Villiers: «Les souverainistes sont les derniers républicains»


Villiers: «Les souverainistes sont les derniers républicains»

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Retrouvez la première partie de l’entretien ici.

Vous pouvez désapprouver Jean Monnet et les pères de l’Europe, cela ne signifiait pas qu’ils étaient des salauds cyniques. Ils étaient réellement habités par l’obsession de ne pas revoir la guerre en Europe. On peut être d’accord avec ça, non ? 

Ce sont les Américains qui menaient la danse et ils savaient très bien ce qu’ils voulaient faire : une Europe sans limites géographiques, un espace sans frontières, sans gouvernement et sans démocratie, l’euroland dans le worldland. Il fallait que les firmes a-nationales trouvent de nouveaux marchés, de nouvelles clientèles, de nouveaux appétits. Il fallait l’alliance du libéral et du libertaire, du no limit et du no frontier. C’est le cahier des charges qu’ils ont donné à Jean Monnet, salarié de la banque Lazard. Je ne crois pas que Giscard, du haut de sa brillante intelligence et du fait de sa proximité avec Jean Monnet, ait ignoré ce projet d’anéantissement du politique. Pour tous ces Jefferson en Playmobil, l’idée était simple : on ne pourrait obtenir la paix que par la prospérité mondiale, qui ferait tomber toutes les dictatures, ravalerait les pulsions humaines et les mythologies dangereuses. Ces gens-là ne croyaient plus à l’autonomie du politique. Ils croyaient que l’administration des choses allait remplacer le gouvernement des hommes2. Plus de politique, plus de débat. Grâce à la fusion de l’économique et du politique, Google, Apple et Microsoft sont plus puissantes que n’importe quel Etat souverain.[access capability= »lire_inedits »]

En tout cas, l’aspiration de l’Europe à devenir une grande salle de gym, à sortir de l’Histoire si vous préférez, n’est pas un choix venu d’en haut. Une partie des peuples d’Europe la partage, pas seulement une oligarchie… Tout le monde veut acheter un iPhone au prix du travail chinois !

On peut acheter un iPhone et faire de la gym tout en souhaitant conserver ses attachements vitaux. Un des travers de nos politiques, depuis la mort de Pompidou, ce n’est pas seulement leur ignorance, c’est leur mépris de l’Histoire. Par exemple Giscard me disait : « L’Histoire, je me méfie de ce qu’elle charrie de passions, à travers les épopées mythiques qui ont fait couler tant de sang. Je veux sortir la France de l’Histoire pour la sortir du tragique. »

Eh bien, répétons-le, beaucoup de gens pensent comme Giscard. Le monde politique que vous avez quitté est-il bien pire que celui dans lequel vous étiez entré ?

Les nouveaux politiciens font du consumérisme politique. Ils veulent être en tête de gondole. Ce sont des produits : on les sonde et on les consomme. Ils ont une date de péremption : bientôt un seul mandat. Je me souviens d’un training télévisuel où se trouvaient Michel Noir, Alain Juppé et François Léotard. L’entraîneur s’égosillait : « Que vous le vouliez ou non, vous êtes des produits. Il faut être achetable. La politique n’échappe pas au marché du désir. Vous êtes comme les yaourts des grandes surfaces, le fond près du couvercle, il faut être crémeux à cœur ». Les temps ont bien changé. Je me souviens d’un monde infiniment plus libre et plus riche d’expression, de fantaisie, que celui dans lequel nous sommes. D’abord, la politique, c’était une vocation au bien commun et un milieu recherchés par les élites. Quand je suis entré à l’Assemblée, la moitié des élus de gauche et de droite étaient membres de l’Académie française. François Mitterrand me parlait des monophysites du Liban, Peyrefitte de la Chine, Mazeaud de l’Everest et Jean-François Deniau de littérature afghane. Aujourd’hui, les nouveaux élus sont les anciens attachés parlementaires. Or la marche du monde est compliquée. Lorsque vous êtes inculte, vous n’avez pas accès à la hiérarchie distinctive des choses.

