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Bonaparte raconté par Bainville

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Qui de mieux que Jacques Bainville, royaliste assumé, pour raconter le destin d’un empereur? « Napoléon », paru en 1931.


Dans la sécheresse stylistique de notre époque et l’aridité spirituelle que les historiens-laborantins revendiquent dans la morne récitation du passé, le roman national n’a quasiment plus aucune plume pour émouvoir notre peuple. A l’exception d’une poignée d’individualités que des « chercheurs » jaloux raillent sous le nom de « vulgarisateurs », il est peu d’historiens et d’auteurs qui sachent encore faire danser les mots avec l’alphabet de l’histoire de France, et faire vibrer la lyre de notre passé commun. Le désenchantement du monde moderne a également répandu son poison dans la narration de tout ce qui l’a précédé, et ni un Ernest Lavisse ni un Ernest Renan n’apprécieraient l’abolition de toute possibilité d’une acculturation républicaine ou patriotique, fatale conséquence de la disparition de tout charme et de toute idée de la grandeur.

La singularité d’une œuvre à la croisée des genres

Parmi les derniers grands penseurs de notre pays figure l’historien et académicien Jacques Bainville né le 9 février 1879, et décédé le 9 février 1936. Il a laissé derrière lui des chefs d’œuvre de l’intelligence humaine devenus des classiques, avec ses incontournables Conséquences politiques de la paix parues en 1920, et sa fameuse Histoire de France publiée en 1924. Cet historien germaniste a légué à la postérité une biographie de Napoléon en 1931, et a su apporter à une hagiographie napoléonienne édifiée par les travaux d’Adolphe Thiers, d’Albert Sorel, d’Albert Vandal ou encore Henry Houssaye les splendeurs qui lui manquaient. Dans cette biographie polychromatique, touchante sans pour autant succomber à la sensiblerie, Bainville a su allier la méthode psychologique de Sainte-Beuve à la grandeur narrative de Chateaubriand, mais sans s’ébouillanter dans l’emphase délirante de Michelet. À l’âge de vingt ans, il avait déjà dédicacé son Louis II de Bavière à Maurice Barrès, en 1920. Très tôt les destins tragiques l’ont interpellé, et il avait fait sien ce mot de Chateaubriand, selon lequel « aux yeux de l’avenir il n’ y a de beau que les existences malheureuses». Il ne pouvait se contenter de livrer sans corps ni matière un enchaînement causal informe et sans visage, et il a toujours veillé à extraire toutes les plissures des portraits qu’il avait dressés, que ce soit celui de Bismarck, de Louis II de Bavière ou de Napoléon.

Un Napoléon protéiforme et captif des événements

Ni réquisitoire ni dithyrambe, Bainville nous présente un Napoléon paré des atouts de Protée. Les intitulés des vingt-sept chapitres de l’ouvrage sont éloquents, et d’anonyme « boursier du roi » à « martyre », Napoléon a connu les stades de « maître de la paix » comme de « gendre des Césars ». Intransigeante, cette biographie nous présente un homme, soumis à l’emprise de ses passions, tourmenté par son inconcevable destinée, soucieux d’asseoir sa légitimité contestée que ses origines extra-dynastiques l’empêcheront d’obtenir plus d’une quinzaine d’années, soit une parenthèse dans l’histoire moderne. Des plaines de la Corse où Napoléon caresse le penchant indépendantiste, de son petit secrétaire au temps de l’école de Brienne où il recevait une éducation « aux frais du roi » et depuis lequel il assouvissait sa boulimie littéraire, Bainville ne fait pas l’impasse, et nous montre toutes les saillies qui laissaient déjà apercevoir un volcan sur pattes.

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Subissant les clabauderies de ses camarades moquant son accent corse, Napoléon enfant aurait dit à son ami Bourrienne : « Je ferai à tes Français tout le mal que je pourrai » – avertissement que l’histoire exaucera, il faut bien le reconnaître. « On peut dire que sa jeunesse a été une longue lecture », écrit l’historien, qui ne manque pas d’insister sur la profonde nature littéraire du jeune écolier devenu officier d’artillerie à « seize ans quinze jours », ainsi qu’il l’a consigné dans un carnet de jeunesse. Selon Bainville, les lectures pléthoriques qu’a collectées Napoléon, en toutes matières, ont germé tout au long de sa vie pour se manifester au gré des circonstances, que ce soit en Égypte, en Italie, en Russie ou quand il s’est agi de considérer la rédaction du Code civil auprès de Portalis, Tronchet, Maleville et Bigot de Préameneu. Bainville note que l’un des désastres politiques de l’empereur est à trouver dans sa gestion de l’Espagne, pays à propos duquel, souligne-t-il, Napoléon n’avait jamais rien lu. La dimension littéraire est donc une donnée fondamentale dans l’appréhension du parcours de Napoléon, et il se sentait lui-même artiste ou poète, bien avant d’être un stratège, un militaire ou l’occupant d’un trône impérial.

Jacques Bainville, D.R.

L’insistance sur la précarité du régime impérial

Loin des représentations idéal-typiques mettant en scène un empereur jupitérien et confiant envers la solidité des institutions qu’il a élevées après la tempête de la Révolution, Bainville attire l’attention du lecteur sur l’obsession qu’avait Bonaparte d’asseoir la « quatrième dynastie » – après les mérovingiens, les carolingiens et les capétiens -, non sans avoir longtemps refusé de désigner un successeur. Il sentait que son trône était continuellement chancelant. Que chaque jour à l’extérieur de Paris, à l’occasion de chaque bataille, les conspirations, les intrigues, les attentats et les défiances menaçaient de renverser le trône impérial. Le bruit courait souvent que si l’empereur périssait, alors l’Empire allait s’écrouler avec lui, n’ayant pas d’assise dynastique ni de légitimité monarchique.

Pendant quinze ans il n’a cessé d’être hanté par l’idée de sa propre chute, et il avait confié à sa mère que le plus dur n’était pas d’entrer aux Tuileries, mais d’y rester. Bainville raconte les tortures morales de Bonaparte, et nous dévoile un homme inconstant, toujours en proie au doute, et sujet à la plus fâcheuse indétermination. Toujours tiraillé entre plusieurs hypothèses : doit-il assurer sa succession ? Doit-il divorcer et ainsi rompre son mariage avec Joséphine de Beauharnais ? Doit-il s’allier avec Alexandre, tsar de Russie ? Doit-il se lier maritalement avec une membre de la maison d’Autriche, et unir sa dynastie à celle des Habsbourg ? Faut-il envahir la Russie en 1812 ? Autant de labyrinthes de perplexités, que les murmures de ses généraux ou de Talleyrand ne manquaient pas d’alimenter. Si Bonaparte demeure, avec toute la légende qui s’y rattache, un météore du genre humain, il n’en reste pas moins qu’il n’était pas l’exécutant spontané que l’on dépeint parfois. Il méditait, prenait son temps, étudiait, se plongeait dans les livres et dans les cartes, comme s’il devait à chaque fois se figurer les choses avant de les vivre. Toute sa politique religieuse et sa relation avec Pie VII le démontrent, tout comme la conduite de ses batailles et ses décisions de politique intérieure. Avant de cheminer vers la Russie, il demande l’extraction de tous les documents liés à cet empire des archives. Et il en allait ainsi pour toute sa politique internationale. En somme, le biographe ne manque pas une occasion pour le souligner : Napoléon a toujours senti qu’il ne pouvait être qu’un coup de vent dans l’histoire du monde.

Un Napoléon continuateur de la Révolution, et marche-pied de la Restauration

« L’ambition, la volonté de Bonaparte n’auraient rien pu, même après Brumaire, si elles n’avaient été dans le sens des choses ». Telle est la formule systémique que Bainville plaque à la compréhension de l’épopée napoléonienne. Jeune officier d’artillerie imbibé des idées du siècle des Lumières et de Rousseau, il a fait fusiller des royalistes devant l’église Saint-Roch, à Paris, mais Premier Consul, il signe le Concordat en 1801, et au moment de devenir empereur il se couronne lui-même, sans la main du pape. La vérité est que dès 1789, il est condamné à la jonglerie à perpétuité. Il devra jongler entre républicanisme et tout ce qui en dérive – jacobinisme, girondisme, constitutionnalisme et passion de l’égalité – avec le conservatisme social, la préservation des acquis de la révolution, le maintien d’un haut niveau de conscription et les promesses de paix définitive, et ainsi de toutes les mortelles tensions de cette société bouleversée qui cherche une identité mystique autant qu’institutionnelle. Ce n’est pas par hasard si son premier Conseil d’État est composé de régicides, de modérés et de monarchistes. Napoléon cherchait le syncrétisme, et on lui a prêté ce mot resté célèbre : « De Clovis au Comité de Salut public, j’assume tout ! ». Toute sa méthode de gouvernement était axée autour de ce qu’il appelait son souci de « fusion » entre toutes les forces antagonistes en présence. Durant tout son règne, précise Bainville, Napoléon s’est montré soucieux de donner des gages aux radicaux des deux pôles – les républicains invétérés opposés à tous les trônes de l’Europe et désireux de leur faire la guerre, et les ultra-royalistes promouvant la rupture d’avec la Révolution ou le retour des Bourbons. C’est pour annihiler ces deux forces d’attraction que Napoléon a fait assassiner le duc d’Enghien en 1804. « J’ai imposé silence pour toujours et aux royalistes et aux jacobins », déclare-t-il après cette exécution sauvage.

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Néanmoins cette épopée a eu la fin que l’on connaît, et Bainville a le mérite d’insister sur le caractère artificiel de cette vie que Napoléon a voulu transformer en tragédie. La fulgurante ascension sociale qu’il a connue et sa propulsion dans les toits des palais de l’Europe ont fait mentir le déterminisme qui eût voulu que Napoléon ne quittât jamais sa Corse natale. Au lieu de cela, il est devenu une des figures les plus incontournables de l’histoire de France. Et cette mystification napoléonienne a été rendue possible par le romantisme inhérent à son second exil, et les conditions de sa détention. En effet, la gloire napoléonienne a été écrite à l’encre de Sainte-Hélène. Sur cette petite île, l’inclémence du climat et la folie de son geôlier, Sir Hudson Lowe, ont rédigé le roman de la vie de Napoléon Bonaparte, et Bainville s’étonne encore que même sa fin ait contribué à l’édification de sa légende. Plus encore, cet exil aurait déterminé le cours des événements sur le continent, et notamment l’avènement du Second Empire trente-trois ans plus tard. « C’est à Sainte-Hélène qu’est né l’Empire de Napoléon III », prend soin de formuler l’auteur, montrant par-là que la mémoire impériale et le culte de l’empereur pouvaient germer dans l’esprit du peuple français par le truchement du Mémorial de Sainte-Hélène, puis par l’effet du rapatriement des cendres en 1840. De façon laconique, Chateaubriand avait résumé les choses ainsi : « La vie de Bonaparte était une vérité incontestable, que l’imposture s’était chargée d’écrire ».

Captif du vent que la Révolution avait soufflé sur l’Europe, Napoléon s’est envolé avec l’aurore étincelante d’un siècle meurtri, mais la défiance de ses propres généraux et la lassitude des puissances coalisées l’ont vaincu, et l’ont ramené à sa première condition insulaire. « Soixante batailles rangées livrées par Bonaparte ont laissé derrière elles un monde nouveau », écrit Jacques Bainville dans le chapitre conclusif de l’ouvrage. Par-delà les reniements mémoriels de notre époque, l’on ne peut que recommander cette biographie pour sa salubrité et sa profonde coloration psychologique, qui ne ressemble ni à une image d’Epinal d’un empereur parfait, ni à un tract anti-bonapartiste laborieusement gribouillé par un chercheur blasé, en d’autres termes, c’est bon pour la santé !

Grégoire Delacourt: il y a tant de façons d’aimer

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Une nuit particulière, de Grégoire Delacourt, est un roman bouleversant sur un couple touché par la grâce et la tragédie.


C’est un roman envoûtant que nous propose Grégoire Delacourt, écrivain confirmé. La même histoire est racontée par les deux protagonistes, Aurore et Simeone. Un peu comme les évangiles qui nous proposent les variantes de la même histoire avec quatre auteurs différents. Elle s’appelle Aurore, a dépassé la cinquantaine, et vient d’être quittée par l’amour de sa vie, Olivier. Elle est dévastée. Ils étaient ensemble depuis trente ans. Elle rencontre un soir d’automne, à Paris, Simeone, aux abords du local d’un groupe de parole. Il est Italien, d’où sa peau mate et les cheveux sombres. Sa voix martyrisée par le cancer lui donne le frisson. Il est flic, marié. Il va mourir.

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Ils vont s’aimer dans Paris désert. On ne voit jamais personne quand on tombe amoureux. Aurore ne peut s’empêcher de penser à Olivier qui s’éloigne. Elle se souvient d’une caresse à la brasserie Lorraine. « La nappe, blanche comme un drap, dissimulait ta main entre mes cuisses. Je m’ouvrais, tes doigts dansaient. »


Aurore raconte cette nuit singulière et inespérée avec Simeone. Ils iront voir la mer, à toute vitesse. Les dialogues, parfois, ressemblent à ceux de Duras. Duras, elle a tout dit sur la passion amoureuse. Simeone reprend l’histoire de son point de vue, moins poétique. Il n’a pas les mêmes références littéraires et cinématographiques qu’Aurore. Il a des phrases définitives : « L’amour, c’était l’absence de peur. » Vers la fin du roman, trop court, on voudrait tant rester encore un peu avec ces deux êtres touchés par la grâce ; on comprend tout, en une phrase. Ça fait l’effet d’une gifle en plein cœur. Et la suite ne nous laisse aucun répit, jusqu’à la plage et la mer aux vagues si froides.

Aurore dit : « L’autre n’est jamais à soi. Il est de passage en nous. Comme le vent. » C’est tellement vrai.

Grégoire Delacourt, Une nuit particulière, Grasset, 200 pages.

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Le valet du tyran, la perfide Albion et ses cousins germains

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Perrin publie les mémoires du majordome d’Hitler, Heinz Linge, et un essai d’Eric Branca sur certaines relations ambiguës entre l’Angleterre et le IIIe Reich.


Des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne pas entendre…  Heinz Linge (1913-1980) fut un commandant SS un peu particulier.  Le jeune homme a passé dix ans à cirer les bottes du Führer –  au propre comme au figuré -, à préparer son linge, à lui faire couler son bain, à vérifier qu’une paire de lunettes est toujours à disposition sur la table de nuit, à s’assurer du confort du patron – l’accompagnant dans tous ses déplacements… Jusqu’à la chute. C’est d’ailleurs sous ce titre que les éditions Perrin publient, inédits en français, les mémoires de cet ancien maçon. Entré au service personnel de Hitler dès 1935, il restera son majordome jusqu’au dernier jour. Et même au-delà : c’est Heinz Linge qui, le 30 avril 1945, dans le bunker berlinois où son maître et seigneur vient de se suicider, asperge d’essence les dépouilles du couple (Adolf et Eva, désormais mariés), et brûle tapis, vide-poches et documents perso.

Un majordome très candide

Entre temps, le brave garçon aura religieusement servi, les yeux bandés, son dictateur chéri, de la Wolfsschanze à la Chancellerie, de Bayreuth au Berghof, des différents bivouacs en arrière du front aux déplacements officiels qui requièrent le Führer. Témoin privilégié, donc. Sauf que Linge n’est nullement à Hitler ce qu’un Las Cases fut à Napoléon. De son propre aveu, le bougre n’a rien d’un intellectuel. Au prisme de son incorrigible fascination de féal pour son Dieu vivant, le mémorialiste s’avère incapable, rétrospectivement, d’une approche critique un tant soit peu fine et d’une certaine hauteur de vue. C’est la limite de ce témoignage «de première main » : Hitler par le « petit bout de la lorgnette ».


Qu’on en juge : « Après la lecture du matin, il se rasait lui-même, retirait son ample chemise de nuit qu’il déposait sur le lit, faisait sa toilette, prenait au portemanteau la tenue choisie pour la journée et s’habillait ». Ah bon ? ça alors ! On apprend incidemment qu’«il devait aussi y avoir partout des atlas, des loupes, des compas, du matériel d’écriture et des crayons de couleur rouges, verts et bleus prêts à l’emploi ». Que le patron, végétarien comme l’on sait, a des maux d’estomac ; qu’il se méfie des aristocrates ; qu’il savoure et entretient les rivalités dans son entourage immédiat ; que, « plein d’esprit et sarcastique, Goebbels égayait souvent l’assistance par des anecdotes spirituelles » ; que « Himmler était un homme tranquille, discret et maître de lui-même » (nous voilà rassuré) ; que Hitler, dont, dit-il, « je n’ai jamais pu établir s’il était ou non rancunier » (sic), se moquait ouvertement de la prédilection du Reichsmarschall Göring pour les uniformes de carnaval. Etc, etc. Evidemment, l’angle mort de ces confessions impérissables, c’est la Solution finale : « Ce qui se passait pendant la guerre dans les camps de concentration resta inconnu de moi-même comme de tous ceux de l’entourage du Führer », écrit Heinz Linge sans rire.

