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Gazer Kafka, le kiffe de demain?

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Lors de la dernière de la saison de son émission télé, Augustin Trapenard a invité quelques grandes plumes contemporaines à déconstruire des classiques de la littérature. Lire encore Le Rouge et le Noir au lycée? vous n’y pensez pas, ma bonne dame! Kafka? Malaisant! J’ai envie de lui mettre un coup de Baygon à la page 50, mon cher monsieur… La séquence a passablement énervé notre ami Pierre Cormary.


C’est vrai qu’elle va rester collector cette émission de La Grande Librairie du 31 mai. Dépassé, le fameux sketch des Inconnus de 1993 qui anticipait sur ce que serait l’émission « Apostrofes »[1] dans le futur ! Ce soir-là, face à un Augustin Trapenard plus Etienne Lousteau que jamais, on a battu des records de bêtise et de barbarie inconsciente qu’on aurait cru impensable au pays de Bernard Pivot (coucou Noël Herpe !), Jean-Christophe Averty ou Jacques Chancel. Il est vrai qu’en pleine époque de wokisme et de cancel culture, la haine de la littérature se porte bien et peut permettre à n’importe quel serpent de cour ou bêcheuse progressiste de venir régler ses comptes avec le Verbe. Et quand ceux-ci s’appellent Faïza Guène et Philippe Besson, l’autodafé festif est total.

Cool mais moral

L’idée de l’émission était de donner aux invités (en plus des deux nommés, il y a avait Mathias Enard, Chlolé Delaume, Katherine Pancol et Caryl Ferey) l’occasion de distribuer bons et mauvais points aux classiques selon un credo « j’aime/j’aime pas » décomplexé. Si l’on a dit du bien de Balzac pour des raisons LGBTQ (« la cousine Bette et Valérie, premier couple lesbien »), de Guillaume Apollinaire parce qu’il marque « le début d’une forme de modernisme » (si l’on aime un auteur classique, c’est forcément parce qu’il est déjà un peu moderne) et du Petit Prince parce que l’enfance, l’innocence, le mouton, tout ça, on se rattrapa vite avec Stendhal (« on ose encore enseigner ça au lycée », affirma Enard qu’on aurait cru moins collabo), Nabokov (« l’inceste, c’est une limite pour moi » s’insurgea Besson à propos d’Ada ou l’ardeur tel le premier bigot venu), Albert Cohen (« Belle du Seigneur, quelle purge ! » dit quelqu’un ; chimiquement con », conclut Ferey, le motard anti-apartheid qui déclarait un jour s’être « toujours senti du côté des opprimés », et il a bien raison, la bonté, ça fait du chiffre).

Tout cela dit sur un ton si forcé qu’on voyait qu’ils n’y croyaient pas eux-mêmes, acceptant de jouer le déshonneur de l’auteur cool (mais moral !) qui n’a pas peur de dézinguer les grands chefs-d’œuvre – et parce que c’est comme ça, paraît-il, qu’on donne envie de lire aux gens : désacraliser à tout-va, mettre le génie à son niveau et même le chahuter. Alors qu’évidemment, c’est le contraire qui est vrai. Vous voulez vraiment donner envie de lire ? Alors, pratiquez la guerre du goût, aristocratisez la littérature, parlez des grands textes comme autant d’écrits saints, d’échelles de Jacob, de miracles.

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Or, Kafka est le miracle, le miraculé, même, de la littérature. « Le martyr de toute Écriture sainte non avouée comme telle », comme le disait superbement Marc-Edouard Nabe et qui lui ne sera jamais invité à La Grande Librairie. Est-ce la raison pour laquelle on l’exécuta comme un chien (Kafka, pas Nabe – encore que ?), et là, sans trop se forcer ?

Car oui, selon le juste mot de Yannick Haenel dans Charlie Hebdo[2], lynchage il y eut. Kafka selon l’hyper-émancipée Faïza Guène ? « Vieux garçon de vingt-huit ans qui vivait chez ses parents, donc zéro autonomie, gros boulet pour sa famille ». La Métamorphose selon Philippe Besson, le Speedy Gonzalès de l’exégèse ? « J’ai compris la métaphore à la deuxième ligne, alors, faire deux cent pages là-dessus, ça va… On nous prend pour des débiles » (en quoi il se rendit justice à lui-même.) Mais la souffrance de Samsa, son sacrifice ? « Je l’ai reçu comme un texte, mais désespérant ! Alors je sais que je suis peut-être un peu candy shop avec mes histoires du Petit Prince mais je préfère ça à 16 ans, à La Métamorphose de Kafka », avoua Faïza avec l’autosatisfaction de celle à qui tout réussit. Et avant le gazage rigolo : « J’ai envie de lui mettre un coup de Baygon à la page 50 ! ». Ce mot pathétique, la kiffeuse de demain l’assuma au nom de ses 16 ans révolus, trop insouciante à l’époque pour comprendre une histoire… que l’on vit précisément à cet âge – et peut-être encore plus quand on est une fille. Car, comme l’avait écrit Amélie Nothomb (une vraie lectrice, elle) dans Les Aérostats, La Métamorphose est un texte dont « chaque adolescence est une version », qui dit tout du carnage de cette période de la vie, la plus douloureuse mais aussi la seule pendant laquelle on apprend quelque chose, comme le rajouterait Proust. À moins que l’on ne soit déjà du côté de la meute, du groupe, du social – ce qui fut visiblement le cas de Faïza la battante.

C’est aussi cela qui était à pleurer dans ces propos, cet instinct anti-tragique atroce, ce positivisme tous azimut, cette férocité de winneuse (« un moment, il y a son espèce de n+1 du boulot qui vient chez lui et là, je vois ce qui peut être drôle », expliqua l’auteur.euh aux quatre cent mille exemplaires vendus dans le monde).  La pauvre Chloé Delaume tenta bien de s’interposer mais en s’excusant immédiatement de le faire : « moi, j’aimais mais j’étais gothique, voilà ». Mais non, Chloé, t’étais juste un peu plus humaine et plus sensible que les Chatgptistes triomphants devant toi !  Morale de l’algorithme ! Loi du chiffre contre la lettre et de la horde contre le cafard ! Haine du beau, du rare et du difficile.

Oui, je sacralise !

On dira que j’exagère, que je dramatise, que je sacralise. Mais oui ! Il faut sacraliser. Kafka est sacré. Il est l’enfant broyé qui écrit à son père une lettre bouleversante pour tenter d’apaiser leurs tensions et leur rendre « plus légers le vivre et le mourir », le Disparu qui nous révèle à notre intimité familiale et historique, le Juif prophétique dont toute la famille mourra dans les camps. Et on parle à son sujet de Baygon ! Imaginez ce que cela aurait été si un gars du RN avait osé pareille plaisanterie !

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D’ailleurs, le FN, parlons-en. En 2002, dans son programme culturel, on lisait qu’il fallait en finir avec « les tenants de l’absurde et les nihilistes de service, tels Brecht, Kafka ou Beckett, à qui nous ne dénions pas un certain génie littéraire [ouf !] mais qui masquent, à la manière d’une interminable rengaine, le relatif désert de la création officielle »[3]. Tant mieux pour la création officielle qui, aujourd’hui, s’appelle Guène et Besson (rendez-nous Patrick !). Et tant pis pour Kafka, pas assez national et trop désespérant pour les bruns d’antan, pas assez libéral cool et toujours trop désespérant pour les habillés en rose d’aujourd’hui. Car c’est bien le désespoir qu’on reproche à Kafka. « Je me sens très mal avec ce type qui se débat en cafard, où y a jamais aucun espoir, je suis consterné par ça », expliqua sentencieusement le déconsulé d’Etat. On aurait pu penser que la douleur, l’horreur intérieure faisaient partie des choses qu’un écrivain normalement constitué devait comprendre. Mais non ! Pas pour nos chiffreurs du bonheur responsable !

Et c’est pour cela que le problème n’est pas simplement télévisuel. Trop facile comme argument ! La télévision française, ça pouvait être Les Perses d’Eschyle en 1961 à 20 h 30[4], les téléfilms ultra-érudits de Roberto Rossellini sur Augustin d’Hippone, Blaise Pascal, René Descartes ou Cosme de Medicis ! Non, la haine de la littérature est toujours le symptôme d’une époque puritaine, iconoclaste, obscurantiste – révolutionnaire. Les tricoteuses traversent les siècles et sont incarnées aujourd’hui autant par les wokistes que par les tenancières de la positive attitude, du Candy shop, du feel-good book. Surtout, plus de représentation du mal ! Plus de mauvaises ondes ! Plus de chute ! Plus d’idiot ! « Et l’épilepsie, ça se soigne, mon cher Dostoïevski ! » comme l’écrivait ironiquement George Steiner dans Passions impunies. La lettre tue et l’esprit asphyxie – en plus de raconter des trucs qui n’existent pas. Parce que La Métamorphose (Trapenard ne cessa de le répéter « pour mettre les choses bien au clair »), ce n’est pas une métamorphose pour de vrai mais une métaphore, hein ? Le Franz, il nous embrouille avec ses mots bizarres. Faut pas le croire. Faut pas le lire au premier degré. Et même faut pas le lire du tout, c’est mieux pour la santé entrepreneuriale, la belle âme libérale et le pilon vivrensembliste.  Et c’est bien à ça qu’a servi ce soir-là La Grande librairie – colonie pénitentiaire de la littérature.

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[1] https://www.youtube.com/watch?v=GZrr4zXExV4

[2] https://charliehebdo.fr/2023/06/culture/livres/lynchage-tele-kafka/

[3] http://www.le-terrier.net/3affiches/fnprog/fn_illustre.pdf

[4] https://www.youtube.com/watch?v=UEm0b7vUDJc&t=1365s

Être né quelque part…

Colombie. Dans l’enfer vert de la jungle, affamés, quatre frère et sœurs, âgés de 13 ans à 11 mois, ont miraculeusement survécu cinq semaines en totale autonomie après l’accident d’un avion.


On s’est émerveillé, à bon escient d’ailleurs, en apprenant que quatre enfants âgés de treize, neuf, quatre et un an avaient pu survivre 40 jours seuls et pratiquement sans moyens dans la jungle. Ils sont les survivants du crash d’un petit avion parti d’un endroit nommé Aracuarara pour tenter de rejoindre San José del Guavare, une des cités importantes de l’Amazonie colombienne. Le pilote et un passager sont tués dans l’accident. La mère des enfants, blessée, a survécu quatre jours, pense-t-on, avant de mourir à son tour. Ses quatre petits se retrouvent donc seuls au monde. Il paraît que leur mère les aurait encouragés à ne pas rester là, près de la carcasse de l’avion, les incitant fermement à se mettre en chemin afin d’essayer de retrouver leur père.

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L’aînée, Lesly – treize ans, rappelons-le – rassemble dans une valise, une bâche, une serviette, une lampe torche et des piles, quelques instruments de camping, une bouteille de soda, deux téléphones portables et une boîte à musique. Les téléphones, non pas pour communiquer faute de réseau mais pour s’occuper, se divertir surtout la nuit. Et la boîte à musique pour amuser et apaiser la plus petite, qui n’a que onze mois. Les voilà qui s’aventurent en pleine jungle pour une Odyssée incroyable, une errance de quarante jours, démunis de tout, perdus, livrés à eux-mêmes dans ce milieu hostile s’il en est. Hostile ? Pour nous, même adultes, assurément. Pour eux, bien qu’enfants, beaucoup moins de toute évidence. La preuve, ils ont survécu. Ils ont su ce qu’ils pouvaient manger, boire sans se mettre en danger. Ils ont su où se poser pour dormir à l’abri des prédateurs, éviter les pièges innombrables de la forêt, bref ils ont réussi à se fondre dans le milieu, à se l’approprier en quelque sorte. Il semble que, faute de lait, la petite, encore bébé, ait été nourrie de biberons d’un liquide extrait de certaines lianes. Un responsable de l’Organisation Nationale des Peuples Amérindiens de Colombie nous a éclairés sur ce que, nous autres, nous regardons comme un prodige, un miracle. « La survie des enfants est la démonstration de la connaissance et de la relation qu’entretiennent les indigènes avec la nature, un lien enseigné dès le ventre de la mère » a-t-il expliqué. Ces quatre petits naufragés sont donc restés en vie grâce à ce lien. C’est ce qui les a sauvés, c’est ce qui leur a permis de ne pas désespérer, de ne pas paniquer, de ne pas sombrer dans la folie, confrontés qu’ils étaient à l’enfer vert de la jungle. En d’autres termes, ils ont survécu, sains de corps et d’esprit, parce qu’ils appartiennent à un peuple viscéralement attaché à ses racines et à la transmission de ce qui en fait la richesse. Il me semble qu’il y a, derrière la belle histoire de ces Petits Poucets de la forêt amazonienne, une fable que nous devrions méditer, particulièrement à un moment de notre histoire où l’on ne cesse de nous faire l’apologie de l’individu en rupture. En rupture de tout, de genre, de patrimoine historique et spirituel, de culture, de famille, de repères, de racines, surtout de racines… Bref, à en croire les prédications les plus en pointe, l’homme nouveau serait le « déraciné » absolu, le déconstruit total, désormais instamment prié de s’en remettre à une certaine « intelligence artificielle » pour la conduite de sa destinée. Au fait, ne serait-ce pas là tout bonnement l’hominidé idéal, chéri du « système », celui qu’on s’évertuerait à nous vendre pour la survie et la prospérité de cette jungle mondialisée dans laquelle nous nous trouvons embarqués sans bien savoir vers quoi nous allons, sans boussole fiable en tout cas ? Les petits naufragés de la forêt ont survécu, eux. Pour ce qui est de nous, il semble qu’il soit grand temps de nous poser la question.

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De Nantes à Bordeaux, à travers la France, comment on élève des moutons

Il y a un peu plus de dix ans, Nantes et Bordeaux avaient la réputation d’être ce qu’on appelle communément des havres de paix. Il se dit qu’il y faisait bon vivre. En quelques années, ces villes sont devenues cauchemardesques. « Se faire agresser, ça arrive à tout le monde ! » minimise l’adjointe au maire de Bordeaux.


L’insécurité règne et les maires socialiste de Nantes (Johanna Rolland) et écologiste de Bordeaux (Pierre Hurmic) ne semblent pas prêts à reconnaître cet état de fait et à le combattre. Ils ont d’autres priorités, des priorités sociétales.

Johanna Rolland, maire de Nantes, a toujours tenu un discours immigrationniste ; elle est pour un accueil inconditionnel. En 2014, après les premiers coups de feu sur fond de trafics de drogue et de délinquance inhérents à la présence accrue de migrants dans les quartiers dits populaires, elle prend la décision de… ne rien décider. Au fil des ans, la délinquance s’accroît, les agressions sexuelles se multiplient. Le 24 septembre 2022, une femme est violée par deux Soudanais. Les Nantais sont sous le choc et les langues se délient : les témoignages affluent, les commerçants se plaignent de l’insécurité grandissante, l’association S2N (Sécurité nocturne Nantes) organise un « Rassemblement citoyen contre l’insécurité ». La maire de Nantes ne réagit pas, elle est occupée : elle prépare le « mois des fiertés ». « La lutte contre les discriminations LGBTQIA+ c’est toute l’année à Nantes. Mais le beau mois de juin est le moment idéal pour porter bien haut le drapeau arc-en-ciel », annonce « fièrement » le site municipal (Nantes Métropole et Ville). Tandis qu’il devient impossible pour les Nantaises de se promener seules le soir dans les rues de la ville, la municipalité demande à ses concitoyens de pavoiser leurs balcons de drapeaux arc-en-ciel (offerts par la mairie) « en signe de ralliement et de bienveillance ». Une « Pride » est organisée, bien entendu, et un festival CinéPride projette un documentaire de Paul B. Preciado. La bibliothèque municipale de Nantes met en valeur des ouvrages édifiants : Sortir de l’hétérosexualité, Le prix à payer : ce que le couple hétéro coûte aux femmes, Déprivilégier le genre, Transfuges de sexe, L’art du drag, etc.

