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Couple mal assorti cherche sortie

L’Opéra-Garnier ouvre la saison lyrique parisienne avec Don Pascuale, irrésistible « dramma buffo » de Donizetti


Pas de morte saison pour Gaetano Donizetti. L’Opéra-Bastille, en février dernier, accueillait dans ses murs la huitième reprise de l’immortel Lucia di Lammermoor, dans une mise en scène d’Andrei Serban millésimée… 1995 ! Cette fois, l’Opéra-Garnier ouvre la saison lyrique parisienne avec Don Pascuale, irrésistible « dramma buffo » du compositeur prolifique dont ce n’est jamais que le soixante huitième opéra : Donizetti n’en écrira plus que deux encore avant de passer l’arme à gauche.

Composition prétendument expédiée en moins de deux semaines – le maître se plaisait à répandre le mythe d’une éblouissante facilité, propre à son génie – créé à Paris en 1843, ce petit joyau de commedia dell’arte, traversé d’un humour doux amer, s’exporta aussitôt avec succès, triomphant dans toutes les salles européennes. Sur un livret de Giovanni Ruffini (1807-1881) tellement remanié par le compositeur que le poète en vint à exiger le retrait de son nom, l’intrigue oppose Don Pascuale, un pingre mais riche barbon un peu puéril, pressé de convoler avec une demoiselle dans la fleur de l’âge, à son neveu Ernesto qu’il menace de déshériter s’il épouse une jeune veuve, Norina. Organisé par son ami le docteur Malatesta, un faux mariage finira par convaincre le vieillard dupé à repousser avec effroi son projet matrimonial. D’un bout à l’autre, cette comédie aux accents mélancoliques est un ravissement.  

Troisième reprise d’une production millésimée 2019, la mise en scène inventive et minimaliste de Damiano Michieletto transpose l’action à l’époque du smartphone, des incrustations d’images sur fond vert et des intérieurs high tech. Don Pascuale partage avec sa bonne un « ça m’suffit » à l’ameublement plouc à souhait, que son épouse toute neuve, Norina, dissimulée sous le pseudonyme de Sofronia pour se transformer illico en harpie dissipatrice, réaménagera en loft dispendieux. Meurtri, humilié, pressuré, le mari ne songe plus dès lors qu’à se débarrasser de cette mégère : le but est atteint ; le stratagème aboutit à un mariage plus « décent » : entre jeunes gens. La morale est sauve.

Laurent Naouri © Bernard Martinez

Les effets spéciaux de l’écran géant qui place en gros plan, sur un fond en incrustation vidéo, le visage filmé de Norina permet à Julie Fuchs de déployer son talent comique hors pair, avec force mimiques que le spectateur détaille à loisir. La soprano française – qu’on a déjà entendu l’an passé en Gulietta dans Les Capulets et les Montaigu – accuserait-elle, décidément, une certaine fatigue ? Vibrato distendu, aigus difficiles, projection trop courte – la chanteuse (qui succède à Nadine Sierra puis à Pretty Yende) n’était pas à son meilleur au soir de la première. Tel n’est pas le cas de Laurent Naouri, qui remplace quant à lui Michel Pertusi dans le rôle-titre, tandis que le baryton Florian Sempey, qui campait déjà le docteur Malatesta en 2018 et 2019, et qu’on a pu entendre cette année même dans Roméo et Juliette, endosse le personnage avec brio. Dans le rôle d’Ernesto, le ténor René Barbera qui l’an passé incarnait le comte Almaviva du Barbier de Séville avec la même force jaillissante et cuivrée.

Rien, dans les faiblesses (passagères ?) d’une partie de la distribution, qui ne porte fondamentalement atteinte à la vivacité désopilante d’un spectacle musicalement magistral, sous la baguette transalpine de Speranza Scappucci. Elle dirigeait déjà à Paris Les Capulets… l’an passé. Agée de 50 ans, invitée pour la saison 2025 au Royal Opera House de Londres, c’est la « cheffe » qui monte. Qu’on se le dise.      


Don Pasquale. Opéra en trois actes de Donizetti. Direction Speranza Scappucci. Mise en scène Damiano Michieletto. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris. Avec Laurent Naouri (Don Pasquale), Florian Sempey (Dottor Malatesta), Julie Fuchs (Norina), Slawomir Szychowiak (le notaire).

Palais Garnier. Les 20, 22, 25 septembre, 5, 11, 13 octobre à 19h30.
Durée du spectacle : environ 2h35     

Le spectacle lamentable de Lampedusa n’a que trop duré!

Seule face au douloureux dossier humain de l’immigration illégale, l’Italie réclame la solidarité de ses voisins. Comment mettre fin au drame des migrants clandestins qui affluent sur nos côtes ? voilà la question que devrait se poser François Gemenne du GIEC, plutôt que d’insulter Marion Maréchal !


Quel spectacle lamentable, indigne d’un débat intellectuel censé promouvoir la tolérance des idées, que d’entendre et voir, sur le plateau de télévision d’une importante chaîne française d’information, LCI, un éminent rapporteur du GIEC, François Gemenne, également directeur de l’Observatoire Hugo (dédié aux migrations environnementales) à l’Université de Liège, se livrer sans scrupules ni vergogne, pensant contredire ainsi son adversaire politico-idéologique, à une insulte d’infâme teneur sexiste.

L’insulte sexiste à l’encontre de Marion Marechal

Car c’est bien ce à quoi cet irrespectueux politologue belge s’est adonné sans la moindre nuance, pas plus tard que ce 15 septembre, en y accusant sommairement, en guise de seul argument pour étayer son point de vue, Marion Maréchal d’avoir – je cite –  « sauté dans le premier avion pour faire sa pin-up à Lampedusa ». Aussi pitoyable qu’indigent, en plus de sa manifeste goujaterie, ce type d’invective !

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Entendons-nous, afin de ne point prêter le flanc à je ne sais quelle autre malveillante ou absurde critique : je ne connais pas, personnellement, Marion Maréchal, ni ne l’ai même jamais rencontrée ou simplement croisée ; quant au parti, « Reconquête ! », dont elle est la vice-présidente (sous l’égide d’Éric Zemmour) et pour lequel elle conduira la liste aux prochaines élections européennes de 2024, c’est peu dire qu’il ne répond guère aux exigences de mon engagement politique, pas plus qu’il ne correspond, à bien des égards (dont celui, précisément, de l’immigration), à mes valeurs morales ou mes principes philosophiques. A fortiori, ma vision de l’humanisme ! Mais enfin : tel n’est pas, en ce cas, la question !

La solitude de l’Italie face aux lacunes de l’Europe

Car si je prends ici le risque – j’en suis conscient au vu de la malhonnêteté intellectuelle, sinon du dogmatisme sectaire, de bon nombre de nos prétendus « débatteurs », souvent férus de vaines polémiques, au sein de la plupart des médias français – de défendre, en cette tribune, Marion Maréchal lors de ce fameux déplacement sur l’île de Lampedusa, située encore plus au sud que les côtes tunisiennes, c’est qu’elle a eu objectivement raison, et c’est là un mérite non négligeable, d’y dénoncer publiquement, non sans faire preuve là d’une indéniable dose de courage, « l’hypocrisie », sinon l’inertie ou même l’indifférence, des instances européennes face à la solitude de l’Italie en ce dramatique dossier, tant sur le plan humain que social ou politique, qu’est celui  de l’immigration en provenance principalement, et massivement, d’Afrique subsaharienne.

Un cri d’alarme

Davantage : ce cri d’alarme qu’a ainsi lancé à juste titre Marion Maréchal par rapport à ce manque patent de solidarité, voire de simple compassion, de la part de l’Union Européenne face à l’Italie, ainsi livrée à elle-même et comme abandonnée de toutes parts en ce dossier particulièrement douloureux, plus encore que complexe, je le fais également mien, moi qui, bien que de culture française (par ma mère), suis aussi, par la nationalité de mon père, un citoyen italien, et donc détenteur, comme tel, d’un passeport lui-même également italien !

Car s’il est exact que j’aime passionnément la France, dont la langue comme la culture ont forgé mon esprit, sinon les lumières de ma raison, (« ma patrie, ce sont les livres » fait opportunément dire, à ce propos, la grande Marguerite Yourcenar, dans ses Mémoires d’Hadrien, à son héros littéraire), il n’en demeure pas moins vrai que l’Italie, par le sang qui coule dans mes veines, reste particulièrement chère à mon cœur.

C’est dire si je n’aime guère voir souffrir ainsi aujourd’hui, par cette solitude dans laquelle l’Europe la plonge aussi injustement depuis de longues et cruelles années, l’ancestrale patrie ou, mieux, l’historique berceau de l’humanisme le plus généreux, universaliste et éclairé tout à la fois, de Léonard de Vinci à Giordano Bruno, en passant par l’immense et érudit Pic de la Mirandole !

Un épouvantable et gigantesque cimetière marin

D’où, en guise de conclusion, cet appel que je lance, moi aussi, à l’Europe : il est de son devoir moral, tel un impératif catégorique kantien, de venir enfin en aide, sans plus attendre ni tergiverser face à l’urgence de la situation tout autant qu’à l’ampleur de cette tragédie, à l’Italie, qui, seule, ne peut plus supporter effectivement, par-delà ses admirables efforts aussi bien que sa bonne volonté en la matière, le colossal fardeau, pour certes nécessaire qu’il soit sur le plan humain, de cette entreprise titanesque qu’est celle de porter bien évidemment secours aux dizaines, sinon centaines, de milliers de désespérés qui, fuyant leur pays, la misère, la guerre, la famine ou la dictature, affluent au péril de leur vie mais quasi quotidiennement désormais, par vagues successives et pratiquement ininterrompues, au milieu de cet épouvantable et vaste cimetière marin qu’est aussi devenue malheureusement aujourd’hui, par incurie politique, égoïsme nationaliste, racisme systémique, calcul économique ou banditisme organisé, la Méditerranée !

Le réel oblige Macron à parler une langue qu’il ne maîtrise pas

N’en déplaise à la Macronie, la société ouverte et consumériste n’est pas celle que désirent les gens ordinaires, attachés aux liens familiaux, locaux, traditionnels. Le paradis diversitaire exalté par le fanatisme progressiste ne fait pas rêver la France profonde.


Emmanuel Macron n’a plus les mots, tant le réel lui échappe. Dans Le Figaro Magazine du 4 août, le chef de l’État a soudainement découvert l’urgence de « faire nation », comme on fait la tambouille : un cache-misère semblable au « vivre-ensemble », terme qu’il dit pourtant « ne pas aimer ». Or, comment faire nation sous la tutelle d’un président qui défend la souveraineté européenne, le consommateur remplaçable et qui récuse l’idée de préférence nationale ? Les progressistes de l’après-guerre se pensaient malins en s’affirmant « citoyens du monde ». Ils moquaient les ploucs attachés à leur patrie, leurs traditions, leurs morts. « Pétainistes ! », « Fascistes ! » : ces injures restent celles des perroquets du mondialisme heureux. Ils accablent ceux qui persistent à se réclamer d’une continuité historique et d’une défiance face à l’immigration musulmane de masse. Macron est de cette lignée hors-sol : il a voulu opposer universalisme et nationalisme, progressisme et populisme. Il se croyait porté par un mouvement de fond appelé à en finir avec les peuples enracinés et les nostalgies de la France sentimentale. Mais c’est une réaction inverse qui partout dans le monde se confirme, avec le réveil des nations et des souverainetés. Le réel oblige Macron à parler une langue qu’il ne maîtrise pas.

Une France éclatée est vouée à disparaitre

C’est pourquoi le recentrage présidentiel sur la nation est un leurre. Sa conversion fait écho à celle, aussi peu crédible, de Jacques Attali : après avoir fait l’éloge du nomadisme et de la société sans frontières, celui-ci affirme désormais, dans un entretien à Livre noir : « Il y a clairement une demande générale de sauver l’identité française.[…] Il faut à tout prix défendre la langue française et l’enseignement de la culture française. » Mazette ! Cela fait un demi-siècle que des lanceurs d’alerte enfoncent ces clous, en se faisant étiqueter « extrême droite » par les laborantins de l’homme technique et indifférencié. C’est Macron qui, le 28 août 2018, en visite au Danemark, récitait : « Le vrai Danois n’existe pas. Il est déjà européen. C’est vrai aussi pour les Français. » Faire nation ne veut rien dire dans la bouche de celui qui dit en même temps vouloir poursuivre « une politique de peuplement » et persiste à affirmer faussement, dans le même Fig Mag : « Nous avons toujours été un pays d’immigration et nous continuerons de l’être. » La France de Macron fait nation comme une pension de famille fait famille. Relire Bossuet : « Le propre de l’unité est d’exclure. » Une France éclatée est vouée à disparaître. Rien n’arrêtera son saccage tant que ceux qui la maltraitent resteront au pouvoir.

