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Patural, le dernier souffle


Patural, ce nom ne dira pas grand-chose à qui n’a pas exploré le Bois de l’Etoile en culottes courtes, entre Marspich (prononcez Machepi) et Florange (prononcez Floranche); à qui n’a pas non plus entendu un jour le soupir des hauts fourneaux et le cri du gueulard, à qui ne s’est jamais émerveillé de la poésie quasi soviétique du feu des coulées dans la nuit.
Patural ce furent les hauts fourneaux d’Hayange en Moselle. Le P3 fut définitivement arrêté en juin dernier et le P6 attend son heure paraît-il… « La vallée d’la Fensch ma chérie, c’est l’Colorado en plus petit » chantait un Bernard Lavilliers, un brin ridicule, peut-être, mais à qui on pardonne tout dans ce « vieux pays pas très connu » où « y’a pas de touristes dans les rues ». Sous le regard de la Vierge, c’est le berceau du fer et des barons de l’acier. J’ai baigné là dedans dès le plus jeune âge, mon père ayant tripoté des bruleurs toute sa carrière à la Sollac.

Résumons en quelques lignes l’histoire mouvementée de cette vallée et surtout de ses trente cinq dernières années d’agonie. Des mines de fer, du charbon à 60 kilomètres à l’est et une rivière : le cadre idéal pour l’industrie du fer au XVIIIe aux années 1970. Puis les mines ferment les unes après les autres -de l’Australie à l’Inde la concurrence est rude- et on installe les fonderies là où arrive désormais le minerai : Dunkerque et Fos-sur-Mer.
La crise et la fin des barons du fer aidant (le dernier Wendel, Henri, meurt en 82 brisé par l’arrivée des communistes au gouvernement) on « restructure ». Traduction : on licencie à tout va et on casse les usines, les vallées se vident de leurs cheminées, la Fensch, l’Orne, la Moselle, la Crusne, la Chiers dans le bassin de Longwy et j’en passe. Le capitalisme change de visage, le règne du profit succède à l’entreprise familiale et paternaliste qui, comme la mine, s’occupait de tout de votre naissance à votre mort. Les plans de sauvetage vont se succéder à partir de 1978 sous l’impulsion de Giscard, fermetures et licenciements, manifestations monstres, parfois violentes, ambiance de lutte et d’émulation rouge comme les coulées… Mais la partie était perdue d’avance, trop de dettes, des installations trop vieilles, une main d’œuvre trop nombreuse : 100 000 emplois seront ainsi détruits en 20 ans. En 1981, Mauroy nationalise Sacilor et Usinor qui fusionneront en 1986. L’Etat recapitalise, éponge les dettes, subventionne… Puis les vagues de privatisations vont se succéder, partout l’Etat se désengage, sous Chirac, Balladur, Juppé, Jospin et les autres. En 1986, lors de la fusion, Madelin remettra au passage les compteurs à zéro, faisant tout perdre aux petits actionnaires. Là, le liquidateur Francis Mer entre en jeu et les réductions d’effectifs s’accélèrent. En 1995, le groupe Usinor-Sacilor est privatisé par Juppé à prix cassé (10 milliards de francs), les fonds de pension entrent dans la danse, ça commence vraiment à puer.

Avant le hold-up de Mittal en 2006, le groupe a gonflé pour devenir Arcelor, conglomérat de Français, de Belges, de Luxembourgeois et d’Espagnols de l’acier. L’indien Mittal lance une OPA hostile à laquelle ni les actionnaires ni les dirigeants ne vont résister, et pour cause, la valeur des portefeuilles d’actions ayant doublé en cinq mois, le PDG, Guy Dollé, touche le pactole en stock-options. Lakshmi Mittal patron multimilliardaire du premier groupe mondial de l’acier, se paie Arcelor pour une somme modeste (27 milliards d’euros), sachant que l’entreprise a été « sauvée » des années durant par des investissements publics (dans les 20 milliards à la louche) c’est-à-dire avec l’argent des contribuables…

La suite est grandiose : fin de Gandrange, casse de Liège et j’en passe… Fallait pourtant s’y attendre : l’ouvrier européen est trop bien payé et pas assez corvéable à merci…Le dernier sauvetage en date, l’hypothèse ULCOS, même si elle part d’une bonne intention, soutenue notamment par le PS et le combatif député-maire de Fameck Michel Liebgott, laisse un peu rêveur: le développement durable au secours de la sidérurgie lorraine (en gros il s’agit de récupérer le CO2 et de le stocker en sous-sol), la décision repose sur les épaules de la Barroso, évidemment assortie d’une subvention de Bruxelles. Mittal pourrait encore réaliser un bon coup, mais pour le moment il temporise, à moins qu’il n’attende que le P6 soit définitivement hors d’usage : un haut fourneau c’est comme un Godin, si ça ne chauffe pas ça finit par être foutu… Signalons encore qu’un autre site moins connu à proximité d’Hayange cause quelques inquiétudes, l’ancienne Usine Saint Jacques de Nilvange, unique fabricant de rails en France et fournisseurs de ceux du TGV, fierté de la SNCF, devinez qui possède cette usine de pointe ? Non pas Mittal, mais l’autre méga-conglomérat indien, Tata !

Les élections approchant, les candidats se rendent au chevet du malade, après le cimetière de Gandrange, le mouroir de Florange. Les syndicats lancent le baroud d’honneur, ils ne se font plus d’illusions, les 35 dernières années n’ont été que rémissions, ils n’iront hélas pas jusqu’à foutre le feu à la coulée continue, ils respectent l’outil de travail plus que tout. Attendez-vous donc à des manifs, quelques séquestrations de sous-fifres, la blague habituelle, en attendant que le nouveau président vienne, en mai, donner l’extrême onction. Patural aura bientôt rendu son dernier souffle. Amen.



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