Des élus qui ne vivent pas dans le même monde

Mme Rolland vit sur une autre planète. Incapable de voir et donc de résoudre les véritables problèmes gangrénant sa ville, sa priorité est maintenant de « faire de Nantes la première ville non sexiste à 10 ans », projet qui passe par la création d’un centre d’accueil des femmes victimes de violences mais surtout par « la féminisation des noms de rues […] l’éducation à la vie affective, la lutte contre le tabou des règles » (Site Nantes Métropole et Ville). Des « Journées du Matrimoine » sont prévues et le « dégenrage » des cours d’école ainsi que des sorties permettant « de sensibiliser les enfants à la question de genre » sont dans les tuyaux.

Johanna Rolland est une caricature de la gauche actuelle, mélange de compromissions avec un parti écologique radical et des associations d’ultra gauche distillant les idéologies wokes, et de déni de la réalité, en particulier pour tout ce qui concerne les liens évidents entre délinquance, immigration et perte d’autorité face aux groupes de pression associatifs et politiques d’extrême gauche. Désignée, en février dernier, première secrétaire déléguée du PS, c’est-à-dire numéro 2 d’un parti moribond qui ne doit sa survie qu’à son allégeance à l’extrême gauche insoumise et écologiste, Johanna Rolland s’est réjouie sur France Info d’un « accord de rassemblement (au sein du PS) dans la clarté » – l’aveuglement jusqu’au bout.

Un mois et demi pour les LGBT

À Bordeaux, ce n’est pas mieux. Pierre Hurmic, maire écologiste de la ville, rivalise avec Sandrine Rousseau et Éric Piolle dès qu’il s’agit de dire ou de faire des âneries. On se souviendra par exemple de sa décision de supprimer l’ « arbre mort » de Noël devant la mairie.

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Comme toutes les municipalités progressistes, Bordeaux n’échappe pas à la propagande woke et, tout particulièrement, transgenre. Dans le cadre du « mois des fiertés » – lequel dure un mois et demi à Bordeaux, du 17 mai au 30 juin ! – un programme chatoyant attend les Bordelais : entre autres, au Marché des Douves, une exposition de « portraits de personnes trans inspirantes ». Des « séances d’écoute musicale commentées de musiques constitutives de la culture Queer (ou LGBTQIAP+) » seront proposées le 24 juin à la Bibliothèque Bacalan. Le lendemain, un “Bingo drag show” est prévu dans un square de la ville : « Poils, boules et paillettes pour un dimanche plein d’amour », annonce sobrement le site municipal. Au milieu de cette débauche de grand n’importe quoi, Pierre Hurmic ne pouvait bien sûr pas prévoir la terrible agression qu’ont subie une dame âgée de 73 ans et sa petite-fille de 7 ans le 19 juin dernier. Comme toutes les villes de France, Bordeaux connaît une augmentation des agressions violentes. Libération, sans le vouloir et avant rétractation et effacement orwellien sur son site, a validé cette sinistre réalité : « Un vol à l’arraché comme il s’en produit des dizaines chaque jour en France ». Suite à cette agression que le public aurait ignorée si une vidéo n’avait pas circulé sur les réseaux sociaux, le maire bordelais a déclaré ne pas vouloir « commenter les réactions indécentes et indignes » et en a profité pour ne rien dire du tout sur l’insécurité grandissante dans sa ville et dans les autres villes de l’hexagone, ce qui est d’autant plus regrettable qu’il est le président, depuis octobre 2022, du Forum français de la sécurité urbaine. Mais bon, comme l’a déclaré récemment Françoise Frémy, sa maire adjointe : « Se faire agresser, ça arrive à tout le monde ! » Alors, comme à Nantes, la mairie de Bordeaux tient d’abord à célébrer le « matrimoine », à expérimenter un « budget sensible au genre », à féminiser les noms des rues de la ville, à réduire la place des voitures et augmenter celle des « mobilités actives », à végétaliser les cours d’école et créer des « fermes urbaines ». Les enfants n’échappent pas à la propagande : « Au conseil municipal des enfants de Bordeaux, les 62 conseillers âgés de 9 à 11 ans sont à fond sur la thématique de l’écologie ! », assure joyeusement le site d’information “ActuBordeaux”.

La récupération politique, le vrai danger selon ces maires de gauche

Après l’agression de cette vieille dame et de sa petite fille, Mme Borne a, elle aussi, dénoncé le risque de récupération politicienne. Et puis ? Et puis rien. Comme les maires de Nantes et de Bordeaux, elle a d’autres priorités que la sécurité des Français en tête. Parmi celles-ci, l’écologie, bien sûr, ou plutôt l’écologisme, cette idéologie mortifère qui envahit tout, y compris l’Éducation nationale. L’école n’est plus qu’une garderie dans laquelle la transmission du savoir a été remplacée par le contrôle social et par l’éducation aux idéologies, écologisme et transgenrisme en tête, permettant ce contrôle. Ainsi, nous apprend Libération qui s’en pourlèche ses babines progressistes, Elisabeth Borne et son ministre de l’Éducation nationale réfléchissent à « un référentiel de compétences à acquérir au cours de la scolarité »   « bien s’alimenter, trier ses déchets, comprendre le changement climatique… »et à une évaluation du « savoir vert » des élèves de 3e en vue d’obtenir une « certification écolo ». Nul en français, mauvais en maths, ignorant de l’histoire de son pays mais imbattable dans l’usage de la novlangue inclusive, le tri des poubelles et les mille et une manières de se « dégenrer » et d’accueillir l’Autre, tel est l’élève idéal, le citoyen de demain, le mouton décérébré que nos élites politiques appellent de leurs vœux et espèrent pouvoir tondre jusqu’à l’os.

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Les damnés de la terre

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Écoterrorisme ? « Aucune cause ne justifie les agissements particulièrement nombreux et violents auxquels appelle et provoque ce groupement » a avancé le gouvernement, qui a décidé hier la dissolution des Soulèvements de la terre. Le collectif était dans son viseur depuis les violences de Sainte-Soline, fin mars. Toutefois, la dissolution est en réalité l’arme des faibles, observe Elisabeth Lévy. Analyse.


Gérald Darmanin a donc finalement annoncé la dissolution du mouvement des Soulèvements de la terre. Pour autant, est-ce la fin de l’impuissance de l’État face à la violence ? On peut craindre que non, et peut-être même que c’est le contraire.

Bien sûr, nous n’avons aucune sympathie pour ces « mutins de Panurge » (cf. le bon mot de Philippe Muray) qui endossent toute la panoplie de l’extrême gauchisme tendance woke. Sur leur site, par exemple, ils sont très fiers d’écrire : «Nous avons lutté contre la loi travail, les violences policières, le racisme, le sexisme et l’apocalypse climatique». Ils ont oublié le « colonialisme » !

Ce sont des spécialistes de la manifestation interdite où des ultras-antifas viennent casser du flic. Ils se foutent du droit de propriété. Ils pratiquent l’arrachage de plants et les dégradations. Ces écolos détestent les agriculteurs et se moquent de la beauté de la nature.

Une fausse solution

Cependant, la dissolution est une fausse solution.

D’abord, il faudrait savoir : tous les membres du gouvernement sont-ils vraiment sur la même ligne ? Quand Gérald Darmanin les traitait d’écoterroristes il y a quelques semaines, Elisabeth Borne rappelait immédiatement que tout de même, leur cause était juste et que ce n’était peut-être pas tout à fait la même chose que des islamistes… Ensuite, il y a un problème d’efficacité et Gérald Darmanin est expert en annonces non suivies d’effets. Par exemple, citons la dissolution avortée du Gale (Groupe Antifasciste Lyon et Environs) à cause du Conseil d’État. Les Soulèvements de la terre, par ailleurs, est un mouvement avec une existence administrative et juridique très faible ; c’est un conglomérat de militants venus d’horizons et de causes diverses. Et, dernier problème de cohérence pour le gouvernement, il a nommé un « multiculti » à la tête de la section du contentieux du Conseil d’État (M. Thierry Tuot). Cela accroit évidemment le risque de censure dans ce genre de dossier.

A lire aussi, Didier Desrimais: L’écologisme est une conspiration contre la vie

Et même si la procédure aboutit, on peut craindre une reconstitution du mouvement. Ainsi, le CCIF est devenu le CCIE (Collectif contre l’islamophobie en Europe) et il est toujours aussi nocif.

Mais c’est une question de principes, dira-t-on

Justement, cette affaire est très problématique sur le plan des principes aussi. La règle : c’est la liberté d’expression et de contestation, y compris pour les zozos et les révolutionnaires. Et l’exception, c’est l’interdiction. Les gens des Soulèvements de la terre racontent n’importe quoi, mais ils n’appellent pas explicitement à la violence dans leurs statuts – même s’ils la tolèrent et même s’ils la suscitent. On ne doit interdire qu’en dernier recours. Dissoudre ne sert à rien quand par ailleurs on se couche devant la violence. Rappelons le crime originel de Notre Dame des Landes. Pour se faire entendre en France, il faut désormais casser.

A lire aussi, Pierre-Henri Tavoillot: «À l’extrême-gauche, la pensée s’est dissoute dans un geste de pure contestation»

En réalité, les Soulèvements de la terre ce n’est pas une association qui commet des délits mais bien des individus. Aussi, le véritable sursaut de l’Etat serait que toute sortie de route, tout caillou jeté sur un policier soit sévèrement sanctionné. D’après Le Monde, il y a eu un coup de filet mardi matin dans la mouvance écolo-radicale – et notamment à Notre-Dame-des-Landes. Réalisée par l’anti-terrorisme, l’opération a mené 14 personnes soupçonnées de « dégradation en bande organisée », et d’ « association de malfaiteurs » en garde à vue. Une sanction pénale exemplaire aurait bien plus de poids qu’une dissolution décidée en Conseil des ministres !

Faut-il le répéter : on n’interdit pas les idées, on les combat. On ne dissout pas des délinquants, on les sanctionne. La dissolution, c’est l’arme des faibles. 


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez notre directrice de la rédaction dans la matinale, du lundi au jeudi à 8 heures.

Il n’y a pas que les prix qui subissent l’inflation: la démagogie aussi

La réforme des retraites est passée, mais ne tardera pas à revenir. En attendant, chronique de la vie quotidienne dans l’Hémicycle… et en dehors !


Miss France

Fin avril, l’Assemblée nationale s’est arrêtée deux semaines. Ouf ! Deux semaines pour, selon les cas, partir en vacances ou travailler « en circonscription », pour être sur le terrain et prendre le pouls de notre chère bonne vieille province, ce mot qu’il ne faut surtout plus employer mais que, pour ma part, j’affectionne. J’utilise la première semaine, qui est en décalé avec les vacances scolaires, pour visiter quelques écoles. Je propose, chaque début d’année scolaire, aux directeurs des écoles de Béziers et des villages alentour de venir durant deux heures dans les classes de CM1/CM2 pour expliquer le fonctionnement de l’Assemblée nationale et le rôle du député. Une vraie bouffée d’air frais pour moi. Et d’humilité aussi… J’ai l’habitude de démarrer mon intervention en demandant aux enfants à quoi on reconnaît un député. Je sors alors de mon sac l’écharpe tricolore pour leur expliquer ce qu’elle représente et comment on doit la porter. Je leur demande ensuite qui d’autre a le droit de porter une écharpe tricolore… Et là, une fois sur deux, un doigt se lève pour répondre… « Miss France ! » On est peu de chose…

Drapeau européen

Mais nous voilà bien vite de retour dans l’Hémicycle, avec une question cruciale à trancher : faut-il obliger les mairies à arborer le drapeau européen ? En voilà une proposition de loi importante ! Quelle mouche a donc encore piqué Aurore Bergé de vouloir à tout prix faire adopter ce nouveau texte ? Quelle mouche ? La basse politique, bien sûr ! Une proposition de loi d’un pénible opportunisme qui ne relève d’aucune nécessité. Une simple vengeance, afin de mettre des bâtons dans les roues du Rassemblement national et de la France insoumise. Pourquoi ces nouveaux débats alors que le rapporteur de la majorité reconnaissait lui-même que « ce texte ne répond pas aux défis politiques et sociaux du moment… » Rejeté en commission, Aurore Bergé a quand même voulu maintenir son examen en séance en se targuant de sa portée « éminemment symbolique ». Avec, au summum de la mauvaise foi, ce chantage, cet oukase : « Si vous êtes contre le drapeau européen, c’est que vous êtes contre l’Union européenne ! » En réalité, avec cette nouvelle loi – ce n’est plus une inflation législative, c’est une véritable indigestion ! –, c’est une nouvelle dépense pour les mairies. Et que de temps perdu quand on sait que beaucoup le font déjà, comme à Béziers où le drapeau tricolore flotte à côté des drapeaux européen, occitan et de celui de notre ville, la plus ancienne de France ! Que d’énergie gâchée alors qu’Élisabeth Borne affirmait dans sa feuille de route vouloir mener de grandes réformes ! Que nous attendons toujours…

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Les « nuances » de la France insoumise

Évidemment, je ne pourrai jamais être exhaustive en quelques lignes de cette chronique tant la Nupes nous honore régulièrement de ses outrances. En ce début du mois de mai, c’est Gérald Darmanin qui est la cible préférée de l’extrême gauche. Avec, pour commencer, le député du Nord, Ugo Bernalicis, qui vitupère contre les forces de l’ordre – c’est une véritable obsession. Nous avons donc eu droit le 10 mai à une belle sortie de l’élu d’ultra-gauche qui nous explique que le ministre de l’Intérieur instaure ni plus ni moins la loi du talion dans les manifestations et conclut son intervention par un sonore « La Brav’M, ce n’est que les black blocs de Darmanin ! » Rien que cela… Mais bien relayée sur Twitter et YouTube, la vidéo fait le buzz auprès de son électorat ravi. Le désormais « célèbre » Thomas Portes, député de la Seine-Saint-Denis qui s’était illustré en mettant son pied sur un ballon de foot représentant la tête du ministre Olivier Dussopt, explique quant à lui : « Avec Darmanin, c’est tapis rouge pour les nazis et coups de matraque pour la mobilisation sociale ! » Décidément, il n’y a pas que les prix qui subissent l’inflation en France : la démagogie aussi !

Billets d’avion

Les députés bénéficient de certains avantages. Parmi ceux-ci, des fonctionnaires à notre disposition pour nous faciliter la vie, et notamment nos déplacements. Évidemment, vous vous en doutez, venir chaque semaine à l’Assemblée nationale quand on habite à 800 kilomètres de là nécessite une logistique bien rodée. Un service des transports que je mets souvent à rude épreuve à force de modifications de dernière minute, l’agenda parlementaire fluctuant beaucoup… Avec, à la clef, de multiples changements dans les billets de train ou d’avion. Mais les fonctionnaires du bureau des transports doivent être, à coup sûr, recrutés pour leur stoïcisme, car jamais, ô grand jamais, l’un d’entre eux ne m’a témoigné d’une quelconque impatience. Pourtant, on ne compte plus ceux qui critiquent les fonctionnaires. Il faut juste leur dire merci.

Reste à vivre

Le 15 mai dernier, Emmanuel Macron passe au « 20 h » de TF1. Outre une série de questions qui me font rester sur ma faim – je ne peux pas m’empêcher de penser à Coluche qui disait : « On fait venir un homme politique, on lui pose une question, il ne répond pas et on passe à une autre » –, une expression utilisée par le président de la République m’interpelle. En effet, interrogé sur les impôts qui vont diminuer – c’est une de ses annonces phares –, le chef de l’État explique : « Donc, c’est ce qui va permettre à des gens qui travaillent, qui sont dans la classe moyenne, d’avoir en quelque sorte un reste à vivre plus important pour eux. » Un « reste à vivre », quelle vilaine expression ! Comment espérer redonner espoir et moral aux Français en leur parlant d’un reste à vivre ? J’ai l’impression de sortir de chez le médecin qui m’aurait annoncé une maladie incurable… Quand on sait que, chaque année, 10 % de nos compatriotes ont des idées suicidaires, qu’environ 200 000 personnes font une tentative de suicide et que 10 000 d’entre eux en meurent, encore un petit effort de communication, monsieur le président !