A lire aussi : Petit manifeste pour le droit à la continuité historique

N’en déplaise à la Macronie soutenue par la classe financière et le système technocratique, une société ouverte et consumériste n’est pas celle que désirent les gens ordinaires. Ceux-ci restent attachés aux liens familiaux, locaux, traditionnels. Ils sont réceptifs au bon sens et au pragmatisme. Le paradis diversitaire chanté par le progressisme exalté ne fait pas rêver la France profonde. Elle se sait fragile et craint pour sa survie. Le même cauchemar totalitaire d’un monde technique et indifférent à l’homme, qui a imposé ses effrayantes tyrannies au XXe siècle, se redessine dans le mépris porté à l’âme des peuples. Or c’est cette part intime, rejetée par les faux « humanistes », qui devient une donnée politique nouvelle en imposant l’identité nationale comme un sujet central. Michel Auboin, ancien préfet chargé de l’intégration, confirme ce sursaut existentiel: « Une majorité de Français qui partagent la même histoire forment la majorité silencieuse d’un pays qui feint de les ignorer[1]. » C’est à ces oubliés, ces dizaines de millions de « Français de souche », voués à être remplacés par des peuples exotiques, qu’il revient de prendre la parole pour dire d’où ils viennent, qui ils sont, et surtout, où ils ne veulent pas aller. En l’occurrence, ils refusent la contre-société islamisée qui s’épanouit sous Macron.

À dire vrai, Emmanuel Macron n’est pas le seul coupable. L’indifférence portée à la nation et à son peuple est une trahison partagée par de nombreux dirigeants, à commencer par ceux de la droite. Prononcer le mot « France » leur est encore une épreuve. En janvier 2003, Alain Juppé, président de l’UMP, trouvait moderne de proposer, pour les deux peuples, la double nationalité franco-allemande, en balayant les sentiments d’appartenance. En mai 2015, les fondateurs du parti LR expliquaient pour leur part : « Nous souhaitons nous appeler Les Républicains car nous défendons avant tout l’identité républicaine », déclaration commune de Laurent Wauquiez et Nathalie Kosciusko-Morizet. Alors à l’UMP, Bruno Le Maire déclarait à la même époque : « Je me battrai contre ceux de ma famille politique qui disent que la question identitaire est prioritaire. » Tirant le bilan de son débat sur l’identité nationale lancé en 2009, Nicolas Sarkory déclarait le 7 avril 2015,devant la commission exécutive de l’UMP : « Je n’aurais pas dû parler d’identité nationale, mais dire que je voulais défendre les valeurs de la République. » L’évocation de la République et de ses valeurs est un procédé de faussaire : il sert à ne pas évoquer la France, ses états d’âme et son déclin, de peur de faire le jeu de l’« extrême droite ».

A lire aussi : Emmanuel Macron est-il jaloux de ses ministres?

L’« initiative politique d’ampleur » annoncée par le chef de l’État passera à côté du sujet si elle doit persister dans une communication brouillonne appelant à l’ « apaisement » tout en écartant de l’« arc républicain »les mouvements politiques (LFI, RN, Reconquête, etc.) qui n’ont pas l’heur de plaire à la Macronie. Le pouvoir, isolé, doit accepter d’entendre les plaintes des Français oubliés, sommés de taire leurs inquiétudes existentielles au nom de la religion dévoyée des droits de l’homme. Rien ne serait plus révoltant, de la part d’un pouvoir se réclamant de la concorde et de la non-discrimination, que de chercher à étouffer encore davantage l’« homme réel ». Il est vrai que, derrière la menterie du « faire nation », s’observe une nation qui se défait.


[1]. Le défi d’être français, Presses de la Cité, 2023.

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Antoine Dupont: trop d’engagement?

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L’acteur Jean Dujardin et le sportif ont reproché à l’hebdomadaire Valeurs actuelles de les avoir mis en une.


Ces polémiques entre Jean Dujardin (Antoine Dupont approuvant ce dernier), et Valeurs actuelles (sa couverture sur la « France Rugby » avec les photographies des deux premiers) seraient ridicules si elles n’étaient pas révélatrices d’une idéologisation de tout… D’accord pour « la France Rugby », mais pas de récupération politique. Ce ne sont pas nos valeurs. Voilà, peu ou prou, la substance de ce que le duo oppose à l’hebdomadaire Valeurs actuelles. On pourrait penser que l’affaire est gravissime alors que ce journal se contente d’énoncer une évidence – il y a bien une France du rugby, qui sur tous les plans suscite plus l’adhésion que le monde du foot – et d’exprimer son admiration pour l’équipe de France et notamment son remarquable et exemplaire capitaine Antoine Dupont. Il y a des interventions plus critiquables ! Comment ne pas être surpris, d’abord, par l’irritation politique de Jean Dujardin qui, pourtant, a été vivement contesté pour la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde que le progressisme a qualifié de « ringarde » et de conservatrice ? Autrement dit, il impute à Valeurs Actuelles, de manière absurde, ce que lui-même s’est vu reprocher…

Antoine Dupont a tort de s’embarquer dans cette controverse

Pour Antoine Dupont, il faut que je sois clair. Il appartient, sur le plan sportif, à cette élite infiniment rare – pratiquement un duo ! – qui, quoi qu’elle puisse penser et dire, aura toujours les suffrages de la majorité des citoyens, tant elle domine et est admirée. On aura compris que l’autre membre du duo est Kylian Mbappé. Je les considère, pour ma part, comme intouchables sur le plan sportif. D’autant plus qu’Antoine Dupont, lui, n’est jamais tombé dans les délires de Mbappé, notamment au sujet de la mort de Nahel. Il me semble cependant qu’Antoine Dupont aurait pu et dû se dispenser d’une telle controverse qui brouille une image dont la grande force était d’être universelle, partagée par l’ensemble de la communauté nationale, en tout cas celle qui supporte le rugby. En effet sa réaction est susceptible de laisser croire que son sport n’aurait pas droit à un enthousiasme sans la moindre coloration politique. Ce qui serait navrant. On sait qu’Antoine Dupont a une sensibilité et des convictions de gauche. Comme citoyen, il avait déjà manifesté son opposition au projet de loi sur les retraites en signant une pétition avec d’autres sportifs. Pour ma part j’avais d’ailleurs regretté que ce formidable joueur et cette personnalité d’une discrétion remarquée se soient engagés publiquement de cette manière.

A lire aussi, Philippe David: «Tous les Français se sentent représentés par l’équipe de France de rugby»

Le doigt dans l’engrenage

Parce que, une fois le doigt et l’esprit mis dans un processus partisan, la fatalité est implacable qui va vous conduire régulièrement à donner votre avis sur des sujets importants mais pour lesquels le sportif admiré que l’on est n’a pas de légitimité particulière pour convaincre ceux qui ne pensent pas comme lui. Je dénonçais, au début de mon billet, l’idéologisation de tout. Je regrette qu’au sein d’un consensus quasi total qui résiste à quelques assauts aigres, Jean Dujardin et Antoine Dupont, pour cibler Valeurs Actuelles et se distinguer sans nécessité, aient cru bon de faire dissidence. L’hebdo a eu de la classe : « on vous aime sans savoir pour qui vous votez » ! Qu’Antoine Dupont garde son engagement pour les matchs ! La France aura besoin du demi de mêlée performant qu’il est et du capitaine exemplaire inspirant confiance à tous, partenaires et citoyens.

La princesse roumaine qui écrivait en français

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L’historienne Aude Terray retrace la vie pleine d’arabesques de la princesse Bibesco (1886-1973) au cours de ce turbulent XXème siècle.


Aujourd’hui, les figures du féminisme se conjuguent à l’impératif. Il n’y aurait qu’une seule forme de féminisme, victimaire et revanchard, où la misère sociale tiendrait toute sa place dans un processus d’émancipation. L’historienne Aude Terray nous montre une autre voie, forcément iconoclaste et inclassable, loin des bidonvilles et des terrils, dans les hautes sphères, à l’abri des fins de mois difficiles, quoique les revers de fortune et les exils furent le lot de nombreux « beautiful people » du siècle dernier. Les soubresauts politiques et les drames intimes n’épargnent pas les « bien nées ». La main de dieu ne tremble pas lorsqu’il s’agit de rééquilibrer les injustices immanentes. Il y a du courage intellectuel et une grande sincérité de consacrer une biographie aussi complète à la princesse Bibesco chez Tallandier. Dans le titre, elle lui accole deux qualificatifs « frondeuse et cosmopolite » qui résument un destin hors-norme au cœur des mondanités et des lettres françaises, à l’ombre des palais et des ambassades. Dès son avant-propos, Aude Terray avertit le lecteur : « Qui se souvient aujourd’hui que la princesse Bibesco fut un des auteurs les plus lus de sa génération ? ». En concurrence avec Colette et Anna de Noailles, cette chérie des salons et des librairies, fêtée et célébrée comme le fut, plus tard, dans les années 1950, le charmant petit monstre bondissant Sagan. Avec Marthe Bibesco, nous sommes du côté des Guermantes, dans le somptuaire et l’organdi, les propriétés de milliers d’hectares aussi étendues que des principautés, dans les fastes d’une domesticité sans limite, tout semble acquis et intangible, hypnotique et évanescent, presque irréel. Même Marcel Proust s’improvise « coach littéraire ». En se mariant à Georges, gentleman-driver et pionnier de l’aviation balbutiante, héros sur terre et dans les airs, elle noue son destin avec l’un des hommes les plus riches et les plus influents de Roumanie. Que reste-t-il de ces mondes enfouis ? La cavalcade des guerres mondiales a balayé cette race de nantis aventuriers, gaspillant leur temps avec l’énergie du désespoir, bataillant pour exister dans un milieu qui ne pardonne aucune faute d’étiquette, se tenant toujours droit et faisant fi des tourments personnels. Les plus esthètes d’entre nous se souviennent du tableau de Boldini représentant la princesse. Les autres ont vu sa photographie dans les rares magazines ou ouvrages qui citent parfois son nom. Une beauté altière et triste, un style à la garçonne, les paupières lasses et le regard sombre, une intensité qui se dissimule derrière un calme olympien, une intelligence aux aguets, presque inquiète.

Marthe Bibesco peinte par Giovanni Boldini (1911) D.R.

De cette princesse des Carpates, je me rappelais la couverture fripée et atrocement colorée des éditions de poche « J’ai lu » dans une maison de famille, puis son nom inscrit sur les Cahiers Rouges de Grasset. Son image était pour le moins floue dans mon esprit. Ses débuts dans la carrière littéraire m’étaient presque inconnus, je ne savais rien de son rôle dans une Roumanie soumise à une instabilité chronique qui tomba sous le rideau de fer après la capitulation allemande. Aude Terray, par un remarquable travail d’enquête, a suivi les traces de cette princesse en Roumanie, à Londres et dans le Paris flamboyant de la Belle Époque, et a permis d’y voir plus clair, notamment ses interventions en faveur de la communauté juive dans son pays. C’est prodigieux de précision, jamais ennuyeux, avec le ton approprié. Car, Aude Terray n’occulte rien, elle décrit fidèlement un parcours, ne tombant ni dans la caricature, ni dans l’hagiographie. On pourrait aisément faire un portrait à charge, un peu pathétique et facile, d’une fille mal aimée par sa mère qui deviendra elle-même une mère si peu affectueuse et pourtant libératrice. L’auteur réussit à se placer à bonne distance, elle aime son héroïne sans la faire passer pour une victime ou une « sans cœur ». Elle lui redonne par son écriture sans graisse, une profondeur oubliée, un éclat vibrant. De ses amours contrariées avec Georges et Henry de Jouvenel, elle écrit : « La jeune femme semble fuir l’amour autant qu’elle le recherche. Comme si elle craignait de se perdre, de décevoir, d’être déçue ». L’historienne n’est pas dupe de ces succès : « certes, elle est un des auteurs à succès des années 1920, une des rares de sa génération à signer des contrats, mais ses rentrées d’argent sont loin de suffire à son train de vie, celui d’une femme de grand luxe qui ne saurait se passer de ses architectes et décorateurs, de ses jardiniers et de ses milliers de bulbes de fleurs annuels, de ses multiples robes et chapeaux, de ses coiffeurs et masseurs, de ses voyages, voitures et chauffeurs, de ses réceptions et bataillons de domestiques ». Les dernières pages sur les amitiés indéfectibles, les soutiens qui résistent quand le vent de l’Histoire a tourné, sa passion pour le « Grand Charles » et Churchill sont poignantes. En refermant cette biographie de belle allure, on a envie de lire cette princesse et de rencontrer enfin son style.

La princesse Bibesco – Frondeuse et cosmopolite – de Aude Terray – Tallandier

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Le Spleen du Berry

Thomas Morales a la France sentimentale. Non sans humour, notre chroniqueur aime se remémorer le « bon vieux temps ». Avec Monsieur Nostalgie (Héliopoles, 2023), son nouveau livre, on explore son panthéon personnel.