A lire aussi, du même auteur: Abel Bonnard, éternel «Gestapette»

Fort judicieusement, les notes scrupuleuses et l’excellente préface de l’historien Thierry Lentz (par ailleurs grand spécialiste de l’Empereur) remettent les pendules à l’heure. Le « candide » majordome, fait prisonnier des Russes et durablement cuisiné par la Guépéou, restera incarcéré dans les geôles soviétiques jusqu’en 1955. L’ancien larbin SS Heinz Linge, devenu cadre commercial dans le secteur du bâtiment, au cœur de la pacifique RFA, attendra 1980 pour rédiger ces fameux mémoires. Et c’est donc en 2023 que nous en arrive la première traduction en français. Dès 1807, dans La Phénoménologie de l’esprit, Hegel posait les bornes de l’exercice : « il n’y a pas de héros pour son valet de chambre (…) parce que le valet de chambre est un valet de chambre avec lequel le héros n’a pas à faire en tant que héros mais en tant que mangeant, buvant, s’habillant, en général en tant qu’homme privé dans la singularité du besoin et de la représentation ». Hegel a raison. À quoi bon Hitler vu par son verre à dents ?

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Moins anecdotique, et pour le coup beaucoup plus instructif sur le plan historiographique, l’étude très solide, passionnante, que nous livre aujourd’hui Eric Branca, quant à la relation incestueuse entre les éminences grises du régime nazi et certains caciques princiers du Royaume-Uni, à commencer par les Windsor. Tout cela a été partiellement raconté ou évoqué de mille manières par la fiction, depuis le film de Tom Hooper Le discours d’un roi, en 2010, jusqu’à tel épisode de la série télé The Crown…  Mais, en plus de 300 pages fort denses, d’une plume tout à la fois limpide et acérée, l’historien et journaliste décortique avec méthode « les liaisons dangereuses entre l’Angleterre et le IIIè Reich » – c’est le sous-titre de l’ouvrage, baptisé de façon plus sibylline L’Aigle et le Léopard.

L’autre entente cordiale

S’il faut en croire la thèse de Branca, il s’en est fallu de très peu pour que l’Angleterre, en 1940, ne signe une paix anglaise, laissant l’Europe à la merci des nazis. Sans Churchill, nous n’en serions pas là : on s’en doutait. Mais le volume stimule la réflexion, en ce qu’il prend la mesure de l’attachement de Hitler pour le « peuple germano-celtique » d’outre-Manche. Le Führer se serait accroché, bien plus longtemps qu’on ne l’imagine, à l’idée d’un partage du monde avec ses « cousins » : aux nazis l’Europe continentale, jusqu’à l’Est (plus la France humiliée, juste retour des choses) ; à la monarchie britannique son île et son Empire intacts. Cohabitation pacifique entre le monde anglo-saxon et la puissance germanique, accord financier et économique : bref, une forme d’«Entente cordiale » inédite qui laisserait, en outre, une marge de manœuvre pour en finir avec l’Union soviétique, tout en préservant la neutralité américaine. L’obsession de faire de l’Angleterre une alliée n’aurait donc quitté Hitler qu’à regret. Coté anglais – c’est ce que le livre s’emploie à montrer – les soutiens « pangermanistes » ne manquaient pas, installés de longue date dans l’aristocratie, dans la finance et dans la sphère politique.


Dès le tournant du siècle, un Houston Stewart Chamberlain (rien à voir avec le Chamberlain des accords de Munich), suprématiste avant la lettre, promeut une vision racialisée qui épaulera la tentation, outre-Manche, d’un fascisme « aristocratique » dont un Oswald Mosley, flanqué de son épouse Diana (convolant en justes noces au domicile privé de Goebbels, et en présence de Hitler !), se fera plus tard le héraut impénitent. Coup de foudre anglais pour les nazis ? C’est l’histoire des « maillons faibles » de l’estabishment britannique, tels le ministre Lord Londonderry et son épouse Lady Edith, le patron de presse Rothermere, et surtout le futur ministre des Affaires étrangères Lord Halifax, bientôt surnommé « Holly Fox », sans parler d’Allen Lothian, ou du haut fonctionnaire Maurice Hankey : tous fascinés ! Les Jeux olympiques de Berlin, en 1936, figurent l’acmé de cette hypnose qui s’empare de la maison aujourd’hui rebaptisée Windsor, victime d’une vieille consanguinité dynastique que la monarchie mettra le plus grand soin à esquiver au sortir de la guerre : la reine Victoria (1819-1901) n’était-elle pas mariée au prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha ? De mère teutonne, son petit- fils Georges V (qui règnera jusqu’en 1936) n’a-t-il pas épousé une demoiselle Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Glücksbourg ?

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Un des chapitres les plus stimulants du livre détaille la navrante idylle nouée entre Edouard VIII et Wallis Simpson, harpie américaine snob, idiote et cupide qui, ayant posé le grappin sur un prince de Galles ouvertement nazi, déstabilisera durablement la couronne britannique. L’affaire est connue. Sinon qu’elle croustille comme jamais dans ces pages. Le 20 janvier 1936, frappé par une pneumonie, s’éteint Georges V, le vieux cousin germain du monarque allemand déchu et exilé, Guillaume II. Son fils lui succède sous le nom d’Edouard VIII, benêt, noceur, paresseux, incapable, vampirisé par Wallis, laquelle n’aspire qu’à se faire appeler « Altesse » une fois consommé son divorce avec Mr Simpson. Mis en demeure de renoncer à sa courtisane, Edouard choisira « le bonheur contre l’injustice » et cèdera le trône à son frère, qui devient Georges VI. Pour épouser enfin cette fille enragée, en 1937, l’ex roi choisit… l’Allemagne ! Puis itinéraire de palais en palaces dans l’Europe entière, aux frais de la princesse, non sans faire halte à Berchtesgaden, à l’invitation du Führer, avant d’embarquer pour les Etats-Unis sur le Bremen, un transatlantique… allemand !

Il n’était pas écrit d’avance que Churchill, appelé à contre-cœur in extremis par ceux-là même – en tête, Chamberlain, l’artisan calamiteux des « accords de Munich » – qui, cinq années durant, auront fomenté la déplorable politique d’apaisement, aurait réduit ces innombrables adversaires « qui voyaient dans une alliance avec Hitler la garantie de conserver leurs privilèges à la tête d’une Angleterre régnant sur plus du tiers des terres émergées tandis que l’Allemagne aurait eu les mains libres pour domestiquer la France et coloniser l’Europe occidentale ». Engrenage raconté par Eric Branca avec un luxe de précisions inouï, dans une langue merveilleusement aiguisée.

« Herr Hitler is not a gentleman » : nos amis anglais auront donc mis bien du temps à s’en aviser. Sacrifiant in fine l’Empire britannique à la liberté reconquise de notre Europe occidentale, Churchill fut « le grain de sable » qui bloqua ce rouage funeste où, par la collusion de ses élites capitalistes et politiques avec une bonne part de l’aristocratie insulaire, « la Grande-Bretagne était infiniment plus prête que la France à participer au nouvel ordre hitlérien ! ». Et qui sut, contre toute attente, entraîner le peuple entier de la « perfide Albion » dans la lutte héroïque que l’on sait.  

L'aigle et le léopard: Les liaisons dangereuses entre l'Angleterre et le IIIe Reich

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En librairies :

Jusqu’à la chute. Mémoires du majordome d’Hitler. Heinz Linge. Présentés et annotés par Thierry Lentz. Perrin, éditeur, 2023. 336p.

L’Aigle et le Léopard. Les liaisons dangereuses entre l’Angleterre et le IIIè Reich. Eric Branca. Perrin, éditeur, 2023. 432p.

Opération Wuambushu, chronique d’un fiasco annoncé

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Une tribune libre d’André Rougé, député européen du Rassemblement national, délégué national à l’Outre-mer dans le parti.


Le moins que l’on puisse dire, s’agissant de notre président de la République, est qu’il ne ménage pas sa peine pour faire entendre la voix de la France. L’an passé à Moscou, au début du mois d’avril à Pékin, et il vient d’annoncer qu’il retournera à Kiev prochainement, « s’il y a une approche utile ». À quoi ce charivari diplomatique peut-il rimer et comment Emmanuel Macron peut-il envisager de faire s’asseoir Poutine, Xi Jinping, Biden et Zelensky à une même table, dès lors que la France est incapable de faire entendre raison à un micro-État de 800 000 habitants dans l’Océan Indien ? Car tel est le premier bilan de l’opération Wuambushu commencée ce lundi 24 Avril. Une opération au principe des plus louables, celui de s’occuper enfin de nos compatriotes du département de Mayotte en leur apportant la sécurité des personnes et des biens, premier des devoirs régaliens de l’État.

L’objectif de cette opération est triple :

  • Mettre fin à l’occupation illégale, en délogeant les squatteurs, de domaines privés et publics.
  • Reconduire à la frontière des Comores 10 % des 100 000 migrants clandestins présents illégalement sur l’île.
  • Interpeller et présenter à la justice les criminels, délinquants, marchands de sommeil, trafiquants de faux papiers et autres passeurs errant en toute liberté parmi les villages de bidonvilles.

Pour cette seule et dernière raison de rétablissement de l’autorité de l’État, l’opération doit se poursuivre. Les 1 800 policiers et gendarmes présents dans ce département français de l’Océan Indien doivent – en interpellant le maximum de ces individus que les Mahorais n’hésitent pas à appeler terroristes – faire changer la peur de camp.

Hélas, j’ai eu l’occasion de dénoncer, publiquement et avant son démarrage, l’impréparation de cette opération pourtant réclamée depuis 2018 par nos compatriotes mahorais, mais c’était prévisible, avec trois ministres – et non des moindres s’agissant des ministres régaliens – de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères qui se sont fourvoyés, la transformant en un retentissant et cuisant nouvel échec du gouvernement !

Après les incartades locales du Syndicat de la magistrature, mon collègue Julien Odoul, avait interrogé, à ma demande, M. Dupond-Moretti. Il était en effet prévisible que certains feraient usage de l’article 55 de notre Constitution précisant que les juridictions françaises peuvent annuler ou suspendre un acte administratif ; même fondé sur une loi, si elles considèrent qu’elle méconnaît un traité (comme la CEDH ou le droit de l’UE). Or, la France s’était déjà fait épingler par la CEDH au titre de son article 8, en 2003, lors d’opérations analogues à Mayotte et dans la collectivité territoriale de Saint Martin.

Cette jurisprudence très laxiste que le garde des Sceaux connaissait, aurait très bien pu être anticipée mais ça n’a pas été le cas.  Personne ne parviendra à nous faire croire et accepter qu’aucun moyen propre n’existe ou n’est connu, pour défendre les intérêts supérieurs de l’État et les intérêts supérieurs des Français !

Quant à l’attitude du gouvernement de l’Union des Comores, qui a refusé l’accostage d’un bâtiment français dans le port de l’île d’Anjouan, s’il était un fait aisément prévisible ; c’était bien celui-là !

A relire: Mayotte: Darmanin peut-il faire plier les Comores?

Mayotte est française depuis 1841, bien avant Nice et la Savoie, par trois fois et par voie référendaire, les Mahorais ont confirmé leur souhait d’appartenir à la France, ce qui est, d’ailleurs, gravé dans le marbre de l’article 72-3 de notre Constitution. Jamais les Comores, animés par une volonté irrédentiste, ne l’ont accepté.

Ce refus se traduit par des provocations à répétitions à l’égard de la France. En août 2019, le président Azali déclare sur les ondes de RFI qu’il ne reconnaît pas l’autorité du Préfet de Mayotte sur le territoire comorien. Une réaction digne de ce nom eût consisté en une action diplomatique forte sous forme du rappel de notre ambassadeur pour consultation, comme ce fût le cas pour notre ambassadeur à Rome après qu’un membre du gouvernement italien ait eu l’« outrecuidance » de rencontrer un comité de « gilets jaunes ». Et, il eût été normal de convoquer l’ambassadeur des Comores à Paris, au Quai d’Orsay, afin de lui signifier le mécontentement de la France.

Réaction de la France… Aucune !

En revanche, le président Azali a été reçu, en grande pompe, à l’Élysée par Emmanuel Macron. Il en est ressorti avec un chèque d’aide au développement de 150 millions d’euros (dont nos compatriotes mahorais auraient bien besoin) en contrepartie desquels il s’engageait à recueillir tous les ressortissants comoriens expulsés.

Cette largesse de la France ne l’a, en aucun cas, empêché de réitérer quelques temps plus tard. Lors de la dernière assemblée générale de l’ONU, le même président Azali a revendiqué la propriété de Mayotte à la tribune de l’institution internationale.

Réaction de la France… Nulle !

J’interrogeais alors notre ministre des affaires étrangères quant à cette absence de réaction qui m’a répondu en ces termes « La coopération étroite que nous entretenons avec les Comores, fruit d’un engagement de long terme, nous permet de réduire fortement la pression migratoire sur notre territoire mahorais […] en luttant ensemble, contre l’immigration clandestine grâce […] à une coopération exemplaire en matière de reconduites » [sic].

Pour compléter, chacun aura pu noter la volonté d’ingérence de cet archipel d’îlots dans les affaires intérieures de la France en réclamant l’annulation de Wuambushu. Il est aisé d’imaginer quelle serait la réaction de notre pays si Mme Meloni, M. Scholz ou M. Sunak se mêlait de ce qui se passe à Nice, en Alsace ou à Calais.

Mais là…rien !

Pour conclure ce florilège de défis et bravades, rappelons-nous les récentes déclarations de l’ambassadeur des Comores à Paris expliquant que les Comoriens sont chez eux à Mayotte. 

A tout cela, il convient d’ajouter que cette opération ne peut être viable qu’à court terme car les 70km du bras de mer séparant Anjouan de Mayotte n’empêcheront en rien les expulsés de revenir sur le territoire français d’ici six mois. Cette opération met surtout en évidence, au travers des manquements de nos trois ministres régaliens, l’amateurisme et l’incompétence du personnel politique en charge de l’exécutif de notre pays et la méthode d’Emmanuel Macron. Gouverner c’est prévoir ! L’impréparation de cette opération aura douché les espoirs de nos compatriotes mahorais et il faut souhaiter que celle-ci se poursuive pour les raisons indiquées plus haut, même si elle ne suffira pas. Il faudra, pour Mayotte comme pour la Guyane, une autre opération de ce type, mais avec les préalables indispensables à la lutte pour une maîtrise souveraine de l’immigration et pour la protection de la nationalité française, comme le propose Marine Le Pen.

Une révision de la Constitution par référendum pour refonder le cadre constitutionnel du statut des étrangers, de notre nationalité et mettre fin aux dérives d’une jurisprudence devenue folle. Ainsi, les juges ne pourraient plus écarter une loi au motif d’un traité ou du droit de l’UE. Il sera posé, comme principe que l’expulsion est possible, dès lors qu’un étranger viole nos lois et ce, quelle que soit sa situation personnelle ou celle de sa famille. Cette réforme interdira toute forme de régularisation des clandestins. Le droit d’asile ne sera plus accordé sur le territoire national, mais dans les consulats et ambassades de façon préalable à l’arrivée en France. La suppression définitive du droit du sol sera, enfin, constitutionnalisée. Ces mesures s’adapteront, bien sûr, à la France d’Outre-mer au regard des normes prévues par les articles 73 et 74. Quant au droit international, que les Comores vont tenter d’instrumentaliser, doit-il autoriser un État à refuser de protéger ses ressortissants en les accueillant sur leur propre sol, mais aussi à organiser une émigration anarchique, sinon conquérante et violente sur le territoire d’un État voisin ? La France est, de ce point de vue, agressée par les Comores. Nous avons, légitimement le droit de réagir par la plus grande fermeté. En cela, l’opération Wuambushu est une excellente répétition de l’action que devra mener un gouvernement : appliquer les lois de la République conséquentes à un référendum sur l’immigration voulu par Marine Le Pen. À Mayotte, en Guyane, comme ailleurs, nombreux sont les Français qui attendent l’élection de Marine Le Pen pour retrouver ce respect, cette protection et cette espérance.