Dans votre livre, vous parlez beaucoup de souverainisme, mais jamais de Jean-Marie Le Pen ou de sa fille. Il y a pourtant au moins un grand parti souverainiste en France, qui commence à prendre une importance incontournable : le FN…

Dans ce livre, je ne parle que des gens dont j’ai croisé la route. Lui, je ne l’ai jamais rencontré. Quant à sa fille, une chose peut troubler, c’est la pratique du parricide, même provoqué. Elle tue celui qui est à l’origine de la marque qu’elle prolonge. Le FN est d’abord une marque. Aujourd’hui, s’il y a un problème avec les Roms, les gens vont voter Marine Le Pen. Elle est un révélateur, non sans talent, elle représente le canal de la colère, la traduction politique de la souffrance identitaire. Elle est le plombier polonais dont se servent les gens pour purger les tuyaux du système. Mais elle a découplé libéralisme économique et libéralisme politique, donc elle a une vision incomplète de ce que sont la souveraineté et l’identité, nos ancrages et héritages. Son père assiste depuis son balcon d’amertume à la victoire de ses idées, sans lui. C’est pathétique, parce qu’à quelques années près, c’était son triomphe. Mais, chez lui, je n’ai jamais compris cette espèce de nécessité instinctive de faire comme la mouffette : lâcher des pets pour se rendre incomestible. Il s’y est toujours complu, avec son obsession du « détail », etc. Est-ce que c’est par un vieux fond d’antisémitisme cultivé ? Je n’en suis même pas sûr. Jean-Marie Le Pen, c’est sans doute un étudiant de la corpo qui préfère les chahuts de l’amphi aux diplômes.

Vous avez pourtant été allègrement « lepénisé » par les médias, et même, comme vous le racontez, pétainisé, lors de votre première « Heure de vérité », en 1992. Et cette image dépourvue de toute accroche dans le réel vous a collé à la peau.

Lors de ma première « Heure de vérité », je suis arrivé comme un provincial, une sorte de huron au Palais royal, avec toutes les candeurs du « rural profond », comme disait la Datar. Ivan Levaï me regarde avec un mélange de crispation et d’ironie. Puis il décoche : « Qu’est-ce qui vous différencie du maréchal Pétain ? » À cet instant, je sais que c’est fini parce que ma réponse ne va pas être écoutée. Ce qui compte dans le système médiatique, comme dans le système nucléaire, c’est la première frappe. Le public entend la première frappe et n’écoute pas la réponse : vous êtes un collabo, un « crypto-nazi ». Or dans mon cas, il y a erreur sur la personne car je suis fils d’un héros de la Résistance, de quelqu’un qui a sauvé un officier juif et qui, à cause de ça, s’est retrouvé avec les Juifs au camp de représailles de Lübeck. Mon père ne voulait pas qu’on en parle. Un soldat appartient à la Grande Muette. Il paie l’impôt du sang et ne se vante pas. Il tait ses gloires, ses services et ses épreuves. Mais ce jour-là, je n’en pouvais plus. Alors j’ai raconté l’histoire de mon père. Et Levaï, avec superbe, m’a piétiné: « Ce n’est pas la question. Le problème, c’est la DÉRIVE. » La dérive ! Et il prononce ce mot dix fois.

Il faut dire que vous cumulez : vous êtes catho, noble, chouan, un peu royco sur les bords… Vous cochez toutes les cases !

Vous oubliez aussi : hétérosexuel, rural, fils et frère de militaires… J’ai quitté la vie publique parce qu’il n’est pas possible de faire de la politique dans la France d’aujourd’hui quand on est ce que je suis, sauf en cas de guerre où on fait volontiers appel aux vieilles familles : De Gaulle, De Lattre, De Hautecloque. Sinon, on a vocation à être guillotiné en place publique. Donc je suis parti faire mon Puy du Fou, qui est un acte d’amour et un creuset de civilisation française, que deux millions de compatriotes viennent apprécier chaque année.