Qu’une grande actrice oubliée passe l’arme à gauche, qu’un ancien président de la République ou notre Johnny national cassent leur pipe, et l’auteur de ces lignes sait pouvoir compter sur Thomas Morales. Le chroniqueur berrichon est le roi de la nécrologie. Quand Causeur cherche en urgence un texte sur une figure publique disparue, l’écrivain répond dans l’heure avec un papier susceptible de rendre jaloux les autres journaux : c’est souvent le mieux troussé de toute la presse. Chaque dimanche après-midi, Thomas Morales offre également une chronique aux lecteurs de notre site. Le quasi-quinquagénaire publie ces temps-ci son nouveau recueil de textes. Inlassablement, il continue de labourer le sillon de la nostalgie. Par goût et par conviction, précise-t-il. Cela lui ferait grand plaisir, confie-t-il, que nous l’appelions « Monsieur Nostalgie », une fois son livre fermé. Il y explore tour à tour la langue française, les brocantes, la télévision ou le cinéma, et évoque aussi la province ou Paris. C’est une lecture réconfortante, alors que se profile à l’horizon un automne déprimant pour beaucoup de monde. C’est un précis de nostalgie que l’écrivain veut inclassable et, il l’espère, divertissant. Mission accomplie ! Thomas Morales retravaille inlassablement ses textes, telle la plus précieuse des verroteries. L’exercice commence par une évocation d’Audiard et se referme sur… Philippe Lavil. Morales fustige les mauvais coucheurs de notre époque et estime qu’il n’y a pas de mauvais goût. Au fil des pages, nous croisons Simenon, Sempé, Vialatte, Serge Lama, Lucien Bodard, Roland Topor, Bernard Blier, Romy Schneider, Lino Ventura, Jacques Chirac ou Félix Potin. Et bien d’autres.

A lire aussi : Rugby, charcuterie et Puy du Fou… Vive la France !

Les emmerdes volent en escadrille, disait Chichi. Les évocations de Morales s’enchaînent aussi, sans aucun ennui, notamment parce que ce n’est pas de la littérature « engagée ». Cela fait un bien fou. Tenons-nous à l’écart de la rentrée littéraire, et à bonne distance de toutes ces nouveautés woke et anti-woke qui ne manquent pas de s’accumuler sur les étals des libraires. Le lauréat du premier prix Denis Tillinac et membre du jury du prix des Hussards préfère s’épanouir avec les vieilleries, et nous ouvre sa malle à souvenirs. « Je suis né trop tard, à une époque où déjà les auteurs racontaient des histoires comme on élabore un plan com’ pour un sous-secrétaire d’État insignifiant », confesse l’écrivain qui, comme beaucoup de Français, se sent un peu perdu dans la mondialisation. Pas une littérature engagée, disions-nous ? C’est à voir. Des bords de sa Loire natale, où il dit souffrir du syndrome de la sous-préfecture abandonnée, notre ami assure qu’il n’est pas réactionnaire, mais nous met tout de même en garde : « La nostalgie n’est pas encore un crime. Elle le deviendra, soyez-en sûr, au train où la modernité avance et gangrène nos existences. » On ne sait plus alors si Monsieur Nostalgie veut encore nous amuser, ou s’il n’est pas tout à coup nettement plus sérieux.

Thomas Morales, Monsieur Nostalgie, Héliopoles, 2023.

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Dénigrement d’État

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Il a pris officiellement ses fonctions le 1er septembre. Son titre : « Délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine envers les personnes lesbiennes, gays et trans ». Tout un programme!


Monsieur le délégué interministériel a été, préalablement et pour assez peu de temps, ministre délégué chargé de la Ville et du Logement dans un des gouvernements Borne. Ne donnant pas les signes de devoir laisser là une marque indélébile, on le débarqua en effet bientôt. Et comme il est de bonne pratique de recaser au mieux les recalés du sérail, on lui a donc déniché ce lot de consolation.

Pap Ndiaye, prix César des lycéens, Paris, 7 avril 2023 JP PARIENTE/SIPA

Vieille coutume de nos Républiques, nul ne l’ignore. C’est ainsi que Monsieur Pap Ndiaye, ci-devant ministre de l’Éducation nationale, a vu son extrême compétence récompensée d’une sinécure dorée, un très utile job d’Ambassadeur auprès du Parlement européen, plus particulièrement orienté « défense et illustration » du catéchisme droit de l’hommisme, cela va de soi. Félicitations, donc, à son excellence tout juste intronisée. Congratulations aussi à Monsieur le délégué interministériel, évidemment. Saluons à travers lui la trouvaille remarquable qu’est la création d’un tel poste, si élevé et si enviable de quasi-ministre, assorti d’une telle mission. Précisons-la de nouveau, on ne s’en lasse pas : lutter contre le racisme, l’antisémitisme et la haine envers les personnes lesbiennes, gays et trans. Il était urgent, n’est-ce pas, de s’attaquer au désastre que génère tant et tant de haine portée par tant et tant de hordes nazifiées lâchées à travers le pays, d’endiguer les fleuves de sang que des phalanges racistes hystérisées jusqu’aux os, armées jusqu’aux dents, font couler chaque jour et chaque nuit partout, des plus grandes villes aux bourgades les plus reculées. Réponse d’aussi grande nécessité et urgence, il était tout aussi impérieux, apparemment, de s’employer à éteindre les flammes lucifériennes qui sortent des naseaux et des yeux de tout bon Français moyen à la vue de la moindre personne « lesbienne, gay ou trans ». Ainsi, nous vivrions une espèce de Saint-Barthélemy permanente, d’une férocité proprement inouïe. (Apparemment, notre homme n’est pas en charge de veiller à ce que de paisibles octogénaires ne se fassent plus tabasser et massacrer par des barbares de rencontre dans la pleine vigueur de leur âge mais qui n’ont pas eu encore le loisir de saisir que ces comportements ne sont pas en phase avec les us et coutumes d’ici. Ces sauvageons-cogneurs seraient donc excusables. C’est du moins ce qu’on entend plaider -et qu’on voit juger – dans certains prétoires. Comme on feint de ne pas voir ces horreurs devenues ordinaires, on se garde bien de toute initiative d’État qui ne ferait que les rendre (trop) visibles.)

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Une question se pose : quelle image un pays a-t-il de lui-même quand il s’aventure à institutionnaliser ses supposées perversions, haines et bassesses, à les promouvoir plus ou moins au rang de caractéristiques, de spécificités nationales ? Quel résultat attend-il lorsqu’il va jusqu’à distiller parmi ses populations un tel venin de culpabilisation ? Quelle obscure jubilation puise-t-il à tresser lui-même, si complaisamment, les verges pour se faire fouetter ? Quelle image donne-t-il de lui de par le monde ? Enfin, de quelle fascination morbide pour le repentir masochiste cette nouvelle trouvaille est-elle le nom ?

En vérité, nous sommes bel et bien devant une forme de dénigrement d’État. L’État ou plus précisément la douteuse élite dont il se nourrit et qu’il nourrit, cette engeance qui ne cesse de geindre et de pleurer sur l’échec permanent de l’assimilation, de l’intégration. Mais qui donc peut avoir envie d’adhérer à cette société-là, de se fondre dans une communauté humaine dont la tête pensante n’hésite pas à la présenter, à la revendiquer comme gangrenée en profondeur de maux et de tares de ce calibre ? Certes, il est nécessaire et juste de lutter contre les haines, toutes les haines, ce n’est pas douteux. Ces haines qui ne sont en fait qu’un avilissement de l’esprit, tant chez l’individu que chez les peuples. Mais il existe probablement d’autres voies, d’autres stratégies. Quoi qu’il en soit, l’État devrait aussi – et sans doute avant tout – affirmer, encourager, honorer encore et encore les vertus, les talents du pays et de ses citoyens. Dès lors émerge une autre question: à quand un quasi-ministre en charge de faire aimer la France ?

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Femme, Vie, Liberté!

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Il y a un an, trois jours après avoir été arrêtée et battue par la police des mœurs islamique, l’Iranienne Mahsa Amini est morte.


Mahsa Amini est morte il y a un an, jour pour jour, assassinée par la théocratie totalitaire des mollahs. Parce que la police des mœurs avait estimé qu’elle ne portait pas correctement son hijab. Depuis, des hommes et des femmes se dressent en Iran contre la dictature religieuse islamique. Leur geste : arracher ce voile qui symbolise l’oppression. Leur cri : femme, vie, liberté !

Des policiers répriment des manifestants à Téhéran, 19 septembre 2022 © AFP

Le régime va jusqu’à empoisonner les écolières

Plusieurs l’ont payé de leur vie, certains lorsque la police du régime a ouvert le feu sur des manifestants, d’autres sommairement exécutés ou victimes « d’accidents ». Il y aurait eu, depuis un an, des dizaines de milliers d’arrestations et des centaines de morts. On parle de milliers de cas d’empoisonnement dans des établissements scolaires pour empêcher les élèves d’organiser des manifestations. Arrêtées, des jeunes filles ont été emprisonnées, torturées, abusées au nom d’Allah. On dit que conformément à une fatwa de l’ayatollah Khomeini, plusieurs condamnées à mort ont été violées avant d’être tuées parce qu’elles étaient vierges et qu’il fallait les priver de leur « pureté » pour les empêcher d’aller au paradis. On aimerait croire que c’est faux, que même les maîtres de Téhéran ne se prosterneraient pas devant une divinité assez malveillante et perverse pour condamner une innocente à l’enfer parce qu’elle a été violée. Mais hélas ! L’accusation semble fondée, et les témoignages de prisonnières victimes d’abus sexuels répétés ne cessent de s’accumuler. Le peuple qui vénérait jadis Ahura Mazda est sous la coupe des adorateurs d’Ahriman.

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L’Occident proteste du bout des lèvres, trop occupé sans doute à endoctriner ses propres peuples en leur disant que « la liberté est dans le hijab » ou à s’extasier devant la beauté d’une « féministe voilée » pour soutenir efficacement une révolte qui, pourtant, mériterait tout l’appui que nous pourrions lui apporter. Et les héritiers spirituels de ceux qui ont jadis applaudi l’instauration de la république islamique continuent à pontifier leurs leçons de morale.

Le vrai courage

Le monde musulman se taît, trop occupé sans doute à hurler contre des caricatures pour s’inquiéter des abominations commises au nom de son dieu – il faut croire qu’il accorde une grande valeur à la susceptibilité d’Allah, mais aucune valeur à la dignité humaine. À moins que l’Oumma considère qu’Allah ne désapprouve pas vraiment ce que le régime de Téhéran fait en son nom ? L’Arabie Saoudite courtisée par la France et l’Iran des mollahs améliorent même leurs relations, au nom de la « solidarité islamique » et de « l’unité du monde musulman »…. Et on entend beaucoup plus les communautés et associations musulmanes présentes en Europe protester contre l’interdiction de l’abaya que contre la torture des femmes qui refusent le hijab.

Demeure le courage incroyable de ces Iraniennes et de ces Iraniens – car la révolte, n’en déplaise à certaines visions simplistes, rassemble les deux sexes, tout comme le fanatisme du régime. Les risques qu’ils prennent sont terrifiants, et pourtant ils les prennent. Leur soif de liberté est éclatante. Il y a des appels à la résistance lancés depuis les prisons. Des cris qui résonnent, se répondent et s’amplifient de fenêtre en fenêtre jusqu’à atteindre d’irrépressibles clameurs. Des gestes de défi d’une profonde dignité. La révolte n’a pas encore gagné, il lui reste bien des combats à mener, mais les mollahs ont déjà perdu : malgré des décennies de propagande et de répression, ils ne sont pas parvenus à détruire l’âme du peuple iranien.

J’irai revoir ma Normandie esclavagiste

Aucune raison que la Normandie échappe à la contrition mémorielle ! Étalée sur trois sites, à Rouen, au Havre et à Honfleur, l’exposition « Esclavage, mémoires normandes » rappelle avec moult détails le (bref) passé esclavagiste de la région. De quoi oublier la guerre de Cent Ans et les marines de Boudin.


Ceux pour qui l’histoire de la Normandie entremêle encore bien naïvement des images de vigoureux Vikings, de ducs intrépides et de batailles décisives contre l’Allemagne nazie pourront réviser leur copie jusqu’au 10 novembre grâce à l’exposition sobrement intitulée « Esclavage, mémoires normandes ». Une exposition reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture et qui bénéficie, à ce titre, d’un soutien financier exceptionnel de l’État ainsi que du soutien intellectuel et moral –moins exceptionnel – de tout ce que notre pays compte de professionnels de la repentance collective.


Implanté sur trois sites – Rouen, Le Havre et Honfleur – ce triptyque culturel programmatique du bon vivre-ensemble à la française invite à regarder la Normandie et les Normands (sic) à travers leur implication dans la traite atlantique et l’esclavage entre 1750 et 1848. La tapisserie de Bayeux et son épopée de quelque 70 mètres de lin brodé de fils de laine, merveilleusement modernisée par le peintre David Hockney en une fresque-hommage à sa région de cœur (A Year in Normandy, 2021), est appelée à faire pâle figure à côté de la tragédie humaine qui s’est jouée au XVIIIe siècle dans les balles de coton brut débarquées des colonies de Saint-Domingue, de la Guadeloupe et de la Martinique.