Le p’tit commerce de Dieudo

Notre ami Jean-Paul Lilienfeld a été le premier réalisateur à offrir un grand rôle au cinéma à l’humoriste. S’il a vite reconnu son talent et ses travers, il n’a compris que tardivement que l’antisémitisme était devenu son fonds de commerce. Aujourd’hui, il ne peut croire en l’honnêteté de ses « excuses ». Témoignage.


Qu’est-ce que j’apprends ? Dieudonné demande pardon ? Dieudonné présente ses excuses ? Ah non pas de ça Dieudonné ! Continue de nous faire rire.

Quand j’ai travaillé avec Dieudonné, il n’était pas encore drôle. C’était il y a un quart de siècle. Une époque où malheureusement, les Noirs n’étaient pas encore racisés. Ils étaient « Tout simplement noirs ».

Faire tourner Dieudonné était l’aboutissement d’une démarche entreprise avec L’Œil au beur(re) noir, écrit avec Patrick Braoudé à la fin des années 1980. Je crois bien que c’était la première fois qu’un film français proposait un Noir et un Arabe en premiers rôles. Le jour où il a eu le César du meilleur premier film, je me souviens avoir dit à Pascal Légitimus que l’étape suivante, ce serait qu’un Noir joue un premier rôle qui pourrait être tenu par un Blanc, juste parce qu’il serait le meilleur pour ce rôle.

Pour le casting d’HS, Hors Service en 1998, il me fallait pour le premier rôle un acteur crédible en psychopathe. J’ai donc demandé à Dieudonné.

Alors que nous travaillions en amont du tournage, quelques détails m’ont chiffonné. Mais rien de drôle encore, rien d’antisémite. C’était l’argent son problème. Je ne me laisserai pas aller à écrire dans une gesticulation comique désopilante que, l’argent, les juifs, tout ça se tient. Ne comptez pas sur moi. Compter, toujours compter… y’a rien à faire !

Je revois encore cet éboueur entrer timidement dans le Théâtre de la Main d’or désert en cette fin d’année 1998, « pour les étrennes ». Je revois la lueur de panique dans les yeux de Dieudonné. Sa fébrilité à tâtonner ses poches comme s’il ne savait pas déjà qu’il allait répondre qu’il n’avait pas d’argent sur lui. Un peu taquin, je lui ai suggéré de faire un chèque… Manque de chance, il n’avait pas de chéquier non plus. Quand ça veut pas…

L’éboueur est reparti en grommelant des trucs pas faits pour être vraiment entendus.

Les tournages, c’était quelque chose…

Pendant le tournage il n’apprenait pas ou peu son texte et cela entraînait des heures supplémentaires qui pesaient sur l’équipe et sur moi. À la fin de l’une de ces journées catastrophiques, furieux, je suis allé le voir dans sa loge pour lui dire qu’au prix où il était payé, le minimum syndical était d’apprendre son texte.

Et là, pour la première fois, il a été vraiment drôle : « Tu me dis ça parce que je suis noir. »

Dieudonné venait de trouver son clown.

Lorsque j’avais annoncé que je lui confiais le rôle principal, un des investisseurs, pas emballé, m’avait demandé : « Pourquoi un Noir ? » Dieudonné le savait et il savait aussi que j’avais répondu : « Et pourquoi pas ? » provoquant un silence embarrassé.

À l’époque j’avais un bête humour israélien. Au lieu de me faire rire, sa mauvaise foi a entrainé une engueulade bruyante qui a fait accourir la directrice de production affolée.

La suite du tournage a été tendue. On ne s’est évidemment pas revus après…

Puis arrive 2003, le jour du drame, le sketch « Isra-Heil ». Dont j’ignorais tout, car je n’étais pas en France.

Je reviens quelques jours plus tard et à ma grande surprise, je reçois un appel de Dieudonné : « Tu le sais toi que je ne suis pas antisémite. »

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Sa question m’étonne, il m’explique ce qui s’est passé (juste un sketch, une déconnade tu vois). Je lui réponds, que n’ayant rien vu, je n’ai pas encore d’avis, mais qu’effectivement pendant le tournage, son principal défaut n’était pas l’antisémitisme…

Je regarde le passage de sa « déconnade » que je trouve lamentable mais à vrai dire, je trouve lamentable aussi l’espèce d’hallali qui a suivi. Dont je me dis vingt ans plus tard qu’il a probablement été fondateur de la suite.

N’oublions pas : radin (plus de rentrées d’argent) et parano (les juifs m’ont acculé, je vais les enc…)

Cependant, je suis sûr qu’au fond de lui, il est plein de gratitude pour les juifs. C’est grâce à eux qu’il est devenu presqu’aussi fort que Michel Leeb.

Mon Dieudo, en 2010, j’ai vu ton amusante saillie sur YouTube : « Il faut être juif pour avoir la liberté d’expression en France. […] Ils nous ont colonisés. La mort sera plus confortable que la soumission à ses chiens. » J’ai ri ! Mais j’ai ri ! Ça y est mon Dieudo, tu tiens le filon !

Et quand j’ai lu sur blackmap.com : « Les juifs sont un peuple qui a bradé l’holocauste, qui a vendu la souffrance et la mort pour monter un pays et gagner de l’argent. […] Maintenant, il suffit de relever sa manche pour montrer son numéro et avoir droit à la reconnaissance. » La force comique du gars !

Alors je t’en supplie, mon Dieudo, continue comme tu le fais depuis vingt ans de semer avec tant de verve la haine du juif. Continue de parler des sionistes en France, afin d’échapper aux procès de ces salauds, et des juifs quand tu es en Algérie – « il n’y a qu’en Algérie où je peux jouer parce que les autres pays africains sont sous contrôle du lobby juif » (conférence de presse à Alger en 2010). Les gens qui se donnent la peine de sachoir t’ont bien compris lorsque tu as déclaré, sur la chaîne iranienne Sahar 1, en septembre 2011 : « Le sionisme a tué le Christ. C’est le sionisme qui prétendait que Jésus était le fils d’une putain […]. »

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Qui, hormis un idiot de sioniste, ne comprend pas qu’au temps de Jésus, il n’y avait que des juifs et pas encore de sionistes. Puisque les juifs étaient encore chez eux. Enfin chez les Palestiniens. Enfin je me comprends…

J’ai capté que ta demande de pardon est encore une farce quand ton avocat a invoqué l’honnêteté de ta démarche. Honnête mon Dieudo condamné, entre autres, à deux ans fermes en appel pour abus de biens sociaux et fraude fiscale ? J’ai pouffé. Tu sais quoi ? C’est presque de l’humour juif.

Et quand ton avocat a ajouté que ta demande de pardon était une référence à Yom Kippour, fête juive consacrée à regretter les mauvaises actions et les mauvaises pensées commises durant l’année écoulée, là, tu m’as éclaté. J’ai su que tu leur mettais encore une belle quenelle. Un antisémite acharné découvrant soudainement la plus grande fête juive ? C’est pas de la bonne vanne ça ! Il se dit que tu es malade. Si malheureusement, c’est vrai, merci le Mossad. Mais ils ne t’auront pas. Je suis sûr que tu vas nous revenir avec tes sketchs qui me feront rire. Jusqu’aux larmes. Dieudo, vite ! Encore des punchlines qui tuent.

Mais que fait la police?

«La Gravité», un nouveau thriller communautariste, dans les salles mercredi prochain


Vous vous souvenez de Gravity, le fameux film de science-fiction d’Alfonso Cuaron, huis-clos spatial en apesanteur, sorti en 2013 ? Le cosmos s’invite de nouveau dans nos salles, mais cette fois en arrière-plan sidéral de notre bonne terre hexagonale, avec La Gravité, deuxième « long » de l’artiste franco-burkinabé Cédric Ido, lequel s’était fait connaître par un premier film peu substantiel, La vie de château, co-réalisé avec Modi Barry en 2016, exploration du quartier africain du « Château-d’eau », familier des Parisiens pour ses rabatteurs qui s’affairent bruyamment en meute autour de la rue et de la station de métro homonymes, pour vous faire l’article des salons de coiffure afro avoisinants. Les préoccupations exclusives de Cédric Ido, qui a grandi à Stains, en Seine-Saint-Denis, commune de banlieue pas franchement gentrifiée, gravitent manifestement autour des questions ethniques dans l’espace métropolitain.

Dans les cieux rougeoyants et fuligineux d’une cité faite de barres d’immeubles et de dalles minérales peu engageantes, les planètes menacent mystérieusement de s’aligner, phénomène gravitationnel qui ne laisse pas d’inquiéter la faune bigarrée à la fois prisonnière et gardienne du territoire urbain où se concentre La Gravité. La science-fiction sert ainsi d’amorce improbable à un état des lieux sociétal apocalyptique et sans rémission. Les lois de la gravitation universelle étant irrécusables, une chute malencontreuse rive Joshua (Steve Tientcheu) à son fauteuil roulant depuis l’enfance, mais les liens du sang attachent toujours viscéralement cet infirme adipeux à Daniel, son athlète de frère (Max Gomis), deux fois champion de France de sprint, à l’entraînement duquel se dévoue religieusement un coach franchouillard (Thierry Godard). Christopher (Jean-Baptiste Anoumon) ferme ce trio de noirs qu’ont rapproché, du deal à la taule, les épreuves de la vie en communauté… Face à eux, la nouvelle génération des garçons de la cité, baptisés les « Ronins », une bande de cailleras adolescents de souche maghrébine qui, cheveux teints en rouge et nippés de blousons aux effigies nippones, sévissent dans le champ clos de la cité, juchés sur des pétoires à deux roues, prophètes imberbes, ultra-violents, d’un nouvel âge planétaire dont ils se prétendent les officiants élus. Joschua, dans le secret d’un local aménagé en laboratoire high-tech, pallie avantageusement son handicap moteur, le fauteuil clandestinement transformé, pour l’heure, en véhicule de livraison de came et bientôt, surprise du chef, en robot de haute technologie propre à contrarier victorieusement et de façon spectaculaire sa condition de mobilité réduite, dans la guérilla urbaine qui verra nos gus black Joshua, Daniel et Christopher affronter tels les trois mousquetaires de la cité ces jeunes mages maghrébins qui y sèment la terreur.

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Mais que fait la police ? Celle-ci reste la grande absente de ce thriller communautaire mâtiné de SF qui, grevé de séquences d’une violence sanguinaire, finit par virer au gore. Seul personnage féminin de ce film décidément fort peu paritaire, Sabrina (Hafsia Herzi), la dulcinée sacrificielle de Daniel, n’aura d’autre choix que de fuir, sans lui, vers d’autres latitudes moins inhospitalières, hors de France… Si Cédric Ido avait voulu peindre la cité telle qu’en elle-même sous un jour plus noir, plus pathétique, plus désespérément confiné dans l’entre-soi tribal, il ne s’y serait pas pris autrement. Sous son regard, ce n’est que le terrain de jeu autarcique de communautés ennemies sans foi ni loi. Un film… raciste ?


La Gravité. Film de Cédric Ido. Avec Max Gomis, Jean-Baptiste Anoumon, Steve Tientcheu. France, couleur, 2022. Durée : 1h26. En salles le 3 mai.

Le drapeau de l’apartheid interdit en Afrique du Sud

Drapeau officiel de l’Afrique du Sud entre 1928 et 1994, il est encore arboré par les nostalgiques de l’apartheid ou brandi lors de manifestations anti-gouvernementales. La Cour suprême sud-africaine vient de rendre un arrêt définitif sur la question de son utilisation. Désormais, quiconque s’affichera publiquement avec ce symbole « discriminatoire » pourra être « poursuivi pour incitation à la haine raciale ».  


C’est un drapeau qui divise l’Afrique du Sud. Symbole du régime d’apartheid, après de longs débats parlementaires passionnés, il a été hissé pour la première fois en 1928 alors que le pays était encore un Dominion de l’Empire britannique. Ses trois couleurs orange, blanche, bleue reprennent celles de l’ancien Prinsenvlag néerlandais du XVIIe siècle avec au centre, les drapeaux de l’ancienne République boer du Transvaal, de l’État d’Orange Libre et de l’Union Jack. Remplacé immédiatement après l’arrivée au pouvoir du président Nelson Mandela en 1994, il a été longtemps toléré par le gouvernement multiracial avant que la cour d’égalité ne décide de le faire interdire en 2019. Devenu le signe de ralliement des mouvements d’extrême-droite afrikaner, régulièrement brandi lors de manifestations, la Fondation Nelson Mandela (NMF) et la Commission sud-africaine des droits de l’homme (SAHRC) avaient obtenu son bannissement après un dépôt de plainte.

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AfriForum, l’organisation de défense des droits de la communauté Afrikaner, avait immédiatement déposé un recours, estimant que cette décision empiétait sur leur liberté d’expression et que le drapeau n’était nullement discriminatoire à l’encontre de la majorité noire sud-africaine. La Cour suprême a rendu sa décision le 21 avril 2023 et a estimé que le drapeau représentait toujours le signe d’un « racisme institutionnalisé ». Dans son arrêt, elle a déclaré que « ceux qui brandissent ou agitent publiquement l’ancien drapeau transmettent un message destructeur célébrant la ségrégation et aspirant à son retour ». Lors de son passage devant le tribunal, la Commission sud-africaine des droits de l’homme a évoqué le cas de Dylann Roof, cet Américain blanc reconnu coupable et condamné à mort pour les meurtres racistes en 2015 de neuf membres de l’église noire de Charleston, en Caroline du Sud, qui s’était pris en photo avec ce drapeau. Désormais, tout Sud-africain qui s’affichera en public avec l’ancien drapeau pourra être poursuivi pour « incitation à la haine raciale ».

Interrogé par le Times, le porte-parole d’AfriForum a déclaré que « la liberté d’expression en tant que droit s’est malheureusement édulcoré dans ce pays ». « C’est un principe qui est devenu la victime de doubles standards ridicules et les conséquences futures seront probablement désastreuses » a averti Ernst van Zyl qui prend toutefois acte de la décision rendue. La Cour suprême n’a cependant pas statué sur la seconde question qui était de savoir si l’affichage de l’ancien drapeau national pouvait être autorisé au sein de la sphère privée…

Splendeurs et misères d’un humoriste

Programmé le 14 septembre prochain au Zénith de Paris, en duo avec le chanteur Francis Lalanne, Dieudonné pourrait faire l’objet d’une interdiction préfectorale. L’avocat de Dieudonné affirme du moins s’y attendre. La carrière de Dieudonné a connu une ascension remarquable au cours des années 1990. Figure de l’antiracisme à la scène comme à la ville, il mène le combat contre le FN à Dreux. Mais sa radicalisation amorcée en 2002 vire à l’obsession complotiste, antisémite et négationniste. Désormais, privé de théâtre et interdit de réseaux sociaux, il est surtout passé de mode.


Dieudonné est probablement l’un des humoristes les plus talentueux de la fin du XXe siècle. Dès le début des années 1990, ce fils d’un expert-comptable camerounais et d’une sociologue d’origine bretonne fait un tabac au théâtre et à la télévision en se produisant avec Élie Semoun, un copain de lycée. Leurs sketchs mettant en scène le petit juif Cohen et le Noir Bokassa en font un « duo comique antiraciste ». À partir de 1997, Dieudonné se tourne vers une carrière en solo et apparaît dans des films à succès, dont Astérix et Obélix : mission Cléopâtre, en 2003, point culminant de sa vie de comique grand public.

Engagement politique

Parallèlement, il s’engage en politique. En 1997, il obtient 7,74 % des voix lors d’une élection législative à Dreux, ville où, en 1983, le Front national a remporté les élections municipales. Sur scène comme dans les urnes, Dieudonné se bat contre le racisme et le FN. Il poursuit son engagement à gauche et annonce même sa candidature à la présidentielle de 2002 en se réclamant de la « troisième gauche verte ». Cette candidature constitue une étape importante dans son évolution intellectuelle et politique car, pour la première fois, il met en avant son intention d’être le porte-parole des descendants d’esclaves. Surtout, en présentant l’esclavage comme la « tragédie la plus terrible de l’histoire de l’humanité », il met en garde contre un deux poids, deux mesures concernant l’indemnisation des descendants des victimes de crimes historiques. Désormais, ses soutiens sont invités à suivre son regard…

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Après la campagne présidentielle de 2002, Dieudonné pose sa candidature pour les législatives dans la 8e circonscription du Val-d’Oise (Sarcelles, Garges-lès-Gonesse, Villiers-le-Bel), un bastion du PS tenu par Dominique Strauss-Kahn. Son score est faible (2,18 %) et sa campagne radicalise un discours de plus en plus victimaire et complotiste, qui s’inscrit dans le sillage de certains mouvements de Noirs américains. Le contexte favorise son virage idéologique : les banlieues s’agitent à la faveur de la seconde Intifada au Proche-Orient ; les attentats de New York alimentent les théories du complot, notamment autour du supposé rôle joué par Israël et les juifs ; et pour la première fois, Jean-Marie Le Pen arrive au second tour de la présidentielle.

