Le Musée des Arts Décoratifs de la rue de Rivoli fête les 100 ans de l’Art déco dans une exposition mettant en lumière l’art du voyage à bord de l’Orient-Express, le mobilier d’élite ou encore la joaillerie française signée Cartier…

Notre pays bégaie. Un œil dans le rétroviseur, l’autre dans le vague. Difficile d’avancer dans ces conditions-là. Quand rien ne va plus au pays de la culture, quand on braque la couronne un dimanche matin, il est normal de se tourner vers du « sûr », du « valorisé », du « beau » et désormais du « classique ». L’image de la France resplendit enfin. Les musées s’en emparent. Les marchands s’agenouillent. Les collectionneurs américains ne s’en lassent toujours pas. Le « rassurant » n’est pas forcément une faute de goût, messieurs les censeurs. La transgression esthétique a perdu de sa superbe ces dernières années. Chez soi, on préfère du Lalique et du Ruhlmann, du galuchat et du sycomore au plastique moulé et aux performances aussi gênantes qu’encombrantes de nos nouveaux directeurs de conscience. Même les réfractaires à la ligne claire se soumettent à l’Art déco par peur de passer pour des ignorants ou des radicalisés. Que n’a-t-on pourtant dit, craché, vitupéré, écrit ou souri sur ce pseudo-mouvement décadent par sa joliesse et sa rectitude géométrique ; né dans les Années folles, il fut souvent rabaissé car trop équilibré, trop harmonieux et trop « propre » sur lui. Trop « lisible ». Il plaisait, quel crime ! Il n’offusquait pas le regard, quelle infamie !

Succès « populaire »
En politique comme en ébénisterie, la fioriture, le verbiage, la charge héroïque nuisent à la clarté du discours. Plus on tentait de déconstruire ce style d’apparat, de minorer son éclat et de le rejeter au rang d’art factice, presque risible, seulement bon à meubler les intérieurs des économiquement aisés, plus il résistait, il a même vu son aura grandir au fil des décennies. L’objet « Art déco » est l’élu de ceux qui n’y connaissaient rien. D’instinct, ils l’ont adopté. Les « spécialistes » ne lui ont jamais pardonné ce succès populaire. Dégoûtant !
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Dans une succession, on se bat pour un buffet en érable à la teinte douce, une touche d’ivoire et d’émeraude sur un bijou de famille même de faible valeur peut conduire à des duels fratricides. Naturellement, on délaisse les pierrailles et les boursouflures, les dorures accablantes et les névroses des créateurs au profit de cette simplicité raffinée. D’une émotion délicate qui ravit l’œil et qui charge la mémoire. L’Art déco charrie tant de souvenirs, il est le parfait véhicule pour l’imaginaire, il permet à l’esprit de se déplacer librement sans contrainte, il ne phagocyte pas la rêverie, sa pondération est une échappatoire qui n’a jamais été aussi indispensable qu’aujourd’hui. L’Art déco est le prolongement de l’amour courtois. On connaît ses influences : ballets russes, vitesse, attirance pour l’Orient, fêtes du Vicomte de Noailles, laques d’Eileen Gray et « ascèse décorative ». Nous pourrions ici faire le parallèle avec la Nouvelle Vague au cinéma dont il ne reste presque rien, si ce n’est les blousons en suédine de la bande du « Drugstore » et les étudiantes en tee-shirt blanc remontant les Champs-Elysées, un journal à la main. Truffaut ce classique qui s’ignorait trouvait à la fin de sa vie que les élucubrations des petits caïds des Cahiers étaient réductrices. En ce temps-là, il fallait bien faire sa place quitte à dénigrer les réalisateurs « à papa ». Ces « besogneux » qui soignaient le scénario, la lumière, le maquillage, le placement et promouvaient une forme de narration compréhensible par un être humain n’étaient que des pleutres, des affidés au système, quasiment des traitres au septième art. La tambouille, l’amateurisme, la glu intellectuelle qui accompagnèrent les premiers films d’auteurs (comme si les autres étaient des tâcherons) nous apparaissent désormais dans leur nudité idiote. Crue. Bavarde et vaine. Et les autres, les ringards, les graisseux Verneuil et Broca ou les plus anciens, Autant-Lara et Guitry, les robustes artisans avec leurs histoires ficelées, leurs dialogues à la virgule près et leur cadre précis sont des « classiques ».

Pas « disruptif »
Pareillement, l’Art déco ne fait pas de la modernité un Aventin et il s’en nourrit cependant. Il ne cherche pas à disrupter tout en modifiant nos perceptions par la grâce. Pour mieux appréhender son histoire et sa plasticité, il faut se rendre au Musée des Arts Décoratifs de Paris où démarre ce mercredi 22 octobre l’exposition « 1925-2025 Cent ans d’Art déco ». « Mobilier sculptural, bijoux précieux, objets d’art, dessins, affiches, et pièces de mode : plus de 1 200 œuvres racontent la richesse, l’élégance et les contradictions d’un mouvement qui continue de fasciner », nous annoncent les organisateurs.
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Durant les vacances de la Toussaint, allez donc du côté de la rue de Rivoli, simplement voir, presque toucher de « belles choses », c’est un privilège rare dans un monde si laid. La collection de bijoux Cartier datant de cette période-là est féérique. Et surtout, « montez » dans l’Orient-Express, ce temple de la marqueterie trône avec tout son faste et sa magie au milieu d’un étage. L’architecte Maxime d’Angeac a fait renaître ce mythe roulant en réaménageant un compartiment centenaire. Il a réinventé les décors manquants en faisant notamment appel à Jean-Brieuc Chevalier, maître en borderie sur bois, si vous n’avez jamais vu des perles du Japon brodées sur d’aussi grandes surfaces par cet artisan d’art d’Angers, c’est une occasion unique. Ne loupez pas le train du « beau » !
15 €.
Informations pratiques ici.