La traite normande

Nous sont présentés les ports négriers de Rouen, du Havre et de Honfleur, le rhizome capitaliste de la traite rouennaise, la présence normande en Afrique pour le commerce des esclaves, le nombre de bateaux, le nombre de voyages de ces navires (136 depuis Honfleur au plus fort du pic négrier, soit un total de 37 323 esclaves embarqués sur les côtes d’Afrique et destinés à être vendus dans les Caraïbes), les conditions de vie des esclaves à bord, l’air suffoquant, les maladies, les filets de protection dont on ceignait les entreponts pour éviter les suicides, etc. L’heure n’est plus aux épopées ni aux images d’Épinal, mais aux actes de contrition grandiloquents et au chapitrage mémoriel en bonne et due forme : les descendants de Guillaume le Conquérant et de Richard Cœur de Lion ont été de tristes négriers prêts à tout pour jouir des retombées économiques du « roi coton » autour d’une tasse de café. Qu’on se le dise.

Rien de mieux pour nous le dire, d’ailleurs, que les textes préliminaires au catalogue de l’exposition signés par ces nouveaux Bernardin de Saint-Pierre que sont les préfets, maires et responsables culturels de la région Normandie, qui, de « tache indélébile sur notre histoire de France » en « éclairage inédit qu’offre l’exposition » sur cette période « sombre » de nos aventures collectives, se prêtent avec un zèle inégalé à l’autocritique (« notre ville contribua activement à ce crime contre l’humanité », Édouard Philippe) tout en sermonnant le visiteur à coups d’expressions labellisées mens sana : société de consommation, racisme, ségrégation, discrimination, chemin de résilience collective, être sincère avec son passé, avenir commun, générations futures…

Panorama de la ville de Honfleur, de l’église Saint Léonard à l’extrémité du Cordon Royal, xviiie siècle. © Illustria

Cette véhémence à condamner l’esclavage (en Occident) dont personne (toujours en Occident) ne minimise aujourd’hui l’horreur ni ne condamne l’abjection met mal à l’aise. Elle rappelle l’entêtement des enfants à revendiquer haut et fort la bonté des bons et la méchanceté des méchants, dans un monde qu’ils souhaitent réparti à parts égales des deux côtés de la ligne médiane de la morale. Autant de pensée et de philosophie, autant d’épreuves collectives douloureusement consenties par le passé pour en arriver à ces naïvetés de confessionnal et au sabir de quelque obscur maître de conférences nommé commissaire scientifique de l’exposition :« Au rôle négatif sur le plan mémoriel dû à l’absence de support matériel dans le plus grand port de traite normand, il s’est ajouté pour cette traite celui de la mise en place tardive de lieux de production des savoirs destinés à enrichir les connaissances et la mémoire autour de la traite et de l’esclavage » (Éric Saunier). Que nous est-il arrivé ? Les grandes tragédies du XXe siècle suffisent-elles encore à expliquer ce besoin de muséifier à tout-va le combat contre le Mal dans une langue de surcroît enlaidie, charabiesque et comme vidée de son sens ?

Rien de plus absurde donc que de réunir, dans un même musée, celui qui cherchait à rendre les simples beautés de nature et ceux qui cherchent à exposer de façon simpliste et obscène les grandes laideurs de l’histoire

Que nous est-il arrivé, en effet, pour que le lieu choisi à Honfleur pour l’un des trois volets de cette exposition sur l’esclavage soit le Musée Eugène-Boudin, rue de l’Homme-de-Bois, un musée de peinture créé en 1868, enrichi à l’origine par des artistes ou amateurs honfleurais de naissance ou de cœur et qui porte le nom de celui qui l’a doté, de son vivant, du legs le plus prestigieux ? Ce musée est un hymne à la Côte de Grâce et à la campagne normande. Les vues d’Honfleur, de son port, de ses plages, de la place Sainte-Catherine, de son marché aux poissons côtoient les pommiers et les champs de blé environnants. Eugène Boudin (1824-1898), fils de marin et père des impressionnistes, célèbre pour ses « prodigieuses magies de l’air et de l’eau » et ses « beautés météorologiques » (Charles Baudelaire), a couru le motif et le cachet, obsédé par le caractère fugitif de la lumière et l’accent vrai de la mer qu’il dépouille de ses drames romantiques.

A lire aussi : Petit manifeste pour le droit à la continuité historique

Eugène Boudin est le peintre normand des nuages, du gris flou d’un ciel maussade et de tous les gris des ports, des fichus blancs éblouissants des pêcheuses de Berck, des taches de couleur que font les bourgeois parisiens à bavarder sur la plage de Trouville, du frémissement des voiles des bateaux de pêcheur gorgées de cette lumière éclatante et passagère qui colore la brise marine. Volontiers moqueur de cette bourgeoisie normande enrichie par le commerce colonial « qui [a] balle de coton et sac de guano enrichi d’un cabrouet sur champ d’azur » (Carnets), il n’a aucune tendresse de classe pour les plus humbles qui n’ont besoin, selon lui, que de ronflant et de gros sel. C’est donc dans le musée de ce peintre qui aura passé sa vie à courir après les bateaux et à suivre les nuages le pinceau à la main, à butiner par-ci, par-là quelques bouts de ciel et de marines, que l’on expose aujourd’hui la maquette d’un brick utilisé pour la traite atlantique et que résonnent des enregistrements de voix d’enfants lisant des textes relatifs à la traite négrière française. Chroniqueur des différents états du ciel, comme le nomme joliment Laurent Manœuvre dans son Petit dictionnaire autobiographique de Boudin (Belin, 2014), ce grand peintre n’a été historien que des formations d’alluvion, comme le notait déjà en 1883 le critique d’art Gustave Geffroy. Rien de plus absurde donc que de réunir, dans un même musée, celui qui cherchait à rendre les simples beautés de nature et ceux qui cherchent à exposer de façon simpliste et obscène les grandes laideurs de l’histoire.

C’est pourtant la mode aujourd’hui : phagocyter des structures ou des établissements qui ont pignon sur Patrimoine, dépouiller un lieu de sa fonction et de son sens originels, dé-cis-identifier les espaces (eux aussi ont droit à la sacro-sainte fluidité). Des églises sont réhabilitées en ateliers pour artisans d’art. Des escape game sont organisés par la région Normandie au sein de l’Abbaye aux Dames. À la veille du 80e anniversaire du Débarquement, le Mémorial de Caen accueille des expositions telles que « Années pop, années choc ». L’une des plages de ce débarquement (Ouistreham) accueille un jour l’hommage présidentiel à la « simplicité bienveillante »(sic) de Léon Gautier, dernier héros français des commandos Kieffer, et le jour suivant une séance de réveil musculaire ouverte à tous les âges (dégoulinante, c’est à souhaiter, de cette même « simplicité bienveillante »). Quoi de plus normal, dès lors, que de faire temporairement d’un musée de peintures de paysage un lieu de mémoire de l’esclavage ? Après tout, notre époque est aussi l’héritière d’une grande tradition baroque, travaillée par le jeu des apparences et des vérités, de l’enveloppe et du cœur du réel. Ne revenons en tous les cas au Musée Eugène-Boudin qu’après le 10 novembre, une fois terminé le commerce triangulaire de la repentance subventionnée entre Rouen, Le Havre et Honfleur. Le baroque post-moderne a des limites.


À voir (ou pas)

« Esclavage, mémoires normandes », Musée Eugène-Boudin, Honfleur, jusqu’au 10 novembre. Esclavage-mémoires-normandes.fr

Désir, meurtre et damnation

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Opéra des opéras, l’ultime chef-d’œuvre lyrique de Mozart, créé à Prague en 1787 puis à Vienne l’année suivante sur un livret du fameux Lorenzo Da Ponte (également librettiste des Noces de Figaro et de Cosi fan tutte), ne quitte pas bien longtemps le plateau, de nos jours : l’immortel dramma giocoso figurait déjà au programme de l’Opéra Bastille en 2022, dans une régie signée du Belge Ivo van Hove, reprise d’une production millésimée 2019. Cette fois, Don Giovanni nous revient dans la mémorable mise en scène de Claus Guth, créée dans le cadre du festival de Salzbourg en… 2007. Entre temps, la scène parisienne, on s’en souvient, avait encore accueilli un autre Don Giovanni sous les auspices du cinéaste Michael Haneke, mise en scène décapante datée de cette même année 2007, reprise à la Bastille par deux fois (en 2012 puis en 2015), ranimant toujours la même controverse suscitée par la franche radicalité de sa transposition d’ « Il dissoluto punito » («  le dissolu puni » –  titre original) :  notre Don Juan, PDG d’une méga entreprise qui a son siège dans un décor de tours de bureaux high tech, y terminait défenestré par les membres de l’équipe de nettoyage dont Zerlina et Masetto étaient les membres en révolte. L’enfer du capitalisme vous fait tomber de trente étages : qui en réchapperait ?

Qu’on l’apprécie ou pas, le parti pris de Haneke rend un Don Giovanni éminemment daté. Par contraste, l’esthétique de Claus Guth, au bout de quinze ans, n’a pas pris une ride. C’est même peu dire : cette futaie germanique de hauts sapins, à la facture hyperréaliste, tournant sur un plateau mobile sous une clarté lunaire, visuellement magnifique avec ses ombres noires qui se déplacent, ses troncs d’arbres décimés sur le tuf moussu d’une forêt, compose un décor habité d’une poésie intemporelle, tout grevé qu’il soit d’éléments contemporains (guérite ou abribus en tôle, automobile vintage phares allumés, canettes de bière, lampes de poche…). Leporello (le baryton-basse italien Alex Esposito), en débardeur, bras tatoué, y a les traits d’un populo roublard, complice de son maître mal sapé, blessé, au bout du rouleau…  Dans l’âge actuel des incendies dévastateurs, cette atmosphère se charge d’une teinte prémonitoire. Même si, au célèbre dénouement de l’opéra, ce n’est pas ici le feu qui embrase le plateau tandis que le Commandeur, fossoyeur muni d’une pelle, exige : « Pentiti, scellerato ! (repens-toi, scélérat) », mais un très léger voile de petits flocons blancs –  presque une buée, au bout de la nuit noire qui emplit les deux actes de l’opéra.

Gaëlle Arquez, poignante et sublime Elvira © Julien Benhamou

Au soir de la première, sous la baguette du Turinois Antonello Manacorda (lequel dirigeait déjà La Flûte enchantée l’an passé à la Bastille), la distribution a magnifié comme jamais ce chef-d’œuvre d’entre les chefs-d’œuvre. Miraculeux Peter Mattei, baryton suédois au timbre toujours admirablement clair (c’est déjà lui qui incarnait le rôle-titre dans la production de Haneke en 2007, et dans ses reprises successives) ! Excellente Adela Saharia, soprano roumaine qui campait déjà Donna Anna l’an passé. Mais surtout, aux côtés du ténor américain Ben Bliss qui fait son entrée à l’Opéra de Paris sous les traits de Don Ottavio (en alternance avec Cyrille Dubois), la jeune mezzo-soprano Gaëlle Arquez, poignante et sublime Elvira. Moins convaincante, la soprano chinoise Ying Fang alternera dans le rôle de Zerlina avec la mezzo-soprano française Marine Chagnon.

Descente aux enfers empreinte de morbidité romantique avant la lettre, drame émaillé de viols larvés, s’ouvrant sur le meurtre d’un père pour s’achever par la damnation d’un séducteur agonisant, Don Giovanni a la fraîcheur du désir, le goût la chair délectable, d’odeur de la flétrissure et de la mort. Cette ambiguïté mozartienne nous est merveilleusement restituée. Par sa beauté, le spectacle a la dimension d’un classique. Paris a de la chance.    


Don Giovanni. Opéra de Wolfgang Amadeus Mozart. Direction Antonello Manacorda/ Giancarlo Rizzi. Mise en scène Claus Guth. Orchestre et chœurs de l’opéra de Paris. Avec Peter Mattei/ Kyle Ketelsen (Don Giovanni), Adela Zaharia/ Julian Kleiter (Donna Anna), Ben Bliss/ Cyril Dubois (Don Oattavio), John Relyea (Il Commendatore), Gaëlle Arquez/ Tara Errgaught (Donna Elvira), Alex Esposito/ Bogdan Talos (Leporello), Guilhelm Worms (Masetto), Ying Fang/ Marine Chagnon (Zerlina).

Opéra Bastille, les 16, 19, 21, 26, 29 septembre et 3, 4, 6, 7, 9, 12 octobre 2023 à 19h30. Le 1er octobre à 14h30. Durée du spectacle : 3h20 environ.  

Couple mal assorti cherche sortie

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"Don Pasquale", Opéra en trois actes de Donizetti, Opéra de Paris 23-24 © Franck Ferville / OnP

L’Opéra-Garnier ouvre la saison lyrique parisienne avec Don Pascuale, irrésistible « dramma buffo » de Donizetti


Pas de morte saison pour Gaetano Donizetti. L’Opéra-Bastille, en février dernier, accueillait dans ses murs la huitième reprise de l’immortel Lucia di Lammermoor, dans une mise en scène d’Andrei Serban millésimée… 1995 ! Cette fois, l’Opéra-Garnier ouvre la saison lyrique parisienne avec Don Pascuale, irrésistible « dramma buffo » du compositeur prolifique dont ce n’est jamais que le soixante huitième opéra : Donizetti n’en écrira plus que deux encore avant de passer l’arme à gauche.

