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La défaillance de la nation

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La nation française se divise et se morcelle sous nos yeux. Les professeurs qui sont en première ligne en sont les premières victimes. L’un d’eux sonne l’alarme.


L’attentat commis contre Dominique Bernard, professeur de lettres au collège-lycée Gambetta-Carnot d’Arras, nous a presque tous cruellement touchés.

Je dis « presque » tous, car la nation française est loin d’être unie dans la douleur. Le plus triste, c’est qu’il ne faudrait même pas en être surpris : la disparition de l’unité nationale est aussi, trop souvent, la cause première des attentats qui nous ébranlent.

Rancœurs silencieuses

M’accuserait-on de pessimisme ? Le réel plaide en ma faveur : plus de 350 incidents recensés lors de la minute de silence organisée dans les écoles en hommage au professeur. Mesure ô combien symbolique, rassembleuse, émouvante ! – qu’il est proprement insupportable de voir bafouée par les haïsseurs de la patrie. Et l’on ne compte plus les commentaires injurieux sur les réseaux sociaux contre une victime devenue héros dans son sacrifice, ni les rancœurs silencieuses que l’on préfère ignorer pudiquement, par effroi de la vérité.

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Ce n’est pas tout de s’indigner, il faudrait peut-être agir. Et pas seulement par « l’exclusion » de 68 élèves (!), comme l’a proposé le ministre de l’Éducation nationale, mais par des sanctions exemplaires. Ce traitement inconséquent des soutiens, même passifs, à des entreprises terroristes est indigne, et démontre bien à quel point le mot de « nation » est désormais descendu. On rappellera, à tout hasard, que le fait d’entretenir des intelligences avec une organisation étrangère « en vue de susciter des hostilités ou des actes d’agression contre la France » est puni de trente ans de détention et de 450 000 euros d’amende (art. 411-4 du code pénal). La suscitation d’une « intelligence », d’une « hostilité », d’une « agression » même, c’est pourtant bien, il me semble, à quoi ressemblent les « incidents » constatés dans les écoles : on parle pour certains lycéens de menaces de mort contre les enseignants ! – « T’es le prochain », disent-ils. Chahuter dans ces circonstances atroces une minute de silence, c’est grave. Hélas ! pour ce genre d’élève qui bouscule l’hommage à la victime d’un attentat fanatique, une exclusion, c’est certainement une bonne nouvelle. L’État est encore une fois défaillant.

Fracture culturelle

Donc, s’indignera-t-on chaque année inutilement ? En 2021, déjà, une centaine d’incidents avaient été dénombrés lors des hommages à Samuel Paty. Combien y en aura-t-il en 2024, en 2025, lors de nouveaux hommages à de nouveaux professeurs assassinés, à Reims, à Lille ou peut-être Toulouse ? De plus en plus, à n’en pas douter.

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Si l’exécutif voulait nous protéger efficacement, ce qui devrait être son premier vœu, puisque c’est son rôle premier, il prendrait des mesures nationalistes, par exemple une limitation drastique de l’immigration. L’importation du conflit israélo-palestinien sur notre territoire a révélé à quel point sont chez nous profondes, irréconciliables et nombreuses les fractures culturelles. Mais la nation, on aime mieux décidément la faire disparaître ; alors l’Intérieur, malgré tous ses beaux discours, préfère installer des portiques de sécurité aux entrées des écoles, quand c’est devant la France entière qu’il faudrait mettre des barrières, et poursuivre en justice tous ceux qui ne vont pas dans son sens. Quel est l’intérêt de saisir la justice contre Danièle Obono ? Le ministre la croit-il sincèrement délinquante ? Mais il devrait l’écouter, plutôt, et avec attention : car n’en déplaise, elle est la porte-parole d’une proportion de la population qui ne cesse d’augmenter, et qui deviendra majoritaire si rien n’est fait.

Gérald Darmanin peut bien taper des poings sur la table. En 2022 (chiffres du ministère de l’Intérieur), 320 330 premiers titres de séjour ont été délivrés, rien que ça. Et je ne reviendrai pas sur l’historique de l’assassin de Dominique Bernard, affligeant, comme toujours.

Prenez donc des mesures d’urgence, Monsieur le ministre ; faites des hommages, tenez des discours de fermeté. Et « en même temps » habituez-vous, comme nous tous, à entendre crier « Allah Akbar » sur la place de la République : ce sera votre bilan.

Fachos, mais pas trop

À Rennes, le groupe d’extrême droite l’Oriflamme a revendiqué avoir dégradé l’entrée du local du Parti communiste dimanche dernier, en réaction à la mort de Dominique Bernard. Le bourgeois breton, qui estime que rien n’est plus sacré que le droit des réfugiés tchétchènes à demeurer en France, est très choqué. Qui sont ces affreux du groupe l’Oriflamme, et quel est leur message ?


Lundi matin, c’est ce gros titre qu’ont découvert les Rennais sur le petit chevalet bleu et jaune Ouest-France qui s’expose devant les marchands de journaux et les supérettes : « PCF : les locaux vandalisés ». Il fallait s’aventurer dans les colonnes du quotidien, pour en savoir plus.