Contre l’omerta officielle: dire et montrer

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À l’aveuglement de nos élites et de l’État-Titanic sur la réalité des évènements, répond la mauvaise foi de nos éditorialistes.


La France est semblable au Titanic. Ses dirigeants ne voient rien du désastre qui se profile. Pire : ils accablent les vigies.  Si rien ne vient empêcher le naufrage annoncé du pays, son épave se visitera un jour, à son tour, comme une mémoire enfouie.  Elisabeth Borne illustre l’aveuglement des « élites ». Commentant, mardi, la vidéo de l’agression d’une grand-mère et de sa petite fille, lundi à Bordeaux par un « Français » multirécidiviste, le Premier ministre a repris le refrain commode accusant « ceux qui veulent immédiatement instrumentaliser » un fait divers. Le maire (EELV) de Bordeaux, Pierre Hurmic, a pareillement refusé de « hurler avec les loups » et critiqué une « récupération politique (…) indigne, indécente, idéologique et malsaine ». L’omerta est le credo de ceux qui veulent cacher des réalités. Lors de l’agression au couteau de bébés par un Syrien à Annecy, les faussaires avaient hurlé à l’indécence des indignations. Mais où est l’indécence, sinon dans le fait que des délinquants laissés libres s’en prennent ici à des nourrissons, là à une femme âgée et une fillette de 7 ans ? Comment oser critiquer ceux qui s’alarment de ces violences extrêmes, en les traitant le plus souvent de « charognards » ou d’ « extrême droite » ? L’ancien maire de Bordeaux, Nicolas Florian (LR), qui a contribué à diffuser la vidéo de l’agression commise par Brahima B., rappelle que son successeur n’a toujours pas signé le contrat de sécurité intégrée (CSI) proposé à la mairie par la préfecture. L’irresponsabilité de ces idéologues, qui ne cessent de donner des leçons de morale, est révoltante.

À lire aussi, Didier Desrimais: De Nantes à Bordeaux, à travers la France, comment on élève des moutons

Oui, il faut montrer, sans répit ni fausse pudeur. Les faits sont les meilleures preuves à opposer aux dissimulateurs. La Révolution du réel, qui partout en Europe décille l’opinion et fait monter la droite pragmatique, porte en elle une honnêteté naïve qui désarme les idéologues. Cette vertu dévoile aisément les mensonges d’État et les désinformations médiatiques. La décivilisation, ce mot qu’Emmanuel Macron a repris, oblige à l’inventaire des dislocations de la société. Les agressions contre les femmes, les enfants et les bébés, mais aussi contre les forces de l’ordre, les maires, les pompiers, les chauffeurs de bus, les guichetiers, les médecins, les arbitres du foot, etc. sont autant de signes d’un affaiblissement de l’État-Titanic. Cependant, il faut aller à la source de la grande déglingue, sans craindre les procès éventés en racisme et en xénophobie. Car, oui, l’immigration de peuplement a, en 40 ans, bousculé le fragile équilibre d’une société jadis solidaire, une et indivisible. Il ne suffit pas d’avancer que Brahima B. est Français né à Bordeaux de parents français pour évacuer les sujets liés notamment à l’accès à la nationalité et à l’échec de l’intégration pour certains enfants issus de l’immigration. L’éditorialiste de La Croix, mardi, fustigeait à son tour « la surexploitation de phénomènes migratoires », qui caractériserait l’ « extrême droite ». Les naufrageurs parlent ainsi.

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Élections en Espagne: vers une victoire de la droite en juillet prochain?

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En Espagne, lors des dernières élections locales, la gauche s’est effondrée. Cette débâcle est loin d’être imméritée. Analyse.


Ce qui se joue actuellement en Espagne est d’un intérêt majeur pour tous ceux qui s’interrogent – non plus sur l’existence – mais sur la longévité des politiques d’extrême gauche menées tambour battant au plus haut sommet d’un État européen. Les Espagnols ont visiblement ébauché une réponse à cette question le 28 mai dernier lors d’élections municipales qui se sont tenues sur l’ensemble du pays : la nette victoire de la droite libérale-conservatrice, conduite par le représentant du Partido Popular (PP) Alberto Nuñez Feijóo, a amené l’actuel et très controversé Premier Ministre socialiste Pedro Sánchez (PSOE) en poste depuis 2018, à assumer «personnellement » ce cuisant échec électoral local et à anticiper les élections générales initialement prévues en décembre prochain.

Anticiper pour mieux sauter ?

Échec territorial de la gauche, sans nul doute, puisque le PP a triplé son implantation dans les capitales de province et l’a emporté dans 3193 municipalités, lesquelles représentent 46,5 % de la population espagnole, tandis que le Parti Socialiste (PSOE) a vu sa présence locale divisée par deux, allant jusqu’à perdre l’emblématique Séville et la quasi-totalité de l’Andalousie pourtant bastion de la gauche et traditionnel baromètre de la couleur politique à l’échelle nationale.

A lire aussi, du même auteur: Espagne: enquête sur la génération «nini»

Débâcle de la gauche assumée « à la première personne » (« en primera persona ») par un Premier ministre taxé de « narcissique », d’« ambitieux » et de « grand imposteur » autant par ses opposants que par ses alliés du PSOE qui lui reprochent d’avoir conjugué l’action politique non seulement à la première personne – suivant une dérive autocratique voire tropicale du pouvoir – mais aussi aux deuxièmes et troisièmes personnes que sont l’ultra-gauche d’Unidas Podemos (UP, Unies Nous Pouvons, sorte de LFI ibère, littéralement atomisé par les élections du 28 mai) et les partis séparatistes basque et catalan, respectivement Bildu et ERC. Si la vague bleue se confirme, malgré la tentative de Pedro Sánchez, en avançant la date du scrutin au 23 juillet, de museler l’inévitable contestation en interne et de transformer ces élections générales en un plébiscite de sa politique contre la montée de la droite agitée comme un chiffon rouge, l’ex-chef de file de la droite galicienne Alberto Nuñez Feijóo, patron du PP depuis mai 2022, est bien parti pour être le futur Président du gouvernement espagnol.

Espérons, pour les Espagnols, que la date du scrutin, stratégiquement fixée en pleines vacances d’été, ne sera pas un frein à la poursuite de la contestation sortie des urnes le 28 mai dernier. Espérons aussi que ce que la droite espagnole a qualifié de leçon d’humilité adressée à l’actuel Président du gouvernement se concrétise le 23 juillet en ce « baño de realidad » (littéralement et très joliment « bain de réalité ») qu’elle lui promet, autrement dit, une confrontation avec le réel. Un réel énoncé de façon simple et concise par Alberto Nuñez Feijóo, il y a tout juste un an : « Les Espagnols en ont assez ».

Pedro Sánchez, Nuñez Feijóo et le berger du Don Quichotte de Cervantes

Et on peut les comprendre. Reléguée à la dernière place en Europe, derrière la Grèce, en matière d’emploi, attaquée dans ses fondements constitutionnels par un gouvernement prêt à questionner « l’indissoluble unité de la Nation espagnole » (article 2 de la Constitution de 1978) pour s’assurer de l’appui électoral des partis séparatistes basque et catalan, outragée dans l’histoire douloureuse de son XXème siècle par la nouvelle loi de Mémoire démocratique (2022) et la remise en cause de cette étape fondamentale de la réconciliation nationale que fut la Transition à partir de 1975, wokisée à l’envi dans ses écoles et leurs affligeants programmes scolaires désormais délestés de philosophie mais obèses de « perspectives de genre», d’ « invisibilisation dans l’histoire », de « dégradation de la vie sur Terre » et de « vision contextualisée et juste de la motricité » – alias le sport- , enfin kidnappée dans sa citoyenneté par une sociétalosphère en roue libre, l’Espagne a sans doute besoin de sortir un peu la tête de l’eau.

Irene Montero, Ministre de l’Egalité, devant le Parlement à Madrid, après l’adoption de la nouvelle législation concernant le changement de sexe, le jeudi 16 février © Paul White/AP/SIPA

En attendant les élections, les « perles » se succèdent. La ministre du travail Yolanda Díaz, à la tête d’un parti politique nommé Sumar (additionner, ajouter, en espagnol) regroupant les différentes gauches radicales qui viendront en renfort pour aider le PSOE le moment voulu, a précisé cette semaine son brillant objectif : « que l’on puisse rentrer chez soi à 18:00, pour prendre un verre, aller se balader, s’ennuyer ou s’occuper de ses enfants ». Ambitieux programme, en effet, pour une ministre du travail, ancienne communiste. Pedro Sánchez, de son côté, se dit soucieux de l’image d’une Espagne appelée à prendre la Présidence du Conseil de l’UE le 1er juillet prochain et qui, si elle passait à droite, serait vue comme homophobe, trumpiste, bolsonariste, anti-européenne, insensible aux causes environnementales, bref, l’incarnation du camp du Mal. Rassurons la gauche espagnole sur ce point : ce que beaucoup d’Européens auront retenu des exploits progressistes du gouvernement de Pedro Sánchez sera sans doute d’avoir été à l’origine de la loi dite du consentement, une loi anti-violeurs concoctée par la Ministre à l’Egalité Irene Montero (Unidas Podemos, UP), et qui a visiblement porté ses fruits puisqu’en moins d’un an auront été enregistrées 1127 remises de peine et 115 sorties de prison d’individus jugés pour agressions sexuelles. Pour reprendre les mots d’Amelia Valcárcel, professeur de philosophie morale et politique à l’UNED et ancien membre du Conseil d’Etat, ce qui caractérise les ministres Podemos c’est « leur impréparation intellectuelle et politique : ils ouvrent la bouche pour dire ce qui leur passe par la tête ». Toute comparaison avec d’autres partis au-delà des Pyrénées, etc.

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Cette loi, acmé de la politique inclusive et bienveillante menée par le tandem gauche-extrême gauche depuis 2018, rappelle un épisode du célèbre Don Quichotte de la Manche (1605) de Miguel de Cervantes, celui du jeune berger battu par son maître, un épisode moins connu que celui des moulins à vent, mais tout aussi exemplaire (Première partie, chapitre 4). Don Quichotte, parti à l’aventure avec son fidèle écuyer Sancho Panza pour redresser les torts et punir les malveillants, se retrouve tout à coup nez à nez avec un paysan occupé à frapper un jeune berger, sous prétexte que celui-ci lui aurait perdu plusieurs moutons. Don Quichotte, outré d’apprendre, par-dessus le marché, que le paysan n’a jamais versé un seul sou au berger pour son travail, lui fait jurer de rentrer chez lui et de le payer séance tenante. Le paysan jure, rentre chez lui avec le jeune homme, et lui donne double ration de coups, lui promettant même, au passage, de l’écorcher vif. Don Quichotte, confiant en ses bonnes paroles, poursuit son chemin très heureux de cette belle leçon de chevalerie donnée au paysan et, surtout, très satisfait de lui-même.

Rendez-vous le 23 juillet.


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Partie à quatre avec Arielle Dombasle

Dans « La Fille et le garçon », Jean-Marie Besset partage un nouvel idéal sentimentalo-sexuel. En salles cette semaine.


Dans « La Fille et le garçon », Jean-Marie Besset donne à voir la relation, tumultueuse et amoureuse, entre un couple d’âge mûr qui se rêve tout haut de siècles anciens (elle du XVIIe par la peinture, lui du XVIIIe par l’esprit libertin) et un jeune couple de migrants sans papiers recherchant en France autre chose que la méfiance, la répression et la peur. Combat inégal entre un vieux coq fatigué qui a tout lu et un jeune coq à la fesse dure qui veut bien honorer madame contre rétribution, entre une amatrice d’art aussi éthérée qu’éclairée et une jeune Iranienne qui va à confesse et craint le Bon Dieu. Mais combat vite amorti (trop vite ?) et apaisé dans les méandres du désir qui feront de ce quadrilatère improbable un espace hors du monde où circulent assez vite la tendresse, la passion, et pourquoi pas, l’amour.

Besset, qui revendique quelques influences majeures, de la simplicité délicate d’Éric Rohmer au baroque énervé de Visconti (Pauline à la plage un peu vieillie qui déboule dans Violences et passions, voici donc la gageure !), et qui a souvent travaillé pour le cinéma mais plutôt comme auteur, traducteur ou adaptateur, progresse vite et bien en qualité de metteur en scène. Même si, d’esprit français et d’essence littéraire, son cinéma reste bavard, il n’en fait pas moins confiance à l’image, se méfie de la précipitation et des montages à l’emporte-pièces, et ne réduit jamais l’espace de jeu aux dimensions d’une chambre à coucher.

A relire: Arielle Dombasle sur MeToo: «Le ressentiment, la revanche s’en mêlent et je n’aime pas ça»

C’est d’ailleurs par un grand tableau que s’ouvre cette étrange quête de renaissance et de liberté, le tableau d’un peintre plus ou moins maudit du XVIIe, Michael Sweerts, en tout cas largement oublié jusqu’au XXème siècle, tissant le fil rouge du récit cinématographique. Un peintre de la « carnation » et d’une sexualité au masculin, qui préfère s’attaquer franchement à un groupe de lutteurs plutôt qu’à une énième Diane au bain ou qu’à Judith et son grand couteau. Largement de quoi, pour notre héroïne bourgeoise incarnée par la toujours délicate et décalée Arielle Dombasle, caresser du regard la transparence des peaux, les pleins et les déliés de musculatures au travail. Avec son mari, qu’elle voussoie avec une sorte de snobisme aristocratique, voilà donc une paire qui passe tous sentiments ou sensations nouvelles au prisme des représentations et de la littérature (Sade et Diderot tiennent la corde, semble-t-il, et la lecture à voix haute par la « relative » ingénue du groupe d’un extrait troublant de La Religieuse donnera lieu à une très belle scène), une paire qui sait à peu près tout justifier par le savoir, l’intelligence et le raisonnement.


Ils tentent d’absorber, de dévorer peut-être la jeunesse de ce couple venu d’ailleurs et dont les besoins sont eux avant tout des besoins primaires (« C’est dimanche, j’ai faim et je n’ai rien à manger, j’ai envie de chier et je n’ai rien à chier » crie le garçon à la fille qui a préféré aller à la messe plutôt que faire des courses !). Mais pour mieux les aimer finalement et il s’agit bien dans l’intention d’abandonner la piste socio-politique façon « érotisme et lutte des classes » au profit de la construction généreuse d’une belle utopie fondée sur l’échange et la confiance. Utopie qui s’exprime idéalement en bout de course par un très beau plan de cinéma.

La Fille et le garçon, film français de Jean-Marie Besset avec Arielle Dombasle, Aurélien Recoing, Mina Kavani et Louka Meliava. En salles le 21 juin.

Louis Vuitton au Pont Neuf: des élus d’un autre temps

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À Paris, l’organisation d’un grand défilé Vuitton sur le Pont-Neuf, privatisant l’espace public, fait grincer des dents au sein de la majorité d’Anne Hidalgo.


Une partie de la gauche parisienne, généralement surexcitée, a vu tout rouge hier soir. En cause, la privatisation du Pont-Neuf par le groupe LVMH pour l’organisation d’un défilé de la collection masculine Vuitton créée par l’artiste multicartes Pharrell Williams (notre photo), que ceux de ma génération connaissent surtout au travers de la musique. Le défilé a aussi révélé les failles de la majorité municipale parisienne, plus désunie que jamais. Ainsi, alors qu’Anne Hidalgo a été aperçue et photographiée au premier rang puis en compagnie de Bernard Arnault en personne, manifestement heureuse d’être là, David Belliard, Émile Meunier, et d’autres personnalités de gauche y sont allés de leurs tweets assassins.