D’accord, mais la France est aussi révolutionnaire, pas seulement chouanne, plus exclusivement blanche et plus exclusivement catholique. Est-ce que vous n’avez pas d’elle une image trop statique et fermée ?

Pendant trente ans, je me suis laissé enfoncer par des phrases comme celle-là. Mais depuis six ans que je suis parti, je me dis que c’est dégueulasse ! Je suis le fils d’un officier français et mes deux grands-pères sont morts enveloppés dans le drapeau tricolore au son de la Marseillaise. Ma famille a accompagné tous les régimes, pas dans les palais de la République mais au champ d’honneur. Elle a servi la monarchie, l’Empire et la République. D’une manière particulière : en versant son sang. Mon frère, chef d’état-major des armées, a même une mèche de Napoléon. Quelqu’un comme moi a quand même le droit d’être réintégré dans la communauté nationale, non ? Et d’ailleurs, qui a sabordé la République ? Qui l’a vendue à Bruxelles ? Qui a interdit de séjour à l’école les hussards noirs de la République et le roman national ? Ce sont mes censeurs et les vôtres. Ce sont eux, les fossoyeurs de la République. Ce sont eux qui, dans la pénombre, ont remis les pouvoirs du peuple à messieurs les commissaires en cette zone grise où s’épanouit la corruption. Là où commande l’Europe, cet être des abysses qui ne craint que la lumière. Les derniers républicains, les seuls défenseurs de la respublica, sont les souverainistes de tous bords.

Vous semblez avoir réellement souffert de cette détestation des médias…

Ils m’ont tout fait. Vraiment tout. Ils pensaient me tuer. J’ai été bombardé de boules puantes. La presse française est une presse de moines copistes. L’un commence, les autres recopient. Ils abîment consciencieusement votre image. Ils la salissent. J’ai eu à subir des vilenies, des calomnies… J’ai fait des procès en diffamation pendant trente ans. Je ne laissais rien passer.

Et vous les avez gagnés ?

Tous. Mais ce n’est pas une vie, c’est pour ça que je suis parti. J’ai retrouvé ma vie d’entrepreneur-créateur au Puy du Fou, qui aujourd’hui fait l’admiration du monde entier et a été récompensé à Las Vegas et à Hollywood, avec l’Oscar du plus beau parc du monde, et j’en suis très heureux. Nous exportons le concept dans le monde entier, en Russie, en Angleterre, etc… En trente ans, il n’y a eu qu’un seul article dans la presse sur Philippe de Villiers le créateur d’entreprise à succès, dans Le Point. C’est Canal + qui donnait le ton avec la punition des Deschiens : « Toi, si tu continues à nous faire chier jusqu’au bac, on va t’emmener au Puy du Fou, avec un sandwich à la rillette du Mans. »

À vous entendre, vous avez toujours la « gnaque » contre vos ennemis et l’envie d’agir pour votre pays. Au fond, c’est en écrivant dans les journaux et en faisant des livres qu’on fait de la politique aujourd’hui ?

J’ai renoncé à la politique électorale mais la passion de la France ne m’a pas quitté. J’ai choisi de ne plus être entendu par mes électeurs pour être compris par mes lecteurs. D’ailleurs, je constate que quand je faisais des livres comme homme politique, j’étais beaucoup moins lu qu’aujourd’hui, quand je fais des livres métapolitiques ! J’invite à méditer la confidence de Soljenitsyne : « Aujourd’hui les dissidents sont à l’Est, ils vont passer à l’Ouest. » Les lucioles seront souverainistes ou ne seront pas. Un pouvoir qui ne possède ni la durée ni la sacralité est voué à disparaître et le peuple avec lui. Debout les Dissidents, sortez de la grande catacombe ![/access]

*Photo: Hannah.

Novembre 2015 #29

Article extrait du Magazine Causeur



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