La radicalité se paie

Comme une sorte d’éponge qui aurait absorbé les théories en vogue, Dieudonné distille un bouillon de culture original fait de complotisme, d’antisémitisme, d’antisionisme et de critique de l’Occident, le tout mélangé à des idées empruntées aux militants et penseurs radicaux proches de l’organisation américaine Nation of Islam. Mais c’est aussi le moment où il commence à payer le prix de sa radicalité. En 2002, le CNC refuse de soutenir financièrement son grand projet de film sur la traite et le Code noir. Pour Dieudonné, ce refus est à mettre sur le compte des « sionistes » qui dirigeraient le Centre national du cinéma, prêts à tout pour protéger les intérêts mémoriels de la Shoah au détriment de la mémoire de la traite négrière. Ainsi glisse-t-il vers le négationnisme : de l’argument « la traite est plus grave que la Shoah », il passe à « la Shoah n’a pas existé », pour finir à « la Shoah a été inventée par les juifs pour faire du fric ». Les juifs, Israël et le sionisme deviennent une obsession, la Révélation de quelqu’un qui n’appartient pas au « système » et qui a, lui, « tout compris ».

Le point de rupture avec le grand public se situe fin 2003. Invité sur le plateau de « On ne peut pas plaire à tout le monde », de Marc-Olivier Fogiel, Dieudonné interprète, au cours d’un sketch, un colon israélien coiffé d’un chapeau de juif orthodoxe, arborant des papillotes et portant un treillis. Il conclut la performance par le cri « Isra-heil ! » et un salut nazi. Même si c’est Dieudonné qui porte plainte contre Fogiel pour injure raciale et qui gagne, cet épisode le classe définitivement dans la catégorie des infréquentables. S’ensuivent des errements idéologiques et une série d’alliances-amitiés : Soral, Faurisson, Le Pen père, Ahmadinejad…

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Durant les années 2000, Dieudonné perd son statut au sein du show-biz, du monde politique et du « peuple », mais ne se coupe pas pour autant du reste de la société. D’une certaine société du moins, ses nouveaux fans venant par milliers de milieux radicaux, racistes, antisémites, négationnistes, islamistes et, surtout, complotistes. Cerise sur le gâteau, il plaît à une frange de la jeunesse catholique bourgeoise, séduite par l’expérience du rire transgressif car, ne l’oublions pas, Dieudonné est resté drôle, très drôle même.

Bras de fer

Il atteint le point culminant de sa radicalisation en 2011-2013. Il produit le film L’Antisémite, qu’il réalise et dans lequel il joue, ses spectacles ont du succès et ses frictions avec des associations comme la Licra, qui essaient d’interdire ses spectacles, défraient la chronique. Fin 2012, Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, entame un long bras de fer pour réduire la capacité de l’humoriste à se produire sur scène. Puis les attentats de 2015 changent l’état d’esprit général. Le 18 mars 2015, Dieudonné est condamné à deux mois de prison avec sursis pour apologie d’actes de terrorisme : il avait écrit sur Facebook « Je me sens Charlie Coulibaly » – condamnation confirmée par la cour d’appel de Paris.

Pour quelques années encore Dieudonné reste présent sur les réseaux sociaux mais, en juin 2020, sa page YouTube est supprimée « pour infractions répétées à son règlement ». Les réseaux alternatifs, dont Vimeo, finissent par l’interdire également, puis Facebook, Instagram et TikTok suspendent à leur tour ses comptes.

Aujourd’hui, pire que les procès, les interdictions et les amendes, Dieudonné n’est simplement plus à la mode. Les jeunes d’il y a vingt ans ne le sont plus, et leurs petits frères et sœurs ont d’autres manières de cracher à la figure du néolibéralisme et de goûter aux plaisirs d’une transgression sans risque. Avant même sa lettre de pardon publiée dans Israël Magazine le 10 janvier dernier, Dieudonné a, semble-t-il, déjà pris la mesure de la situation. Son dernier spectacle s’intitule « Foutu pour foutu ».

Les suspicions envers le Premier ministre de l’Écosse sont-elles fondées?

Indépendantiste, européiste, multiculturaliste, et musulman, le nouveau Premier ministre de l’Écosse, Humza Yousaf, entend bien faire revenir, dans le giron de l’Union européenne, une Écosse indépendante et respectueuse des valeurs de l’islam, trois ans après le Brexit.


À 38 ans, Humza Yousaf, né à Glasgow, d’ascendance pakistanaise et ayant des liens dans le passé avec les Frères musulmans, a déjà occupé les postes de secrétaire à la Justice et de secrétaire à la Santé et à la protection sociale. Cela après avoir eu des portefeuilles au ministère de l’Europe et du développement international et au ministère du Transport et des îles. Lors de son mandat à la Santé, sa gestion de l’épidémie de covid a été vivement critiquée, mais cela ne l’a pas empêché de poursuivre son ascension politique fulgurante, grâce au soutien de ses mentors – les anciens Premiers ministres de l’Écosse, Alex Salmond et Nicola Sturgeon.

Le 28 mars 2023, il devient à son tour Premier ministre de l’Écosse après avoir remporté les élections pour la présidence du parti indépendantiste, le Scottish National Party (SNP), aux manettes à Edimbourg depuis 2007. Il gouverne désormais avec les écologistes au sein d’une coalition de centre-gauche. Dès son arrivée au pouvoir, il se présente comme « fier d’être Écossais et fier d’être Européen » et il déclare que « le peuple écossais a plus que jamais besoin d’indépendance, et nous serons la génération qui la lui offrira ».

Humza Yousaf, promoteur du « Scexit »

Dès 2011, Humza Yousaf a été élu membre du Parlement écossais sous l’étiquette du SNP. Ce parti, fondé en 1934, est devenu, avec le Parti conservateur et le Parti travailliste, l’un des trois grands partis siégeant au Parlement. Cette assemblée créée en 1999 résulte de la dévolution des pouvoirs accordée en 1997 par l’ancien Premier ministre britannique, Tony Blair, à l’Écosse, à l’Irlande du Nord et au Pays de Galles.

Le SNP milite pour l’indépendance de l’Écosse : le « Scexit », à savoir la sécession de l’Écosse du Royaume-Uni (dont elle fait partie depuis 1707) et ce, en vue d’une adhésion du pays à l’Union européenne. Cette ligne politique est soutenue par Bruxelles. Elle est encouragée par exemple par le Mouvement européen en Écosse (European Movement in Scotland), placé lui-même sous la houlette du Mouvement européen international (MEI), une organisation-parapluie, financée par la Commission européenne qui promeut urbi et orbi l’idée d’intégration européenne.

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Ce qui n’est pas encore certain, c’est si l’Écosse serait obligée, en tant que nouvel État-membre de l’UE, d’entrer dans l’espace Schengen et d’adopter l’euro comme monnaie. Si oui, une « frontière dure » avec l’Angleterre serait érigée et des check-points seraient mis en place pour le contrôle des passeports et des marchandises.

Dès son élection, Humza Yousaf a réclamé la tenue d’un second référendum sur l’indépendance de l’Écosse, appelé « indyref2 ». Le premier référendum s’était tenu en septembre 2014 et avait été un échec pour les indépendantistes. Pour l’heure, la Cour suprême britannique s’est prononcée contre « indyref2 » et le Premier ministre britannique Rishi Sunak s’y est également opposé. Par ailleurs, le 13 avril, le ministre des Affaires étrangères britannique a condamné le fait que des ministres écossais du SNP utilisent leurs déplacements à l’étranger « pour promouvoir le séparatisme et saper les positions politiques du gouvernement britannique ».

Humza Yousaf, chantre du multiculturalisme…

Lors des élections législatives écossaises de 2011, Humza Yousaf avait déjà défrayé la chronique en prêtant le serment d’allégeance des députés au Monarque britannique à la fois en anglais et en ourdou, sa langue maternelle. Pour l’occasion, il était vêtu d’un étrange habit de cérémonie hybride composé d’un manteau masculin indo-pakistanais (le sherwani) et d’un tartan traditionnel écossais. Ce faisant, il s’était inscrit dans une optique communautariste parfaitement acceptée en Écosse, où les députés doivent d’abord prêter serment en anglais mais peuvent ensuite répéter le sermon dans une autre langue (au Parlement britannique à Westminster, le premier sermon doit se faire en anglais mais les députés qui veulent répéter le sermon dans une autre langue doivent se limiter au gaélique écossais, au gallois ou au cornique).

… et suspecté d’être un promoteur de l’islamisme

Dès son élection, le 29 mars, le nouveau Premier ministre écossais s’est affiché en famille dans sa résidence officielle de Charlotte Square (Bute House) à Edimbourg à l’occasion d’une prière islamique. Le 21 avril 2023, jour marquant la fin du Ramadan, il a publiquement souhaité aux musulmans d’Écosse et du monde entier une bonne cérémonie de l’Aïd el-Fitr. Au-delà de cet affichage qui, en France, ferait bondir les thuriféraires de la laïcité, le Premier ministre écossais a entretenu, au début de sa carrière politique, des liens avec l’islamisme qui ont été très peu évoqués par les médias au cours de la récente campagne pour la présidence du SNP, mais qui ont fait l’objet d’un résumé synthétique sur le site web Focus on Western Islamism. Cette carrière démarre dans la deuxième moitié des années 2000, lorsqu’il devient l’assistant de plusieurs cadres dirigeants du SNP. À ce moment-là, il dirige avec son cousin Osama Saeed la Scottish Islamic Foundation (SIF) et c’est dans ce contexte que, en 2008, il a organisé une rencontre entre le ministre de l’Europe, des affaires extérieures et de la culture et trois islamistes ayant des liens forts avec le Hamas et les Frères musulmans. D’ailleurs, entre 2008 et 2012, la SIF a reçu une subvention de 405 000 livres de la part du gouvernement indépendantiste. Élu député en 2011, Yousaf devient lui-même ministre de l’Europe et des affaires extérieures et accorde une subvention de 398 000 livres à Islamic Relief, l’une des plus grandes organisations caritatives islamistes au monde qui a des liens avec les Frères musulmans. L’antisémitisme de ses cadres dirigeants a été dénoncé par le département d’État américain en 2020. Avant son élection, Yousaf avait été porte-parole de cette organisation en Écosse. Son cousin Osama Saeed a appelé de ses vœux l’instauration d’un califat en 2005. En 2006, il a défendu publiquement celui qui allait devenir le chef d’Al-Qaida dans la péninsule arabique : Anwar Al-Awlaqi. En 2010, Saeed a quitté l’Écosse afin de travailler pour Al Jazeera au Qatar, pays avec lequel Yousaf aurait entretenu aussi des relations.

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Depuis, Yousaf a apparemment pris ses distances avec ces accointances et se présente aujourd’hui plutôt comme progressiste. Mais la loi contre les crimes de haine, très restrictive, qui a été promulguée par le gouvernement écossais quand il était secrétaire la Justice en 2020, a été vivement critiquée : selon certains, l’article portant sur la religion ressuscite le crime de blasphème, aboli il y a longtemps. Ainsi son progressisme wokiste, affiché dans sa défense acharnée de la loi écossaise facilitant les transitions de genre, n’est pas incompatible avec l’activisme islamique. Pendant la campagne pour être chef du SNP, il a affiché sa foi musulmane en admettant qu’elle n’était pas favorable au mariage gay, mais a prétendu que sa religion n’influerait pas sur son travail de législateur. Cela ne l’a pas empêché d’être élu. En revanche, les adhérents du SNP n’ont pas fait preuve de la même mansuétude envers sa rivale, Kate Forbes, ancienne secrétaire chargée des Finances, dont le christianisme traditionnel a été vivement censuré par les médias et militants wokistes.

Avec ses multiples facettes (indépendantiste, européiste et multiculturaliste), Humza Yousaf semble cocher les bonnes cases pour séduire les institutions européennes. Quant à ses inclinations islamistes potentielles, les tenants de l’intégration européenne à marche forcée s’en accommoderont probablement sans rechigner, si cela permet de faire avancer leur agenda. En effet, rien ne semble freiner l’entrisme islamiste dans les institutions européennes, comme en ont témoigné la campagne de promotion du voile islamique ou les récentes affaires de corruption impliquant le Qatar au Parlement européen.

«Casserolades»: le pouvoir contraint à la politique du non contact

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Emmanuel Macron, théoricien du «en même temps», vient d’inventer une nouvelle coquecigrue: la proximité distancée. Un billet politique d’Ivan Rioufol.


Afin de démontrer qu’il ne serait pas reclus dans le bunker qu’est devenu l’Élysée, le chef de l’État a décidé d’aller à nouveau, pour quelques mises en scène télévisées, à la rencontre des gens. Mais l’image qui en est ressortie, mardi à Vendôme (Loir et Cher), a été le révélateur têtu de la réalité du pouvoir esseulé. C’est un président tenu à l’écart de la foule et des « casserolades » qui s’est essayé à une brève immersion auprès d’un public choisi. La société du non contact, issue de la crise sanitaire, est en train de déteindre sur la pratique politique. Le divorce entre la caste et la société ordinaire est tel que seule la distanciation permet d’éviter que les situations ne dégénèrent. Des ministres, dépêchés pareillement sur le terrain, ont dû également se réfugier dans l’attente ou la fuite pour éviter d’avoir à rencontrer des Français furieux. Le gouvernement veut se rassurer en mettant en avant dans les médias la réplique de Rima Abdul-Malak, interpellée lundi soir par deux syndicalistes CGT lors de la 34e cérémonie des Molière. De fait, la ministre, qui avait préparé sa riposte, a été applaudie par l’assistance. Mais ceci n’est guère un exploit venant d’un milieu théâtral acquis à la pensée conforme du macronisme. Le comédien Michel Fau, qui a quitté la salle après la saillie des deux militantes de l’intermittence, replace la réalité du problème, hier dans Le Figaro. Il explique: « Il y a un mépris pour le théâtre populaire qui est problématique ». C’est ce rejet du peuple, de ses goûts, de ses aspirations, qui est au cœur de la crise politique et démocratique.

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Rennes, 17 avril 2023 © PICAUD JUSTIN/SIPA

Macron se trompe en croyant pouvoir « tourner la page » des retraites. Il se trompe en traitant de « démagogues » ou de « populistes » ceux qui protestent. Il se trompe en maintenant une distanciation avec ses compatriotes. Il se trompe nommant volontairement le RN recentré de son ancien nom, le Front national.

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Il fait comprendre, en effet, qu’il ne voit rien du réveil de la classe moyenne, de cette société majoritaire mais marginalisée. Or elle entend se faire entendre, quitte à prendre une place centrale. Le contraste est saisissant entre Macron, contraint de s’éclipser en hélicoptère, et Marine Le Pen qui, dans une hyper-proximité locale, est acclamée par les badauds qui lui demandent des selfies et l’appellent par son prénom. Crier au retour de l’extrême droite, comme Macron et bien des médias moutonniers le font, est une autre manière d’insulter ces citoyens oubliés. Ils sont en recherche d’un mouvement politique qui les respecte et les écoute. Ce sont des Français abandonnés qui se tournent vers la droite patriote, également représentée par « Reconquête ! », voire LR. Dans le monde enseignant, citadelle de la gauche, 25% des professeurs auraient voté RN lors de la présidentielle (Cevipof). Une révolution est en marche. Les « élites » calfeutrées doivent s’attendre à rendre des comptes.

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Bonaparte raconté par Bainville

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Statue de Napoléon Bonaparte, à la Cour d'Honneur des Invalides. © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Qui de mieux que Jacques Bainville, royaliste assumé, pour raconter le destin d’un empereur? « Napoléon », paru en 1931.