On apprenait alors qu’un groupuscule d’extrême droite dénommé l’Oriflamme avait vandalisé la veille le local du parti des 70 000 fusillés. L’action a été elle-même revendiquée par la formation sur son compte Twitter. « Traîtres à la France, communistes assassins », pouvait-on lire sur des imprimés collés sur le portail, sur lequel de la peinture rouge avait été également apposée. « L’entrée du local du PCF a été décorée en scène de crime car les politiques défendues par les gauchistes (et notamment les communistes) tuent des Français, nous explique un militant. Il convient donc de le montrer aux Français, plus que jamais. Leur cosmopolitisme les mène à défendre des islamistes qui finissent par tuer des Français. Ce sont des traîtres. »

Un communiqué du PC rennais embarrassant

L’Oriflamme a voulu réagir à sa façon à la brulante actualité nationale, et reproche au PCF local de s’être mobilisé ,en 2014, aux côtés du MRAP et de la Cimade, contre l’expulsion de la famille de Mohammed Mogouchkov, le terroriste islamiste d’Arras. La mobilisation avait alors permis le réexamen du dossier par le ministère de l’Intérieur, qui avait fini par annuler l’expulsion. Le jeune homme originaire d’Ingouchie s’est désormais fait connaitre de tous comme l’auteur de la terrible attaque au couteau qui a coûté la vie à Dominique Bernard, enterré hier. À l’époque, la famille était hébergée à la Guerche-de-Bretagne, dans l’Est de Ille-et-Vilaine, et venait d’être déboutée du droit d’asile. Michèle Fougeron, alors présidente du MRAP, s’était émue : « Comment oser reprocher à ces parents de n’avoir pas de ressources, quand la préfecture a refusé, voici deux ans, une autorisation au père qui avait une promesse d’embauche ? » Puis, le père, Kiadi Mougouchkov, a lui été expulsé vers la Russie, en 2018, en raison de problèmes administratifs et de soupçons de violences conjugales.

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À Rennes, la gauche, qui domine nettement le paysage politique et intellectuel, est scandalisée. Aurélien Guillot, secrétaire fédéral du PCF en Ille-et-Vilaine, a annoncé qu’il portait plainte. Une menace qui n’inquiète pas outre mesure notre militant : « Il n’y aucun risque judiciaire car la permanence n’a pas été dégradée et nous ne sommes pas rentrés dans les locaux par effraction ; nous n’y sommes pas du tout rentrés ». La maire de la ville, Nathalie Appéré (PS), a exprimé son soutien aux camarades. Et la section locale du PCF estime que puisque Mohammed Mougouchkov n’avait que onze ans au moment de la mobilisation contre son expulsion, rien ne pouvait présager qu’il pourrait un jour commettre un tel acte terroriste. Reste que le communiqué de presse de 2014 en soutien à la famille a depuis ce week-end disparu du site web de la section rennaise du PCF…

Terre hostile

Mais qu’est-ce donc que l’Oriflamme ? Dans une capitale bretonne où Marine Le Pen n’a fait que 15% des voix au deuxième tour de la présidentielle 2022, le groupuscule tente de diffuser des thèmes très droitiers en terrain très hostile.

On les voit, sur certaines photographies, avec des croix celtiques, symbole utilisé par divers mouvements d’ultra-droite européens. « En réalité, c’est le logo d’une marque de vêtements, European Brotherhood », assure notre contact, une marque connue dans tous les mouvements européens d’extrême droite. Notre militant rectifie : « Nous disposons d’un drapeau mi-fleur de lys mi-croix celtique. Il représente la nation et la civilisation, la France et l’Europe. Et puis, de toute façon, si nous voulions être ironiques, nous dirions que la croix celtique a toute sa place en Bretagne car elle rappelle ses racines celtes ». Il est vrai que l’on croise ce symbole dans de nombreux cimetières bretons. Au départ, les jeunes gens de l’Oriflamme constituaient la cellule locale de l’Action française avant de se séparer du vieux mouvement maurrassien. « Il s’agissait pour les militants de recouvrer une certaine liberté, aussi bien de mouvements que de pensée, sans subir le joug d’une bureaucratie parisienne déconnectée et, à l’usure, néfaste et décourageante ». Le groupuscule rennais dégage désormais un style moins royaliste que fascisant, dans le genre des supporters de la Lazio de Rome. Notre militant interrogé se défend et conteste fermement le terme : « Fascistes, nous ? Vous osez nous demander si l’on se définit par le terme le plus déformé du monde, qui recouvre désormais une centaine de fantasmes au moins ? Il n’est pas possible de vous répondre, du moins nous sommes dans l’obligation de dire : non ». Le militantisme dans des partis plus classiques, très peu pour eux : « Nous ne désirons pas défendre des partis qui ne sont que des structures pourries où le pire de l’homme (la perfidie, le mensonge, la trahison, la volonté de pouvoir) s’exprime constamment ».

Choquer le bourgeois

En mai 2023, l’Oriflamme s’est mobilisé à Saint-Brévin (Loire-Atlantique) contre l’installation d’un camp de migrants. Puis également à Saint-Senoux (Ille-et-Vilaine), contre un atelier donné à des enfants et animé par des drag-queens dans la médiathèque de la bourgade. Une quinzaine de militants, aux visages dissimulés et avec un mégaphone, avait sérieusement plombé l’ambiance ce jour-là. L’un des participants a été condamné à six mois de prison ferme et 1 500 euros d’amende pour « injure publique envers une personne dépositaire de l’autorité publique » (le maire de la ville) et « provocation publique à la haine ou à la violence en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre ».

Avec leur action contre les cocos, les militants de l’Oriflamme auront donc réussi cette fois à choquer le bourgeois rennais. Une mobilisation que l’on pourrait toutefois rapprocher des actions d’agit-prop de Greenpeace, lorsque ses activistes s’introduisent dans des centrales nucléaires. Ça choque, ça a été conçu pour, ce n’est pas sympa pour celui qui doit enlever la peinture après, mais pas de quoi ouvrir une cellule psychologique non plus.

A Rennes, ce week-end, d’autres tags ont été observés, non loin du cimetière du Nord : « Mort aux Juifs ». Un message sans doute en lien avec l’actualité au Proche-Orient, et qu’aurait pu également rapporter Ouest-France sur son petit chevalet du lundi matin.

Quelque chose de réussi au Royaume du Danemark

Après avoir tenté l’accueil pour tous, les Danois ont compris que la défense de leur cohésion nationale passait par une immigration strictement encadrée. Le secret de la réussite de ce « modèle » : ne pas être inféodé aux diktats de Maastricht et ignorer les remontrances de l’ONU et des ONG.