Le maire adjoint de Paris à la transformation de l’espace public et aux mobilités Europe Écologie Les Verts s’est montré furieux que le Pont Neuf soit « accaparé par quelques multinationales et une poignée d’happy few ». Étonnant message vu de l’extérieur, David Belliard étant normalement l’allié d’Anne Hidalgo. On doutera du fait qu’il n’ait pas été mis au courant d’un évènement d’une si grande ampleur, très probablement préparé des mois à l’avance et négocié en amont par la mairie qui a dû donner son aval. Laquelle mairie a été, c’est certain, généreusement dédommagée pour ce prêt qui n’aura duré qu’une journée. Sollicités par l’Agence France-Presse, les élus communistes de Paris ont regretté « une publicité démesurée pour LVMH sur l’espace public ».

A lire aussi, du même auteur: Bordeaux: oui, M. Véran, cela pourrait être la grand-mère de tout le monde

Qu’on goûte ou pas la musique de Pharrell Williams et les vêtements Louis Vuitton n’est au fond pas le problème. Il s’agit d’une occupation temporaire qui a été conjointement décidée par les pouvoirs publics, élus par les Parisiens et les Parisiennes. Plutôt que de tempêter sur un défilé qui a été regardé dans le monde entier et qui met à l’honneur une marque française – mon point de vue aurait été tout autre si cela avait concerné un groupe étranger -, David Belliard et les autres devraient se concentrer sur les motifs d’inquiétude légitimes des franciliens mais aussi de tous les Français : la sécurité, la propreté ou encore l’accès au logement.

Un documentaire récent diffusé sur France 2 montrait ainsi la qualité des HLM viennois, extrêmement nombreux et spacieux, aux parties communes parfaitement entretenues. Une denrée plus que rare dans le 75. Le défilé Vuitton aura aussi permis de constater que la capitale est en mesure d’organiser des journées nécessitant une grande logistique et une importante sécurité, ce qui est plutôt rassurant avant les Jeux. On regrettera toutefois que des bateaux n’aient pas été mis à disposition de la population afin que plus de monde puisse assister au concert.

Au même moment, et c’était peut-être voulu, l’association pro immigration clandestine Utopia 56 envoyait 700 migrants occuper la place du Palais Royal. De nombreux parallèles ont été établis, notamment par l’inénarrable Daniel Schneidermann. Oui, il y a de quoi plaindre ces jeunes hommes qui ont tout quitté pour se retrouver dans la misère, mal accueillis et à la rue. Mais le message doit être clair : on ne peut occuper que légalement l’espace public en France. Pourquoi faire venir des gens dans l’illégalité la plus pure et dans la ville la plus difficile d’accès au monde, où même des Français de province à revenus corrects ont du mal à s’établir ? Les indignations à géométrie variable de la gauche la plus déconnectée du pays sont pénibles et hypocrites.

Ukraine: «Une lutte multiconfessionnelle de mille ans»

Jean-François Colosimo fait partie des intellectuels français et des théologiens orthodoxes qui ont été les plus meurtris par le déclenchement de la guerre en Ukraine. Dans La Crucifixion de l’Ukraine, il montre que le pays n’a pas attendu la barbarie de Vladimir Poutine pour être un lieu d’affrontements entre grandes puissances.


Causeur. Le 21 mai, le pape François a confié à l’archevêque de Bologne, le cardinal Zuppi, une mission visant « l’apaisement des tensions » en Ukraine. Pourquoi ce choix ?

Jean-François Colosimo. Créé cardinal par François qui l’a également nommé président de la puissante Conférence épiscopale italienne, et classé parmi les papabile, Matteo Zuppi est issu de Sant’Egidio. Cette communauté caritative et humanitaire a été fondée en 1968 à Rome par l’influent intellectuel de réputation internationale Andrea Riccardi. Elle s’est vite illustrée dans diverses médiations de paix, entre autres au Mozambique, en Algérie, au Kosovo. On lui doit aussi la rencontre d’Assise qui a réuni en 1986 autour de Jean-Paul II les représentants des grandes religions instituées afin de barrer l’essor des fondamentalismes. Sant’Egidio est ainsi devenue l’organe de la diplomatie parallèle du Saint-Siège. En faisant appel au plus éminent prélat sorti de ses rangs, le pape entend éclaircir la position du Vatican, sujette à interrogations, sur la guerre que Vladimir Poutine mène contre l’Ukraine.

Quelles sont les ambitions de François dans ce dossier ?

Mandater le cardinal Zuppi revient pour lui à tabler sur le dialogue. Côté russe, l’interlocuteur le plus probable est un compagnon de route de Sant’Egidio, lui aussi ecclésiastique et rompu aux affaires internationales : le métropolite Hilarion Alfeyev, longtemps bras droit du patriarche Kirill de Moscou et ex-patron du département des relations œcuméniques de l’Église orthodoxe russe. Il pourrait être le canal privilégié d’une négociation secrète avec le Kremlin.

Mais Alfeyev est-il un interlocuteur crédible ? N’a-t-il pas été mis sur la touche quand il a été nommé par Moscou simple métropolite de Budapest en juin 2022 ?

À première vue, une telle relégation dans la petite et lointaine Hongrie à la tête d’un diocèse périphérique d’à peine 15 000 fidèles semble marquer une victoire des ultras au sein du Saint-Synode moscovite. Mais en réalité, il s’agit pour Alfeyev d’un exil doré au service redoublé de son patriarche Kirill. Car Kirill, ce pivot religieux du système poutinien lié au KGB/FSB depuis sa jeunesse, cet idéologue va-t-en-guerre de la Grande Russie, est aussi un véritable oligarque dont la fortune personnelle, estimée à 2 milliards de dollars, serait justement abritée… à Budapest. D’ailleurs, ses liens avec la Hongrie sont si forts qu’il doit au président Victor Orban d’avoir été écarté de la liste noire des sanctions dressée par l’Union européenne en juin 2022. Orban, l’allié indéfectible du Kremlin, avait alors osé arguer de l’impérative nécessité de distinguer les ordres spirituel et temporel !

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Croyez-vous qu’une diplomatie par le truchement des religieux puisse aboutir ?

De François à Zuppi, de Zuppi à Alfeyev, d’Alfeyev à Kirill, de Kirill à Poutine, la chaîne de communication n’amenuise-t-elle pas mécaniquement la capacité de transmission et de conviction ? Quel risque d’instrumentalisation encourent le neutralisme du Vatican et le pacifisme de Sant’Egidio face au néototalitarisme de Poutine ? L’urgence est-elle de lui parler ou de l’endiguer ? Il reste qu’une amorce de pourparlers sous couvert de spiritualité pourrait convenir à l’opportunisme des dirigeants occidentaux, notamment le catholique Joe Biden, soucieux de ne pas clore son mandat sur un conflit sans issue. Mais une telle perspective, plus exactement une telle hypothèse ne semble guère probable. Par ailleurs, la voie vaticane de conciliation est pavée d’obstacles. Le premier tient à la défiance, compréhensible, du pape argentin à l’égard de l’imperium des États-Unis. Le deuxième, à l’accord qui le lie au patriarche russe.

Vous m’apprenez l’existence de cet accord…

Ce pacte a été conclu le 12 février 2016 à l’aéroport de La Havane où François et Kirill se sont retrouvés comme en catimini. Une première historique, car après la chute du mur de Berlin, la Russie, craignant une vague de prosélytisme, est restée interdite aussi bien au pontife globe-trotteur Jean-Paul II qu’au pontife théologien Benoît XVI. Le protocole de La Havane consigne que Rome doit s’abstenir de toute interférence dans le territoire ecclésiastique de Moscou. Lequel, pour Kirill, inclut l’Ukraine. Un accord signé au grand dam des gréco-catholiques de Lviv, passés au xvie siècle de l’orthodoxie au catholicisme.

Pourquoi le patriarche de Moscou a-t-il soudainement cessé d’ignorer le pape ?

En ce début 2016 se préparait un concile panorthodoxe, prévu au mois de juin en Crète. Ce sommet était d’autant plus attendu que le joug communiste avait empêché sa tenue tout au long du xxe siècle. Il était censé permettre au patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée Ier, de réaffirmer sa primauté sur l’ensemble des autres patriarches orthodoxes de la planète. Seulement Kirill conteste cette primauté. En rencontrant le pape, il a voulu établir qu’il était de même rang que Bartholomée sur la scène religieuse mondiale. Avant de finalement refuser de se rendre au concile, dans le but de diviser l’Église orthodoxe au profit de son vrai maître et seigneur, Poutine.

Comment expliquer que François ait accepté de traiter Kirill en égal ?

Parce que la Chine, où l’on compte déjà 60 à 70 millions de chrétiens pratiquants, soit plus qu’en France et en Allemagne réunies, est l’objectif majeur de son pontificat. Lui le jésuite, héritier de la grande mission avortée des Temps modernes dans l’empire du Milieu, veut être le premier pape à la rouvrir dans la République populaire. Mais une visite officielle suppose de donner des gages assurant Pékin qu’un tel événement n’aura pas d’effet subversif. Le pacte de « non-agression » scellé en 2016 avec Moscou en est un. L’« harmonisation » qu’il a décidée en 2018 entre son clergé chinois loyaliste et l’Église catholique « patriotique », artificiellement créée par le pouvoir de Pékin, en est un autre. La diplomatie vaticane voit à très long terme.

Rencontre entre le patriarche Kirill et le pape François à La Havane, Cuba, 12 février 2016. © Adalberto Roque/Pool photo via AP/sipa

Votre livre rappelle que la relation entre Moscou et Rome a souvent été tourmentée. Par exemple, la guerre de Crimée, au xixe siècle, trouve son origine à Jérusalem…

La ruée vers la Terre sainte a été commune à tous les empires européens. Elle prend les chrétiens d’Orient en otage. À cette époque, la France est la protectrice des catholiques de la région, la Russie, des orthodoxes. Quant à la Grande-Bretagne, elle s’inquiète de la descente des tsars vers les mers chaudes, qui menace son hégémonie commerciale. La Sublime Porte, elle, vacille. Napoléon III et Victoria se portent au secours du sultan ottoman. En 1846, à Jérusalem, au Saint-Sépulcre, alors que se préparent les festivités de Pâques, éclate une rixe sanglante entre moines grecs et franciscains qui se répète, l’année suivante, à Bethléem. La guerre latente a trouvé son détonateur. Elle aura pour théâtre la Crimée, plateforme de l’expansionnisme russe. En 1853, Mgr Sibur à Paris et le métropolite Nikanor à Saint-Pétersbourg exhortent les troupes respectives à extirper le schisme adverse. De chaque côté, c’est la croisade. Elle causera un million de morts en trois ans.

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Diriez-vous que le fossé religieux entre les deux Europe est impossible à combler ?

Non, et c’est le sujet de mon dernier livre. Il existe bien une ligne de fracture continentale née au viiie siècle de l’affrontement entre les missionnaires de Charlemagne et de Byzance pour l’évangélisation des Slaves. Elle court de la Baltique à la Méditerranée en séparant deux mondes, catholique à l’alphabet latin du côté occidental, orthodoxe à l’alphabet cyrillique du côté oriental. À la pointe nord se font face les Polonais et les Biélorusses. À la pointe sud, les Croates et les Serbes. D’où mille ans d’une lutte confessionnelle réapparue, après la glaciation communiste, dès 1991 en ex-Yougoslavie. À l’exception du patriarcat de Moscou, les Églises ont conclu depuis longtemps l’armistice. Ce sont les États qui instrumentalisent aujourd’hui cet inconscient religieux à des fins bellicistes. Particulièrement ceux qui n’ont pas purgé l’expérience totalitaire. Dont, en premier lieu, la Russie lobotomisée par Poutine.

Cet inconscient n’a-t-il pas fait long feu ?

Les peuples vivent d’abord de symboles. Le 28 avril 1854, le vaisseau français qui bombarde Odessa, ville pourtant bâtie par Richelieu à la demande de Catherine la Grande, se nomme Le Charlemagne. Le 14 mai 2023, Volodymyr Zelensky, lors de sa tournée des capitales européennes préparatoire à la contre-offensive ukrainienne, reçoit à Aix-La-Chapelle le prix Charlemagne. Il n’y a pas de petite Histoire. Sauf pour les amnésiques.

En prenant son indépendance contre Moscou en 2019, le patriarcat orthodoxe de Kiev a-t-il lui aussi opté pour l’Ouest ?

Au contraire ! Ce jour-là, le patriarche de Constantinople, Bartholomée Ier, a, en vertu de sa primauté, accordé leur liberté religieuse aux orthodoxes d’Ukraine – n’oubliez pas que c’est Constantinople qui a christianisé le monde slave, dès le xe siècle, alors que Moscou ne figurait sur aucune carte. Et que c’est sous son autorité spirituelle que ceux-ci ont ensuite vécu leur foi jusqu’à la captation de l’ensemble de leurs terres par l’empire tsariste à partir du xviie siècle, puis par l’Union soviétique après 1917. Quelles qu’en aient été les intrications géopolitiques, l’instauration, il y a quatre ans, d’un patriarcat autocéphale à Kiev, apporte une légitime réparation aux Ukrainiens après toutes ces années de domination criminelle.

Le patriarcat de Moscou serait donc une entité subalterne ?

Je vénère l’Église russe qui, en soixante-dix ans de communisme, a donné plus de martyrs que l’ensemble des Églises en vingt siècles. Mais c’est précisément ce mémorial qu’a trahi Kirill en devenant le pontife du potentat Poutine, ennemi numéro un de la Russie et des Russes. Les voilà tous deux entraînés dans le même abîme : sans l’Ukraine, le Kremlin ne domine plus un empire et le patriarcat de Moscou ne peut plus ambitionner de régenter l’orthodoxie. Ce qui est une double bonne nouvelle.

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Pourtant, de nombreux orthodoxes ukrainiens demeurés fidèles à Moscou se disent persécutés. Êtes-vous inquiet pour eux ?

Il n’est jamais heureux de restreindre la liberté de culte, ce qui choque les simples croyants, on le comprend. Ces mesures relèvent toutefois d’un état de guerre imposé où certains hiérarques restés liés à Moscou forment sans surprise une cinquième colonne à la solde du guébiste Poutine. Or, en Russie même, Kirill persécute ardemment ceux de ses prêtres qui osent héroïquement prier pour la paix. Ce sont eux les vrais patriotes. Ne soyons donc pas des idiots utiles.

Cette tension millénaire dit-elle tout de la situation religieuse de l’Ukraine ?

Certainement pas. Outre l’Holodomor, la grande famine des années 1930 organisée pour seconder la terreur bolchevique, deux autres mémoires blessées persistent. Celle, juive, de la Shoah par balles, mise en œuvre par des divisions galiciennes à la solde de Hitler en 1942. Celle, musulmane, du nettoyage ethnique des Tatars de Crimée opéré par Staline en 1944. Enfin, depuis 1991, comme ailleurs dans le monde, l’Ukraine est devenue un marché pour le néochristianisme évangélique qui, venu des États-Unis, cause une forte américanisation des mœurs. Et là encore, l’Europe est à la traîne.

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Gazer Kafka, le kiffe de demain?

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De gauche à droite, les écrivains Faïza Guène, Philippe Besson et Caryl Férey, sur le plateau de France 5. Image: capture d'écran France TV.

Lors de la dernière de la saison de son émission télé, Augustin Trapenard a invité quelques grandes plumes contemporaines à déconstruire des classiques de la littérature. Lire encore Le Rouge et le Noir au lycée? vous n’y pensez pas, ma bonne dame! Kafka? Malaisant! J’ai envie de lui mettre un coup de Baygon à la page 50, mon cher monsieur… La séquence a passablement énervé notre ami Pierre Cormary.