Dans la sécheresse stylistique de notre époque et l’aridité spirituelle que les historiens-laborantins revendiquent dans la morne récitation du passé, le roman national n’a quasiment plus aucune plume pour émouvoir notre peuple. A l’exception d’une poignée d’individualités que des « chercheurs » jaloux raillent sous le nom de « vulgarisateurs », il est peu d’historiens et d’auteurs qui sachent encore faire danser les mots avec l’alphabet de l’histoire de France, et faire vibrer la lyre de notre passé commun. Le désenchantement du monde moderne a également répandu son poison dans la narration de tout ce qui l’a précédé, et ni un Ernest Lavisse ni un Ernest Renan n’apprécieraient l’abolition de toute possibilité d’une acculturation républicaine ou patriotique, fatale conséquence de la disparition de tout charme et de toute idée de la grandeur.

La singularité d’une œuvre à la croisée des genres

Parmi les derniers grands penseurs de notre pays figure l’historien et académicien Jacques Bainville né le 9 février 1879, et décédé le 9 février 1936. Il a laissé derrière lui des chefs d’œuvre de l’intelligence humaine devenus des classiques, avec ses incontournables Conséquences politiques de la paix parues en 1920, et sa fameuse Histoire de France publiée en 1924. Cet historien germaniste a légué à la postérité une biographie de Napoléon en 1931, et a su apporter à une hagiographie napoléonienne édifiée par les travaux d’Adolphe Thiers, d’Albert Sorel, d’Albert Vandal ou encore Henry Houssaye les splendeurs qui lui manquaient. Dans cette biographie polychromatique, touchante sans pour autant succomber à la sensiblerie, Bainville a su allier la méthode psychologique de Sainte-Beuve à la grandeur narrative de Chateaubriand, mais sans s’ébouillanter dans l’emphase délirante de Michelet. À l’âge de vingt ans, il avait déjà dédicacé son Louis II de Bavière à Maurice Barrès, en 1920. Très tôt les destins tragiques l’ont interpellé, et il avait fait sien ce mot de Chateaubriand, selon lequel « aux yeux de l’avenir il n’ y a de beau que les existences malheureuses». Il ne pouvait se contenter de livrer sans corps ni matière un enchaînement causal informe et sans visage, et il a toujours veillé à extraire toutes les plissures des portraits qu’il avait dressés, que ce soit celui de Bismarck, de Louis II de Bavière ou de Napoléon.

Un Napoléon protéiforme et captif des événements

Ni réquisitoire ni dithyrambe, Bainville nous présente un Napoléon paré des atouts de Protée. Les intitulés des vingt-sept chapitres de l’ouvrage sont éloquents, et d’anonyme « boursier du roi » à « martyre », Napoléon a connu les stades de « maître de la paix » comme de « gendre des Césars ». Intransigeante, cette biographie nous présente un homme, soumis à l’emprise de ses passions, tourmenté par son inconcevable destinée, soucieux d’asseoir sa légitimité contestée que ses origines extra-dynastiques l’empêcheront d’obtenir plus d’une quinzaine d’années, soit une parenthèse dans l’histoire moderne. Des plaines de la Corse où Napoléon caresse le penchant indépendantiste, de son petit secrétaire au temps de l’école de Brienne où il recevait une éducation « aux frais du roi » et depuis lequel il assouvissait sa boulimie littéraire, Bainville ne fait pas l’impasse, et nous montre toutes les saillies qui laissaient déjà apercevoir un volcan sur pattes.

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Subissant les clabauderies de ses camarades moquant son accent corse, Napoléon enfant aurait dit à son ami Bourrienne : « Je ferai à tes Français tout le mal que je pourrai » – avertissement que l’histoire exaucera, il faut bien le reconnaître. « On peut dire que sa jeunesse a été une longue lecture », écrit l’historien, qui ne manque pas d’insister sur la profonde nature littéraire du jeune écolier devenu officier d’artillerie à « seize ans quinze jours », ainsi qu’il l’a consigné dans un carnet de jeunesse. Selon Bainville, les lectures pléthoriques qu’a collectées Napoléon, en toutes matières, ont germé tout au long de sa vie pour se manifester au gré des circonstances, que ce soit en Égypte, en Italie, en Russie ou quand il s’est agi de considérer la rédaction du Code civil auprès de Portalis, Tronchet, Maleville et Bigot de Préameneu. Bainville note que l’un des désastres politiques de l’empereur est à trouver dans sa gestion de l’Espagne, pays à propos duquel, souligne-t-il, Napoléon n’avait jamais rien lu. La dimension littéraire est donc une donnée fondamentale dans l’appréhension du parcours de Napoléon, et il se sentait lui-même artiste ou poète, bien avant d’être un stratège, un militaire ou l’occupant d’un trône impérial.

Jacques Bainville, D.R.

L’insistance sur la précarité du régime impérial

Loin des représentations idéal-typiques mettant en scène un empereur jupitérien et confiant envers la solidité des institutions qu’il a élevées après la tempête de la Révolution, Bainville attire l’attention du lecteur sur l’obsession qu’avait Bonaparte d’asseoir la « quatrième dynastie » – après les mérovingiens, les carolingiens et les capétiens -, non sans avoir longtemps refusé de désigner un successeur. Il sentait que son trône était continuellement chancelant. Que chaque jour à l’extérieur de Paris, à l’occasion de chaque bataille, les conspirations, les intrigues, les attentats et les défiances menaçaient de renverser le trône impérial. Le bruit courait souvent que si l’empereur périssait, alors l’Empire allait s’écrouler avec lui, n’ayant pas d’assise dynastique ni de légitimité monarchique.

Pendant quinze ans il n’a cessé d’être hanté par l’idée de sa propre chute, et il avait confié à sa mère que le plus dur n’était pas d’entrer aux Tuileries, mais d’y rester. Bainville raconte les tortures morales de Bonaparte, et nous dévoile un homme inconstant, toujours en proie au doute, et sujet à la plus fâcheuse indétermination. Toujours tiraillé entre plusieurs hypothèses : doit-il assurer sa succession ? Doit-il divorcer et ainsi rompre son mariage avec Joséphine de Beauharnais ? Doit-il s’allier avec Alexandre, tsar de Russie ? Doit-il se lier maritalement avec une membre de la maison d’Autriche, et unir sa dynastie à celle des Habsbourg ? Faut-il envahir la Russie en 1812 ? Autant de labyrinthes de perplexités, que les murmures de ses généraux ou de Talleyrand ne manquaient pas d’alimenter. Si Bonaparte demeure, avec toute la légende qui s’y rattache, un météore du genre humain, il n’en reste pas moins qu’il n’était pas l’exécutant spontané que l’on dépeint parfois. Il méditait, prenait son temps, étudiait, se plongeait dans les livres et dans les cartes, comme s’il devait à chaque fois se figurer les choses avant de les vivre. Toute sa politique religieuse et sa relation avec Pie VII le démontrent, tout comme la conduite de ses batailles et ses décisions de politique intérieure. Avant de cheminer vers la Russie, il demande l’extraction de tous les documents liés à cet empire des archives. Et il en allait ainsi pour toute sa politique internationale. En somme, le biographe ne manque pas une occasion pour le souligner : Napoléon a toujours senti qu’il ne pouvait être qu’un coup de vent dans l’histoire du monde.

Un Napoléon continuateur de la Révolution, et marche-pied de la Restauration

« L’ambition, la volonté de Bonaparte n’auraient rien pu, même après Brumaire, si elles n’avaient été dans le sens des choses ». Telle est la formule systémique que Bainville plaque à la compréhension de l’épopée napoléonienne. Jeune officier d’artillerie imbibé des idées du siècle des Lumières et de Rousseau, il a fait fusiller des royalistes devant l’église Saint-Roch, à Paris, mais Premier Consul, il signe le Concordat en 1801, et au moment de devenir empereur il se couronne lui-même, sans la main du pape. La vérité est que dès 1789, il est condamné à la jonglerie à perpétuité. Il devra jongler entre républicanisme et tout ce qui en dérive – jacobinisme, girondisme, constitutionnalisme et passion de l’égalité – avec le conservatisme social, la préservation des acquis de la révolution, le maintien d’un haut niveau de conscription et les promesses de paix définitive, et ainsi de toutes les mortelles tensions de cette société bouleversée qui cherche une identité mystique autant qu’institutionnelle. Ce n’est pas par hasard si son premier Conseil d’État est composé de régicides, de modérés et de monarchistes. Napoléon cherchait le syncrétisme, et on lui a prêté ce mot resté célèbre : « De Clovis au Comité de Salut public, j’assume tout ! ». Toute sa méthode de gouvernement était axée autour de ce qu’il appelait son souci de « fusion » entre toutes les forces antagonistes en présence. Durant tout son règne, précise Bainville, Napoléon s’est montré soucieux de donner des gages aux radicaux des deux pôles – les républicains invétérés opposés à tous les trônes de l’Europe et désireux de leur faire la guerre, et les ultra-royalistes promouvant la rupture d’avec la Révolution ou le retour des Bourbons. C’est pour annihiler ces deux forces d’attraction que Napoléon a fait assassiner le duc d’Enghien en 1804. « J’ai imposé silence pour toujours et aux royalistes et aux jacobins », déclare-t-il après cette exécution sauvage.

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Néanmoins cette épopée a eu la fin que l’on connaît, et Bainville a le mérite d’insister sur le caractère artificiel de cette vie que Napoléon a voulu transformer en tragédie. La fulgurante ascension sociale qu’il a connue et sa propulsion dans les toits des palais de l’Europe ont fait mentir le déterminisme qui eût voulu que Napoléon ne quittât jamais sa Corse natale. Au lieu de cela, il est devenu une des figures les plus incontournables de l’histoire de France. Et cette mystification napoléonienne a été rendue possible par le romantisme inhérent à son second exil, et les conditions de sa détention. En effet, la gloire napoléonienne a été écrite à l’encre de Sainte-Hélène. Sur cette petite île, l’inclémence du climat et la folie de son geôlier, Sir Hudson Lowe, ont rédigé le roman de la vie de Napoléon Bonaparte, et Bainville s’étonne encore que même sa fin ait contribué à l’édification de sa légende. Plus encore, cet exil aurait déterminé le cours des événements sur le continent, et notamment l’avènement du Second Empire trente-trois ans plus tard. « C’est à Sainte-Hélène qu’est né l’Empire de Napoléon III », prend soin de formuler l’auteur, montrant par-là que la mémoire impériale et le culte de l’empereur pouvaient germer dans l’esprit du peuple français par le truchement du Mémorial de Sainte-Hélène, puis par l’effet du rapatriement des cendres en 1840. De façon laconique, Chateaubriand avait résumé les choses ainsi : « La vie de Bonaparte était une vérité incontestable, que l’imposture s’était chargée d’écrire ».

Captif du vent que la Révolution avait soufflé sur l’Europe, Napoléon s’est envolé avec l’aurore étincelante d’un siècle meurtri, mais la défiance de ses propres généraux et la lassitude des puissances coalisées l’ont vaincu, et l’ont ramené à sa première condition insulaire. « Soixante batailles rangées livrées par Bonaparte ont laissé derrière elles un monde nouveau », écrit Jacques Bainville dans le chapitre conclusif de l’ouvrage. Par-delà les reniements mémoriels de notre époque, l’on ne peut que recommander cette biographie pour sa salubrité et sa profonde coloration psychologique, qui ne ressemble ni à une image d’Epinal d’un empereur parfait, ni à un tract anti-bonapartiste laborieusement gribouillé par un chercheur blasé, en d’autres termes, c’est bon pour la santé !

Grégoire Delacourt: il y a tant de façons d’aimer

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L'écrivain français Grégoire Delacourt © JF PAGA

Une nuit particulière, de Grégoire Delacourt, est un roman bouleversant sur un couple touché par la grâce et la tragédie.


C’est un roman envoûtant que nous propose Grégoire Delacourt, écrivain confirmé. La même histoire est racontée par les deux protagonistes, Aurore et Simeone. Un peu comme les évangiles qui nous proposent les variantes de la même histoire avec quatre auteurs différents. Elle s’appelle Aurore, a dépassé la cinquantaine, et vient d’être quittée par l’amour de sa vie, Olivier. Elle est dévastée. Ils étaient ensemble depuis trente ans. Elle rencontre un soir d’automne, à Paris, Simeone, aux abords du local d’un groupe de parole. Il est Italien, d’où sa peau mate et les cheveux sombres. Sa voix martyrisée par le cancer lui donne le frisson. Il est flic, marié. Il va mourir.

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Ils vont s’aimer dans Paris désert. On ne voit jamais personne quand on tombe amoureux. Aurore ne peut s’empêcher de penser à Olivier qui s’éloigne. Elle se souvient d’une caresse à la brasserie Lorraine. « La nappe, blanche comme un drap, dissimulait ta main entre mes cuisses. Je m’ouvrais, tes doigts dansaient. »


Aurore raconte cette nuit singulière et inespérée avec Simeone. Ils iront voir la mer, à toute vitesse. Les dialogues, parfois, ressemblent à ceux de Duras. Duras, elle a tout dit sur la passion amoureuse. Simeone reprend l’histoire de son point de vue, moins poétique. Il n’a pas les mêmes références littéraires et cinématographiques qu’Aurore. Il a des phrases définitives : « L’amour, c’était l’absence de peur. » Vers la fin du roman, trop court, on voudrait tant rester encore un peu avec ces deux êtres touchés par la grâce ; on comprend tout, en une phrase. Ça fait l’effet d’une gifle en plein cœur. Et la suite ne nous laisse aucun répit, jusqu’à la plage et la mer aux vagues si froides.

Aurore dit : « L’autre n’est jamais à soi. Il est de passage en nous. Comme le vent. » C’est tellement vrai.

Grégoire Delacourt, Une nuit particulière, Grasset, 200 pages.

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Le valet du tyran, la perfide Albion et ses cousins germains

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Le duc et la duchesse de Windsor invités par Adolf Hitler au Berghof à BERCHTESGADEN, octobre 1937 © AP/SIPA

Perrin publie les mémoires du majordome d’Hitler, Heinz Linge, et un essai d’Eric Branca sur certaines relations ambiguës entre l’Angleterre et le IIIe Reich.


Des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne pas entendre…  Heinz Linge (1913-1980) fut un commandant SS un peu particulier.  Le jeune homme a passé dix ans à cirer les bottes du Führer –  au propre comme au figuré -, à préparer son linge, à lui faire couler son bain, à vérifier qu’une paire de lunettes est toujours à disposition sur la table de nuit, à s’assurer du confort du patron – l’accompagnant dans tous ses déplacements… Jusqu’à la chute. C’est d’ailleurs sous ce titre que les éditions Perrin publient, inédits en français, les mémoires de cet ancien maçon. Entré au service personnel de Hitler dès 1935, il restera son majordome jusqu’au dernier jour. Et même au-delà : c’est Heinz Linge qui, le 30 avril 1945, dans le bunker berlinois où son maître et seigneur vient de se suicider, asperge d’essence les dépouilles du couple (Adolf et Eva, désormais mariés), et brûle tapis, vide-poches et documents perso.

Un majordome très candide

Entre temps, le brave garçon aura religieusement servi, les yeux bandés, son dictateur chéri, de la Wolfsschanze à la Chancellerie, de Bayreuth au Berghof, des différents bivouacs en arrière du front aux déplacements officiels qui requièrent le Führer. Témoin privilégié, donc. Sauf que Linge n’est nullement à Hitler ce qu’un Las Cases fut à Napoléon. De son propre aveu, le bougre n’a rien d’un intellectuel. Au prisme de son incorrigible fascination de féal pour son Dieu vivant, le mémorialiste s’avère incapable, rétrospectivement, d’une approche critique un tant soit peu fine et d’une certaine hauteur de vue. C’est la limite de ce témoignage «de première main » : Hitler par le « petit bout de la lorgnette ».


Qu’on en juge : « Après la lecture du matin, il se rasait lui-même, retirait son ample chemise de nuit qu’il déposait sur le lit, faisait sa toilette, prenait au portemanteau la tenue choisie pour la journée et s’habillait ». Ah bon ? ça alors ! On apprend incidemment qu’«il devait aussi y avoir partout des atlas, des loupes, des compas, du matériel d’écriture et des crayons de couleur rouges, verts et bleus prêts à l’emploi ». Que le patron, végétarien comme l’on sait, a des maux d’estomac ; qu’il se méfie des aristocrates ; qu’il savoure et entretient les rivalités dans son entourage immédiat ; que, « plein d’esprit et sarcastique, Goebbels égayait souvent l’assistance par des anecdotes spirituelles » ; que « Himmler était un homme tranquille, discret et maître de lui-même » (nous voilà rassuré) ; que Hitler, dont, dit-il, « je n’ai jamais pu établir s’il était ou non rancunier » (sic), se moquait ouvertement de la prédilection du Reichsmarschall Göring pour les uniformes de carnaval. Etc, etc. Evidemment, l’angle mort de ces confessions impérissables, c’est la Solution finale : « Ce qui se passait pendant la guerre dans les camps de concentration resta inconnu de moi-même comme de tous ceux de l’entourage du Führer », écrit Heinz Linge sans rire.