Pour les gauches européennes, comme pour l’ONU, la crise démographique de notre continent n’appelle qu’une seule réponse : l’ouverture des frontières. L’immigration est à la fois une fatalité, une nécessité et une obligation. Hors son acceptation, point de salut. Ce n’est pourtant pas l’avis des premiers concernés : les peuples, de plus en plus inquiets face à l’arrivée massive de migrants comme à Lampedusa. Les citoyens européens ne voient pas la crise démographique comme un simple problème économique, soluble dans l’importation de main-d’œuvre et de ventres. Ils sont conscients qu’elle se pose aussi en termes anthropologiques et culturels. Ils craignent la submersion et ont le sentiment que leurs représentants politiques sont dans le déni.

Prix culturel

Alors est-il possible pour un État, de mettre en place une politique d’immigration sans en payer le prix culturel ? Est-il possible pour une nation de contrôler les flux et d’exiger l’assimilation ?« Non », répond Clément Beaune, ministre des Transports. Il prend à témoin la situation actuelle de l’Italie. Selon lui, Georgia Meloni est en train de prouver qu’une solution à l’échelle nationale est vouée à l’échec. Seule l’Europe aurait la réponse. Autant dire que nous sommes assignés à l’apathie.

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Or il existe un petit pays européen qui a réussi à mettre en place une politique consensuelle et efficace permettant de maîtriser l’immigration. Il s’agit du Danemark. Pourtant, les Danois n’ont pas eu de révélation. Ce n’est qu’au bout d’un long processus (de 2002 à 2016, la loi sur les étrangers a été modifiée 93 fois et 42 fois entre 2017 et 2019) qu’ils ont élaboré le désormais célèbre « modèle danois ».Leur recette ? D’abord un positionnement pragmatique et non idéologique vis-à-vis de l’Union européenne. Quand les Danois ont rejeté le traité de Maastricht, leurs représentants politiques n’ont pas décrété que le peuple avait mal voté. Ils ont entendu le message et ont négocié nombre de dérogations au droit européen. Le traité a fini par être ratifié, sans que le Danemark adhère aux obligations imposées par l’Europe en matière d’immigration. Il démontre aujourd’hui, par sa réussite, que l’Europe fait partie du problème.

Regroupement familial et acquisition de la nationalité: le parcours du combattant

La cohérence de la politique danoise et son caractère consensuel viennent de la clarté de leur diagnostic : pour les Danois, la protection de leur système social passe par la diminution de l’immigration et non par l’ouverture des frontières, supposée augmenter le nombre de cotisants. Ils pensent que« l’État providence dépend autant du niveau de confiance dans la société que des performances économiques du pays[1] ». Ainsi l’homogénéité et la cohésion de la société – plutôt qu’une certaine idée de la diversité –sont essentielles pour que les citoyens acceptent de payer les uns pour les autres. Voilà pourquoi la politique d’immigration danoise marche sur deux jambes : restriction (mais pas immigration zéro) et exigence d’assimilation.

Les Danois, par ailleurs, se moquent des protestations de l’ONU et des ONG, parce qu’ils ont pu constater que la fermeté paye. Entre 2014 et 2019 le nombre total des demandes d’asile a chuté de 82 % et celui des migrants (hors demandeurs d’asile) a baissé de 14 %.

En ce qui concerne le regroupement familial, par exemple, chaque immigré doit signer un contrat spécifique qui fixe ses obligations, les objectifs et les étapes du parcours d’intégration. Sans contrat signé et respecté, pas d’aides sociales. D’autres règles ont été mises en place pour éviter que les migrants aillent chercher des épouses « au pays ». Pour pouvoir faire venir une personne de sa famille, il faut atteindre un certain niveau de revenu, ne plus toucher de prestations sociales et avoir un logement adéquat (pas plus de deux personnes par pièce, surface de 20 m2 par personne…). Autre point, l’effort d’intégration étant au cœur de la politique d’accueil, toute peine de prison, même avec sursis, est un facteur rédhibitoire pour l’acquisition de la nationalité.

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Et ce n’est pas tout : la politique danoise d’expulsion est elle aussi efficace. D’abord la mesure est appliquée immédiatement une fois la demande refusée et une autre demande ne peut être déposée avant un délai conséquent. Pendant l’examen du dossier les candidats hébergés dans des centres pour migrants, doivent pointer à la police quotidiennement. Enfin, c’est le Danemark qui définit lui-même si un pays est sûr ou pas et donc s’il est possible de renvoyer les réfugiés dans leur pays d’origine. Par ailleurs ayant pu, pendant l’affaire des caricatures de Mahomet, mesurer la dangerosité du fondamentalisme musulman et surtout des militants religieux, le Danemark a durci les conditions requises pour que ceux-ci puissent bénéficier d’un titre de séjour.

Mais le Danemark va encore plus loin. La « Jewellery Law » (« loi des bijoux ») votée en 2016 – suscitant une énorme controverse – donne aux autorités le pouvoir de confisquer argent, bijoux ou objetsd’une valeur supérieure à 10 000 couronnes (1 340 euros). L’idée est de faire participer le réfugié à la charge qu’il génère dans le pays qui l’accueille.

Ce modèle danois est parfaitement reproductible ailleurs. Mais pour cela, la renégociation de certains traités européens est indispensable. Pour autant, tout n’est pas si facilement transposable : les mêmes causes n’ont pas toujours les mêmes effets. Au Danemark, par exemple, la suppression des aides sociales s’est rapidement traduite par une baisse du nombre de demandes d’accueil. En France, les candidats à l’immigration sont souvent francophones, ils bénéficient d’attaches et de points de chute, peuvent compter sur une diaspora importante, leur choix ne dépend pas forcément du montant des aides sociales. Il n’en reste pas moins que l’exemple du Danemark ne tient pas seulement aux mesures concrètes mises en place. Elle rappelle que la politique, c’est avant tout du courage et de l’action, et qu’un sujet délicat peut devenir consensuel quand les hommes politiques s’en emparent au nom de l’intérêt général et de la volonté des peuples.