Composition prétendument expédiée en moins de deux semaines – le maître se plaisait à répandre le mythe d’une éblouissante facilité, propre à son génie – créé à Paris en 1843, ce petit joyau de commedia dell’arte, traversé d’un humour doux amer, s’exporta aussitôt avec succès, triomphant dans toutes les salles européennes. Sur un livret de Giovanni Ruffini (1807-1881) tellement remanié par le compositeur que le poète en vint à exiger le retrait de son nom, l’intrigue oppose Don Pascuale, un pingre mais riche barbon un peu puéril, pressé de convoler avec une demoiselle dans la fleur de l’âge, à son neveu Ernesto qu’il menace de déshériter s’il épouse une jeune veuve, Norina. Organisé par son ami le docteur Malatesta, un faux mariage finira par convaincre le vieillard dupé à repousser avec effroi son projet matrimonial. D’un bout à l’autre, cette comédie aux accents mélancoliques est un ravissement.  

Troisième reprise d’une production millésimée 2019, la mise en scène inventive et minimaliste de Damiano Michieletto transpose l’action à l’époque du smartphone, des incrustations d’images sur fond vert et des intérieurs high tech. Don Pascuale partage avec sa bonne un « ça m’suffit » à l’ameublement plouc à souhait, que son épouse toute neuve, Norina, dissimulée sous le pseudonyme de Sofronia pour se transformer illico en harpie dissipatrice, réaménagera en loft dispendieux. Meurtri, humilié, pressuré, le mari ne songe plus dès lors qu’à se débarrasser de cette mégère : le but est atteint ; le stratagème aboutit à un mariage plus « décent » : entre jeunes gens. La morale est sauve.

Laurent Naouri © Bernard Martinez

Les effets spéciaux de l’écran géant qui place en gros plan, sur un fond en incrustation vidéo, le visage filmé de Norina permet à Julie Fuchs de déployer son talent comique hors pair, avec force mimiques que le spectateur détaille à loisir. La soprano française – qu’on a déjà entendu l’an passé en Gulietta dans Les Capulets et les Montaigu – accuserait-elle, décidément, une certaine fatigue ? Vibrato distendu, aigus difficiles, projection trop courte – la chanteuse (qui succède à Nadine Sierra puis à Pretty Yende) n’était pas à son meilleur au soir de la première. Tel n’est pas le cas de Laurent Naouri, qui remplace quant à lui Michel Pertusi dans le rôle-titre, tandis que le baryton Florian Sempey, qui campait déjà le docteur Malatesta en 2018 et 2019, et qu’on a pu entendre cette année même dans Roméo et Juliette, endosse le personnage avec brio. Dans le rôle d’Ernesto, le ténor René Barbera qui l’an passé incarnait le comte Almaviva du Barbier de Séville avec la même force jaillissante et cuivrée.

Rien, dans les faiblesses (passagères ?) d’une partie de la distribution, qui ne porte fondamentalement atteinte à la vivacité désopilante d’un spectacle musicalement magistral, sous la baguette transalpine de Speranza Scappucci. Elle dirigeait déjà à Paris Les Capulets… l’an passé. Agée de 50 ans, invitée pour la saison 2025 au Royal Opera House de Londres, c’est la « cheffe » qui monte. Qu’on se le dise.      


Don Pasquale. Opéra en trois actes de Donizetti. Direction Speranza Scappucci. Mise en scène Damiano Michieletto. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris. Avec Laurent Naouri (Don Pasquale), Florian Sempey (Dottor Malatesta), Julie Fuchs (Norina), Slawomir Szychowiak (le notaire).

Palais Garnier. Les 20, 22, 25 septembre, 5, 11, 13 octobre à 19h30.
Durée du spectacle : environ 2h35     

Le spectacle lamentable de Lampedusa n’a que trop duré!

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La présidente du conseil de l'Union européenne Ursula von der Leyen et la présidente du Conseil italien Giorga Meloni, Lampedusa, 17 septembre 2023 © Cecilia Fabiano/AP/SIPA

Seule face au douloureux dossier humain de l’immigration illégale, l’Italie réclame la solidarité de ses voisins. Comment mettre fin au drame des migrants clandestins qui affluent sur nos côtes ? voilà la question que devrait se poser François Gemenne du GIEC, plutôt que d’insulter Marion Maréchal !


Quel spectacle lamentable, indigne d’un débat intellectuel censé promouvoir la tolérance des idées, que d’entendre et voir, sur le plateau de télévision d’une importante chaîne française d’information, LCI, un éminent rapporteur du GIEC, François Gemenne, également directeur de l’Observatoire Hugo (dédié aux migrations environnementales) à l’Université de Liège, se livrer sans scrupules ni vergogne, pensant contredire ainsi son adversaire politico-idéologique, à une insulte d’infâme teneur sexiste.

L’insulte sexiste à l’encontre de Marion Marechal

Car c’est bien ce à quoi cet irrespectueux politologue belge s’est adonné sans la moindre nuance, pas plus tard que ce 15 septembre, en y accusant sommairement, en guise de seul argument pour étayer son point de vue, Marion Maréchal d’avoir – je cite –  « sauté dans le premier avion pour faire sa pin-up à Lampedusa ». Aussi pitoyable qu’indigent, en plus de sa manifeste goujaterie, ce type d’invective !

A lire aussi, Aurélien Marq: Femme, Vie, Liberté!

Entendons-nous, afin de ne point prêter le flanc à je ne sais quelle autre malveillante ou absurde critique : je ne connais pas, personnellement, Marion Maréchal, ni ne l’ai même jamais rencontrée ou simplement croisée ; quant au parti, « Reconquête ! », dont elle est la vice-présidente (sous l’égide d’Éric Zemmour) et pour lequel elle conduira la liste aux prochaines élections européennes de 2024, c’est peu dire qu’il ne répond guère aux exigences de mon engagement politique, pas plus qu’il ne correspond, à bien des égards (dont celui, précisément, de l’immigration), à mes valeurs morales ou mes principes philosophiques. A fortiori, ma vision de l’humanisme ! Mais enfin : tel n’est pas, en ce cas, la question !

La solitude de l’Italie face aux lacunes de l’Europe

Car si je prends ici le risque – j’en suis conscient au vu de la malhonnêteté intellectuelle, sinon du dogmatisme sectaire, de bon nombre de nos prétendus « débatteurs », souvent férus de vaines polémiques, au sein de la plupart des médias français – de défendre, en cette tribune, Marion Maréchal lors de ce fameux déplacement sur l’île de Lampedusa, située encore plus au sud que les côtes tunisiennes, c’est qu’elle a eu objectivement raison, et c’est là un mérite non négligeable, d’y dénoncer publiquement, non sans faire preuve là d’une indéniable dose de courage, « l’hypocrisie », sinon l’inertie ou même l’indifférence, des instances européennes face à la solitude de l’Italie en ce dramatique dossier, tant sur le plan humain que social ou politique, qu’est celui  de l’immigration en provenance principalement, et massivement, d’Afrique subsaharienne.

Un cri d’alarme

Davantage : ce cri d’alarme qu’a ainsi lancé à juste titre Marion Maréchal par rapport à ce manque patent de solidarité, voire de simple compassion, de la part de l’Union Européenne face à l’Italie, ainsi livrée à elle-même et comme abandonnée de toutes parts en ce dossier particulièrement douloureux, plus encore que complexe, je le fais également mien, moi qui, bien que de culture française (par ma mère), suis aussi, par la nationalité de mon père, un citoyen italien, et donc détenteur, comme tel, d’un passeport lui-même également italien !

Car s’il est exact que j’aime passionnément la France, dont la langue comme la culture ont forgé mon esprit, sinon les lumières de ma raison, (« ma patrie, ce sont les livres » fait opportunément dire, à ce propos, la grande Marguerite Yourcenar, dans ses Mémoires d’Hadrien, à son héros littéraire), il n’en demeure pas moins vrai que l’Italie, par le sang qui coule dans mes veines, reste particulièrement chère à mon cœur.

C’est dire si je n’aime guère voir souffrir ainsi aujourd’hui, par cette solitude dans laquelle l’Europe la plonge aussi injustement depuis de longues et cruelles années, l’ancestrale patrie ou, mieux, l’historique berceau de l’humanisme le plus généreux, universaliste et éclairé tout à la fois, de Léonard de Vinci à Giordano Bruno, en passant par l’immense et érudit Pic de la Mirandole !

Un épouvantable et gigantesque cimetière marin

D’où, en guise de conclusion, cet appel que je lance, moi aussi, à l’Europe : il est de son devoir moral, tel un impératif catégorique kantien, de venir enfin en aide, sans plus attendre ni tergiverser face à l’urgence de la situation tout autant qu’à l’ampleur de cette tragédie, à l’Italie, qui, seule, ne peut plus supporter effectivement, par-delà ses admirables efforts aussi bien que sa bonne volonté en la matière, le colossal fardeau, pour certes nécessaire qu’il soit sur le plan humain, de cette entreprise titanesque qu’est celle de porter bien évidemment secours aux dizaines, sinon centaines, de milliers de désespérés qui, fuyant leur pays, la misère, la guerre, la famine ou la dictature, affluent au péril de leur vie mais quasi quotidiennement désormais, par vagues successives et pratiquement ininterrompues, au milieu de cet épouvantable et vaste cimetière marin qu’est aussi devenue malheureusement aujourd’hui, par incurie politique, égoïsme nationaliste, racisme systémique, calcul économique ou banditisme organisé, la Méditerranée !

Le réel oblige Macron à parler une langue qu’il ne maîtrise pas

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Emmanuel Macron aux côtés de Jacques Attali en 2007. ©SIPA

N’en déplaise à la Macronie, la société ouverte et consumériste n’est pas celle que désirent les gens ordinaires, attachés aux liens familiaux, locaux, traditionnels. Le paradis diversitaire exalté par le fanatisme progressiste ne fait pas rêver la France profonde.


Emmanuel Macron n’a plus les mots, tant le réel lui échappe. Dans Le Figaro Magazine du 4 août, le chef de l’État a soudainement découvert l’urgence de « faire nation », comme on fait la tambouille : un cache-misère semblable au « vivre-ensemble », terme qu’il dit pourtant « ne pas aimer ». Or, comment faire nation sous la tutelle d’un président qui défend la souveraineté européenne, le consommateur remplaçable et qui récuse l’idée de préférence nationale ? Les progressistes de l’après-guerre se pensaient malins en s’affirmant « citoyens du monde ». Ils moquaient les ploucs attachés à leur patrie, leurs traditions, leurs morts. « Pétainistes ! », « Fascistes ! » : ces injures restent celles des perroquets du mondialisme heureux. Ils accablent ceux qui persistent à se réclamer d’une continuité historique et d’une défiance face à l’immigration musulmane de masse. Macron est de cette lignée hors-sol : il a voulu opposer universalisme et nationalisme, progressisme et populisme. Il se croyait porté par un mouvement de fond appelé à en finir avec les peuples enracinés et les nostalgies de la France sentimentale. Mais c’est une réaction inverse qui partout dans le monde se confirme, avec le réveil des nations et des souverainetés. Le réel oblige Macron à parler une langue qu’il ne maîtrise pas.

Une France éclatée est vouée à disparaitre

C’est pourquoi le recentrage présidentiel sur la nation est un leurre. Sa conversion fait écho à celle, aussi peu crédible, de Jacques Attali : après avoir fait l’éloge du nomadisme et de la société sans frontières, celui-ci affirme désormais, dans un entretien à Livre noir : « Il y a clairement une demande générale de sauver l’identité française.[…] Il faut à tout prix défendre la langue française et l’enseignement de la culture française. » Mazette ! Cela fait un demi-siècle que des lanceurs d’alerte enfoncent ces clous, en se faisant étiqueter « extrême droite » par les laborantins de l’homme technique et indifférencié. C’est Macron qui, le 28 août 2018, en visite au Danemark, récitait : « Le vrai Danois n’existe pas. Il est déjà européen. C’est vrai aussi pour les Français. » Faire nation ne veut rien dire dans la bouche de celui qui dit en même temps vouloir poursuivre « une politique de peuplement » et persiste à affirmer faussement, dans le même Fig Mag : « Nous avons toujours été un pays d’immigration et nous continuerons de l’être. » La France de Macron fait nation comme une pension de famille fait famille. Relire Bossuet : « Le propre de l’unité est d’exclure. » Une France éclatée est vouée à disparaître. Rien n’arrêtera son saccage tant que ceux qui la maltraitent resteront au pouvoir.

