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Plan de relance: l’inversion des priorités


Plan de relance: l’inversion des priorités
Le Premier ministre Jean Castex et le ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance Bruno Le Maire, le 3 septembre 2020 à Paris © Ludovic Marin/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22489489_000006

L’analyse de Jean Messiha (délégué national du RN) et de Frédéric Amoudru (ancien cadre dirigeant d’une grande banque française).


La France, à l’aune de la plupart des pays occidentaux lance son plan de relance. 

100 milliards d’euros, c’est plutôt bien. Certains diront que ce n’est pas assez. Mais ce sont toujours les mêmes qui considèrent que la dépense publique ne doit pas connaitre de limites car ce qui compte c’est de satisfaire tous les besoins sociaux qui s’expriment dans la société. 

Quid de son financement ? Il sera entièrement financé par de la dette. Les thuriféraires de la macronie le nieront farouchement arguant que « 40 milliards sont payés par l’UE ». C’est apparemment vrai mais en réalité faux. Les milliards en question viennent du volet « subventions » de 390 milliards inclus dans le plan de relance européen de 750 milliards que Bruxelles met en place. Comment la Commission va se procurer ces sommes ? En empruntant. Comment va-t-elle les rembourser ? En demandant aux États membres d’augmenter leur contribution budgétaire dans les années à venir ou bien en créant des « impôts européens » qui sont en fait des impôts nationaux que les États versent au budget de l’UE. Dans tous les cas de figures, c’est une dépense supplémentaire ou un manque à gagner. Compte tenu de sa quote-part nationale au financement de l’Union européenne, la France sera engagée à hauteur d’environ 60 milliards. Pour faire simple Macron fait financer par Bruxelles 40 milliards de son plan de 100 milliards, mais la France lui devra 60 milliards pour financer l’ensemble du plan européen. Un habile jeu de dupes fondée sur une astuce comptable : les 60 milliards en question n’apparaissent pas dans le calcul officiel de notre dette alors qu’emprunter 40 milliards aurait alourdi de manière significative notre ratio de dette sur PIB qui est déjà inquiétant.

Examinons maintenant la répartition de cette somme car c’est cette dernière qui va dire si ce plan va ou non changer la donne.

Il est tout d’abord à noter qu’il n’y a dans ce plan aucune mesure destinée à redresser le pouvoir d’achat. Le gouvernement considère sans doute que celui-ci a été largement servi par les mesures prises en début d’année pour répondre à la crise historique des gilets jaunes. Mais du coup, le terme de plan de relance qui désigne traditionnellement des mesures budgétaires prises pour favoriser la demande globale est pour le moins trompeur car seul le côté de l’offre (« supply side » comme disent les libéraux) est servi.

Que prévoit donc ce plan de relance de l’offre ? Depuis des mois, le monde économique se plaint de la lourdeur des « impôts de production » qui pèsent sur nos entreprises. 72 milliards d’euros selon le patronat, somme qui est ventilée comme suit :

  • Environ 4 milliards d’euros de Contribution Sociale de Solidarité des Sociétés ;
  • Environ 40 milliards d’euros de Cotisation Foncière des Entreprises (CFE), de Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises (CVAE), de Taxe sur le Foncier Bâti et de taxes foncières diverses ;
  • Une myriade de petites taxes pour 4,5 milliards d’euros ;
  • Et enfin 26 milliards d’euros de charges liées à la masse salariale dont le « versement transport » pour plus de 7 milliards qui contribue à financer nos transports publics.

Le gouvernement a donc décidé d’alléger de 10 milliards ce fardeau. Ce que, bien entendu, les entreprises accueillent positivement car c’est toujours mieux que rien. Le problème est que c’est totalement insuffisant et c’est très mal fait. Le chiffre de baisse des prélèvements dont les entreprises ont besoin se situe, en effet, aux alentours de 30 milliards d’euros. Mais il doit cibler prioritairement le coût du travail dont on sait qu’il est l’élément majeur de notre problème de compétitivité. La baisse de CVAE de 7,25 milliards et de 3 milliards des cotisations foncières des entreprises n’aucun impact sur cet aspect fondamental du plus grand problème économique de notre pays. 