[1] « La politique danoise d’immigration : une fermeture consensuelle », janvier 2023, fondapol.org.

À Gaza, Médecins Sans Frontières participe, hélas, à la manipulation du Hamas

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Si l’enquête et l’Histoire confirment bien que le tir retombé sur l’Hôpital Al-Ahli Arabi a été tiré depuis Gaza, MSF aura fait le jeu du Hamas en relayant sa propagande. L’organisation terroriste palestinienne ne peut que se réjouir des déclarations de la prestigieuse organisation humanitaire. 


Avec « l’attaque contre l’hôpital de Gaza », nous venons d’assister à l’une des plus « belles » manipulations de l’histoire récente. Reprenons. Immédiatement après l’impact, la presse du monde entier, qui ne dispose d’aucune information directe et d’aucun correspondant sur place reprend « l’info » de cette attaque. Les plus prudents, comme le New York Times, qui changera trois fois son titre par la suite, parlent d’une « une frappe israélienne tuant des centaines de personnes dans un hôpital selon les Palestiniens », sans préciser qu’ici il s’agit du Hamas. La plupart des médias ne mentionnent aucune source. Lorsqu’elle est citée pour évoquer le nombre de morts, il s’agit du « ministère de la santé de Gaza », sans jamais, à quelques exceptions près, mentionner le Hamas. 

Les fantasmes de la rue arabe

Aussitôt, « la rue arabe » s’enflamme. Il faut évidemment un peu de temps à l’armée israélienne pour analyser l’événement, d’autant plus qu’elle n’est pas à l’origine de la frappe mortelle. Au fil des heures, les preuves s’accumulent : une vidéo d’un tir du Hamas, l’absence de cratère au lieu de l’impact, une conversation enregistrée entre membres du Hamas, aucune image des « au moins 500 morts » dont on ne voit pas pourquoi le Hamas se serait privé de les montrer, des voitures calcinées mais un hôpital qui semble intact, ou du moins pas du tout effondré comme les immeubles touchés par les frappes israéliennes dont on voit quotidiennement les images à la télévision.

En visite en Israël, Joe Biden cautionne l’analyse du gouvernement israélien et le renseignement européen croit savoir qu’il n’y aurait « que » 10 à 50 morts, ce qui est beaucoup plus conforme aux images que chacun peut voir. Fin de l’histoire, mais pas plus qu’elle n’a été convaincue que le 11 septembre 2001 n’était pas un complot juif, la « rue arabe » ne croira jamais à la culpabilité du Hamas. Tous les journalistes et médias qui ont relayé cette fake news de la responsabilité israélienne ont fait le jeu du Hamas. Au passage, l’absurdité de la directive européenne sur les services digitaux chère au commissaire Thierry Breton se confirme. Dans le monde actuel, il est utopique de vouloir contrôler par la loi ce qu’il appelle la «  désinformation ». Dans ce cas, la presse du monde entier est tombée dans la fake news. A qui va-t-il infliger une amende ?

Syndrome de Stockholm ?

Le plus interpellant reste le fait que des organisations humanitaires relaient le discours du Hamas. Ainsi dans un tweet toujours visible, Médecins Sans Frontières déclare « Nous sommes horrifiés par le bombardement israélien (je souligne) de l’hôpital Ahli Arab dans la ville de Gaza ». « Des centaines de personnes ont été tuées selon les autorités locales », mais MSF ne précise pas qu’il s’agit du Hamas. Cette prise de position pose problème pour une organisation dont les principes de base sont la neutralité et l’impartialité, de même que la reprise du nombre de victimes selon le Hamas, mais sans mentionner ce dernier. Enfin, selon les déclarations de ses responsables, MSF aurait du personnel sur place dans l’hôpital, et devrait ainsi avoir une meilleure évaluation que le Hamas du nombre de morts, ce qui pourrait donner un sens au rôle de témoignage de l’organisation. Dans une interview la coordinatrice de MSF à Paris affirme que « le toit de l’hôpital s’est effondré sur un de ses chirurgiens pendant qu’il opérait ». Peut-être, mais on aimerait en savoir davantage puisque le toit de l’hôpital semble intact. À ce jour, aucun tweet ne vient corriger l’erreur (la faute?) initiale de MSF, attribuant la frappe à Israël. Et un journaliste un peu consciencieux aurait pu interroger l’organisation, encore présente dans l’émission Quotidien hier, à ce sujet.

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Depuis le début de cette guerre, MSF n’a fait aucun tweet pour dénoncer les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis par le Hamas en Israël, pas plus que la prise d’otages de dizaines d’Israéliens qui viole le droit humanitaire auquel l’organisation fait si souvent appel. Longuement interrogée il y a quelques jours sur France 24, Sarah Chateau, la responsable du programme, se voit tendre une perche en fin d’interview par la journaliste qui l’interroge sur le sort des otages. Or, Madame Chateau se contente de répondre laconiquement qu’elle est « désolée » pour ces otages, sans prononcer la moindre condamnation. 

Le syndrome de Stockholm est assez fréquent dans le monde de l’humanitaire où, focalisé sur une situation particulière souvent dramatique, les acteurs ne sont pas conscients d’autres aspects pourtant tout aussi visibles d’une crise humanitaire. Souvent, inconsciemment, ils en viennent à se faire complice des bourreaux des victimes qu’ils cherchent à aider. On l’a vu en Ethiopie (1984-1985), lors du génocide des Tutsis au Rwanda (1994) et en Bosnie (1992-1995). À Gaza, sans aucunement jeter la pierre à ceux qui sont sur place et font ce qu’ils peuvent, MSF fait le jeu du Hamas, qui ne peut que se réjouir des déclarations de la prestigieuse organisation humanitaire. Afin de tenter de rendre leur discours plus « objectif » (ou plus neutre, ou simplement plus honnête), les médias ont besoin de témoins sur place qui ne soient pas palestiniens. Dans ce jeu de rôle, une organisation renommée comme Médecins sans Frontières est l’acteur idéal pour « crédibiliser » la description de la situation.