A lire aussi : Petit manifeste pour le droit à la continuité historique

N’en déplaise à la Macronie soutenue par la classe financière et le système technocratique, une société ouverte et consumériste n’est pas celle que désirent les gens ordinaires. Ceux-ci restent attachés aux liens familiaux, locaux, traditionnels. Ils sont réceptifs au bon sens et au pragmatisme. Le paradis diversitaire chanté par le progressisme exalté ne fait pas rêver la France profonde. Elle se sait fragile et craint pour sa survie. Le même cauchemar totalitaire d’un monde technique et indifférent à l’homme, qui a imposé ses effrayantes tyrannies au XXe siècle, se redessine dans le mépris porté à l’âme des peuples. Or c’est cette part intime, rejetée par les faux « humanistes », qui devient une donnée politique nouvelle en imposant l’identité nationale comme un sujet central. Michel Auboin, ancien préfet chargé de l’intégration, confirme ce sursaut existentiel: « Une majorité de Français qui partagent la même histoire forment la majorité silencieuse d’un pays qui feint de les ignorer[1]. » C’est à ces oubliés, ces dizaines de millions de « Français de souche », voués à être remplacés par des peuples exotiques, qu’il revient de prendre la parole pour dire d’où ils viennent, qui ils sont, et surtout, où ils ne veulent pas aller. En l’occurrence, ils refusent la contre-société islamisée qui s’épanouit sous Macron.

À dire vrai, Emmanuel Macron n’est pas le seul coupable. L’indifférence portée à la nation et à son peuple est une trahison partagée par de nombreux dirigeants, à commencer par ceux de la droite. Prononcer le mot « France » leur est encore une épreuve. En janvier 2003, Alain Juppé, président de l’UMP, trouvait moderne de proposer, pour les deux peuples, la double nationalité franco-allemande, en balayant les sentiments d’appartenance. En mai 2015, les fondateurs du parti LR expliquaient pour leur part : « Nous souhaitons nous appeler Les Républicains car nous défendons avant tout l’identité républicaine », déclaration commune de Laurent Wauquiez et Nathalie Kosciusko-Morizet. Alors à l’UMP, Bruno Le Maire déclarait à la même époque : « Je me battrai contre ceux de ma famille politique qui disent que la question identitaire est prioritaire. » Tirant le bilan de son débat sur l’identité nationale lancé en 2009, Nicolas Sarkory déclarait le 7 avril 2015,devant la commission exécutive de l’UMP : « Je n’aurais pas dû parler d’identité nationale, mais dire que je voulais défendre les valeurs de la République. » L’évocation de la République et de ses valeurs est un procédé de faussaire : il sert à ne pas évoquer la France, ses états d’âme et son déclin, de peur de faire le jeu de l’« extrême droite ».

A lire aussi : Emmanuel Macron est-il jaloux de ses ministres?

L’« initiative politique d’ampleur » annoncée par le chef de l’État passera à côté du sujet si elle doit persister dans une communication brouillonne appelant à l’ « apaisement » tout en écartant de l’« arc républicain »les mouvements politiques (LFI, RN, Reconquête, etc.) qui n’ont pas l’heur de plaire à la Macronie. Le pouvoir, isolé, doit accepter d’entendre les plaintes des Français oubliés, sommés de taire leurs inquiétudes existentielles au nom de la religion dévoyée des droits de l’homme. Rien ne serait plus révoltant, de la part d’un pouvoir se réclamant de la concorde et de la non-discrimination, que de chercher à étouffer encore davantage l’« homme réel ». Il est vrai que, derrière la menterie du « faire nation », s’observe une nation qui se défait.


[1]. Le défi d’être français, Presses de la Cité, 2023.

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Antoine Dupont: trop d’engagement?

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D.R.

L’acteur Jean Dujardin et le sportif ont reproché à l’hebdomadaire Valeurs actuelles de les avoir mis en une.


Ces polémiques entre Jean Dujardin (Antoine Dupont approuvant ce dernier), et Valeurs actuelles (sa couverture sur la « France Rugby » avec les photographies des deux premiers) seraient ridicules si elles n’étaient pas révélatrices d’une idéologisation de tout… D’accord pour « la France Rugby », mais pas de récupération politique. Ce ne sont pas nos valeurs. Voilà, peu ou prou, la substance de ce que le duo oppose à l’hebdomadaire Valeurs actuelles. On pourrait penser que l’affaire est gravissime alors que ce journal se contente d’énoncer une évidence – il y a bien une France du rugby, qui sur tous les plans suscite plus l’adhésion que le monde du foot – et d’exprimer son admiration pour l’équipe de France et notamment son remarquable et exemplaire capitaine Antoine Dupont. Il y a des interventions plus critiquables ! Comment ne pas être surpris, d’abord, par l’irritation politique de Jean Dujardin qui, pourtant, a été vivement contesté pour la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde que le progressisme a qualifié de « ringarde » et de conservatrice ? Autrement dit, il impute à Valeurs Actuelles, de manière absurde, ce que lui-même s’est vu reprocher…

Antoine Dupont a tort de s’embarquer dans cette controverse

Pour Antoine Dupont, il faut que je sois clair. Il appartient, sur le plan sportif, à cette élite infiniment rare – pratiquement un duo ! – qui, quoi qu’elle puisse penser et dire, aura toujours les suffrages de la majorité des citoyens, tant elle domine et est admirée. On aura compris que l’autre membre du duo est Kylian Mbappé. Je les considère, pour ma part, comme intouchables sur le plan sportif. D’autant plus qu’Antoine Dupont, lui, n’est jamais tombé dans les délires de Mbappé, notamment au sujet de la mort de Nahel. Il me semble cependant qu’Antoine Dupont aurait pu et dû se dispenser d’une telle controverse qui brouille une image dont la grande force était d’être universelle, partagée par l’ensemble de la communauté nationale, en tout cas celle qui supporte le rugby. En effet sa réaction est susceptible de laisser croire que son sport n’aurait pas droit à un enthousiasme sans la moindre coloration politique. Ce qui serait navrant. On sait qu’Antoine Dupont a une sensibilité et des convictions de gauche. Comme citoyen, il avait déjà manifesté son opposition au projet de loi sur les retraites en signant une pétition avec d’autres sportifs. Pour ma part j’avais d’ailleurs regretté que ce formidable joueur et cette personnalité d’une discrétion remarquée se soient engagés publiquement de cette manière.

A lire aussi, Philippe David: «Tous les Français se sentent représentés par l’équipe de France de rugby»

Le doigt dans l’engrenage

Parce que, une fois le doigt et l’esprit mis dans un processus partisan, la fatalité est implacable qui va vous conduire régulièrement à donner votre avis sur des sujets importants mais pour lesquels le sportif admiré que l’on est n’a pas de légitimité particulière pour convaincre ceux qui ne pensent pas comme lui. Je dénonçais, au début de mon billet, l’idéologisation de tout. Je regrette qu’au sein d’un consensus quasi total qui résiste à quelques assauts aigres, Jean Dujardin et Antoine Dupont, pour cibler Valeurs Actuelles et se distinguer sans nécessité, aient cru bon de faire dissidence. L’hebdo a eu de la classe : « on vous aime sans savoir pour qui vous votez » ! Qu’Antoine Dupont garde son engagement pour les matchs ! La France aura besoin du demi de mêlée performant qu’il est et du capitaine exemplaire inspirant confiance à tous, partenaires et citoyens.

La princesse roumaine qui écrivait en français

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Aperçu de la couverture du livre de Aude Terrray publié chez Tallandier.

L’historienne Aude Terray retrace la vie pleine d’arabesques de la princesse Bibesco (1886-1973) au cours de ce turbulent XXème siècle.


Aujourd’hui, les figures du féminisme se conjuguent à l’impératif. Il n’y aurait qu’une seule forme de féminisme, victimaire et revanchard, où la misère sociale tiendrait toute sa place dans un processus d’émancipation. L’historienne Aude Terray nous montre une autre voie, forcément iconoclaste et inclassable, loin des bidonvilles et des terrils, dans les hautes sphères, à l’abri des fins de mois difficiles, quoique les revers de fortune et les exils furent le lot de nombreux « beautiful people » du siècle dernier. Les soubresauts politiques et les drames intimes n’épargnent pas les « bien nées ». La main de dieu ne tremble pas lorsqu’il s’agit de rééquilibrer les injustices immanentes. Il y a du courage intellectuel et une grande sincérité de consacrer une biographie aussi complète à la princesse Bibesco chez Tallandier. Dans le titre, elle lui accole deux qualificatifs « frondeuse et cosmopolite » qui résument un destin hors-norme au cœur des mondanités et des lettres françaises, à l’ombre des palais et des ambassades. Dès son avant-propos, Aude Terray avertit le lecteur : « Qui se souvient aujourd’hui que la princesse Bibesco fut un des auteurs les plus lus de sa génération ? ». En concurrence avec Colette et Anna de Noailles, cette chérie des salons et des librairies, fêtée et célébrée comme le fut, plus tard, dans les années 1950, le charmant petit monstre bondissant Sagan. Avec Marthe Bibesco, nous sommes du côté des Guermantes, dans le somptuaire et l’organdi, les propriétés de milliers d’hectares aussi étendues que des principautés, dans les fastes d’une domesticité sans limite, tout semble acquis et intangible, hypnotique et évanescent, presque irréel. Même Marcel Proust s’improvise « coach littéraire ». En se mariant à Georges, gentleman-driver et pionnier de l’aviation balbutiante, héros sur terre et dans les airs, elle noue son destin avec l’un des hommes les plus riches et les plus influents de Roumanie. Que reste-t-il de ces mondes enfouis ? La cavalcade des guerres mondiales a balayé cette race de nantis aventuriers, gaspillant leur temps avec l’énergie du désespoir, bataillant pour exister dans un milieu qui ne pardonne aucune faute d’étiquette, se tenant toujours droit et faisant fi des tourments personnels. Les plus esthètes d’entre nous se souviennent du tableau de Boldini représentant la princesse. Les autres ont vu sa photographie dans les rares magazines ou ouvrages qui citent parfois son nom. Une beauté altière et triste, un style à la garçonne, les paupières lasses et le regard sombre, une intensité qui se dissimule derrière un calme olympien, une intelligence aux aguets, presque inquiète.

Marthe Bibesco peinte par Giovanni Boldini (1911) D.R.

De cette princesse des Carpates, je me rappelais la couverture fripée et atrocement colorée des éditions de poche « J’ai lu » dans une maison de famille, puis son nom inscrit sur les Cahiers Rouges de Grasset. Son image était pour le moins floue dans mon esprit. Ses débuts dans la carrière littéraire m’étaient presque inconnus, je ne savais rien de son rôle dans une Roumanie soumise à une instabilité chronique qui tomba sous le rideau de fer après la capitulation allemande. Aude Terray, par un remarquable travail d’enquête, a suivi les traces de cette princesse en Roumanie, à Londres et dans le Paris flamboyant de la Belle Époque, et a permis d’y voir plus clair, notamment ses interventions en faveur de la communauté juive dans son pays. C’est prodigieux de précision, jamais ennuyeux, avec le ton approprié. Car, Aude Terray n’occulte rien, elle décrit fidèlement un parcours, ne tombant ni dans la caricature, ni dans l’hagiographie. On pourrait aisément faire un portrait à charge, un peu pathétique et facile, d’une fille mal aimée par sa mère qui deviendra elle-même une mère si peu affectueuse et pourtant libératrice. L’auteur réussit à se placer à bonne distance, elle aime son héroïne sans la faire passer pour une victime ou une « sans cœur ». Elle lui redonne par son écriture sans graisse, une profondeur oubliée, un éclat vibrant. De ses amours contrariées avec Georges et Henry de Jouvenel, elle écrit : « La jeune femme semble fuir l’amour autant qu’elle le recherche. Comme si elle craignait de se perdre, de décevoir, d’être déçue ». L’historienne n’est pas dupe de ces succès : « certes, elle est un des auteurs à succès des années 1920, une des rares de sa génération à signer des contrats, mais ses rentrées d’argent sont loin de suffire à son train de vie, celui d’une femme de grand luxe qui ne saurait se passer de ses architectes et décorateurs, de ses jardiniers et de ses milliers de bulbes de fleurs annuels, de ses multiples robes et chapeaux, de ses coiffeurs et masseurs, de ses voyages, voitures et chauffeurs, de ses réceptions et bataillons de domestiques ». Les dernières pages sur les amitiés indéfectibles, les soutiens qui résistent quand le vent de l’Histoire a tourné, sa passion pour le « Grand Charles » et Churchill sont poignantes. En refermant cette biographie de belle allure, on a envie de lire cette princesse et de rencontrer enfin son style.

La princesse Bibesco – Frondeuse et cosmopolite – de Aude Terray – Tallandier

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Le Spleen du Berry

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Thomas Morales. D.R

Thomas Morales a la France sentimentale. Non sans humour, notre chroniqueur aime se remémorer le « bon vieux temps ». Avec Monsieur Nostalgie (Héliopoles, 2023), son nouveau livre, on explore son panthéon personnel.