C’est vrai qu’elle va rester collector cette émission de La Grande Librairie du 31 mai. Dépassé, le fameux sketch des Inconnus de 1993 qui anticipait sur ce que serait l’émission « Apostrofes »[1] dans le futur ! Ce soir-là, face à un Augustin Trapenard plus Etienne Lousteau que jamais, on a battu des records de bêtise et de barbarie inconsciente qu’on aurait cru impensable au pays de Bernard Pivot (coucou Noël Herpe !), Jean-Christophe Averty ou Jacques Chancel. Il est vrai qu’en pleine époque de wokisme et de cancel culture, la haine de la littérature se porte bien et peut permettre à n’importe quel serpent de cour ou bêcheuse progressiste de venir régler ses comptes avec le Verbe. Et quand ceux-ci s’appellent Faïza Guène et Philippe Besson, l’autodafé festif est total.

Cool mais moral

L’idée de l’émission était de donner aux invités (en plus des deux nommés, il y a avait Mathias Enard, Chlolé Delaume, Katherine Pancol et Caryl Ferey) l’occasion de distribuer bons et mauvais points aux classiques selon un credo « j’aime/j’aime pas » décomplexé. Si l’on a dit du bien de Balzac pour des raisons LGBTQ (« la cousine Bette et Valérie, premier couple lesbien »), de Guillaume Apollinaire parce qu’il marque « le début d’une forme de modernisme » (si l’on aime un auteur classique, c’est forcément parce qu’il est déjà un peu moderne) et du Petit Prince parce que l’enfance, l’innocence, le mouton, tout ça, on se rattrapa vite avec Stendhal (« on ose encore enseigner ça au lycée », affirma Enard qu’on aurait cru moins collabo), Nabokov (« l’inceste, c’est une limite pour moi » s’insurgea Besson à propos d’Ada ou l’ardeur tel le premier bigot venu), Albert Cohen (« Belle du Seigneur, quelle purge ! » dit quelqu’un ; chimiquement con », conclut Ferey, le motard anti-apartheid qui déclarait un jour s’être « toujours senti du côté des opprimés », et il a bien raison, la bonté, ça fait du chiffre).

Tout cela dit sur un ton si forcé qu’on voyait qu’ils n’y croyaient pas eux-mêmes, acceptant de jouer le déshonneur de l’auteur cool (mais moral !) qui n’a pas peur de dézinguer les grands chefs-d’œuvre – et parce que c’est comme ça, paraît-il, qu’on donne envie de lire aux gens : désacraliser à tout-va, mettre le génie à son niveau et même le chahuter. Alors qu’évidemment, c’est le contraire qui est vrai. Vous voulez vraiment donner envie de lire ? Alors, pratiquez la guerre du goût, aristocratisez la littérature, parlez des grands textes comme autant d’écrits saints, d’échelles de Jacob, de miracles.

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Or, Kafka est le miracle, le miraculé, même, de la littérature. « Le martyr de toute Écriture sainte non avouée comme telle », comme le disait superbement Marc-Edouard Nabe et qui lui ne sera jamais invité à La Grande Librairie. Est-ce la raison pour laquelle on l’exécuta comme un chien (Kafka, pas Nabe – encore que ?), et là, sans trop se forcer ?

Car oui, selon le juste mot de Yannick Haenel dans Charlie Hebdo[2], lynchage il y eut. Kafka selon l’hyper-émancipée Faïza Guène ? « Vieux garçon de vingt-huit ans qui vivait chez ses parents, donc zéro autonomie, gros boulet pour sa famille ». La Métamorphose selon Philippe Besson, le Speedy Gonzalès de l’exégèse ? « J’ai compris la métaphore à la deuxième ligne, alors, faire deux cent pages là-dessus, ça va… On nous prend pour des débiles » (en quoi il se rendit justice à lui-même.) Mais la souffrance de Samsa, son sacrifice ? « Je l’ai reçu comme un texte, mais désespérant ! Alors je sais que je suis peut-être un peu candy shop avec mes histoires du Petit Prince mais je préfère ça à 16 ans, à La Métamorphose de Kafka », avoua Faïza avec l’autosatisfaction de celle à qui tout réussit. Et avant le gazage rigolo : « J’ai envie de lui mettre un coup de Baygon à la page 50 ! ». Ce mot pathétique, la kiffeuse de demain l’assuma au nom de ses 16 ans révolus, trop insouciante à l’époque pour comprendre une histoire… que l’on vit précisément à cet âge – et peut-être encore plus quand on est une fille. Car, comme l’avait écrit Amélie Nothomb (une vraie lectrice, elle) dans Les Aérostats, La Métamorphose est un texte dont « chaque adolescence est une version », qui dit tout du carnage de cette période de la vie, la plus douloureuse mais aussi la seule pendant laquelle on apprend quelque chose, comme le rajouterait Proust. À moins que l’on ne soit déjà du côté de la meute, du groupe, du social – ce qui fut visiblement le cas de Faïza la battante.

C’est aussi cela qui était à pleurer dans ces propos, cet instinct anti-tragique atroce, ce positivisme tous azimut, cette férocité de winneuse (« un moment, il y a son espèce de n+1 du boulot qui vient chez lui et là, je vois ce qui peut être drôle », expliqua l’auteur.euh aux quatre cent mille exemplaires vendus dans le monde).  La pauvre Chloé Delaume tenta bien de s’interposer mais en s’excusant immédiatement de le faire : « moi, j’aimais mais j’étais gothique, voilà ». Mais non, Chloé, t’étais juste un peu plus humaine et plus sensible que les Chatgptistes triomphants devant toi !  Morale de l’algorithme ! Loi du chiffre contre la lettre et de la horde contre le cafard ! Haine du beau, du rare et du difficile.

Oui, je sacralise !

On dira que j’exagère, que je dramatise, que je sacralise. Mais oui ! Il faut sacraliser. Kafka est sacré. Il est l’enfant broyé qui écrit à son père une lettre bouleversante pour tenter d’apaiser leurs tensions et leur rendre « plus légers le vivre et le mourir », le Disparu qui nous révèle à notre intimité familiale et historique, le Juif prophétique dont toute la famille mourra dans les camps. Et on parle à son sujet de Baygon ! Imaginez ce que cela aurait été si un gars du RN avait osé pareille plaisanterie !

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D’ailleurs, le FN, parlons-en. En 2002, dans son programme culturel, on lisait qu’il fallait en finir avec « les tenants de l’absurde et les nihilistes de service, tels Brecht, Kafka ou Beckett, à qui nous ne dénions pas un certain génie littéraire [ouf !] mais qui masquent, à la manière d’une interminable rengaine, le relatif désert de la création officielle »[3]. Tant mieux pour la création officielle qui, aujourd’hui, s’appelle Guène et Besson (rendez-nous Patrick !). Et tant pis pour Kafka, pas assez national et trop désespérant pour les bruns d’antan, pas assez libéral cool et toujours trop désespérant pour les habillés en rose d’aujourd’hui. Car c’est bien le désespoir qu’on reproche à Kafka. « Je me sens très mal avec ce type qui se débat en cafard, où y a jamais aucun espoir, je suis consterné par ça », expliqua sentencieusement le déconsulé d’Etat. On aurait pu penser que la douleur, l’horreur intérieure faisaient partie des choses qu’un écrivain normalement constitué devait comprendre. Mais non ! Pas pour nos chiffreurs du bonheur responsable !

Et c’est pour cela que le problème n’est pas simplement télévisuel. Trop facile comme argument ! La télévision française, ça pouvait être Les Perses d’Eschyle en 1961 à 20 h 30[4], les téléfilms ultra-érudits de Roberto Rossellini sur Augustin d’Hippone, Blaise Pascal, René Descartes ou Cosme de Medicis ! Non, la haine de la littérature est toujours le symptôme d’une époque puritaine, iconoclaste, obscurantiste – révolutionnaire. Les tricoteuses traversent les siècles et sont incarnées aujourd’hui autant par les wokistes que par les tenancières de la positive attitude, du Candy shop, du feel-good book. Surtout, plus de représentation du mal ! Plus de mauvaises ondes ! Plus de chute ! Plus d’idiot ! « Et l’épilepsie, ça se soigne, mon cher Dostoïevski ! » comme l’écrivait ironiquement George Steiner dans Passions impunies. La lettre tue et l’esprit asphyxie – en plus de raconter des trucs qui n’existent pas. Parce que La Métamorphose (Trapenard ne cessa de le répéter « pour mettre les choses bien au clair »), ce n’est pas une métamorphose pour de vrai mais une métaphore, hein ? Le Franz, il nous embrouille avec ses mots bizarres. Faut pas le croire. Faut pas le lire au premier degré. Et même faut pas le lire du tout, c’est mieux pour la santé entrepreneuriale, la belle âme libérale et le pilon vivrensembliste.  Et c’est bien à ça qu’a servi ce soir-là La Grande librairie – colonie pénitentiaire de la littérature.

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[1] https://www.youtube.com/watch?v=GZrr4zXExV4

[2] https://charliehebdo.fr/2023/06/culture/livres/lynchage-tele-kafka/

[3] http://www.le-terrier.net/3affiches/fnprog/fn_illustre.pdf

[4] https://www.youtube.com/watch?v=UEm0b7vUDJc&t=1365s

Être né quelque part…

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Le président de la Colombie, Gustavo Petro, rend visite à l'hopital aux petits rescapés, Bogota, 10 juin 2023 © Cesar Carrion/AP/SIPA

Colombie. Dans l’enfer vert de la jungle, affamés, quatre frère et sœurs, âgés de 13 ans à 11 mois, ont miraculeusement survécu cinq semaines en totale autonomie après l’accident d’un avion.


On s’est émerveillé, à bon escient d’ailleurs, en apprenant que quatre enfants âgés de treize, neuf, quatre et un an avaient pu survivre 40 jours seuls et pratiquement sans moyens dans la jungle. Ils sont les survivants du crash d’un petit avion parti d’un endroit nommé Aracuarara pour tenter de rejoindre San José del Guavare, une des cités importantes de l’Amazonie colombienne. Le pilote et un passager sont tués dans l’accident. La mère des enfants, blessée, a survécu quatre jours, pense-t-on, avant de mourir à son tour. Ses quatre petits se retrouvent donc seuls au monde. Il paraît que leur mère les aurait encouragés à ne pas rester là, près de la carcasse de l’avion, les incitant fermement à se mettre en chemin afin d’essayer de retrouver leur père.

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L’aînée, Lesly – treize ans, rappelons-le – rassemble dans une valise, une bâche, une serviette, une lampe torche et des piles, quelques instruments de camping, une bouteille de soda, deux téléphones portables et une boîte à musique. Les téléphones, non pas pour communiquer faute de réseau mais pour s’occuper, se divertir surtout la nuit. Et la boîte à musique pour amuser et apaiser la plus petite, qui n’a que onze mois. Les voilà qui s’aventurent en pleine jungle pour une Odyssée incroyable, une errance de quarante jours, démunis de tout, perdus, livrés à eux-mêmes dans ce milieu hostile s’il en est. Hostile ? Pour nous, même adultes, assurément. Pour eux, bien qu’enfants, beaucoup moins de toute évidence. La preuve, ils ont survécu. Ils ont su ce qu’ils pouvaient manger, boire sans se mettre en danger. Ils ont su où se poser pour dormir à l’abri des prédateurs, éviter les pièges innombrables de la forêt, bref ils ont réussi à se fondre dans le milieu, à se l’approprier en quelque sorte. Il semble que, faute de lait, la petite, encore bébé, ait été nourrie de biberons d’un liquide extrait de certaines lianes. Un responsable de l’Organisation Nationale des Peuples Amérindiens de Colombie nous a éclairés sur ce que, nous autres, nous regardons comme un prodige, un miracle. « La survie des enfants est la démonstration de la connaissance et de la relation qu’entretiennent les indigènes avec la nature, un lien enseigné dès le ventre de la mère » a-t-il expliqué. Ces quatre petits naufragés sont donc restés en vie grâce à ce lien. C’est ce qui les a sauvés, c’est ce qui leur a permis de ne pas désespérer, de ne pas paniquer, de ne pas sombrer dans la folie, confrontés qu’ils étaient à l’enfer vert de la jungle. En d’autres termes, ils ont survécu, sains de corps et d’esprit, parce qu’ils appartiennent à un peuple viscéralement attaché à ses racines et à la transmission de ce qui en fait la richesse. Il me semble qu’il y a, derrière la belle histoire de ces Petits Poucets de la forêt amazonienne, une fable que nous devrions méditer, particulièrement à un moment de notre histoire où l’on ne cesse de nous faire l’apologie de l’individu en rupture. En rupture de tout, de genre, de patrimoine historique et spirituel, de culture, de famille, de repères, de racines, surtout de racines… Bref, à en croire les prédications les plus en pointe, l’homme nouveau serait le « déraciné » absolu, le déconstruit total, désormais instamment prié de s’en remettre à une certaine « intelligence artificielle » pour la conduite de sa destinée. Au fait, ne serait-ce pas là tout bonnement l’hominidé idéal, chéri du « système », celui qu’on s’évertuerait à nous vendre pour la survie et la prospérité de cette jungle mondialisée dans laquelle nous nous trouvons embarqués sans bien savoir vers quoi nous allons, sans boussole fiable en tout cas ? Les petits naufragés de la forêt ont survécu, eux. Pour ce qui est de nous, il semble qu’il soit grand temps de nous poser la question.

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De Nantes à Bordeaux, à travers la France, comment on élève des moutons

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Le maire de Nantes Johanna Rolland et le maire de Bordeaux Pierre Hurmic © ISA HARSIN/SIPA © UGO AMEZ/SIPA

Il y a un peu plus de dix ans, Nantes et Bordeaux avaient la réputation d’être ce qu’on appelle communément des havres de paix. Il se dit qu’il y faisait bon vivre. En quelques années, ces villes sont devenues cauchemardesques. « Se faire agresser, ça arrive à tout le monde ! » minimise l’adjointe au maire de Bordeaux.


L’insécurité règne et les maires socialiste de Nantes (Johanna Rolland) et écologiste de Bordeaux (Pierre Hurmic) ne semblent pas prêts à reconnaître cet état de fait et à le combattre. Ils ont d’autres priorités, des priorités sociétales.

Johanna Rolland, maire de Nantes, a toujours tenu un discours immigrationniste ; elle est pour un accueil inconditionnel. En 2014, après les premiers coups de feu sur fond de trafics de drogue et de délinquance inhérents à la présence accrue de migrants dans les quartiers dits populaires, elle prend la décision de… ne rien décider. Au fil des ans, la délinquance s’accroît, les agressions sexuelles se multiplient. Le 24 septembre 2022, une femme est violée par deux Soudanais. Les Nantais sont sous le choc et les langues se délient : les témoignages affluent, les commerçants se plaignent de l’insécurité grandissante, l’association S2N (Sécurité nocturne Nantes) organise un « Rassemblement citoyen contre l’insécurité ». La maire de Nantes ne réagit pas, elle est occupée : elle prépare le « mois des fiertés ». « La lutte contre les discriminations LGBTQIA+ c’est toute l’année à Nantes. Mais le beau mois de juin est le moment idéal pour porter bien haut le drapeau arc-en-ciel », annonce « fièrement » le site municipal (Nantes Métropole et Ville). Tandis qu’il devient impossible pour les Nantaises de se promener seules le soir dans les rues de la ville, la municipalité demande à ses concitoyens de pavoiser leurs balcons de drapeaux arc-en-ciel (offerts par la mairie) « en signe de ralliement et de bienveillance ». Une « Pride » est organisée, bien entendu, et un festival CinéPride projette un documentaire de Paul B. Preciado. La bibliothèque municipale de Nantes met en valeur des ouvrages édifiants : Sortir de l’hétérosexualité, Le prix à payer : ce que le couple hétéro coûte aux femmes, Déprivilégier le genre, Transfuges de sexe, L’art du drag, etc.