Avant l’attaque contre l’hôpital, j’ai expliqué dans le Figaro pourquoi l’aide humanitaire à Gaza faisait le jeu du Hamas et ne pouvait que le renforcer. Cela ne veut, évidemment, pas dire qu’il ne faut pas soigner, nourrir et aider les Gazaouis victimes des bombardements ou contraints de se déplacer. Ce rôle devrait être laissé aux pays arabes qui ne manquent ni de médecins, ni de volontaires, ni de moyens financiers. En voulant à tout prix être sur place (pourquoi ?), les organisations humanitaires occidentales, dont on voit à travers cet exemple qu’elles n’apportent aucune valeur ajoutée même en temps que « témoin sur place », deviennent involontairement les complices du Hamas.


Alain Destexhe est médecin, sénateur honoraire belge et ex-secrétaire général de Médecins Sans Frontières. Il est l’auteur de nombreux livres et articles sur l’humanitaire en situation de conflits dont L’humanitaire impossible ou deux siècles d’ambiguïtés (Armand Collin) et de Rwanda : essai sur le génocide (Complexe).

Sir Keir Starmer: futur Premier ministre britannique?

Après une convention annuelle réussie à Liverpool, la semaine dernière, le leader du Parti travailliste britannique, Keir Starmer, se rêve en futur Premier ministre de la Grande-Bretagne. Portrait.


Keir Starmer est la figure politique montante de la Grande-Bretagne. Cet avocat pénaliste, élu député en 2015 puis président du Labour en 2020, après la défaite historique de son parti aux élections législatives de décembre 2019, est en position de force face au Parti conservateur (Tories), usé par ses treize années au pouvoir. L’allocution finale du leader travailliste à Liverpool, devant un amphithéâtre comble fut une partie de plaisir, malgré l’irruption impromptue d’un militant à la tribune, qui a arrosé le chef du Labour de paillettes au début de son discours. Le message de Starmer était clair : le parti travailliste gagnera sûrement les prochaines élections et doit se préparer à gouverner. Mais il a averti ses militants : la tâche à relever sera rude ! « Vous pensez que notre travail en 1997 a consisté à reconstruire un service public en ruines ? Qu’en 1964, il a consisté à moderniser notre économie dépassée ? Et en 1945, à reconstruire une nouvelle Grande-Bretagne pour la sortir du traumatisme du sacrifice collectif ? Eh bien, en 2024, ce devra être les trois à la fois !» Pas de pitié, donc, pour le bilan des conservateurs.

Sunak : le Macron britannique ?

Sir Keir Starmer a vu juste dans son discours, en accusant ses opposants de ne rien comprendre aux problèmes du peuple : « Rishi Sunak et les hommes et femmes superficiels de Westminster sont incapables de voir, incapables d’écouter, incapables de se mettre à votre place et de servir ce pays. Et ils ne changeront pas. Ils n’ont pas même changé durant la pandémie lorsque notre pays s’est rassemblé pour suivre les règles : celles qu’ils ont eux-mêmes fixées et brisées. » L’image des conservateurs est effectivement bien ternie depuis les révélations de fêtes et de réceptions organisées au 10 Downing Street durant le confinement de 2020, lorsque Boris Johnson était Premier ministre. En plus de cela, Keir Starmer souligne bien la réputation hautaine et dépensière de ses opposants, dès le début de son discours : « Le champion auto-proclamé des automobilistes, qui a dû emprunter la voiture d’un employé de magasin pour sa séance de photo. Un homme qui porte un regard attentif à la crise de l’inflation – depuis son hélicoptère de proximité. » Les rires éclatent alors dans l’assistance, où plusieurs se souviennent des critiques émises par les travaillistes à l’encontre du Premier ministre Rishi Sunak et de son chancelier Jeremy Hunt, à cause de leur usage de jets ou d’hélicoptères pour leurs déplacements en Grande-Bretagne. D’ailleurs, le Premier ministre s’est rendu à Manchester en avion au début du mois, pour la conférence annuelle des Tories, alors que le même jour il annonçait l’annulation du projet HS2 (High speed 2), qui devait relier Birmingham à Manchester par un train à grande vitesse… Milliardaire, Rishi Sunak peine encore à démontrer sa proximité avec les Britanniques « ordinaires » et Starmer, en bon travailliste en profite pour le décrédibiliser : rien de plus facile.

Objectif croissance

Keir Starmer veut y croire : son parti est prêt à remplacer les Tories d’ici la prochaine élection, prévue au plus tard en janvier 2025 – et qui pourrait avoir lieu à la fin de l’année prochaine. Au-delà de son discours offensif à l’égard des conservateurs, il a souhaité s’imposer comme le candidat du vrai changement : « Il est temps de construire un million et demi de nouvelles maisons à travers le pays. De créer des opportunités pour tous les primo-accédants dans chaque localité. De développer de nouvelles corporations avec le pouvoir d’éliminer les blocages. D’avoir de nouvelles infrastructures pour permettre aux familles et aux communautés de s’agrandir. D’avoir des routes, des tunnels et des centrales électriques – construits plus rapidement et pour moins cher. »

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Bref, Starmer souhaite montrer aux Britanniques que contrairement aux conservateurs, il possède la vision et l’ambition pour donner un nouveau dynamisme à son pays. Il souhaite ramener la croissance économique par la relance, en appliquant la bonne vieille doctrine keynésienne – dont les conservateurs sont souvent tout aussi adeptes. Mais attention, ce n’est pas le keynésianisme des Tories, fait de « réponses faciles » ou de « réductions d’impôts pour les riches », mais une économie qui profite à tous, en particulier aux « travailleurs ».