On ne peut pas accuser Jean Castex et Bruno Le Maire d’y être aveugle mais leur solution c’est… l’innovation. Ils sont convaincus que c’est grâce à elle que l’on va créer les millions d’emplois qui nous manquent pour revenir à ce quasi-plein emploi qui est la condition sine qua non du financement d’un modèle social exigeant et donc coûteux. C’est une illusion absolue. L’innovation est bien sûr indispensable. Mais elle est très insuffisante pour réindustrialiser les innombrables territoires qui ont été vidés de leur ateliers et usines. Et ce n’est certainement pas la somme pour le moins maigrelette de 1 milliard d’euros dédiée aux relocalisations qui va y changer quelque chose.  

Ensuite comme le reconnaît le gouvernement lui-même, seul 32% de cette somme de 10 milliards ira aux TPE-PME ce qui est trop peu. Enfin et comme ce fut le cas pour le CICE, aucune contrepartie en termes d’emploi n’est exigée de la part des entreprises pour ce qui n’est certes pas un « cadeau » mais tout de même une significative concession.

De l’autre côté, Jean Castex, poussé par un président soucieux de flatter l’électorat « vert » qu’il estime nécessaire dans sa tentative de réélection en 2022, consacre 30 milliards à la transition énergétique. Or cette transition la France l’a déjà opérée dans les années 70-80 avec la nucléarisation de notre production électrique qui a économisé à la planète des milliards de tonnes de Co2. Cet effort gigantesque consenti à l’époque et qui va nécessiter un effort tout aussi massif de renouvellement, est complètement ignoré. On laisse ainsi une France bobo, habitant les grandes métropoles, instaurer des priorités qui ne sont pas les bonnes.     

Car enfin, ce n’est certainement pas l’isolation thermique des bâtiments publics ou privés, élément majeur de cette dépense de 30 milliards qui va améliorer notre compétitivité sur le marché domestique et international dont dépend le redressement global de notre économie !

En somme, c’était des choix exactement inverses que le gouvernement aurait dû faire, à savoir 10 milliards pour l’écologie et 30 milliards à la baisse des prélèvements sur nos entreprises. En ciblant, pour cette dernière, le coût du travail et en la conditionnant de façon contractuelle à des créations d’emplois et à l’emploi de Français, au moins au niveau des grandes entreprises, des ETI et des grosses PME.

Un autre aspect a été largement sous-évalué par ce plan de relance : la recapitalisation des entreprises laminées par la crise. Le confinement et ses effets collatéraux ont coûté entre 60 et 70 milliards aux entreprises. Cela a mécaniquement et durement affecté leurs fonds propres. Or nous savons que des entreprises sous-capitalisées anémient le tissu économique. Il ne surprendra personne qu’avant cette crise, nos entreprises étaient moins bien dotées que – ô hasard – les entreprises allemandes. Le gouvernement n’y consacre que 3 milliards d’euros c’est très insuffisant.

Pour le reste, c’est-à-dire environ 57 milliards d’euros, il y a de nombreuses mesures dont il ne faut pas contester l’utilité par opposition systématique. Par exemple :

  • Les 6 milliards pour les hôpitaux, véritable ballon d’oxygène en cette période de crise sanitaire ; ce n’est pas mal ;
  • Les 5 milliards pour relancer les investissements des collectivités : cela n’est peut-être pas assez mais ce n’est pas rien ;
  • Les 6,5 milliards consacrés au recrutement des jeunes de moins de 25 ans ;
  • Les 6,6 milliards dédiés au soutien de l’activité partielle de longue durée. Ils sont utiles. Mais, ici encore, ils ne serviront à rien si au final nous n’apportons pas une réponse décisive à la problématique de notre compétitivité ce que nous avons abordé précédemment. Car une fois l’effet d’aubaine de ce « coup de fouet » absorbé, les entreprises se retrouveront devant leur problème séculaire, c’est-à-dire le coût élevé de produire en France, qu’il s’agisse de biens manufacturés, de denrées agricoles ou de services.

Le gouvernement « agit », oui. Mais agit-il bien ? Quantitativement oui, qualitativement c’est beaucoup plus contestable en ce qu’il rate, une nouvelle fois, la cible prioritaire : le redressement productif qui est la condition du redressement de tout le reste, et en particulier de nos finances publiques dont la détérioration dramatique menace les générations futures.



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Economiste et haut fonctionnaire. Président de l’Institut Apollon.

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