Des élus qui ne vivent pas dans le même monde

Mme Rolland vit sur une autre planète. Incapable de voir et donc de résoudre les véritables problèmes gangrénant sa ville, sa priorité est maintenant de « faire de Nantes la première ville non sexiste à 10 ans », projet qui passe par la création d’un centre d’accueil des femmes victimes de violences mais surtout par « la féminisation des noms de rues […] l’éducation à la vie affective, la lutte contre le tabou des règles » (Site Nantes Métropole et Ville). Des « Journées du Matrimoine » sont prévues et le « dégenrage » des cours d’école ainsi que des sorties permettant « de sensibiliser les enfants à la question de genre » sont dans les tuyaux.

Johanna Rolland est une caricature de la gauche actuelle, mélange de compromissions avec un parti écologique radical et des associations d’ultra gauche distillant les idéologies wokes, et de déni de la réalité, en particulier pour tout ce qui concerne les liens évidents entre délinquance, immigration et perte d’autorité face aux groupes de pression associatifs et politiques d’extrême gauche. Désignée, en février dernier, première secrétaire déléguée du PS, c’est-à-dire numéro 2 d’un parti moribond qui ne doit sa survie qu’à son allégeance à l’extrême gauche insoumise et écologiste, Johanna Rolland s’est réjouie sur France Info d’un « accord de rassemblement (au sein du PS) dans la clarté » – l’aveuglement jusqu’au bout.

Un mois et demi pour les LGBT

À Bordeaux, ce n’est pas mieux. Pierre Hurmic, maire écologiste de la ville, rivalise avec Sandrine Rousseau et Éric Piolle dès qu’il s’agit de dire ou de faire des âneries. On se souviendra par exemple de sa décision de supprimer l’ « arbre mort » de Noël devant la mairie.

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Comme toutes les municipalités progressistes, Bordeaux n’échappe pas à la propagande woke et, tout particulièrement, transgenre. Dans le cadre du « mois des fiertés » – lequel dure un mois et demi à Bordeaux, du 17 mai au 30 juin ! – un programme chatoyant attend les Bordelais : entre autres, au Marché des Douves, une exposition de « portraits de personnes trans inspirantes ». Des « séances d’écoute musicale commentées de musiques constitutives de la culture Queer (ou LGBTQIAP+) » seront proposées le 24 juin à la Bibliothèque Bacalan. Le lendemain, un “Bingo drag show” est prévu dans un square de la ville : « Poils, boules et paillettes pour un dimanche plein d’amour », annonce sobrement le site municipal. Au milieu de cette débauche de grand n’importe quoi, Pierre Hurmic ne pouvait bien sûr pas prévoir la terrible agression qu’ont subie une dame âgée de 73 ans et sa petite-fille de 7 ans le 19 juin dernier. Comme toutes les villes de France, Bordeaux connaît une augmentation des agressions violentes. Libération, sans le vouloir et avant rétractation et effacement orwellien sur son site, a validé cette sinistre réalité : « Un vol à l’arraché comme il s’en produit des dizaines chaque jour en France ». Suite à cette agression que le public aurait ignorée si une vidéo n’avait pas circulé sur les réseaux sociaux, le maire bordelais a déclaré ne pas vouloir « commenter les réactions indécentes et indignes » et en a profité pour ne rien dire du tout sur l’insécurité grandissante dans sa ville et dans les autres villes de l’hexagone, ce qui est d’autant plus regrettable qu’il est le président, depuis octobre 2022, du Forum français de la sécurité urbaine. Mais bon, comme l’a déclaré récemment Françoise Frémy, sa maire adjointe : « Se faire agresser, ça arrive à tout le monde ! » Alors, comme à Nantes, la mairie de Bordeaux tient d’abord à célébrer le « matrimoine », à expérimenter un « budget sensible au genre », à féminiser les noms des rues de la ville, à réduire la place des voitures et augmenter celle des « mobilités actives », à végétaliser les cours d’école et créer des « fermes urbaines ». Les enfants n’échappent pas à la propagande : « Au conseil municipal des enfants de Bordeaux, les 62 conseillers âgés de 9 à 11 ans sont à fond sur la thématique de l’écologie ! », assure joyeusement le site d’information “ActuBordeaux”.

La récupération politique, le vrai danger selon ces maires de gauche

Après l’agression de cette vieille dame et de sa petite fille, Mme Borne a, elle aussi, dénoncé le risque de récupération politicienne. Et puis ? Et puis rien. Comme les maires de Nantes et de Bordeaux, elle a d’autres priorités que la sécurité des Français en tête. Parmi celles-ci, l’écologie, bien sûr, ou plutôt l’écologisme, cette idéologie mortifère qui envahit tout, y compris l’Éducation nationale. L’école n’est plus qu’une garderie dans laquelle la transmission du savoir a été remplacée par le contrôle social et par l’éducation aux idéologies, écologisme et transgenrisme en tête, permettant ce contrôle. Ainsi, nous apprend Libération qui s’en pourlèche ses babines progressistes, Elisabeth Borne et son ministre de l’Éducation nationale réfléchissent à « un référentiel de compétences à acquérir au cours de la scolarité »   « bien s’alimenter, trier ses déchets, comprendre le changement climatique… »et à une évaluation du « savoir vert » des élèves de 3e en vue d’obtenir une « certification écolo ». Nul en français, mauvais en maths, ignorant de l’histoire de son pays mais imbattable dans l’usage de la novlangue inclusive, le tri des poubelles et les mille et une manières de se « dégenrer » et d’accueillir l’Autre, tel est l’élève idéal, le citoyen de demain, le mouton décérébré que nos élites politiques appellent de leurs vœux et espèrent pouvoir tondre jusqu’à l’os.

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Les damnés de la terre

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Manifestation ultra-violente à Sainte-Soline (79), 25 mars 2023 © UGO AMEZ/SIPA

Écoterrorisme ? « Aucune cause ne justifie les agissements particulièrement nombreux et violents auxquels appelle et provoque ce groupement » a avancé le gouvernement, qui a décidé hier la dissolution des Soulèvements de la terre. Le collectif était dans son viseur depuis les violences de Sainte-Soline, fin mars. Toutefois, la dissolution est en réalité l’arme des faibles, observe Elisabeth Lévy. Analyse.


Gérald Darmanin a donc finalement annoncé la dissolution du mouvement des Soulèvements de la terre. Pour autant, est-ce la fin de l’impuissance de l’État face à la violence ? On peut craindre que non, et peut-être même que c’est le contraire.

Bien sûr, nous n’avons aucune sympathie pour ces « mutins de Panurge » (cf. le bon mot de Philippe Muray) qui endossent toute la panoplie de l’extrême gauchisme tendance woke. Sur leur site, par exemple, ils sont très fiers d’écrire : «Nous avons lutté contre la loi travail, les violences policières, le racisme, le sexisme et l’apocalypse climatique». Ils ont oublié le « colonialisme » !

Ce sont des spécialistes de la manifestation interdite où des ultras-antifas viennent casser du flic. Ils se foutent du droit de propriété. Ils pratiquent l’arrachage de plants et les dégradations. Ces écolos détestent les agriculteurs et se moquent de la beauté de la nature.

Une fausse solution

Cependant, la dissolution est une fausse solution.

D’abord, il faudrait savoir : tous les membres du gouvernement sont-ils vraiment sur la même ligne ? Quand Gérald Darmanin les traitait d’écoterroristes il y a quelques semaines, Elisabeth Borne rappelait immédiatement que tout de même, leur cause était juste et que ce n’était peut-être pas tout à fait la même chose que des islamistes… Ensuite, il y a un problème d’efficacité et Gérald Darmanin est expert en annonces non suivies d’effets. Par exemple, citons la dissolution avortée du Gale (Groupe Antifasciste Lyon et Environs) à cause du Conseil d’État. Les Soulèvements de la terre, par ailleurs, est un mouvement avec une existence administrative et juridique très faible ; c’est un conglomérat de militants venus d’horizons et de causes diverses. Et, dernier problème de cohérence pour le gouvernement, il a nommé un « multiculti » à la tête de la section du contentieux du Conseil d’État (M. Thierry Tuot). Cela accroit évidemment le risque de censure dans ce genre de dossier.

A lire aussi, Didier Desrimais: L’écologisme est une conspiration contre la vie

Et même si la procédure aboutit, on peut craindre une reconstitution du mouvement. Ainsi, le CCIF est devenu le CCIE (Collectif contre l’islamophobie en Europe) et il est toujours aussi nocif.

Mais c’est une question de principes, dira-t-on

Justement, cette affaire est très problématique sur le plan des principes aussi. La règle : c’est la liberté d’expression et de contestation, y compris pour les zozos et les révolutionnaires. Et l’exception, c’est l’interdiction. Les gens des Soulèvements de la terre racontent n’importe quoi, mais ils n’appellent pas explicitement à la violence dans leurs statuts – même s’ils la tolèrent et même s’ils la suscitent. On ne doit interdire qu’en dernier recours. Dissoudre ne sert à rien quand par ailleurs on se couche devant la violence. Rappelons le crime originel de Notre Dame des Landes. Pour se faire entendre en France, il faut désormais casser.

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En réalité, les Soulèvements de la terre ce n’est pas une association qui commet des délits mais bien des individus. Aussi, le véritable sursaut de l’Etat serait que toute sortie de route, tout caillou jeté sur un policier soit sévèrement sanctionné. D’après Le Monde, il y a eu un coup de filet mardi matin dans la mouvance écolo-radicale – et notamment à Notre-Dame-des-Landes. Réalisée par l’anti-terrorisme, l’opération a mené 14 personnes soupçonnées de « dégradation en bande organisée », et d’ « association de malfaiteurs » en garde à vue. Une sanction pénale exemplaire aurait bien plus de poids qu’une dissolution décidée en Conseil des ministres !

Faut-il le répéter : on n’interdit pas les idées, on les combat. On ne dissout pas des délinquants, on les sanctionne. La dissolution, c’est l’arme des faibles. 


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez notre directrice de la rédaction dans la matinale, du lundi au jeudi à 8 heures.

Il n’y a pas que les prix qui subissent l’inflation: la démagogie aussi

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Ugo Bernalicis © Chang Martin/SIPA

La réforme des retraites est passée, mais ne tardera pas à revenir. En attendant, chronique de la vie quotidienne dans l’Hémicycle… et en dehors !


Miss France

Fin avril, l’Assemblée nationale s’est arrêtée deux semaines. Ouf ! Deux semaines pour, selon les cas, partir en vacances ou travailler « en circonscription », pour être sur le terrain et prendre le pouls de notre chère bonne vieille province, ce mot qu’il ne faut surtout plus employer mais que, pour ma part, j’affectionne. J’utilise la première semaine, qui est en décalé avec les vacances scolaires, pour visiter quelques écoles. Je propose, chaque début d’année scolaire, aux directeurs des écoles de Béziers et des villages alentour de venir durant deux heures dans les classes de CM1/CM2 pour expliquer le fonctionnement de l’Assemblée nationale et le rôle du député. Une vraie bouffée d’air frais pour moi. Et d’humilité aussi… J’ai l’habitude de démarrer mon intervention en demandant aux enfants à quoi on reconnaît un député. Je sors alors de mon sac l’écharpe tricolore pour leur expliquer ce qu’elle représente et comment on doit la porter. Je leur demande ensuite qui d’autre a le droit de porter une écharpe tricolore… Et là, une fois sur deux, un doigt se lève pour répondre… « Miss France ! » On est peu de chose…

Drapeau européen

Mais nous voilà bien vite de retour dans l’Hémicycle, avec une question cruciale à trancher : faut-il obliger les mairies à arborer le drapeau européen ? En voilà une proposition de loi importante ! Quelle mouche a donc encore piqué Aurore Bergé de vouloir à tout prix faire adopter ce nouveau texte ? Quelle mouche ? La basse politique, bien sûr ! Une proposition de loi d’un pénible opportunisme qui ne relève d’aucune nécessité. Une simple vengeance, afin de mettre des bâtons dans les roues du Rassemblement national et de la France insoumise. Pourquoi ces nouveaux débats alors que le rapporteur de la majorité reconnaissait lui-même que « ce texte ne répond pas aux défis politiques et sociaux du moment… » Rejeté en commission, Aurore Bergé a quand même voulu maintenir son examen en séance en se targuant de sa portée « éminemment symbolique ». Avec, au summum de la mauvaise foi, ce chantage, cet oukase : « Si vous êtes contre le drapeau européen, c’est que vous êtes contre l’Union européenne ! » En réalité, avec cette nouvelle loi – ce n’est plus une inflation législative, c’est une véritable indigestion ! –, c’est une nouvelle dépense pour les mairies. Et que de temps perdu quand on sait que beaucoup le font déjà, comme à Béziers où le drapeau tricolore flotte à côté des drapeaux européen, occitan et de celui de notre ville, la plus ancienne de France ! Que d’énergie gâchée alors qu’Élisabeth Borne affirmait dans sa feuille de route vouloir mener de grandes réformes ! Que nous attendons toujours…

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Les « nuances » de la France insoumise

Évidemment, je ne pourrai jamais être exhaustive en quelques lignes de cette chronique tant la Nupes nous honore régulièrement de ses outrances. En ce début du mois de mai, c’est Gérald Darmanin qui est la cible préférée de l’extrême gauche. Avec, pour commencer, le député du Nord, Ugo Bernalicis, qui vitupère contre les forces de l’ordre – c’est une véritable obsession. Nous avons donc eu droit le 10 mai à une belle sortie de l’élu d’ultra-gauche qui nous explique que le ministre de l’Intérieur instaure ni plus ni moins la loi du talion dans les manifestations et conclut son intervention par un sonore « La Brav’M, ce n’est que les black blocs de Darmanin ! » Rien que cela… Mais bien relayée sur Twitter et YouTube, la vidéo fait le buzz auprès de son électorat ravi. Le désormais « célèbre » Thomas Portes, député de la Seine-Saint-Denis qui s’était illustré en mettant son pied sur un ballon de foot représentant la tête du ministre Olivier Dussopt, explique quant à lui : « Avec Darmanin, c’est tapis rouge pour les nazis et coups de matraque pour la mobilisation sociale ! » Décidément, il n’y a pas que les prix qui subissent l’inflation en France : la démagogie aussi !

Billets d’avion

Les députés bénéficient de certains avantages. Parmi ceux-ci, des fonctionnaires à notre disposition pour nous faciliter la vie, et notamment nos déplacements. Évidemment, vous vous en doutez, venir chaque semaine à l’Assemblée nationale quand on habite à 800 kilomètres de là nécessite une logistique bien rodée. Un service des transports que je mets souvent à rude épreuve à force de modifications de dernière minute, l’agenda parlementaire fluctuant beaucoup… Avec, à la clef, de multiples changements dans les billets de train ou d’avion. Mais les fonctionnaires du bureau des transports doivent être, à coup sûr, recrutés pour leur stoïcisme, car jamais, ô grand jamais, l’un d’entre eux ne m’a témoigné d’une quelconque impatience. Pourtant, on ne compte plus ceux qui critiquent les fonctionnaires. Il faut juste leur dire merci.

Reste à vivre

Le 15 mai dernier, Emmanuel Macron passe au « 20 h » de TF1. Outre une série de questions qui me font rester sur ma faim – je ne peux pas m’empêcher de penser à Coluche qui disait : « On fait venir un homme politique, on lui pose une question, il ne répond pas et on passe à une autre » –, une expression utilisée par le président de la République m’interpelle. En effet, interrogé sur les impôts qui vont diminuer – c’est une de ses annonces phares –, le chef de l’État explique : « Donc, c’est ce qui va permettre à des gens qui travaillent, qui sont dans la classe moyenne, d’avoir en quelque sorte un reste à vivre plus important pour eux. » Un « reste à vivre », quelle vilaine expression ! Comment espérer redonner espoir et moral aux Français en leur parlant d’un reste à vivre ? J’ai l’impression de sortir de chez le médecin qui m’aurait annoncé une maladie incurable… Quand on sait que, chaque année, 10 % de nos compatriotes ont des idées suicidaires, qu’environ 200 000 personnes font une tentative de suicide et que 10 000 d’entre eux en meurent, encore un petit effort de communication, monsieur le président !