Émouvoir

Par ses références récurrentes à sa famille, d’origine effectivement modeste, Starmer a souhaité regagner les classes populaires, après la razzia de Boris Johnson en 2019 : « J’essaie de mon mieux de ne pas mentionner la maison où j’ai grandi. Mais sérieusement : cette maison en crépi représentait tout pour ma famille. Elle nous a donné de la stabilité pendant la crise de l’inflation des années 1970. Ella a servi de tremplin pour le voyage que j’ai entrepris durant ma vie. Et je crois que chaque famille mérite la même chose. » Starmer a grandi dans le comté de Surrey, au sud de la capitale. Sa mère était infirmière et son père ouvrier d’usine. Mais, au-delà de ces considérations familiales, le leader travailliste doit encore expliquer comment il compte financer son million et demi de maisons, alors que la dette britannique s’élève à plus de 2 600 milliards d’euros et que le taux directeur de la banque d’Angleterre s’établit à 5,25%. La chancelière du cabinet fantôme, Rachel Reeves, ex-économiste de la Banque d’Angleterre, l’a bien rappelé dans son discours, l’heure n’est pas à la dépense : « Je ne sous-estime pas l’ampleur de la tâche qui nous attend, ni les problèmes dont nous hériterions au gouvernement. Ils exigeront un travail dur, de la détermination et des décisions courageuses. » Le programme économique du Labour, encore très sommaire, mérite donc des précisions…

Gagner chaque vote et de la crédibilité…

Le Labour doit désormais faire face à un défi : démontrer sa crédibilité. Pour cela, il faut aussi des membres compétents pour le futur gouvernement. Et hormis la probable future chancelière de l’échiquier, Rachel Reeves, la compétence des membres du gouvernement fantôme de Starmer laisse songeur. Diane Abbott, Ministre de l’Intérieur du cabinet fantôme, un poste clé, est connue pour ses propos anti-blancs répétés depuis les années 1990 et ses positions ambigües sur l’antisémitisme au mois d’avril, cette année. Ils lui ont d’ailleurs valu une suspension de son poste pendant quelques jours, à la suite d’une interview sur Sky News, avant qu’elle ne se rétracte. Le combat du leader travailliste depuis son arrivée en poste est précisément de mettre fin à une phase sombre de l’histoire du parti, où les figures antisémites ne manquaient pas, à commencer par l’ancien maire travailliste de Londres, Ken Livingston.

Pourtant, le dernier sondage de l’institut YouGov, en date du 12 octobre, donne le Labour largement en tête des intentions de vote, avec 45%, contre 29% pour le parti conservateur. Les travaillistes ont donc de fortes chances de remporter une majorité absolue aux Communes (environ 343 sièges sur 650). Mais de tels sondages révèlent surtout d’un rejet du parti au pouvoir et le Labour doit désormais susciter un vote d’adhésion. « Get Britain’s future back » est l’actuel slogan de campagne de Starmer. D’accord, mais on attend son programme.

«Killers of the flower moon»: un grand Scorsese, un grand De Niro, un très grand film

Après la projection à Cannes de Killers of the flower moon, le public s’était levé pour une standing ovation de cinq minutes à Scorsese et à ses acteurs. Etait-ce mérité, ou était-ce juste l’hommage obligé des professionnels de la profession à un octogénaire qui a beaucoup donné au cinéma ? Notre chroniqueur est allé hier mercredi à la première heure se rendre compte de ce qu’il en était. Il en est revenu conquis.


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Scorsese aurait rêvé toute sa vie de faire un western, paraît-il. Eh bien le voici — ce qui nous amène à expliciter ce qu’est le western.

Rappelez-vous How the West was won — un titre édulcoré en français par La Conquête de l’Ouest (1962). Le film, en 70mm, avait mobilisé trois réalisateurs familiers du western — Ford, Hathaway et Marshall —, et une pléiade d’acteurs qui s’étaient illustrés depuis trente ans dans les films les plus célèbres du genre — Henry Fonda, Gregory Peck, James Stewart, John Wayne, Eli Wallach et j’en passe. Pesez bien le sens du titre américain : Comment l’Ouest fut conquis. Conquis sur qui ?

Fleurs de sang

Le film de Scorsese, immense film politique s’il en fut, répond à la question : la terre fut conquise sur les Indiens. Les Indiens de toutes origines et de toutes tribus, passés en un siècle de plusieurs dizaines de millions à moins de 100 000.

Et ça ne s’est pas arrêté aux années 1880. Scorsese raconte l’histoire vraie du massacre des indiens Osage, parqués dans une réserve d’Oklahoma — mais le traité stipulait qu’ils étaient propriétaires des ressources du sol et du sous-sol, que l’on pensait bien pauvres. Fatalitas ! Ça regorgeait de pétrole, et voilà nos sauvages riches à millions.

Oui, mais le Blanc n’est pas partageux. Alors il en tua quelques dizaines, pour récupérer leurs titres de propriété. C’est cette éradication tribale que raconte Killers of the flower moon (la « flower moon » est celle du mois de mai, quand la prairie fleurit — très beau plan d’iris sauvages blancs et bleus, à ceci près que les fleurs cultivées par les protagonistes blancs sont plutôt des fleurs de sang).

Et à ce jeu du vilain absolu, Robert De Niro, qui s’était ces dernières années égaré dans des productions lucratives et lamentables, fournit une prestation stupéfiante. Il ne gesticule pas, ne se lance pas dans de grands discours : il regarde, simplement, et ce qui passe dans son regard est de la haine et de la cruauté à l’état brut.

