ramener le bac à un petit nombre d’épreuves qu’on ne fera que désigner des disciplines comme secondaires alors que rien n’est secondaire dans l’enseignement secondaire qui est un enseignement général. Etc.

Une Prépa pour l’Université

De plus, comment le lycée pourrait-il être autre chose que ce qu’il est puisqu’il hérite des élèves de Troisième dont la plupart n’ont pas les moyens de suivre une vraie Seconde. Et comme le raisonnement vaut aussi pour le Collège, on voit bien que le seul réaménagement des trois années de Lycée ne servirait à rien. Il faut commencer par le Primaire et son CP. Et même alors, puisqu’il est hors de question de laisser des élèves en difficulté sur le bord du chemin – l’écrémage n’est pas dans les missions acceptables de l’école –, si on ne repense pas la totalité du système, aucune réforme ne changera rien.

Et pourtant, une réforme réellement démocratique du système scolaire est tout à fait possible. S’agissant des lycées, il faudrait installer un « cycle de mise à niveau » entre la classe de Première et l’Université, sorte de Prépa incluant la classe de Terminale et, surtout, ouverte à tous. On se souvient de l’ancienne année de propédeutique, réorganisée (en 1966) en deux années de DEUG. Ici, ce serait trois années, confiées non aux universités mais aux lycées, car les élèves ou étudiants de cet âge ont besoin d’un encadrement plus serré. Et puis des lycées, il y en a partout, ou presque. On ne serait pas obligé de multiplier les universités… Car, on ne le dit pas assez, trop d’universités tue l’Université. Or, une réforme du bac ne peut pas seulement servir à éviter le tirage au sort. Elle doit également redonner de l’air à l’Université, leur permettre d’être ce qu’elles doivent être.

C’est beaucoup pour une seule mission…



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