Contre l’omerta officielle: dire et montrer

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Emmanuel Macron accompagné par Elisabeth Borne assiste à une cérémonie marquant le 83ᵉ anniversaire de la Seconde Guerre mondiale, le 18 juin 2023. © Jacques Witt/SIPA

À l’aveuglement de nos élites et de l’État-Titanic sur la réalité des évènements, répond la mauvaise foi de nos éditorialistes.


La France est semblable au Titanic. Ses dirigeants ne voient rien du désastre qui se profile. Pire : ils accablent les vigies.  Si rien ne vient empêcher le naufrage annoncé du pays, son épave se visitera un jour, à son tour, comme une mémoire enfouie.  Elisabeth Borne illustre l’aveuglement des « élites ». Commentant, mardi, la vidéo de l’agression d’une grand-mère et de sa petite fille, lundi à Bordeaux par un « Français » multirécidiviste, le Premier ministre a repris le refrain commode accusant « ceux qui veulent immédiatement instrumentaliser » un fait divers. Le maire (EELV) de Bordeaux, Pierre Hurmic, a pareillement refusé de « hurler avec les loups » et critiqué une « récupération politique (…) indigne, indécente, idéologique et malsaine ». L’omerta est le credo de ceux qui veulent cacher des réalités. Lors de l’agression au couteau de bébés par un Syrien à Annecy, les faussaires avaient hurlé à l’indécence des indignations. Mais où est l’indécence, sinon dans le fait que des délinquants laissés libres s’en prennent ici à des nourrissons, là à une femme âgée et une fillette de 7 ans ? Comment oser critiquer ceux qui s’alarment de ces violences extrêmes, en les traitant le plus souvent de « charognards » ou d’ « extrême droite » ? L’ancien maire de Bordeaux, Nicolas Florian (LR), qui a contribué à diffuser la vidéo de l’agression commise par Brahima B., rappelle que son successeur n’a toujours pas signé le contrat de sécurité intégrée (CSI) proposé à la mairie par la préfecture. L’irresponsabilité de ces idéologues, qui ne cessent de donner des leçons de morale, est révoltante.

À lire aussi, Didier Desrimais: De Nantes à Bordeaux, à travers la France, comment on élève des moutons

Oui, il faut montrer, sans répit ni fausse pudeur. Les faits sont les meilleures preuves à opposer aux dissimulateurs. La Révolution du réel, qui partout en Europe décille l’opinion et fait monter la droite pragmatique, porte en elle une honnêteté naïve qui désarme les idéologues. Cette vertu dévoile aisément les mensonges d’État et les désinformations médiatiques. La décivilisation, ce mot qu’Emmanuel Macron a repris, oblige à l’inventaire des dislocations de la société. Les agressions contre les femmes, les enfants et les bébés, mais aussi contre les forces de l’ordre, les maires, les pompiers, les chauffeurs de bus, les guichetiers, les médecins, les arbitres du foot, etc. sont autant de signes d’un affaiblissement de l’État-Titanic. Cependant, il faut aller à la source de la grande déglingue, sans craindre les procès éventés en racisme et en xénophobie. Car, oui, l’immigration de peuplement a, en 40 ans, bousculé le fragile équilibre d’une société jadis solidaire, une et indivisible. Il ne suffit pas d’avancer que Brahima B. est Français né à Bordeaux de parents français pour évacuer les sujets liés notamment à l’accès à la nationalité et à l’échec de l’intégration pour certains enfants issus de l’immigration. L’éditorialiste de La Croix, mardi, fustigeait à son tour « la surexploitation de phénomènes migratoires », qui caractériserait l’ « extrême droite ». Les naufrageurs parlent ainsi.

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Élections en Espagne: vers une victoire de la droite en juillet prochain?

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Pedro Sánchez (à gauche), membre du Parti socialiste ouvrier et Alberto Núñez Feijóo (à droite), membre et président du Parti populaire. © SOPA Images/SIPA et Lenin Nolly/EFE/SIPA

En Espagne, lors des dernières élections locales, la gauche s’est effondrée. Cette débâcle est loin d’être imméritée. Analyse.


Ce qui se joue actuellement en Espagne est d’un intérêt majeur pour tous ceux qui s’interrogent – non plus sur l’existence – mais sur la longévité des politiques d’extrême gauche menées tambour battant au plus haut sommet d’un État européen. Les Espagnols ont visiblement ébauché une réponse à cette question le 28 mai dernier lors d’élections municipales qui se sont tenues sur l’ensemble du pays : la nette victoire de la droite libérale-conservatrice, conduite par le représentant du Partido Popular (PP) Alberto Nuñez Feijóo, a amené l’actuel et très controversé Premier Ministre socialiste Pedro Sánchez (PSOE) en poste depuis 2018, à assumer «personnellement » ce cuisant échec électoral local et à anticiper les élections générales initialement prévues en décembre prochain.

Anticiper pour mieux sauter ?

Échec territorial de la gauche, sans nul doute, puisque le PP a triplé son implantation dans les capitales de province et l’a emporté dans 3193 municipalités, lesquelles représentent 46,5 % de la population espagnole, tandis que le Parti Socialiste (PSOE) a vu sa présence locale divisée par deux, allant jusqu’à perdre l’emblématique Séville et la quasi-totalité de l’Andalousie pourtant bastion de la gauche et traditionnel baromètre de la couleur politique à l’échelle nationale.

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Débâcle de la gauche assumée « à la première personne » (« en primera persona ») par un Premier ministre taxé de « narcissique », d’« ambitieux » et de « grand imposteur » autant par ses opposants que par ses alliés du PSOE qui lui reprochent d’avoir conjugué l’action politique non seulement à la première personne – suivant une dérive autocratique voire tropicale du pouvoir – mais aussi aux deuxièmes et troisièmes personnes que sont l’ultra-gauche d’Unidas Podemos (UP, Unies Nous Pouvons, sorte de LFI ibère, littéralement atomisé par les élections du 28 mai) et les partis séparatistes basque et catalan, respectivement Bildu et ERC. Si la vague bleue se confirme, malgré la tentative de Pedro Sánchez, en avançant la date du scrutin au 23 juillet, de museler l’inévitable contestation en interne et de transformer ces élections générales en un plébiscite de sa politique contre la montée de la droite agitée comme un chiffon rouge, l’ex-chef de file de la droite galicienne Alberto Nuñez Feijóo, patron du PP depuis mai 2022, est bien parti pour être le futur Président du gouvernement espagnol.

Espérons, pour les Espagnols, que la date du scrutin, stratégiquement fixée en pleines vacances d’été, ne sera pas un frein à la poursuite de la contestation sortie des urnes le 28 mai dernier. Espérons aussi que ce que la droite espagnole a qualifié de leçon d’humilité adressée à l’actuel Président du gouvernement se concrétise le 23 juillet en ce « baño de realidad » (littéralement et très joliment « bain de réalité ») qu’elle lui promet, autrement dit, une confrontation avec le réel. Un réel énoncé de façon simple et concise par Alberto Nuñez Feijóo, il y a tout juste un an : « Les Espagnols en ont assez ».

Pedro Sánchez, Nuñez Feijóo et le berger du Don Quichotte de Cervantes

Et on peut les comprendre. Reléguée à la dernière place en Europe, derrière la Grèce, en matière d’emploi, attaquée dans ses fondements constitutionnels par un gouvernement prêt à questionner « l’indissoluble unité de la Nation espagnole » (article 2 de la Constitution de 1978) pour s’assurer de l’appui électoral des partis séparatistes basque et catalan, outragée dans l’histoire douloureuse de son XXème siècle par la nouvelle loi de Mémoire démocratique (2022) et la remise en cause de cette étape fondamentale de la réconciliation nationale que fut la Transition à partir de 1975, wokisée à l’envi dans ses écoles et leurs affligeants programmes scolaires désormais délestés de philosophie mais obèses de « perspectives de genre», d’ « invisibilisation dans l’histoire », de « dégradation de la vie sur Terre » et de « vision contextualisée et juste de la motricité » – alias le sport- , enfin kidnappée dans sa citoyenneté par une sociétalosphère en roue libre, l’Espagne a sans doute besoin de sortir un peu la tête de l’eau.

Irene Montero, Ministre de l’Egalité, devant le Parlement à Madrid, après l’adoption de la nouvelle législation concernant le changement de sexe, le jeudi 16 février © Paul White/AP/SIPA

En attendant les élections, les « perles » se succèdent. La ministre du travail Yolanda Díaz, à la tête d’un parti politique nommé Sumar (additionner, ajouter, en espagnol) regroupant les différentes gauches radicales qui viendront en renfort pour aider le PSOE le moment voulu, a précisé cette semaine son brillant objectif : « que l’on puisse rentrer chez soi à 18:00, pour prendre un verre, aller se balader, s’ennuyer ou s’occuper de ses enfants ». Ambitieux programme, en effet, pour une ministre du travail, ancienne communiste. Pedro Sánchez, de son côté, se dit soucieux de l’image d’une Espagne appelée à prendre la Présidence du Conseil de l’UE le 1er juillet prochain et qui, si elle passait à droite, serait vue comme homophobe, trumpiste, bolsonariste, anti-européenne, insensible aux causes environnementales, bref, l’incarnation du camp du Mal. Rassurons la gauche espagnole sur ce point : ce que beaucoup d’Européens auront retenu des exploits progressistes du gouvernement de Pedro Sánchez sera sans doute d’avoir été à l’origine de la loi dite du consentement, une loi anti-violeurs concoctée par la Ministre à l’Egalité Irene Montero (Unidas Podemos, UP), et qui a visiblement porté ses fruits puisqu’en moins d’un an auront été enregistrées 1127 remises de peine et 115 sorties de prison d’individus jugés pour agressions sexuelles. Pour reprendre les mots d’Amelia Valcárcel, professeur de philosophie morale et politique à l’UNED et ancien membre du Conseil d’Etat, ce qui caractérise les ministres Podemos c’est « leur impréparation intellectuelle et politique : ils ouvrent la bouche pour dire ce qui leur passe par la tête ». Toute comparaison avec d’autres partis au-delà des Pyrénées, etc.

À lire aussi, Jean-François Colosimo : Ukraine: «Une lutte multiconfessionnelle de mille ans»

Cette loi, acmé de la politique inclusive et bienveillante menée par le tandem gauche-extrême gauche depuis 2018, rappelle un épisode du célèbre Don Quichotte de la Manche (1605) de Miguel de Cervantes, celui du jeune berger battu par son maître, un épisode moins connu que celui des moulins à vent, mais tout aussi exemplaire (Première partie, chapitre 4). Don Quichotte, parti à l’aventure avec son fidèle écuyer Sancho Panza pour redresser les torts et punir les malveillants, se retrouve tout à coup nez à nez avec un paysan occupé à frapper un jeune berger, sous prétexte que celui-ci lui aurait perdu plusieurs moutons. Don Quichotte, outré d’apprendre, par-dessus le marché, que le paysan n’a jamais versé un seul sou au berger pour son travail, lui fait jurer de rentrer chez lui et de le payer séance tenante. Le paysan jure, rentre chez lui avec le jeune homme, et lui donne double ration de coups, lui promettant même, au passage, de l’écorcher vif. Don Quichotte, confiant en ses bonnes paroles, poursuit son chemin très heureux de cette belle leçon de chevalerie donnée au paysan et, surtout, très satisfait de lui-même.

Rendez-vous le 23 juillet.


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Partie à quatre avec Arielle Dombasle

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D.R.

Dans « La Fille et le garçon », Jean-Marie Besset partage un nouvel idéal sentimentalo-sexuel. En salles cette semaine.


Dans « La Fille et le garçon », Jean-Marie Besset donne à voir la relation, tumultueuse et amoureuse, entre un couple d’âge mûr qui se rêve tout haut de siècles anciens (elle du XVIIe par la peinture, lui du XVIIIe par l’esprit libertin) et un jeune couple de migrants sans papiers recherchant en France autre chose que la méfiance, la répression et la peur. Combat inégal entre un vieux coq fatigué qui a tout lu et un jeune coq à la fesse dure qui veut bien honorer madame contre rétribution, entre une amatrice d’art aussi éthérée qu’éclairée et une jeune Iranienne qui va à confesse et craint le Bon Dieu. Mais combat vite amorti (trop vite ?) et apaisé dans les méandres du désir qui feront de ce quadrilatère improbable un espace hors du monde où circulent assez vite la tendresse, la passion, et pourquoi pas, l’amour.

Besset, qui revendique quelques influences majeures, de la simplicité délicate d’Éric Rohmer au baroque énervé de Visconti (Pauline à la plage un peu vieillie qui déboule dans Violences et passions, voici donc la gageure !), et qui a souvent travaillé pour le cinéma mais plutôt comme auteur, traducteur ou adaptateur, progresse vite et bien en qualité de metteur en scène. Même si, d’esprit français et d’essence littéraire, son cinéma reste bavard, il n’en fait pas moins confiance à l’image, se méfie de la précipitation et des montages à l’emporte-pièces, et ne réduit jamais l’espace de jeu aux dimensions d’une chambre à coucher.

A relire: Arielle Dombasle sur MeToo: «Le ressentiment, la revanche s’en mêlent et je n’aime pas ça»

C’est d’ailleurs par un grand tableau que s’ouvre cette étrange quête de renaissance et de liberté, le tableau d’un peintre plus ou moins maudit du XVIIe, Michael Sweerts, en tout cas largement oublié jusqu’au XXème siècle, tissant le fil rouge du récit cinématographique. Un peintre de la « carnation » et d’une sexualité au masculin, qui préfère s’attaquer franchement à un groupe de lutteurs plutôt qu’à une énième Diane au bain ou qu’à Judith et son grand couteau. Largement de quoi, pour notre héroïne bourgeoise incarnée par la toujours délicate et décalée Arielle Dombasle, caresser du regard la transparence des peaux, les pleins et les déliés de musculatures au travail. Avec son mari, qu’elle voussoie avec une sorte de snobisme aristocratique, voilà donc une paire qui passe tous sentiments ou sensations nouvelles au prisme des représentations et de la littérature (Sade et Diderot tiennent la corde, semble-t-il, et la lecture à voix haute par la « relative » ingénue du groupe d’un extrait troublant de La Religieuse donnera lieu à une très belle scène), une paire qui sait à peu près tout justifier par le savoir, l’intelligence et le raisonnement.


Ils tentent d’absorber, de dévorer peut-être la jeunesse de ce couple venu d’ailleurs et dont les besoins sont eux avant tout des besoins primaires (« C’est dimanche, j’ai faim et je n’ai rien à manger, j’ai envie de chier et je n’ai rien à chier » crie le garçon à la fille qui a préféré aller à la messe plutôt que faire des courses !). Mais pour mieux les aimer finalement et il s’agit bien dans l’intention d’abandonner la piste socio-politique façon « érotisme et lutte des classes » au profit de la construction généreuse d’une belle utopie fondée sur l’échange et la confiance. Utopie qui s’exprime idéalement en bout de course par un très beau plan de cinéma.

La Fille et le garçon, film français de Jean-Marie Besset avec Arielle Dombasle, Aurélien Recoing, Mina Kavani et Louka Meliava. En salles le 21 juin.

Louis Vuitton au Pont Neuf: des élus d’un autre temps

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À Paris, l’organisation d’un grand défilé Vuitton sur le Pont-Neuf, privatisant l’espace public, fait grincer des dents au sein de la majorité d’Anne Hidalgo.