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Fort judicieusement, les notes scrupuleuses et l’excellente préface de l’historien Thierry Lentz (par ailleurs grand spécialiste de l’Empereur) remettent les pendules à l’heure. Le « candide » majordome, fait prisonnier des Russes et durablement cuisiné par la Guépéou, restera incarcéré dans les geôles soviétiques jusqu’en 1955. L’ancien larbin SS Heinz Linge, devenu cadre commercial dans le secteur du bâtiment, au cœur de la pacifique RFA, attendra 1980 pour rédiger ces fameux mémoires. Et c’est donc en 2023 que nous en arrive la première traduction en français. Dès 1807, dans La Phénoménologie de l’esprit, Hegel posait les bornes de l’exercice : « il n’y a pas de héros pour son valet de chambre (…) parce que le valet de chambre est un valet de chambre avec lequel le héros n’a pas à faire en tant que héros mais en tant que mangeant, buvant, s’habillant, en général en tant qu’homme privé dans la singularité du besoin et de la représentation ». Hegel a raison. À quoi bon Hitler vu par son verre à dents ?

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Moins anecdotique, et pour le coup beaucoup plus instructif sur le plan historiographique, l’étude très solide, passionnante, que nous livre aujourd’hui Eric Branca, quant à la relation incestueuse entre les éminences grises du régime nazi et certains caciques princiers du Royaume-Uni, à commencer par les Windsor. Tout cela a été partiellement raconté ou évoqué de mille manières par la fiction, depuis le film de Tom Hooper Le discours d’un roi, en 2010, jusqu’à tel épisode de la série télé The Crown…  Mais, en plus de 300 pages fort denses, d’une plume tout à la fois limpide et acérée, l’historien et journaliste décortique avec méthode « les liaisons dangereuses entre l’Angleterre et le IIIè Reich » – c’est le sous-titre de l’ouvrage, baptisé de façon plus sibylline L’Aigle et le Léopard.

L’autre entente cordiale

S’il faut en croire la thèse de Branca, il s’en est fallu de très peu pour que l’Angleterre, en 1940, ne signe une paix anglaise, laissant l’Europe à la merci des nazis. Sans Churchill, nous n’en serions pas là : on s’en doutait. Mais le volume stimule la réflexion, en ce qu’il prend la mesure de l’attachement de Hitler pour le « peuple germano-celtique » d’outre-Manche. Le Führer se serait accroché, bien plus longtemps qu’on ne l’imagine, à l’idée d’un partage du monde avec ses « cousins » : aux nazis l’Europe continentale, jusqu’à l’Est (plus la France humiliée, juste retour des choses) ; à la monarchie britannique son île et son Empire intacts. Cohabitation pacifique entre le monde anglo-saxon et la puissance germanique, accord financier et économique : bref, une forme d’«Entente cordiale » inédite qui laisserait, en outre, une marge de manœuvre pour en finir avec l’Union soviétique, tout en préservant la neutralité américaine. L’obsession de faire de l’Angleterre une alliée n’aurait donc quitté Hitler qu’à regret. Coté anglais – c’est ce que le livre s’emploie à montrer – les soutiens « pangermanistes » ne manquaient pas, installés de longue date dans l’aristocratie, dans la finance et dans la sphère politique.


Dès le tournant du siècle, un Houston Stewart Chamberlain (rien à voir avec le Chamberlain des accords de Munich), suprématiste avant la lettre, promeut une vision racialisée qui épaulera la tentation, outre-Manche, d’un fascisme « aristocratique » dont un Oswald Mosley, flanqué de son épouse Diana (convolant en justes noces au domicile privé de Goebbels, et en présence de Hitler !), se fera plus tard le héraut impénitent. Coup de foudre anglais pour les nazis ? C’est l’histoire des « maillons faibles » de l’estabishment britannique, tels le ministre Lord Londonderry et son épouse Lady Edith, le patron de presse Rothermere, et surtout le futur ministre des Affaires étrangères Lord Halifax, bientôt surnommé « Holly Fox », sans parler d’Allen Lothian, ou du haut fonctionnaire Maurice Hankey : tous fascinés ! Les Jeux olympiques de Berlin, en 1936, figurent l’acmé de cette hypnose qui s’empare de la maison aujourd’hui rebaptisée Windsor, victime d’une vieille consanguinité dynastique que la monarchie mettra le plus grand soin à esquiver au sortir de la guerre : la reine Victoria (1819-1901) n’était-elle pas mariée au prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha ? De mère teutonne, son petit- fils Georges V (qui règnera jusqu’en 1936) n’a-t-il pas épousé une demoiselle Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Glücksbourg ?

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Un des chapitres les plus stimulants du livre détaille la navrante idylle nouée entre Edouard VIII et Wallis Simpson, harpie américaine snob, idiote et cupide qui, ayant posé le grappin sur un prince de Galles ouvertement nazi, déstabilisera durablement la couronne britannique. L’affaire est connue. Sinon qu’elle croustille comme jamais dans ces pages. Le 20 janvier 1936, frappé par une pneumonie, s’éteint Georges V, le vieux cousin germain du monarque allemand déchu et exilé, Guillaume II. Son fils lui succède sous le nom d’Edouard VIII, benêt, noceur, paresseux, incapable, vampirisé par Wallis, laquelle n’aspire qu’à se faire appeler « Altesse » une fois consommé son divorce avec Mr Simpson. Mis en demeure de renoncer à sa courtisane, Edouard choisira « le bonheur contre l’injustice » et cèdera le trône à son frère, qui devient Georges VI. Pour épouser enfin cette fille enragée, en 1937, l’ex roi choisit… l’Allemagne ! Puis itinéraire de palais en palaces dans l’Europe entière, aux frais de la princesse, non sans faire halte à Berchtesgaden, à l’invitation du Führer, avant d’embarquer pour les Etats-Unis sur le Bremen, un transatlantique… allemand !

Il n’était pas écrit d’avance que Churchill, appelé à contre-cœur in extremis par ceux-là même – en tête, Chamberlain, l’artisan calamiteux des « accords de Munich » – qui, cinq années durant, auront fomenté la déplorable politique d’apaisement, aurait réduit ces innombrables adversaires « qui voyaient dans une alliance avec Hitler la garantie de conserver leurs privilèges à la tête d’une Angleterre régnant sur plus du tiers des terres émergées tandis que l’Allemagne aurait eu les mains libres pour domestiquer la France et coloniser l’Europe occidentale ». Engrenage raconté par Eric Branca avec un luxe de précisions inouï, dans une langue merveilleusement aiguisée.

« Herr Hitler is not a gentleman » : nos amis anglais auront donc mis bien du temps à s’en aviser. Sacrifiant in fine l’Empire britannique à la liberté reconquise de notre Europe occidentale, Churchill fut « le grain de sable » qui bloqua ce rouage funeste où, par la collusion de ses élites capitalistes et politiques avec une bonne part de l’aristocratie insulaire, « la Grande-Bretagne était infiniment plus prête que la France à participer au nouvel ordre hitlérien ! ». Et qui sut, contre toute attente, entraîner le peuple entier de la « perfide Albion » dans la lutte héroïque que l’on sait.  

L'aigle et le léopard: Les liaisons dangereuses entre l'Angleterre et le IIIe Reich

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En librairies :

Jusqu’à la chute. Mémoires du majordome d’Hitler. Heinz Linge. Présentés et annotés par Thierry Lentz. Perrin, éditeur, 2023. 336p.

L’Aigle et le Léopard. Les liaisons dangereuses entre l’Angleterre et le IIIè Reich. Eric Branca. Perrin, éditeur, 2023. 432p.

Opération Wuambushu, chronique d’un fiasco annoncé

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Opération Wuambushu à Mayotte, 24 avril 2023 © MATHYS/ZEPPELIN/SIPA

Une tribune libre d’André Rougé, député européen du Rassemblement national, délégué national à l’Outre-mer dans le parti.


Le moins que l’on puisse dire, s’agissant de notre président de la République, est qu’il ne ménage pas sa peine pour faire entendre la voix de la France. L’an passé à Moscou, au début du mois d’avril à Pékin, et il vient d’annoncer qu’il retournera à Kiev prochainement, « s’il y a une approche utile ». À quoi ce charivari diplomatique peut-il rimer et comment Emmanuel Macron peut-il envisager de faire s’asseoir Poutine, Xi Jinping, Biden et Zelensky à une même table, dès lors que la France est incapable de faire entendre raison à un micro-État de 800 000 habitants dans l’Océan Indien ? Car tel est le premier bilan de l’opération Wuambushu commencée ce lundi 24 Avril. Une opération au principe des plus louables, celui de s’occuper enfin de nos compatriotes du département de Mayotte en leur apportant la sécurité des personnes et des biens, premier des devoirs régaliens de l’État.

L’objectif de cette opération est triple :

  • Mettre fin à l’occupation illégale, en délogeant les squatteurs, de domaines privés et publics.
  • Reconduire à la frontière des Comores 10 % des 100 000 migrants clandestins présents illégalement sur l’île.
  • Interpeller et présenter à la justice les criminels, délinquants, marchands de sommeil, trafiquants de faux papiers et autres passeurs errant en toute liberté parmi les villages de bidonvilles.

Pour cette seule et dernière raison de rétablissement de l’autorité de l’État, l’opération doit se poursuivre. Les 1 800 policiers et gendarmes présents dans ce département français de l’Océan Indien doivent – en interpellant le maximum de ces individus que les Mahorais n’hésitent pas à appeler terroristes – faire changer la peur de camp.

Hélas, j’ai eu l’occasion de dénoncer, publiquement et avant son démarrage, l’impréparation de cette opération pourtant réclamée depuis 2018 par nos compatriotes mahorais, mais c’était prévisible, avec trois ministres – et non des moindres s’agissant des ministres régaliens – de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères qui se sont fourvoyés, la transformant en un retentissant et cuisant nouvel échec du gouvernement !

Après les incartades locales du Syndicat de la magistrature, mon collègue Julien Odoul, avait interrogé, à ma demande, M. Dupond-Moretti. Il était en effet prévisible que certains feraient usage de l’article 55 de notre Constitution précisant que les juridictions françaises peuvent annuler ou suspendre un acte administratif ; même fondé sur une loi, si elles considèrent qu’elle méconnaît un traité (comme la CEDH ou le droit de l’UE). Or, la France s’était déjà fait épingler par la CEDH au titre de son article 8, en 2003, lors d’opérations analogues à Mayotte et dans la collectivité territoriale de Saint Martin.

Cette jurisprudence très laxiste que le garde des Sceaux connaissait, aurait très bien pu être anticipée mais ça n’a pas été le cas.  Personne ne parviendra à nous faire croire et accepter qu’aucun moyen propre n’existe ou n’est connu, pour défendre les intérêts supérieurs de l’État et les intérêts supérieurs des Français !

Quant à l’attitude du gouvernement de l’Union des Comores, qui a refusé l’accostage d’un bâtiment français dans le port de l’île d’Anjouan, s’il était un fait aisément prévisible ; c’était bien celui-là !

A relire: Mayotte: Darmanin peut-il faire plier les Comores?

Mayotte est française depuis 1841, bien avant Nice et la Savoie, par trois fois et par voie référendaire, les Mahorais ont confirmé leur souhait d’appartenir à la France, ce qui est, d’ailleurs, gravé dans le marbre de l’article 72-3 de notre Constitution. Jamais les Comores, animés par une volonté irrédentiste, ne l’ont accepté.

Ce refus se traduit par des provocations à répétitions à l’égard de la France. En août 2019, le président Azali déclare sur les ondes de RFI qu’il ne reconnaît pas l’autorité du Préfet de Mayotte sur le territoire comorien. Une réaction digne de ce nom eût consisté en une action diplomatique forte sous forme du rappel de notre ambassadeur pour consultation, comme ce fût le cas pour notre ambassadeur à Rome après qu’un membre du gouvernement italien ait eu l’« outrecuidance » de rencontrer un comité de « gilets jaunes ». Et, il eût été normal de convoquer l’ambassadeur des Comores à Paris, au Quai d’Orsay, afin de lui signifier le mécontentement de la France.

Réaction de la France… Aucune !

En revanche, le président Azali a été reçu, en grande pompe, à l’Élysée par Emmanuel Macron. Il en est ressorti avec un chèque d’aide au développement de 150 millions d’euros (dont nos compatriotes mahorais auraient bien besoin) en contrepartie desquels il s’engageait à recueillir tous les ressortissants comoriens expulsés.

Cette largesse de la France ne l’a, en aucun cas, empêché de réitérer quelques temps plus tard. Lors de la dernière assemblée générale de l’ONU, le même président Azali a revendiqué la propriété de Mayotte à la tribune de l’institution internationale.

Réaction de la France… Nulle !

J’interrogeais alors notre ministre des affaires étrangères quant à cette absence de réaction qui m’a répondu en ces termes « La coopération étroite que nous entretenons avec les Comores, fruit d’un engagement de long terme, nous permet de réduire fortement la pression migratoire sur notre territoire mahorais […] en luttant ensemble, contre l’immigration clandestine grâce […] à une coopération exemplaire en matière de reconduites » [sic].

Pour compléter, chacun aura pu noter la volonté d’ingérence de cet archipel d’îlots dans les affaires intérieures de la France en réclamant l’annulation de Wuambushu. Il est aisé d’imaginer quelle serait la réaction de notre pays si Mme Meloni, M. Scholz ou M. Sunak se mêlait de ce qui se passe à Nice, en Alsace ou à Calais.

Mais là…rien !

Pour conclure ce florilège de défis et bravades, rappelons-nous les récentes déclarations de l’ambassadeur des Comores à Paris expliquant que les Comoriens sont chez eux à Mayotte. 

A tout cela, il convient d’ajouter que cette opération ne peut être viable qu’à court terme car les 70km du bras de mer séparant Anjouan de Mayotte n’empêcheront en rien les expulsés de revenir sur le territoire français d’ici six mois. Cette opération met surtout en évidence, au travers des manquements de nos trois ministres régaliens, l’amateurisme et l’incompétence du personnel politique en charge de l’exécutif de notre pays et la méthode d’Emmanuel Macron. Gouverner c’est prévoir ! L’impréparation de cette opération aura douché les espoirs de nos compatriotes mahorais et il faut souhaiter que celle-ci se poursuive pour les raisons indiquées plus haut, même si elle ne suffira pas. Il faudra, pour Mayotte comme pour la Guyane, une autre opération de ce type, mais avec les préalables indispensables à la lutte pour une maîtrise souveraine de l’immigration et pour la protection de la nationalité française, comme le propose Marine Le Pen.

Une révision de la Constitution par référendum pour refonder le cadre constitutionnel du statut des étrangers, de notre nationalité et mettre fin aux dérives d’une jurisprudence devenue folle. Ainsi, les juges ne pourraient plus écarter une loi au motif d’un traité ou du droit de l’UE. Il sera posé, comme principe que l’expulsion est possible, dès lors qu’un étranger viole nos lois et ce, quelle que soit sa situation personnelle ou celle de sa famille. Cette réforme interdira toute forme de régularisation des clandestins. Le droit d’asile ne sera plus accordé sur le territoire national, mais dans les consulats et ambassades de façon préalable à l’arrivée en France. La suppression définitive du droit du sol sera, enfin, constitutionnalisée. Ces mesures s’adapteront, bien sûr, à la France d’Outre-mer au regard des normes prévues par les articles 73 et 74. Quant au droit international, que les Comores vont tenter d’instrumentaliser, doit-il autoriser un État à refuser de protéger ses ressortissants en les accueillant sur leur propre sol, mais aussi à organiser une émigration anarchique, sinon conquérante et violente sur le territoire d’un État voisin ? La France est, de ce point de vue, agressée par les Comores. Nous avons, légitimement le droit de réagir par la plus grande fermeté. En cela, l’opération Wuambushu est une excellente répétition de l’action que devra mener un gouvernement : appliquer les lois de la République conséquentes à un référendum sur l’immigration voulu par Marine Le Pen. À Mayotte, en Guyane, comme ailleurs, nombreux sont les Français qui attendent l’élection de Marine Le Pen pour retrouver ce respect, cette protection et cette espérance.