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Quand on écoute des interviews de De Niro, on est frappé par la pauvreté de ses propos. En fait, il illustre à merveille la théorie de Diderot et son Paradoxe du comédien : « C’est l’extrême sensibilité qui fait les acteurs médiocres : c’est la sensibilité médiocre qui fait la multitude des mauvais acteurs ; et c’est le manque absolu de sensibilité qui prépare les acteurs sublimes. » Voilà : De Niro (et à un moindre degré Di Caprio, qui a depuis longtemps compris que se cantonner dans les rôles de petite gouape à belle gueule ne le mènerait pas bien loin, et qui s’est épaissi, malmené, défiguré, jusqu’à ne plus être qu’un bloc de granit susceptible de toutes les expressions) ne joue pas, il devient à chaque fois le personnage qu’il incarne. Il disparaît derrière son personnage. Cybill Shepherd, sa partenaire de Taxi Driver, a raconté que dans une scène où il la menace, elle avait tellement cru à sa violence qu’elle tourne la tête, malgré elle, vers l’équipe de tournage pour quêter une aide, au cas où. C’est bien pire ici : ce que De Niro fait passer à chaque plan est une préfiguration de l’Enfer.

3h 1/2 de splendeur

Le film est long, il n’est pas trop long : l’enfer ne s’ouvre pas du jour au lendemain, il fallut près d’une soixantaine de morts avant que le FBI, que Hoover venait de créer, se décide à enquêter. Pendant ce temps, les Osages, diabétiques à force de manger comme les Blancs (à Marseille, le principal centre anti-diabétique est à la limite des quartiers musulmans du Nord, parce que le régime Coca / sodas, en sus du couscous, induit des pathologies « blanches » dans des organismes qui n’étaient pas préparés aux poisons de la civilisation avancée qu’est la nôtre), meurent à petit feu. Lily Gladstone, vraie indienne qui pourrait bien être la première « native » nominée pour un Oscar, joue splendidement le rôle de la fleur de prairie qui s’étiole et voit mourir sa famille autour d’elle, de façon plus ou moins violente.

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L’Ouest fut « gagné » par la poudre, et pas autrement. Les États-Unis aiment le sang, ils aiment la guerre, qui sert leurs intérêts commerciaux. Il n’y a aucun conflit — y compris les deux guerres mondiales — où ils soient entrés avec une autre idée que de se tailler des empires commerciaux.

C’est l’effet biblique assumé. Dieu leur a donné des territoires prétendument vierges — qu’ils se sont chargés d’assainir des tiques à peaux rouges qui les peuplaient. Killers of the flower moon tire la leçon ultime de cette conception religieuse de la propriété — et rassurez-vous, quoique condamnés, les tueurs n’ont pas fini leur vie en prison.

Prévoyez 3h1/2 de splendeur. Vous ne serez pas déçus, chaque plan est maîtrisé dans le moindre détail. L’insertion de photos noir et blanc, de fragments de films muets, donne le sentiment du temps qui passe sans peser sur le spectateur. C’est une merveille, comme seul le cinéma américain, quand il est maîtrisé par un très grand cinéaste, sait les élaborer. Et tant pis pour les p’tits jeunes qui se croient acteurs ou cinéastes. Qu’ils aillent prendre quelques leçons, et nous reviennent humbles — mais là, je crois que je rêve.


Les fossoyeurs du français, et les autres

À contrecourant de la tendance actuelle prônant le ratatinement de notre langue et sa simplification à outrance, un ouvrage se propose, lui, d’enrichir notre vocabulaire. Et c’est succulent. 200 mots rares et savoureux pour briller, de Marion Navenant (Éditions De Boeck Supérieur, 2023).


Une tribune publiée dans Le Monde le 15 octobre nous a appris l’existence du collectif Les linguistes atterré(e)s, ainsi que leur revendication : « il est urgent de mettre à jour notre orthographe » !

Des gens très sérieux, tel le linguiste Claude Hagège, du Collège de France, ou encore des autrices et des auteures (je n’ai pas compris la différence), telles Geneviève Brisac, Annie Ernaux ou Marie Desplechin font front commun pour moderniser notre orthographe[1]. Parmi leurs arguments chocs : 1878, date antédiluvienne à laquelle remontent les règles qui régissent notre langue actuelle. Les signataires appellent à mettre fin à cet obscurantisme à l’origine de « l’opacité de notre orthographe […] et du temps passé à enseigner ses bizarreries et incohérences au détriment de l’écriture créative » (sic). Ces gens très sérieux appellent à retrouver « une liberté de choix », quitte à s’acoquiner avec quelques incohérences. Si « l’idée n’est pas de tout simplifier ni d’écrire en phonétique », il est, selon eux, légitime d’écrire « ognon » et « nénufar ». La même honnêteté intellectuelle leur dicte : « la paresse et le moindre effort seraient de ne rien changer » (re-sic). Parce qu’ils débordent donc d’énergie, ils estiment que les pluriels en « -s » doivent systématiquement remplacer ceux en « -x », même s’ils reconnaissent qu’ « on ne distinguera plus « lieux » et « lieus », ni « feux » et « feus » ». À ce petit détail, les signataires renvoient au « contexte » de la phrase. Ces auteures, autrices et autres linguistes ont bénéficié d’un enseignement général leur permettant de savoir ce que veut dire le mot contexte. Or, les preuves ne manquent pas pour affirmer sans risque que nombre d’écoliers, aujourd’hui, doivent ignorer ce mot ; ce mot comme tant d’autres.

Dans ce contexte, si je suis dire, d’effondrement du niveau d’orthographe comme de vocabulaire, à l’école comme dans la vie publique et professionnelle, il est rassurant de voir que nous ne sommes pas qu’entourés de fossoyeurs de la langue française. Tout le monde ne souhaite pas être enterré avec elle.

L’essayiste Marion Navenant. D.R.