Qu’une grande actrice oubliée passe l’arme à gauche, qu’un ancien président de la République ou notre Johnny national cassent leur pipe, et l’auteur de ces lignes sait pouvoir compter sur Thomas Morales. Le chroniqueur berrichon est le roi de la nécrologie. Quand Causeur cherche en urgence un texte sur une figure publique disparue, l’écrivain répond dans l’heure avec un papier susceptible de rendre jaloux les autres journaux : c’est souvent le mieux troussé de toute la presse. Chaque dimanche après-midi, Thomas Morales offre également une chronique aux lecteurs de notre site. Le quasi-quinquagénaire publie ces temps-ci son nouveau recueil de textes. Inlassablement, il continue de labourer le sillon de la nostalgie. Par goût et par conviction, précise-t-il. Cela lui ferait grand plaisir, confie-t-il, que nous l’appelions « Monsieur Nostalgie », une fois son livre fermé. Il y explore tour à tour la langue française, les brocantes, la télévision ou le cinéma, et évoque aussi la province ou Paris. C’est une lecture réconfortante, alors que se profile à l’horizon un automne déprimant pour beaucoup de monde. C’est un précis de nostalgie que l’écrivain veut inclassable et, il l’espère, divertissant. Mission accomplie ! Thomas Morales retravaille inlassablement ses textes, telle la plus précieuse des verroteries. L’exercice commence par une évocation d’Audiard et se referme sur… Philippe Lavil. Morales fustige les mauvais coucheurs de notre époque et estime qu’il n’y a pas de mauvais goût. Au fil des pages, nous croisons Simenon, Sempé, Vialatte, Serge Lama, Lucien Bodard, Roland Topor, Bernard Blier, Romy Schneider, Lino Ventura, Jacques Chirac ou Félix Potin. Et bien d’autres.

A lire aussi : Rugby, charcuterie et Puy du Fou… Vive la France !

Les emmerdes volent en escadrille, disait Chichi. Les évocations de Morales s’enchaînent aussi, sans aucun ennui, notamment parce que ce n’est pas de la littérature « engagée ». Cela fait un bien fou. Tenons-nous à l’écart de la rentrée littéraire, et à bonne distance de toutes ces nouveautés woke et anti-woke qui ne manquent pas de s’accumuler sur les étals des libraires. Le lauréat du premier prix Denis Tillinac et membre du jury du prix des Hussards préfère s’épanouir avec les vieilleries, et nous ouvre sa malle à souvenirs. « Je suis né trop tard, à une époque où déjà les auteurs racontaient des histoires comme on élabore un plan com’ pour un sous-secrétaire d’État insignifiant », confesse l’écrivain qui, comme beaucoup de Français, se sent un peu perdu dans la mondialisation. Pas une littérature engagée, disions-nous ? C’est à voir. Des bords de sa Loire natale, où il dit souffrir du syndrome de la sous-préfecture abandonnée, notre ami assure qu’il n’est pas réactionnaire, mais nous met tout de même en garde : « La nostalgie n’est pas encore un crime. Elle le deviendra, soyez-en sûr, au train où la modernité avance et gangrène nos existences. » On ne sait plus alors si Monsieur Nostalgie veut encore nous amuser, ou s’il n’est pas tout à coup nettement plus sérieux.

Thomas Morales, Monsieur Nostalgie, Héliopoles, 2023.

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Dénigrement d’État

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Olivier Klein, ici photographié en juillet 2023, a été recasé à la Dilcrah © Alexis Jumeau/SIPA

Il a pris officiellement ses fonctions le 1er septembre. Son titre : « Délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine envers les personnes lesbiennes, gays et trans ». Tout un programme!


Monsieur le délégué interministériel a été, préalablement et pour assez peu de temps, ministre délégué chargé de la Ville et du Logement dans un des gouvernements Borne. Ne donnant pas les signes de devoir laisser là une marque indélébile, on le débarqua en effet bientôt. Et comme il est de bonne pratique de recaser au mieux les recalés du sérail, on lui a donc déniché ce lot de consolation.

Pap Ndiaye, prix César des lycéens, Paris, 7 avril 2023 JP PARIENTE/SIPA

Vieille coutume de nos Républiques, nul ne l’ignore. C’est ainsi que Monsieur Pap Ndiaye, ci-devant ministre de l’Éducation nationale, a vu son extrême compétence récompensée d’une sinécure dorée, un très utile job d’Ambassadeur auprès du Parlement européen, plus particulièrement orienté « défense et illustration » du catéchisme droit de l’hommisme, cela va de soi. Félicitations, donc, à son excellence tout juste intronisée. Congratulations aussi à Monsieur le délégué interministériel, évidemment. Saluons à travers lui la trouvaille remarquable qu’est la création d’un tel poste, si élevé et si enviable de quasi-ministre, assorti d’une telle mission. Précisons-la de nouveau, on ne s’en lasse pas : lutter contre le racisme, l’antisémitisme et la haine envers les personnes lesbiennes, gays et trans. Il était urgent, n’est-ce pas, de s’attaquer au désastre que génère tant et tant de haine portée par tant et tant de hordes nazifiées lâchées à travers le pays, d’endiguer les fleuves de sang que des phalanges racistes hystérisées jusqu’aux os, armées jusqu’aux dents, font couler chaque jour et chaque nuit partout, des plus grandes villes aux bourgades les plus reculées. Réponse d’aussi grande nécessité et urgence, il était tout aussi impérieux, apparemment, de s’employer à éteindre les flammes lucifériennes qui sortent des naseaux et des yeux de tout bon Français moyen à la vue de la moindre personne « lesbienne, gay ou trans ». Ainsi, nous vivrions une espèce de Saint-Barthélemy permanente, d’une férocité proprement inouïe. (Apparemment, notre homme n’est pas en charge de veiller à ce que de paisibles octogénaires ne se fassent plus tabasser et massacrer par des barbares de rencontre dans la pleine vigueur de leur âge mais qui n’ont pas eu encore le loisir de saisir que ces comportements ne sont pas en phase avec les us et coutumes d’ici. Ces sauvageons-cogneurs seraient donc excusables. C’est du moins ce qu’on entend plaider -et qu’on voit juger – dans certains prétoires. Comme on feint de ne pas voir ces horreurs devenues ordinaires, on se garde bien de toute initiative d’État qui ne ferait que les rendre (trop) visibles.)

A lire aussi: Profil des émeutiers: le rapport qui confirme ce que tout le monde a vu

Une question se pose : quelle image un pays a-t-il de lui-même quand il s’aventure à institutionnaliser ses supposées perversions, haines et bassesses, à les promouvoir plus ou moins au rang de caractéristiques, de spécificités nationales ? Quel résultat attend-il lorsqu’il va jusqu’à distiller parmi ses populations un tel venin de culpabilisation ? Quelle obscure jubilation puise-t-il à tresser lui-même, si complaisamment, les verges pour se faire fouetter ? Quelle image donne-t-il de lui de par le monde ? Enfin, de quelle fascination morbide pour le repentir masochiste cette nouvelle trouvaille est-elle le nom ?

En vérité, nous sommes bel et bien devant une forme de dénigrement d’État. L’État ou plus précisément la douteuse élite dont il se nourrit et qu’il nourrit, cette engeance qui ne cesse de geindre et de pleurer sur l’échec permanent de l’assimilation, de l’intégration. Mais qui donc peut avoir envie d’adhérer à cette société-là, de se fondre dans une communauté humaine dont la tête pensante n’hésite pas à la présenter, à la revendiquer comme gangrenée en profondeur de maux et de tares de ce calibre ? Certes, il est nécessaire et juste de lutter contre les haines, toutes les haines, ce n’est pas douteux. Ces haines qui ne sont en fait qu’un avilissement de l’esprit, tant chez l’individu que chez les peuples. Mais il existe probablement d’autres voies, d’autres stratégies. Quoi qu’il en soit, l’État devrait aussi – et sans doute avant tout – affirmer, encourager, honorer encore et encore les vertus, les talents du pays et de ses citoyens. Dès lors émerge une autre question: à quand un quasi-ministre en charge de faire aimer la France ?

Une épopée francaise: Quand la France était la France

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Femme, Vie, Liberté!

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Il y a un an, trois jours après avoir été arrêtée et battue par la police des mœurs islamique, l’Iranienne Mahsa Amini est morte.


Mahsa Amini est morte il y a un an, jour pour jour, assassinée par la théocratie totalitaire des mollahs. Parce que la police des mœurs avait estimé qu’elle ne portait pas correctement son hijab. Depuis, des hommes et des femmes se dressent en Iran contre la dictature religieuse islamique. Leur geste : arracher ce voile qui symbolise l’oppression. Leur cri : femme, vie, liberté !

Des policiers répriment des manifestants à Téhéran, 19 septembre 2022 © AFP

Le régime va jusqu’à empoisonner les écolières

Plusieurs l’ont payé de leur vie, certains lorsque la police du régime a ouvert le feu sur des manifestants, d’autres sommairement exécutés ou victimes « d’accidents ». Il y aurait eu, depuis un an, des dizaines de milliers d’arrestations et des centaines de morts. On parle de milliers de cas d’empoisonnement dans des établissements scolaires pour empêcher les élèves d’organiser des manifestations. Arrêtées, des jeunes filles ont été emprisonnées, torturées, abusées au nom d’Allah. On dit que conformément à une fatwa de l’ayatollah Khomeini, plusieurs condamnées à mort ont été violées avant d’être tuées parce qu’elles étaient vierges et qu’il fallait les priver de leur « pureté » pour les empêcher d’aller au paradis. On aimerait croire que c’est faux, que même les maîtres de Téhéran ne se prosterneraient pas devant une divinité assez malveillante et perverse pour condamner une innocente à l’enfer parce qu’elle a été violée. Mais hélas ! L’accusation semble fondée, et les témoignages de prisonnières victimes d’abus sexuels répétés ne cessent de s’accumuler. Le peuple qui vénérait jadis Ahura Mazda est sous la coupe des adorateurs d’Ahriman.

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L’Occident proteste du bout des lèvres, trop occupé sans doute à endoctriner ses propres peuples en leur disant que « la liberté est dans le hijab » ou à s’extasier devant la beauté d’une « féministe voilée » pour soutenir efficacement une révolte qui, pourtant, mériterait tout l’appui que nous pourrions lui apporter. Et les héritiers spirituels de ceux qui ont jadis applaudi l’instauration de la république islamique continuent à pontifier leurs leçons de morale.

Le vrai courage

Le monde musulman se taît, trop occupé sans doute à hurler contre des caricatures pour s’inquiéter des abominations commises au nom de son dieu – il faut croire qu’il accorde une grande valeur à la susceptibilité d’Allah, mais aucune valeur à la dignité humaine. À moins que l’Oumma considère qu’Allah ne désapprouve pas vraiment ce que le régime de Téhéran fait en son nom ? L’Arabie Saoudite courtisée par la France et l’Iran des mollahs améliorent même leurs relations, au nom de la « solidarité islamique » et de « l’unité du monde musulman »…. Et on entend beaucoup plus les communautés et associations musulmanes présentes en Europe protester contre l’interdiction de l’abaya que contre la torture des femmes qui refusent le hijab.

Demeure le courage incroyable de ces Iraniennes et de ces Iraniens – car la révolte, n’en déplaise à certaines visions simplistes, rassemble les deux sexes, tout comme le fanatisme du régime. Les risques qu’ils prennent sont terrifiants, et pourtant ils les prennent. Leur soif de liberté est éclatante. Il y a des appels à la résistance lancés depuis les prisons. Des cris qui résonnent, se répondent et s’amplifient de fenêtre en fenêtre jusqu’à atteindre d’irrépressibles clameurs. Des gestes de défi d’une profonde dignité. La révolte n’a pas encore gagné, il lui reste bien des combats à mener, mais les mollahs ont déjà perdu : malgré des décennies de propagande et de répression, ils ne sont pas parvenus à détruire l’âme du peuple iranien.

J’irai revoir ma Normandie esclavagiste

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Le musée Eugène Boudin à Honfleur. © D.R

Aucune raison que la Normandie échappe à la contrition mémorielle ! Étalée sur trois sites, à Rouen, au Havre et à Honfleur, l’exposition « Esclavage, mémoires normandes » rappelle avec moult détails le (bref) passé esclavagiste de la région. De quoi oublier la guerre de Cent Ans et les marines de Boudin.


Ceux pour qui l’histoire de la Normandie entremêle encore bien naïvement des images de vigoureux Vikings, de ducs intrépides et de batailles décisives contre l’Allemagne nazie pourront réviser leur copie jusqu’au 10 novembre grâce à l’exposition sobrement intitulée « Esclavage, mémoires normandes ». Une exposition reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture et qui bénéficie, à ce titre, d’un soutien financier exceptionnel de l’État ainsi que du soutien intellectuel et moral –moins exceptionnel – de tout ce que notre pays compte de professionnels de la repentance collective.