Le p’tit commerce de Dieudo

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Ouverture du procès en appel de Dieudonné pour fraude fiscale et blanchiment, Paris, 26 mars 2019 © Tristan Reynaud/SIPA

Notre ami Jean-Paul Lilienfeld a été le premier réalisateur à offrir un grand rôle au cinéma à l’humoriste. S’il a vite reconnu son talent et ses travers, il n’a compris que tardivement que l’antisémitisme était devenu son fonds de commerce. Aujourd’hui, il ne peut croire en l’honnêteté de ses « excuses ». Témoignage.


Qu’est-ce que j’apprends ? Dieudonné demande pardon ? Dieudonné présente ses excuses ? Ah non pas de ça Dieudonné ! Continue de nous faire rire.

Quand j’ai travaillé avec Dieudonné, il n’était pas encore drôle. C’était il y a un quart de siècle. Une époque où malheureusement, les Noirs n’étaient pas encore racisés. Ils étaient « Tout simplement noirs ».

Faire tourner Dieudonné était l’aboutissement d’une démarche entreprise avec L’Œil au beur(re) noir, écrit avec Patrick Braoudé à la fin des années 1980. Je crois bien que c’était la première fois qu’un film français proposait un Noir et un Arabe en premiers rôles. Le jour où il a eu le César du meilleur premier film, je me souviens avoir dit à Pascal Légitimus que l’étape suivante, ce serait qu’un Noir joue un premier rôle qui pourrait être tenu par un Blanc, juste parce qu’il serait le meilleur pour ce rôle.

Pour le casting d’HS, Hors Service en 1998, il me fallait pour le premier rôle un acteur crédible en psychopathe. J’ai donc demandé à Dieudonné.

Alors que nous travaillions en amont du tournage, quelques détails m’ont chiffonné. Mais rien de drôle encore, rien d’antisémite. C’était l’argent son problème. Je ne me laisserai pas aller à écrire dans une gesticulation comique désopilante que, l’argent, les juifs, tout ça se tient. Ne comptez pas sur moi. Compter, toujours compter… y’a rien à faire !

Je revois encore cet éboueur entrer timidement dans le Théâtre de la Main d’or désert en cette fin d’année 1998, « pour les étrennes ». Je revois la lueur de panique dans les yeux de Dieudonné. Sa fébrilité à tâtonner ses poches comme s’il ne savait pas déjà qu’il allait répondre qu’il n’avait pas d’argent sur lui. Un peu taquin, je lui ai suggéré de faire un chèque… Manque de chance, il n’avait pas de chéquier non plus. Quand ça veut pas…

L’éboueur est reparti en grommelant des trucs pas faits pour être vraiment entendus.

Les tournages, c’était quelque chose…

Pendant le tournage il n’apprenait pas ou peu son texte et cela entraînait des heures supplémentaires qui pesaient sur l’équipe et sur moi. À la fin de l’une de ces journées catastrophiques, furieux, je suis allé le voir dans sa loge pour lui dire qu’au prix où il était payé, le minimum syndical était d’apprendre son texte.

Et là, pour la première fois, il a été vraiment drôle : « Tu me dis ça parce que je suis noir. »

Dieudonné venait de trouver son clown.

Lorsque j’avais annoncé que je lui confiais le rôle principal, un des investisseurs, pas emballé, m’avait demandé : « Pourquoi un Noir ? » Dieudonné le savait et il savait aussi que j’avais répondu : « Et pourquoi pas ? » provoquant un silence embarrassé.

À l’époque j’avais un bête humour israélien. Au lieu de me faire rire, sa mauvaise foi a entrainé une engueulade bruyante qui a fait accourir la directrice de production affolée.

La suite du tournage a été tendue. On ne s’est évidemment pas revus après…

Puis arrive 2003, le jour du drame, le sketch « Isra-Heil ». Dont j’ignorais tout, car je n’étais pas en France.

Je reviens quelques jours plus tard et à ma grande surprise, je reçois un appel de Dieudonné : « Tu le sais toi que je ne suis pas antisémite. »

A lire aussi : Tes excuses, c’est à moi que tu les dois!

Sa question m’étonne, il m’explique ce qui s’est passé (juste un sketch, une déconnade tu vois). Je lui réponds, que n’ayant rien vu, je n’ai pas encore d’avis, mais qu’effectivement pendant le tournage, son principal défaut n’était pas l’antisémitisme…

Je regarde le passage de sa « déconnade » que je trouve lamentable mais à vrai dire, je trouve lamentable aussi l’espèce d’hallali qui a suivi. Dont je me dis vingt ans plus tard qu’il a probablement été fondateur de la suite.

N’oublions pas : radin (plus de rentrées d’argent) et parano (les juifs m’ont acculé, je vais les enc…)

Cependant, je suis sûr qu’au fond de lui, il est plein de gratitude pour les juifs. C’est grâce à eux qu’il est devenu presqu’aussi fort que Michel Leeb.

Mon Dieudo, en 2010, j’ai vu ton amusante saillie sur YouTube : « Il faut être juif pour avoir la liberté d’expression en France. […] Ils nous ont colonisés. La mort sera plus confortable que la soumission à ses chiens. » J’ai ri ! Mais j’ai ri ! Ça y est mon Dieudo, tu tiens le filon !

Et quand j’ai lu sur blackmap.com : « Les juifs sont un peuple qui a bradé l’holocauste, qui a vendu la souffrance et la mort pour monter un pays et gagner de l’argent. […] Maintenant, il suffit de relever sa manche pour montrer son numéro et avoir droit à la reconnaissance. » La force comique du gars !

Alors je t’en supplie, mon Dieudo, continue comme tu le fais depuis vingt ans de semer avec tant de verve la haine du juif. Continue de parler des sionistes en France, afin d’échapper aux procès de ces salauds, et des juifs quand tu es en Algérie – « il n’y a qu’en Algérie où je peux jouer parce que les autres pays africains sont sous contrôle du lobby juif » (conférence de presse à Alger en 2010). Les gens qui se donnent la peine de sachoir t’ont bien compris lorsque tu as déclaré, sur la chaîne iranienne Sahar 1, en septembre 2011 : « Le sionisme a tué le Christ. C’est le sionisme qui prétendait que Jésus était le fils d’une putain […]. »

A lire aussi : Le complot, ça rapporte gros!

Qui, hormis un idiot de sioniste, ne comprend pas qu’au temps de Jésus, il n’y avait que des juifs et pas encore de sionistes. Puisque les juifs étaient encore chez eux. Enfin chez les Palestiniens. Enfin je me comprends…

J’ai capté que ta demande de pardon est encore une farce quand ton avocat a invoqué l’honnêteté de ta démarche. Honnête mon Dieudo condamné, entre autres, à deux ans fermes en appel pour abus de biens sociaux et fraude fiscale ? J’ai pouffé. Tu sais quoi ? C’est presque de l’humour juif.

Et quand ton avocat a ajouté que ta demande de pardon était une référence à Yom Kippour, fête juive consacrée à regretter les mauvaises actions et les mauvaises pensées commises durant l’année écoulée, là, tu m’as éclaté. J’ai su que tu leur mettais encore une belle quenelle. Un antisémite acharné découvrant soudainement la plus grande fête juive ? C’est pas de la bonne vanne ça ! Il se dit que tu es malade. Si malheureusement, c’est vrai, merci le Mossad. Mais ils ne t’auront pas. Je suis sûr que tu vas nous revenir avec tes sketchs qui me feront rire. Jusqu’aux larmes. Dieudo, vite ! Encore des punchlines qui tuent.

Mais que fait la police?

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"La gravité" de Cédric Ido (2023) © Caroline Dubois

«La Gravité», un nouveau thriller communautariste, dans les salles mercredi prochain


Vous vous souvenez de Gravity, le fameux film de science-fiction d’Alfonso Cuaron, huis-clos spatial en apesanteur, sorti en 2013 ? Le cosmos s’invite de nouveau dans nos salles, mais cette fois en arrière-plan sidéral de notre bonne terre hexagonale, avec La Gravité, deuxième « long » de l’artiste franco-burkinabé Cédric Ido, lequel s’était fait connaître par un premier film peu substantiel, La vie de château, co-réalisé avec Modi Barry en 2016, exploration du quartier africain du « Château-d’eau », familier des Parisiens pour ses rabatteurs qui s’affairent bruyamment en meute autour de la rue et de la station de métro homonymes, pour vous faire l’article des salons de coiffure afro avoisinants. Les préoccupations exclusives de Cédric Ido, qui a grandi à Stains, en Seine-Saint-Denis, commune de banlieue pas franchement gentrifiée, gravitent manifestement autour des questions ethniques dans l’espace métropolitain.

Dans les cieux rougeoyants et fuligineux d’une cité faite de barres d’immeubles et de dalles minérales peu engageantes, les planètes menacent mystérieusement de s’aligner, phénomène gravitationnel qui ne laisse pas d’inquiéter la faune bigarrée à la fois prisonnière et gardienne du territoire urbain où se concentre La Gravité. La science-fiction sert ainsi d’amorce improbable à un état des lieux sociétal apocalyptique et sans rémission. Les lois de la gravitation universelle étant irrécusables, une chute malencontreuse rive Joshua (Steve Tientcheu) à son fauteuil roulant depuis l’enfance, mais les liens du sang attachent toujours viscéralement cet infirme adipeux à Daniel, son athlète de frère (Max Gomis), deux fois champion de France de sprint, à l’entraînement duquel se dévoue religieusement un coach franchouillard (Thierry Godard). Christopher (Jean-Baptiste Anoumon) ferme ce trio de noirs qu’ont rapproché, du deal à la taule, les épreuves de la vie en communauté… Face à eux, la nouvelle génération des garçons de la cité, baptisés les « Ronins », une bande de cailleras adolescents de souche maghrébine qui, cheveux teints en rouge et nippés de blousons aux effigies nippones, sévissent dans le champ clos de la cité, juchés sur des pétoires à deux roues, prophètes imberbes, ultra-violents, d’un nouvel âge planétaire dont ils se prétendent les officiants élus. Joschua, dans le secret d’un local aménagé en laboratoire high-tech, pallie avantageusement son handicap moteur, le fauteuil clandestinement transformé, pour l’heure, en véhicule de livraison de came et bientôt, surprise du chef, en robot de haute technologie propre à contrarier victorieusement et de façon spectaculaire sa condition de mobilité réduite, dans la guérilla urbaine qui verra nos gus black Joshua, Daniel et Christopher affronter tels les trois mousquetaires de la cité ces jeunes mages maghrébins qui y sèment la terreur.

A lire aussi, du même auteur: Au bord du gouffre turc

Mais que fait la police ? Celle-ci reste la grande absente de ce thriller communautaire mâtiné de SF qui, grevé de séquences d’une violence sanguinaire, finit par virer au gore. Seul personnage féminin de ce film décidément fort peu paritaire, Sabrina (Hafsia Herzi), la dulcinée sacrificielle de Daniel, n’aura d’autre choix que de fuir, sans lui, vers d’autres latitudes moins inhospitalières, hors de France… Si Cédric Ido avait voulu peindre la cité telle qu’en elle-même sous un jour plus noir, plus pathétique, plus désespérément confiné dans l’entre-soi tribal, il ne s’y serait pas pris autrement. Sous son regard, ce n’est que le terrain de jeu autarcique de communautés ennemies sans foi ni loi. Un film… raciste ?


La Gravité. Film de Cédric Ido. Avec Max Gomis, Jean-Baptiste Anoumon, Steve Tientcheu. France, couleur, 2022. Durée : 1h26. En salles le 3 mai.

Le drapeau de l’apartheid interdit en Afrique du Sud

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D.R.

Drapeau officiel de l’Afrique du Sud entre 1928 et 1994, il est encore arboré par les nostalgiques de l’apartheid ou brandi lors de manifestations anti-gouvernementales. La Cour suprême sud-africaine vient de rendre un arrêt définitif sur la question de son utilisation. Désormais, quiconque s’affichera publiquement avec ce symbole « discriminatoire » pourra être « poursuivi pour incitation à la haine raciale ».  


C’est un drapeau qui divise l’Afrique du Sud. Symbole du régime d’apartheid, après de longs débats parlementaires passionnés, il a été hissé pour la première fois en 1928 alors que le pays était encore un Dominion de l’Empire britannique. Ses trois couleurs orange, blanche, bleue reprennent celles de l’ancien Prinsenvlag néerlandais du XVIIe siècle avec au centre, les drapeaux de l’ancienne République boer du Transvaal, de l’État d’Orange Libre et de l’Union Jack. Remplacé immédiatement après l’arrivée au pouvoir du président Nelson Mandela en 1994, il a été longtemps toléré par le gouvernement multiracial avant que la cour d’égalité ne décide de le faire interdire en 2019. Devenu le signe de ralliement des mouvements d’extrême-droite afrikaner, régulièrement brandi lors de manifestations, la Fondation Nelson Mandela (NMF) et la Commission sud-africaine des droits de l’homme (SAHRC) avaient obtenu son bannissement après un dépôt de plainte.

A lire aussi: Les suspicions envers le Premier ministre de l’Écosse sont-elles fondées?

AfriForum, l’organisation de défense des droits de la communauté Afrikaner, avait immédiatement déposé un recours, estimant que cette décision empiétait sur leur liberté d’expression et que le drapeau n’était nullement discriminatoire à l’encontre de la majorité noire sud-africaine. La Cour suprême a rendu sa décision le 21 avril 2023 et a estimé que le drapeau représentait toujours le signe d’un « racisme institutionnalisé ». Dans son arrêt, elle a déclaré que « ceux qui brandissent ou agitent publiquement l’ancien drapeau transmettent un message destructeur célébrant la ségrégation et aspirant à son retour ». Lors de son passage devant le tribunal, la Commission sud-africaine des droits de l’homme a évoqué le cas de Dylann Roof, cet Américain blanc reconnu coupable et condamné à mort pour les meurtres racistes en 2015 de neuf membres de l’église noire de Charleston, en Caroline du Sud, qui s’était pris en photo avec ce drapeau. Désormais, tout Sud-africain qui s’affichera en public avec l’ancien drapeau pourra être poursuivi pour « incitation à la haine raciale ».

Interrogé par le Times, le porte-parole d’AfriForum a déclaré que « la liberté d’expression en tant que droit s’est malheureusement édulcoré dans ce pays ». « C’est un principe qui est devenu la victime de doubles standards ridicules et les conséquences futures seront probablement désastreuses » a averti Ernst van Zyl qui prend toutefois acte de la décision rendue. La Cour suprême n’a cependant pas statué sur la seconde question qui était de savoir si l’affichage de l’ancien drapeau national pouvait être autorisé au sein de la sphère privée…

Splendeurs et misères d’un humoriste

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© PATRICK KOVARIK/AFP

Programmé le 14 septembre prochain au Zénith de Paris, en duo avec le chanteur Francis Lalanne, Dieudonné pourrait faire l’objet d’une interdiction préfectorale. L’avocat de Dieudonné affirme du moins s’y attendre. La carrière de Dieudonné a connu une ascension remarquable au cours des années 1990. Figure de l’antiracisme à la scène comme à la ville, il mène le combat contre le FN à Dreux. Mais sa radicalisation amorcée en 2002 vire à l’obsession complotiste, antisémite et négationniste. Désormais, privé de théâtre et interdit de réseaux sociaux, il est surtout passé de mode.


Dieudonné est probablement l’un des humoristes les plus talentueux de la fin du XXe siècle. Dès le début des années 1990, ce fils d’un expert-comptable camerounais et d’une sociologue d’origine bretonne fait un tabac au théâtre et à la télévision en se produisant avec Élie Semoun, un copain de lycée. Leurs sketchs mettant en scène le petit juif Cohen et le Noir Bokassa en font un « duo comique antiraciste ». À partir de 1997, Dieudonné se tourne vers une carrière en solo et apparaît dans des films à succès, dont Astérix et Obélix : mission Cléopâtre, en 2003, point culminant de sa vie de comique grand public.