Une partie de la gauche parisienne, généralement surexcitée, a vu tout rouge hier soir. En cause, la privatisation du Pont-Neuf par le groupe LVMH pour l’organisation d’un défilé de la collection masculine Vuitton créée par l’artiste multicartes Pharrell Williams (notre photo), que ceux de ma génération connaissent surtout au travers de la musique. Le défilé a aussi révélé les failles de la majorité municipale parisienne, plus désunie que jamais. Ainsi, alors qu’Anne Hidalgo a été aperçue et photographiée au premier rang puis en compagnie de Bernard Arnault en personne, manifestement heureuse d’être là, David Belliard, Émile Meunier, et d’autres personnalités de gauche y sont allés de leurs tweets assassins.

Le maire adjoint de Paris à la transformation de l’espace public et aux mobilités Europe Écologie Les Verts s’est montré furieux que le Pont Neuf soit « accaparé par quelques multinationales et une poignée d’happy few ». Étonnant message vu de l’extérieur, David Belliard étant normalement l’allié d’Anne Hidalgo. On doutera du fait qu’il n’ait pas été mis au courant d’un évènement d’une si grande ampleur, très probablement préparé des mois à l’avance et négocié en amont par la mairie qui a dû donner son aval. Laquelle mairie a été, c’est certain, généreusement dédommagée pour ce prêt qui n’aura duré qu’une journée. Sollicités par l’Agence France-Presse, les élus communistes de Paris ont regretté « une publicité démesurée pour LVMH sur l’espace public ».

A lire aussi, du même auteur: Bordeaux: oui, M. Véran, cela pourrait être la grand-mère de tout le monde

Qu’on goûte ou pas la musique de Pharrell Williams et les vêtements Louis Vuitton n’est au fond pas le problème. Il s’agit d’une occupation temporaire qui a été conjointement décidée par les pouvoirs publics, élus par les Parisiens et les Parisiennes. Plutôt que de tempêter sur un défilé qui a été regardé dans le monde entier et qui met à l’honneur une marque française – mon point de vue aurait été tout autre si cela avait concerné un groupe étranger -, David Belliard et les autres devraient se concentrer sur les motifs d’inquiétude légitimes des franciliens mais aussi de tous les Français : la sécurité, la propreté ou encore l’accès au logement.

Un documentaire récent diffusé sur France 2 montrait ainsi la qualité des HLM viennois, extrêmement nombreux et spacieux, aux parties communes parfaitement entretenues. Une denrée plus que rare dans le 75. Le défilé Vuitton aura aussi permis de constater que la capitale est en mesure d’organiser des journées nécessitant une grande logistique et une importante sécurité, ce qui est plutôt rassurant avant les Jeux. On regrettera toutefois que des bateaux n’aient pas été mis à disposition de la population afin que plus de monde puisse assister au concert.

Au même moment, et c’était peut-être voulu, l’association pro immigration clandestine Utopia 56 envoyait 700 migrants occuper la place du Palais Royal. De nombreux parallèles ont été établis, notamment par l’inénarrable Daniel Schneidermann. Oui, il y a de quoi plaindre ces jeunes hommes qui ont tout quitté pour se retrouver dans la misère, mal accueillis et à la rue. Mais le message doit être clair : on ne peut occuper que légalement l’espace public en France. Pourquoi faire venir des gens dans l’illégalité la plus pure et dans la ville la plus difficile d’accès au monde, où même des Français de province à revenus corrects ont du mal à s’établir ? Les indignations à géométrie variable de la gauche la plus déconnectée du pays sont pénibles et hypocrites.

Ukraine: «Une lutte multiconfessionnelle de mille ans»

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Jean-François Colosimo. © Hannah Assouline

Jean-François Colosimo fait partie des intellectuels français et des théologiens orthodoxes qui ont été les plus meurtris par le déclenchement de la guerre en Ukraine. Dans La Crucifixion de l’Ukraine, il montre que le pays n’a pas attendu la barbarie de Vladimir Poutine pour être un lieu d’affrontements entre grandes puissances.


Causeur. Le 21 mai, le pape François a confié à l’archevêque de Bologne, le cardinal Zuppi, une mission visant « l’apaisement des tensions » en Ukraine. Pourquoi ce choix ?

Jean-François Colosimo. Créé cardinal par François qui l’a également nommé président de la puissante Conférence épiscopale italienne, et classé parmi les papabile, Matteo Zuppi est issu de Sant’Egidio. Cette communauté caritative et humanitaire a été fondée en 1968 à Rome par l’influent intellectuel de réputation internationale Andrea Riccardi. Elle s’est vite illustrée dans diverses médiations de paix, entre autres au Mozambique, en Algérie, au Kosovo. On lui doit aussi la rencontre d’Assise qui a réuni en 1986 autour de Jean-Paul II les représentants des grandes religions instituées afin de barrer l’essor des fondamentalismes. Sant’Egidio est ainsi devenue l’organe de la diplomatie parallèle du Saint-Siège. En faisant appel au plus éminent prélat sorti de ses rangs, le pape entend éclaircir la position du Vatican, sujette à interrogations, sur la guerre que Vladimir Poutine mène contre l’Ukraine.

Quelles sont les ambitions de François dans ce dossier ?

Mandater le cardinal Zuppi revient pour lui à tabler sur le dialogue. Côté russe, l’interlocuteur le plus probable est un compagnon de route de Sant’Egidio, lui aussi ecclésiastique et rompu aux affaires internationales : le métropolite Hilarion Alfeyev, longtemps bras droit du patriarche Kirill de Moscou et ex-patron du département des relations œcuméniques de l’Église orthodoxe russe. Il pourrait être le canal privilégié d’une négociation secrète avec le Kremlin.

Mais Alfeyev est-il un interlocuteur crédible ? N’a-t-il pas été mis sur la touche quand il a été nommé par Moscou simple métropolite de Budapest en juin 2022 ?

À première vue, une telle relégation dans la petite et lointaine Hongrie à la tête d’un diocèse périphérique d’à peine 15 000 fidèles semble marquer une victoire des ultras au sein du Saint-Synode moscovite. Mais en réalité, il s’agit pour Alfeyev d’un exil doré au service redoublé de son patriarche Kirill. Car Kirill, ce pivot religieux du système poutinien lié au KGB/FSB depuis sa jeunesse, cet idéologue va-t-en-guerre de la Grande Russie, est aussi un véritable oligarque dont la fortune personnelle, estimée à 2 milliards de dollars, serait justement abritée… à Budapest. D’ailleurs, ses liens avec la Hongrie sont si forts qu’il doit au président Victor Orban d’avoir été écarté de la liste noire des sanctions dressée par l’Union européenne en juin 2022. Orban, l’allié indéfectible du Kremlin, avait alors osé arguer de l’impérative nécessité de distinguer les ordres spirituel et temporel !

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Croyez-vous qu’une diplomatie par le truchement des religieux puisse aboutir ?

De François à Zuppi, de Zuppi à Alfeyev, d’Alfeyev à Kirill, de Kirill à Poutine, la chaîne de communication n’amenuise-t-elle pas mécaniquement la capacité de transmission et de conviction ? Quel risque d’instrumentalisation encourent le neutralisme du Vatican et le pacifisme de Sant’Egidio face au néototalitarisme de Poutine ? L’urgence est-elle de lui parler ou de l’endiguer ? Il reste qu’une amorce de pourparlers sous couvert de spiritualité pourrait convenir à l’opportunisme des dirigeants occidentaux, notamment le catholique Joe Biden, soucieux de ne pas clore son mandat sur un conflit sans issue. Mais une telle perspective, plus exactement une telle hypothèse ne semble guère probable. Par ailleurs, la voie vaticane de conciliation est pavée d’obstacles. Le premier tient à la défiance, compréhensible, du pape argentin à l’égard de l’imperium des États-Unis. Le deuxième, à l’accord qui le lie au patriarche russe.

Vous m’apprenez l’existence de cet accord…

Ce pacte a été conclu le 12 février 2016 à l’aéroport de La Havane où François et Kirill se sont retrouvés comme en catimini. Une première historique, car après la chute du mur de Berlin, la Russie, craignant une vague de prosélytisme, est restée interdite aussi bien au pontife globe-trotteur Jean-Paul II qu’au pontife théologien Benoît XVI. Le protocole de La Havane consigne que Rome doit s’abstenir de toute interférence dans le territoire ecclésiastique de Moscou. Lequel, pour Kirill, inclut l’Ukraine. Un accord signé au grand dam des gréco-catholiques de Lviv, passés au xvie siècle de l’orthodoxie au catholicisme.

Pourquoi le patriarche de Moscou a-t-il soudainement cessé d’ignorer le pape ?

En ce début 2016 se préparait un concile panorthodoxe, prévu au mois de juin en Crète. Ce sommet était d’autant plus attendu que le joug communiste avait empêché sa tenue tout au long du xxe siècle. Il était censé permettre au patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée Ier, de réaffirmer sa primauté sur l’ensemble des autres patriarches orthodoxes de la planète. Seulement Kirill conteste cette primauté. En rencontrant le pape, il a voulu établir qu’il était de même rang que Bartholomée sur la scène religieuse mondiale. Avant de finalement refuser de se rendre au concile, dans le but de diviser l’Église orthodoxe au profit de son vrai maître et seigneur, Poutine.

Comment expliquer que François ait accepté de traiter Kirill en égal ?

Parce que la Chine, où l’on compte déjà 60 à 70 millions de chrétiens pratiquants, soit plus qu’en France et en Allemagne réunies, est l’objectif majeur de son pontificat. Lui le jésuite, héritier de la grande mission avortée des Temps modernes dans l’empire du Milieu, veut être le premier pape à la rouvrir dans la République populaire. Mais une visite officielle suppose de donner des gages assurant Pékin qu’un tel événement n’aura pas d’effet subversif. Le pacte de « non-agression » scellé en 2016 avec Moscou en est un. L’« harmonisation » qu’il a décidée en 2018 entre son clergé chinois loyaliste et l’Église catholique « patriotique », artificiellement créée par le pouvoir de Pékin, en est un autre. La diplomatie vaticane voit à très long terme.

Rencontre entre le patriarche Kirill et le pape François à La Havane, Cuba, 12 février 2016. © Adalberto Roque/Pool photo via AP/sipa

Votre livre rappelle que la relation entre Moscou et Rome a souvent été tourmentée. Par exemple, la guerre de Crimée, au xixe siècle, trouve son origine à Jérusalem…

La ruée vers la Terre sainte a été commune à tous les empires européens. Elle prend les chrétiens d’Orient en otage. À cette époque, la France est la protectrice des catholiques de la région, la Russie, des orthodoxes. Quant à la Grande-Bretagne, elle s’inquiète de la descente des tsars vers les mers chaudes, qui menace son hégémonie commerciale. La Sublime Porte, elle, vacille. Napoléon III et Victoria se portent au secours du sultan ottoman. En 1846, à Jérusalem, au Saint-Sépulcre, alors que se préparent les festivités de Pâques, éclate une rixe sanglante entre moines grecs et franciscains qui se répète, l’année suivante, à Bethléem. La guerre latente a trouvé son détonateur. Elle aura pour théâtre la Crimée, plateforme de l’expansionnisme russe. En 1853, Mgr Sibur à Paris et le métropolite Nikanor à Saint-Pétersbourg exhortent les troupes respectives à extirper le schisme adverse. De chaque côté, c’est la croisade. Elle causera un million de morts en trois ans.

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Diriez-vous que le fossé religieux entre les deux Europe est impossible à combler ?

Non, et c’est le sujet de mon dernier livre. Il existe bien une ligne de fracture continentale née au viiie siècle de l’affrontement entre les missionnaires de Charlemagne et de Byzance pour l’évangélisation des Slaves. Elle court de la Baltique à la Méditerranée en séparant deux mondes, catholique à l’alphabet latin du côté occidental, orthodoxe à l’alphabet cyrillique du côté oriental. À la pointe nord se font face les Polonais et les Biélorusses. À la pointe sud, les Croates et les Serbes. D’où mille ans d’une lutte confessionnelle réapparue, après la glaciation communiste, dès 1991 en ex-Yougoslavie. À l’exception du patriarcat de Moscou, les Églises ont conclu depuis longtemps l’armistice. Ce sont les États qui instrumentalisent aujourd’hui cet inconscient religieux à des fins bellicistes. Particulièrement ceux qui n’ont pas purgé l’expérience totalitaire. Dont, en premier lieu, la Russie lobotomisée par Poutine.

Cet inconscient n’a-t-il pas fait long feu ?

Les peuples vivent d’abord de symboles. Le 28 avril 1854, le vaisseau français qui bombarde Odessa, ville pourtant bâtie par Richelieu à la demande de Catherine la Grande, se nomme Le Charlemagne. Le 14 mai 2023, Volodymyr Zelensky, lors de sa tournée des capitales européennes préparatoire à la contre-offensive ukrainienne, reçoit à Aix-La-Chapelle le prix Charlemagne. Il n’y a pas de petite Histoire. Sauf pour les amnésiques.

En prenant son indépendance contre Moscou en 2019, le patriarcat orthodoxe de Kiev a-t-il lui aussi opté pour l’Ouest ?

Au contraire ! Ce jour-là, le patriarche de Constantinople, Bartholomée Ier, a, en vertu de sa primauté, accordé leur liberté religieuse aux orthodoxes d’Ukraine – n’oubliez pas que c’est Constantinople qui a christianisé le monde slave, dès le xe siècle, alors que Moscou ne figurait sur aucune carte. Et que c’est sous son autorité spirituelle que ceux-ci ont ensuite vécu leur foi jusqu’à la captation de l’ensemble de leurs terres par l’empire tsariste à partir du xviie siècle, puis par l’Union soviétique après 1917. Quelles qu’en aient été les intrications géopolitiques, l’instauration, il y a quatre ans, d’un patriarcat autocéphale à Kiev, apporte une légitime réparation aux Ukrainiens après toutes ces années de domination criminelle.

Le patriarcat de Moscou serait donc une entité subalterne ?

Je vénère l’Église russe qui, en soixante-dix ans de communisme, a donné plus de martyrs que l’ensemble des Églises en vingt siècles. Mais c’est précisément ce mémorial qu’a trahi Kirill en devenant le pontife du potentat Poutine, ennemi numéro un de la Russie et des Russes. Les voilà tous deux entraînés dans le même abîme : sans l’Ukraine, le Kremlin ne domine plus un empire et le patriarcat de Moscou ne peut plus ambitionner de régenter l’orthodoxie. Ce qui est une double bonne nouvelle.

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Pourtant, de nombreux orthodoxes ukrainiens demeurés fidèles à Moscou se disent persécutés. Êtes-vous inquiet pour eux ?

Il n’est jamais heureux de restreindre la liberté de culte, ce qui choque les simples croyants, on le comprend. Ces mesures relèvent toutefois d’un état de guerre imposé où certains hiérarques restés liés à Moscou forment sans surprise une cinquième colonne à la solde du guébiste Poutine. Or, en Russie même, Kirill persécute ardemment ceux de ses prêtres qui osent héroïquement prier pour la paix. Ce sont eux les vrais patriotes. Ne soyons donc pas des idiots utiles.

Cette tension millénaire dit-elle tout de la situation religieuse de l’Ukraine ?

Certainement pas. Outre l’Holodomor, la grande famine des années 1930 organisée pour seconder la terreur bolchevique, deux autres mémoires blessées persistent. Celle, juive, de la Shoah par balles, mise en œuvre par des divisions galiciennes à la solde de Hitler en 1942. Celle, musulmane, du nettoyage ethnique des Tatars de Crimée opéré par Staline en 1944. Enfin, depuis 1991, comme ailleurs dans le monde, l’Ukraine est devenue un marché pour le néochristianisme évangélique qui, venu des États-Unis, cause une forte américanisation des mœurs. Et là encore, l’Europe est à la traîne.

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