Implanté sur trois sites – Rouen, Le Havre et Honfleur – ce triptyque culturel programmatique du bon vivre-ensemble à la française invite à regarder la Normandie et les Normands (sic) à travers leur implication dans la traite atlantique et l’esclavage entre 1750 et 1848. La tapisserie de Bayeux et son épopée de quelque 70 mètres de lin brodé de fils de laine, merveilleusement modernisée par le peintre David Hockney en une fresque-hommage à sa région de cœur (A Year in Normandy, 2021), est appelée à faire pâle figure à côté de la tragédie humaine qui s’est jouée au XVIIIe siècle dans les balles de coton brut débarquées des colonies de Saint-Domingue, de la Guadeloupe et de la Martinique.

La traite normande

Nous sont présentés les ports négriers de Rouen, du Havre et de Honfleur, le rhizome capitaliste de la traite rouennaise, la présence normande en Afrique pour le commerce des esclaves, le nombre de bateaux, le nombre de voyages de ces navires (136 depuis Honfleur au plus fort du pic négrier, soit un total de 37 323 esclaves embarqués sur les côtes d’Afrique et destinés à être vendus dans les Caraïbes), les conditions de vie des esclaves à bord, l’air suffoquant, les maladies, les filets de protection dont on ceignait les entreponts pour éviter les suicides, etc. L’heure n’est plus aux épopées ni aux images d’Épinal, mais aux actes de contrition grandiloquents et au chapitrage mémoriel en bonne et due forme : les descendants de Guillaume le Conquérant et de Richard Cœur de Lion ont été de tristes négriers prêts à tout pour jouir des retombées économiques du « roi coton » autour d’une tasse de café. Qu’on se le dise.

Rien de mieux pour nous le dire, d’ailleurs, que les textes préliminaires au catalogue de l’exposition signés par ces nouveaux Bernardin de Saint-Pierre que sont les préfets, maires et responsables culturels de la région Normandie, qui, de « tache indélébile sur notre histoire de France » en « éclairage inédit qu’offre l’exposition » sur cette période « sombre » de nos aventures collectives, se prêtent avec un zèle inégalé à l’autocritique (« notre ville contribua activement à ce crime contre l’humanité », Édouard Philippe) tout en sermonnant le visiteur à coups d’expressions labellisées mens sana : société de consommation, racisme, ségrégation, discrimination, chemin de résilience collective, être sincère avec son passé, avenir commun, générations futures…

Panorama de la ville de Honfleur, de l’église Saint Léonard à l’extrémité du Cordon Royal, xviiie siècle. © Illustria

Cette véhémence à condamner l’esclavage (en Occident) dont personne (toujours en Occident) ne minimise aujourd’hui l’horreur ni ne condamne l’abjection met mal à l’aise. Elle rappelle l’entêtement des enfants à revendiquer haut et fort la bonté des bons et la méchanceté des méchants, dans un monde qu’ils souhaitent réparti à parts égales des deux côtés de la ligne médiane de la morale. Autant de pensée et de philosophie, autant d’épreuves collectives douloureusement consenties par le passé pour en arriver à ces naïvetés de confessionnal et au sabir de quelque obscur maître de conférences nommé commissaire scientifique de l’exposition :« Au rôle négatif sur le plan mémoriel dû à l’absence de support matériel dans le plus grand port de traite normand, il s’est ajouté pour cette traite celui de la mise en place tardive de lieux de production des savoirs destinés à enrichir les connaissances et la mémoire autour de la traite et de l’esclavage » (Éric Saunier). Que nous est-il arrivé ? Les grandes tragédies du XXe siècle suffisent-elles encore à expliquer ce besoin de muséifier à tout-va le combat contre le Mal dans une langue de surcroît enlaidie, charabiesque et comme vidée de son sens ?

Rien de plus absurde donc que de réunir, dans un même musée, celui qui cherchait à rendre les simples beautés de nature et ceux qui cherchent à exposer de façon simpliste et obscène les grandes laideurs de l’histoire

Que nous est-il arrivé, en effet, pour que le lieu choisi à Honfleur pour l’un des trois volets de cette exposition sur l’esclavage soit le Musée Eugène-Boudin, rue de l’Homme-de-Bois, un musée de peinture créé en 1868, enrichi à l’origine par des artistes ou amateurs honfleurais de naissance ou de cœur et qui porte le nom de celui qui l’a doté, de son vivant, du legs le plus prestigieux ? Ce musée est un hymne à la Côte de Grâce et à la campagne normande. Les vues d’Honfleur, de son port, de ses plages, de la place Sainte-Catherine, de son marché aux poissons côtoient les pommiers et les champs de blé environnants. Eugène Boudin (1824-1898), fils de marin et père des impressionnistes, célèbre pour ses « prodigieuses magies de l’air et de l’eau » et ses « beautés météorologiques » (Charles Baudelaire), a couru le motif et le cachet, obsédé par le caractère fugitif de la lumière et l’accent vrai de la mer qu’il dépouille de ses drames romantiques.

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Eugène Boudin est le peintre normand des nuages, du gris flou d’un ciel maussade et de tous les gris des ports, des fichus blancs éblouissants des pêcheuses de Berck, des taches de couleur que font les bourgeois parisiens à bavarder sur la plage de Trouville, du frémissement des voiles des bateaux de pêcheur gorgées de cette lumière éclatante et passagère qui colore la brise marine. Volontiers moqueur de cette bourgeoisie normande enrichie par le commerce colonial « qui [a] balle de coton et sac de guano enrichi d’un cabrouet sur champ d’azur » (Carnets), il n’a aucune tendresse de classe pour les plus humbles qui n’ont besoin, selon lui, que de ronflant et de gros sel. C’est donc dans le musée de ce peintre qui aura passé sa vie à courir après les bateaux et à suivre les nuages le pinceau à la main, à butiner par-ci, par-là quelques bouts de ciel et de marines, que l’on expose aujourd’hui la maquette d’un brick utilisé pour la traite atlantique et que résonnent des enregistrements de voix d’enfants lisant des textes relatifs à la traite négrière française. Chroniqueur des différents états du ciel, comme le nomme joliment Laurent Manœuvre dans son Petit dictionnaire autobiographique de Boudin (Belin, 2014), ce grand peintre n’a été historien que des formations d’alluvion, comme le notait déjà en 1883 le critique d’art Gustave Geffroy. Rien de plus absurde donc que de réunir, dans un même musée, celui qui cherchait à rendre les simples beautés de nature et ceux qui cherchent à exposer de façon simpliste et obscène les grandes laideurs de l’histoire.

C’est pourtant la mode aujourd’hui : phagocyter des structures ou des établissements qui ont pignon sur Patrimoine, dépouiller un lieu de sa fonction et de son sens originels, dé-cis-identifier les espaces (eux aussi ont droit à la sacro-sainte fluidité). Des églises sont réhabilitées en ateliers pour artisans d’art. Des escape game sont organisés par la région Normandie au sein de l’Abbaye aux Dames. À la veille du 80e anniversaire du Débarquement, le Mémorial de Caen accueille des expositions telles que « Années pop, années choc ». L’une des plages de ce débarquement (Ouistreham) accueille un jour l’hommage présidentiel à la « simplicité bienveillante »(sic) de Léon Gautier, dernier héros français des commandos Kieffer, et le jour suivant une séance de réveil musculaire ouverte à tous les âges (dégoulinante, c’est à souhaiter, de cette même « simplicité bienveillante »). Quoi de plus normal, dès lors, que de faire temporairement d’un musée de peintures de paysage un lieu de mémoire de l’esclavage ? Après tout, notre époque est aussi l’héritière d’une grande tradition baroque, travaillée par le jeu des apparences et des vérités, de l’enveloppe et du cœur du réel. Ne revenons en tous les cas au Musée Eugène-Boudin qu’après le 10 novembre, une fois terminé le commerce triangulaire de la repentance subventionnée entre Rouen, Le Havre et Honfleur. Le baroque post-moderne a des limites.


À voir (ou pas)

« Esclavage, mémoires normandes », Musée Eugène-Boudin, Honfleur, jusqu’au 10 novembre. Esclavage-mémoires-normandes.fr

Désir, meurtre et damnation

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Don Giovanni 2023 / 2024 © Bernd Uhlig / Opéra national de Paris

Opéra des opéras, l’ultime chef-d’œuvre lyrique de Mozart, créé à Prague en 1787 puis à Vienne l’année suivante sur un livret du fameux Lorenzo Da Ponte (également librettiste des Noces de Figaro et de Cosi fan tutte), ne quitte pas bien longtemps le plateau, de nos jours : l’immortel dramma giocoso figurait déjà au programme de l’Opéra Bastille en 2022, dans une régie signée du Belge Ivo van Hove, reprise d’une production millésimée 2019. Cette fois, Don Giovanni nous revient dans la mémorable mise en scène de Claus Guth, créée dans le cadre du festival de Salzbourg en… 2007. Entre temps, la scène parisienne, on s’en souvient, avait encore accueilli un autre Don Giovanni sous les auspices du cinéaste Michael Haneke, mise en scène décapante datée de cette même année 2007, reprise à la Bastille par deux fois (en 2012 puis en 2015), ranimant toujours la même controverse suscitée par la franche radicalité de sa transposition d’ « Il dissoluto punito » («  le dissolu puni » –  titre original) :  notre Don Juan, PDG d’une méga entreprise qui a son siège dans un décor de tours de bureaux high tech, y terminait défenestré par les membres de l’équipe de nettoyage dont Zerlina et Masetto étaient les membres en révolte. L’enfer du capitalisme vous fait tomber de trente étages : qui en réchapperait ?

Qu’on l’apprécie ou pas, le parti pris de Haneke rend un Don Giovanni éminemment daté. Par contraste, l’esthétique de Claus Guth, au bout de quinze ans, n’a pas pris une ride. C’est même peu dire : cette futaie germanique de hauts sapins, à la facture hyperréaliste, tournant sur un plateau mobile sous une clarté lunaire, visuellement magnifique avec ses ombres noires qui se déplacent, ses troncs d’arbres décimés sur le tuf moussu d’une forêt, compose un décor habité d’une poésie intemporelle, tout grevé qu’il soit d’éléments contemporains (guérite ou abribus en tôle, automobile vintage phares allumés, canettes de bière, lampes de poche…). Leporello (le baryton-basse italien Alex Esposito), en débardeur, bras tatoué, y a les traits d’un populo roublard, complice de son maître mal sapé, blessé, au bout du rouleau…  Dans l’âge actuel des incendies dévastateurs, cette atmosphère se charge d’une teinte prémonitoire. Même si, au célèbre dénouement de l’opéra, ce n’est pas ici le feu qui embrase le plateau tandis que le Commandeur, fossoyeur muni d’une pelle, exige : « Pentiti, scellerato ! (repens-toi, scélérat) », mais un très léger voile de petits flocons blancs –  presque une buée, au bout de la nuit noire qui emplit les deux actes de l’opéra.

Gaëlle Arquez, poignante et sublime Elvira © Julien Benhamou

Au soir de la première, sous la baguette du Turinois Antonello Manacorda (lequel dirigeait déjà La Flûte enchantée l’an passé à la Bastille), la distribution a magnifié comme jamais ce chef-d’œuvre d’entre les chefs-d’œuvre. Miraculeux Peter Mattei, baryton suédois au timbre toujours admirablement clair (c’est déjà lui qui incarnait le rôle-titre dans la production de Haneke en 2007, et dans ses reprises successives) ! Excellente Adela Saharia, soprano roumaine qui campait déjà Donna Anna l’an passé. Mais surtout, aux côtés du ténor américain Ben Bliss qui fait son entrée à l’Opéra de Paris sous les traits de Don Ottavio (en alternance avec Cyrille Dubois), la jeune mezzo-soprano Gaëlle Arquez, poignante et sublime Elvira. Moins convaincante, la soprano chinoise Ying Fang alternera dans le rôle de Zerlina avec la mezzo-soprano française Marine Chagnon.

Descente aux enfers empreinte de morbidité romantique avant la lettre, drame émaillé de viols larvés, s’ouvrant sur le meurtre d’un père pour s’achever par la damnation d’un séducteur agonisant, Don Giovanni a la fraîcheur du désir, le goût la chair délectable, d’odeur de la flétrissure et de la mort. Cette ambiguïté mozartienne nous est merveilleusement restituée. Par sa beauté, le spectacle a la dimension d’un classique. Paris a de la chance.    


Don Giovanni. Opéra de Wolfgang Amadeus Mozart. Direction Antonello Manacorda/ Giancarlo Rizzi. Mise en scène Claus Guth. Orchestre et chœurs de l’opéra de Paris. Avec Peter Mattei/ Kyle Ketelsen (Don Giovanni), Adela Zaharia/ Julian Kleiter (Donna Anna), Ben Bliss/ Cyril Dubois (Don Oattavio), John Relyea (Il Commendatore), Gaëlle Arquez/ Tara Errgaught (Donna Elvira), Alex Esposito/ Bogdan Talos (Leporello), Guilhelm Worms (Masetto), Ying Fang/ Marine Chagnon (Zerlina).

Opéra Bastille, les 16, 19, 21, 26, 29 septembre et 3, 4, 6, 7, 9, 12 octobre 2023 à 19h30. Le 1er octobre à 14h30. Durée du spectacle : 3h20 environ.