Engagement politique

Parallèlement, il s’engage en politique. En 1997, il obtient 7,74 % des voix lors d’une élection législative à Dreux, ville où, en 1983, le Front national a remporté les élections municipales. Sur scène comme dans les urnes, Dieudonné se bat contre le racisme et le FN. Il poursuit son engagement à gauche et annonce même sa candidature à la présidentielle de 2002 en se réclamant de la « troisième gauche verte ». Cette candidature constitue une étape importante dans son évolution intellectuelle et politique car, pour la première fois, il met en avant son intention d’être le porte-parole des descendants d’esclaves. Surtout, en présentant l’esclavage comme la « tragédie la plus terrible de l’histoire de l’humanité », il met en garde contre un deux poids, deux mesures concernant l’indemnisation des descendants des victimes de crimes historiques. Désormais, ses soutiens sont invités à suivre son regard…

A lire aussi, Alexandre de Galzain: Dieudonné: des zénith aux happy few

Après la campagne présidentielle de 2002, Dieudonné pose sa candidature pour les législatives dans la 8e circonscription du Val-d’Oise (Sarcelles, Garges-lès-Gonesse, Villiers-le-Bel), un bastion du PS tenu par Dominique Strauss-Kahn. Son score est faible (2,18 %) et sa campagne radicalise un discours de plus en plus victimaire et complotiste, qui s’inscrit dans le sillage de certains mouvements de Noirs américains. Le contexte favorise son virage idéologique : les banlieues s’agitent à la faveur de la seconde Intifada au Proche-Orient ; les attentats de New York alimentent les théories du complot, notamment autour du supposé rôle joué par Israël et les juifs ; et pour la première fois, Jean-Marie Le Pen arrive au second tour de la présidentielle.

La radicalité se paie

Comme une sorte d’éponge qui aurait absorbé les théories en vogue, Dieudonné distille un bouillon de culture original fait de complotisme, d’antisémitisme, d’antisionisme et de critique de l’Occident, le tout mélangé à des idées empruntées aux militants et penseurs radicaux proches de l’organisation américaine Nation of Islam. Mais c’est aussi le moment où il commence à payer le prix de sa radicalité. En 2002, le CNC refuse de soutenir financièrement son grand projet de film sur la traite et le Code noir. Pour Dieudonné, ce refus est à mettre sur le compte des « sionistes » qui dirigeraient le Centre national du cinéma, prêts à tout pour protéger les intérêts mémoriels de la Shoah au détriment de la mémoire de la traite négrière. Ainsi glisse-t-il vers le négationnisme : de l’argument « la traite est plus grave que la Shoah », il passe à « la Shoah n’a pas existé », pour finir à « la Shoah a été inventée par les juifs pour faire du fric ». Les juifs, Israël et le sionisme deviennent une obsession, la Révélation de quelqu’un qui n’appartient pas au « système » et qui a, lui, « tout compris ».

Le point de rupture avec le grand public se situe fin 2003. Invité sur le plateau de « On ne peut pas plaire à tout le monde », de Marc-Olivier Fogiel, Dieudonné interprète, au cours d’un sketch, un colon israélien coiffé d’un chapeau de juif orthodoxe, arborant des papillotes et portant un treillis. Il conclut la performance par le cri « Isra-heil ! » et un salut nazi. Même si c’est Dieudonné qui porte plainte contre Fogiel pour injure raciale et qui gagne, cet épisode le classe définitivement dans la catégorie des infréquentables. S’ensuivent des errements idéologiques et une série d’alliances-amitiés : Soral, Faurisson, Le Pen père, Ahmadinejad…

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Durant les années 2000, Dieudonné perd son statut au sein du show-biz, du monde politique et du « peuple », mais ne se coupe pas pour autant du reste de la société. D’une certaine société du moins, ses nouveaux fans venant par milliers de milieux radicaux, racistes, antisémites, négationnistes, islamistes et, surtout, complotistes. Cerise sur le gâteau, il plaît à une frange de la jeunesse catholique bourgeoise, séduite par l’expérience du rire transgressif car, ne l’oublions pas, Dieudonné est resté drôle, très drôle même.

Bras de fer

Il atteint le point culminant de sa radicalisation en 2011-2013. Il produit le film L’Antisémite, qu’il réalise et dans lequel il joue, ses spectacles ont du succès et ses frictions avec des associations comme la Licra, qui essaient d’interdire ses spectacles, défraient la chronique. Fin 2012, Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, entame un long bras de fer pour réduire la capacité de l’humoriste à se produire sur scène. Puis les attentats de 2015 changent l’état d’esprit général. Le 18 mars 2015, Dieudonné est condamné à deux mois de prison avec sursis pour apologie d’actes de terrorisme : il avait écrit sur Facebook « Je me sens Charlie Coulibaly » – condamnation confirmée par la cour d’appel de Paris.

Pour quelques années encore Dieudonné reste présent sur les réseaux sociaux mais, en juin 2020, sa page YouTube est supprimée « pour infractions répétées à son règlement ». Les réseaux alternatifs, dont Vimeo, finissent par l’interdire également, puis Facebook, Instagram et TikTok suspendent à leur tour ses comptes.

Aujourd’hui, pire que les procès, les interdictions et les amendes, Dieudonné n’est simplement plus à la mode. Les jeunes d’il y a vingt ans ne le sont plus, et leurs petits frères et sœurs ont d’autres manières de cracher à la figure du néolibéralisme et de goûter aux plaisirs d’une transgression sans risque. Avant même sa lettre de pardon publiée dans Israël Magazine le 10 janvier dernier, Dieudonné a, semble-t-il, déjà pris la mesure de la situation. Son dernier spectacle s’intitule « Foutu pour foutu ».

Les suspicions envers le Premier ministre de l’Écosse sont-elles fondées?

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Le Premier ministre Ecossais Humza Yousaf, répond aux journalistes le 20 avril 2023. © Jane Barlow/AP/SIPA

Indépendantiste, européiste, multiculturaliste, et musulman, le nouveau Premier ministre de l’Écosse, Humza Yousaf, entend bien faire revenir, dans le giron de l’Union européenne, une Écosse indépendante et respectueuse des valeurs de l’islam, trois ans après le Brexit.


À 38 ans, Humza Yousaf, né à Glasgow, d’ascendance pakistanaise et ayant des liens dans le passé avec les Frères musulmans, a déjà occupé les postes de secrétaire à la Justice et de secrétaire à la Santé et à la protection sociale. Cela après avoir eu des portefeuilles au ministère de l’Europe et du développement international et au ministère du Transport et des îles. Lors de son mandat à la Santé, sa gestion de l’épidémie de covid a été vivement critiquée, mais cela ne l’a pas empêché de poursuivre son ascension politique fulgurante, grâce au soutien de ses mentors – les anciens Premiers ministres de l’Écosse, Alex Salmond et Nicola Sturgeon.

Le 28 mars 2023, il devient à son tour Premier ministre de l’Écosse après avoir remporté les élections pour la présidence du parti indépendantiste, le Scottish National Party (SNP), aux manettes à Edimbourg depuis 2007. Il gouverne désormais avec les écologistes au sein d’une coalition de centre-gauche. Dès son arrivée au pouvoir, il se présente comme « fier d’être Écossais et fier d’être Européen » et il déclare que « le peuple écossais a plus que jamais besoin d’indépendance, et nous serons la génération qui la lui offrira ».

Humza Yousaf, promoteur du « Scexit »

Dès 2011, Humza Yousaf a été élu membre du Parlement écossais sous l’étiquette du SNP. Ce parti, fondé en 1934, est devenu, avec le Parti conservateur et le Parti travailliste, l’un des trois grands partis siégeant au Parlement. Cette assemblée créée en 1999 résulte de la dévolution des pouvoirs accordée en 1997 par l’ancien Premier ministre britannique, Tony Blair, à l’Écosse, à l’Irlande du Nord et au Pays de Galles.

Le SNP milite pour l’indépendance de l’Écosse : le « Scexit », à savoir la sécession de l’Écosse du Royaume-Uni (dont elle fait partie depuis 1707) et ce, en vue d’une adhésion du pays à l’Union européenne. Cette ligne politique est soutenue par Bruxelles. Elle est encouragée par exemple par le Mouvement européen en Écosse (European Movement in Scotland), placé lui-même sous la houlette du Mouvement européen international (MEI), une organisation-parapluie, financée par la Commission européenne qui promeut urbi et orbi l’idée d’intégration européenne.

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Ce qui n’est pas encore certain, c’est si l’Écosse serait obligée, en tant que nouvel État-membre de l’UE, d’entrer dans l’espace Schengen et d’adopter l’euro comme monnaie. Si oui, une « frontière dure » avec l’Angleterre serait érigée et des check-points seraient mis en place pour le contrôle des passeports et des marchandises.

Dès son élection, Humza Yousaf a réclamé la tenue d’un second référendum sur l’indépendance de l’Écosse, appelé « indyref2 ». Le premier référendum s’était tenu en septembre 2014 et avait été un échec pour les indépendantistes. Pour l’heure, la Cour suprême britannique s’est prononcée contre « indyref2 » et le Premier ministre britannique Rishi Sunak s’y est également opposé. Par ailleurs, le 13 avril, le ministre des Affaires étrangères britannique a condamné le fait que des ministres écossais du SNP utilisent leurs déplacements à l’étranger « pour promouvoir le séparatisme et saper les positions politiques du gouvernement britannique ».

Humza Yousaf, chantre du multiculturalisme…

Lors des élections législatives écossaises de 2011, Humza Yousaf avait déjà défrayé la chronique en prêtant le serment d’allégeance des députés au Monarque britannique à la fois en anglais et en ourdou, sa langue maternelle. Pour l’occasion, il était vêtu d’un étrange habit de cérémonie hybride composé d’un manteau masculin indo-pakistanais (le sherwani) et d’un tartan traditionnel écossais. Ce faisant, il s’était inscrit dans une optique communautariste parfaitement acceptée en Écosse, où les députés doivent d’abord prêter serment en anglais mais peuvent ensuite répéter le sermon dans une autre langue (au Parlement britannique à Westminster, le premier sermon doit se faire en anglais mais les députés qui veulent répéter le sermon dans une autre langue doivent se limiter au gaélique écossais, au gallois ou au cornique).

… et suspecté d’être un promoteur de l’islamisme

Dès son élection, le 29 mars, le nouveau Premier ministre écossais s’est affiché en famille dans sa résidence officielle de Charlotte Square (Bute House) à Edimbourg à l’occasion d’une prière islamique. Le 21 avril 2023, jour marquant la fin du Ramadan, il a publiquement souhaité aux musulmans d’Écosse et du monde entier une bonne cérémonie de l’Aïd el-Fitr. Au-delà de cet affichage qui, en France, ferait bondir les thuriféraires de la laïcité, le Premier ministre écossais a entretenu, au début de sa carrière politique, des liens avec l’islamisme qui ont été très peu évoqués par les médias au cours de la récente campagne pour la présidence du SNP, mais qui ont fait l’objet d’un résumé synthétique sur le site web Focus on Western Islamism. Cette carrière démarre dans la deuxième moitié des années 2000, lorsqu’il devient l’assistant de plusieurs cadres dirigeants du SNP. À ce moment-là, il dirige avec son cousin Osama Saeed la Scottish Islamic Foundation (SIF) et c’est dans ce contexte que, en 2008, il a organisé une rencontre entre le ministre de l’Europe, des affaires extérieures et de la culture et trois islamistes ayant des liens forts avec le Hamas et les Frères musulmans. D’ailleurs, entre 2008 et 2012, la SIF a reçu une subvention de 405 000 livres de la part du gouvernement indépendantiste. Élu député en 2011, Yousaf devient lui-même ministre de l’Europe et des affaires extérieures et accorde une subvention de 398 000 livres à Islamic Relief, l’une des plus grandes organisations caritatives islamistes au monde qui a des liens avec les Frères musulmans. L’antisémitisme de ses cadres dirigeants a été dénoncé par le département d’État américain en 2020. Avant son élection, Yousaf avait été porte-parole de cette organisation en Écosse. Son cousin Osama Saeed a appelé de ses vœux l’instauration d’un califat en 2005. En 2006, il a défendu publiquement celui qui allait devenir le chef d’Al-Qaida dans la péninsule arabique : Anwar Al-Awlaqi. En 2010, Saeed a quitté l’Écosse afin de travailler pour Al Jazeera au Qatar, pays avec lequel Yousaf aurait entretenu aussi des relations.

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Depuis, Yousaf a apparemment pris ses distances avec ces accointances et se présente aujourd’hui plutôt comme progressiste. Mais la loi contre les crimes de haine, très restrictive, qui a été promulguée par le gouvernement écossais quand il était secrétaire la Justice en 2020, a été vivement critiquée : selon certains, l’article portant sur la religion ressuscite le crime de blasphème, aboli il y a longtemps. Ainsi son progressisme wokiste, affiché dans sa défense acharnée de la loi écossaise facilitant les transitions de genre, n’est pas incompatible avec l’activisme islamique. Pendant la campagne pour être chef du SNP, il a affiché sa foi musulmane en admettant qu’elle n’était pas favorable au mariage gay, mais a prétendu que sa religion n’influerait pas sur son travail de législateur. Cela ne l’a pas empêché d’être élu. En revanche, les adhérents du SNP n’ont pas fait preuve de la même mansuétude envers sa rivale, Kate Forbes, ancienne secrétaire chargée des Finances, dont le christianisme traditionnel a été vivement censuré par les médias et militants wokistes.

Avec ses multiples facettes (indépendantiste, européiste et multiculturaliste), Humza Yousaf semble cocher les bonnes cases pour séduire les institutions européennes. Quant à ses inclinations islamistes potentielles, les tenants de l’intégration européenne à marche forcée s’en accommoderont probablement sans rechigner, si cela permet de faire avancer leur agenda. En effet, rien ne semble freiner l’entrisme islamiste dans les institutions européennes, comme en ont témoigné la campagne de promotion du voile islamique ou les récentes affaires de corruption impliquant le Qatar au Parlement européen.

«Casserolades»: le pouvoir contraint à la politique du non contact

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Emmanuel Macron à Vendôme (41), le 25 avril 2023 © Gonzalo Fuentes/AP/SIPA

Emmanuel Macron, théoricien du «en même temps», vient d’inventer une nouvelle coquecigrue: la proximité distancée. Un billet politique d’Ivan Rioufol.


Afin de démontrer qu’il ne serait pas reclus dans le bunker qu’est devenu l’Élysée, le chef de l’État a décidé d’aller à nouveau, pour quelques mises en scène télévisées, à la rencontre des gens. Mais l’image qui en est ressortie, mardi à Vendôme (Loir et Cher), a été le révélateur têtu de la réalité du pouvoir esseulé. C’est un président tenu à l’écart de la foule et des « casserolades » qui s’est essayé à une brève immersion auprès d’un public choisi. La société du non contact, issue de la crise sanitaire, est en train de déteindre sur la pratique politique. Le divorce entre la caste et la société ordinaire est tel que seule la distanciation permet d’éviter que les situations ne dégénèrent. Des ministres, dépêchés pareillement sur le terrain, ont dû également se réfugier dans l’attente ou la fuite pour éviter d’avoir à rencontrer des Français furieux. Le gouvernement veut se rassurer en mettant en avant dans les médias la réplique de Rima Abdul-Malak, interpellée lundi soir par deux syndicalistes CGT lors de la 34e cérémonie des Molière. De fait, la ministre, qui avait préparé sa riposte, a été applaudie par l’assistance. Mais ceci n’est guère un exploit venant d’un milieu théâtral acquis à la pensée conforme du macronisme. Le comédien Michel Fau, qui a quitté la salle après la saillie des deux militantes de l’intermittence, replace la réalité du problème, hier dans Le Figaro. Il explique: « Il y a un mépris pour le théâtre populaire qui est problématique ». C’est ce rejet du peuple, de ses goûts, de ses aspirations, qui est au cœur de la crise politique et démocratique.

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Rennes, 17 avril 2023 © PICAUD JUSTIN/SIPA

Macron se trompe en croyant pouvoir « tourner la page » des retraites. Il se trompe en traitant de « démagogues » ou de « populistes » ceux qui protestent. Il se trompe en maintenant une distanciation avec ses compatriotes. Il se trompe nommant volontairement le RN recentré de son ancien nom, le Front national.

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Il fait comprendre, en effet, qu’il ne voit rien du réveil de la classe moyenne, de cette société majoritaire mais marginalisée. Or elle entend se faire entendre, quitte à prendre une place centrale. Le contraste est saisissant entre Macron, contraint de s’éclipser en hélicoptère, et Marine Le Pen qui, dans une hyper-proximité locale, est acclamée par les badauds qui lui demandent des selfies et l’appellent par son prénom. Crier au retour de l’extrême droite, comme Macron et bien des médias moutonniers le font, est une autre manière d’insulter ces citoyens oubliés. Ils sont en recherche d’un mouvement politique qui les respecte et les écoute. Ce sont des Français abandonnés qui se tournent vers la droite patriote, également représentée par « Reconquête ! », voire LR. Dans le monde enseignant, citadelle de la gauche, 25% des professeurs auraient voté RN lors de la présidentielle (Cevipof). Une révolution est en marche. Les « élites » calfeutrées doivent s’attendre à rendre des comptes.

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