Ainsi Marion Navenant nous offre-t-elle un ouvrage réjouissant : 200 mots rares et savoureux pour briller. Pour briller où ? À une réunion de famille, au bureau, au restaurant, chez le médecin, devant ses enfants, devant son chat (!), en vacances, en voiture, entre amis, sur les réseaux sociaux, à un rendez-vous amoureux, à la maison… Autant de chapitres débordants chacun d’une quinzaine de mots, avec leur étymologie, leur définition et des exemples pour les employer en société.

On pioche avec régal : fourchon. Désigne une dent de fourchette. Cuilleron, la partie creuse d’une cuillère… Ailurophile, du grec ailouros, employé pour désigner un animal qui remue la queue… Pour faire le malin, ne dites plus « j’ai attrapé un coup de soleil », mais « j’ai attrapé une actinite », et apprenez aux ignares allongés au bord de la piscine que ce mot est formé de l’affixe d’origine grecque actino-, « radiation », et –ite, « inflammation ». Une inflammation due aux rayons de soleil, quoi !

Connaître quelques bribes de la richesse de notre vocabulaire permet aussi de dire tout ce qu’on pense. « Ce type me canule » fait meilleur effet que « ce type me fait ch*er » (explication p. 129). On peut aussi lancer, sans craindre les contresens : « Je vous invite à poculer ! » Pour ceux qui n’entendent rien au latin, poculum est un « coup à boire ». 

Grâce à nos auteures, autrices et autres linguistes atterré(e)s, les élèves de France penseront encore longtemps que controuvé est une méchante insulte, si ce mot arrive un jour à leurs oreilles. Les lecteurs de causeur.fr et de Marion Navenant apprendront, s’ils ne le savent déjà, que cela désigne quelque chose d’inventé. Une rumeur ou une fausse nouvelle n’est autre qu’une « histoire controuvée ».

Quoi que nous racontent Annie Ernaux et ses amis dans cette tribune du 15 octobre, tous font bien l’éloge de l’acédie. Définition page 77 !


200 mots rares et savoureux pour briller, de Marion Navenant, Éditions De Boeck Supérieur, 2023.

Chez le même éditeur :

49 petites histoires dans l’histoire de France, de Marc Lefrançois.

49 petites histoires dans l’histoire de l’Antiquité, de Clothilde Chamussy et Lucas Pacotte.


[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/15/pourquoi-il-est-urgent-de-mettre-a-jour-notre-orthographe_6194603_3232.html

Hôpital Al-Ahli Arabi à Gaza: une bavure médiatique

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La frappe sur l’hôpital de Gaza nous rappelle que la guerre entre Israël et le Hamas se joue aussi sur le front de l’information et des images.


Même si on n’a pas de certitude absolue sur les faits, on peut déjà parler d’une immense bavure médiatique. Mardi, dès 20 heures, quelques minutes après les faits, des médias français et occidentaux annoncent 200, puis 500 morts, « dans une frappe israélienne sur un hôpital de Gaza ». J’aurais pu commettre la même bourde, tant cette conclusion semblait évidente, puisque c’est Israël qui bombarde Gaza. Mais très vite, l’armée israélienne dément toute responsabilité et fournit des éléments probants, y compris à Joe Biden, dont l’enregistrement d’une conversation entre deux membres du Hamas, étayant la thèse d’un tir raté du Jihad islamique. De plus, si le tir était parti d’Israël, il est difficile d’expliquer que les journalistes qui grouillent au sud du pays n’aient rien vu. Hier soir, la plupart des médias, soudainement très prudents, expliquaient qu’il y avait de la propagande partout, et qu’on ne pouvait rien savoir. Il y a de la propagande, évidemment, mais aussi des faits.

La responsabilité des médias est plus lourde que jamais

Et attention, nous ne sommes pas ici dans un débat théorique sur la guerre de l’information. Car un reportage diffusé à Paris ou Gaza peut entraîner des morts à Londres ou Arras. Et en l’occurrence, cette information (des Israéliens tuent des centaines de civils dans un hôpital) a déjà provoqué des manifestations devant plusieurs de nos ambassades. Résultat : tout le monde craint désormais la contagion émeutière, des chancelleries occidentales aux palais présidentiels des régimes de pays musulmans.


Est-ce alors la faute des médias occidentaux ? Non, soyons honnêtes. Les médias peuvent inspirer ou conforter un assassin d’opportunité dans nos villes. Mais pour les foules qui ont manifesté hier, cela ne change pas grand-chose. Elles vivent déjà à l’ère de la post-vérité.

A lire aussi, Ivan Rioufol: Rompre le silence musulman face à la barbarie du Hamas

Même si on leur montrait des photos de membres du jihad envoyant le missile, elles resteraient convaincues que c’est un coup des sionistes. La haine d’Israël, attisée par l’ignorance, est manipulée par tous les pouvoirs. Et le mensonge de 2003 sur les armes irakiennes a durablement discrédité la parole américaine et occidentale, y compris dans les élites arabes.

Il est vain d’interdire la haine

Les manifestations ne se déroulent pas seulement à Téhéran ou à Tunis; il pourrait aussi s’en produire à Sarcelles ou Vénissieux.

Pourtant, il ne faut pas interdire ces manifestations à mon avis, même si elles sont clairement pro-Hamas, sauf quand le risque de trouble à l’ordre public est absolument manifeste. C’est d’ailleurs la position assez sage du Conseil d’État qui n’interdit pas d’interdire, mais exige du cas par cas sous la houlette des préfets plutôt qu’une directive ministérielle générale. Oui, on risque d’entendre des slogans écœurants, et il faudra les sanctionner. Mais ce n’est pas en interdisant la haine des juifs et d’Israël qu’on la fera disparaître.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez notre directrice de la rédaction du lundi au jeudi dans la matinale de Patrick Roger

Rompre le silence musulman face à la barbarie du Hamas

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Les musulmans oseront-ils protester, en France, contre la barbarie islamiste du Hamas ? Oseront-ils se désolidariser de la haine qui se déverse sur les juifs indésirables ? Force est d’observer le phénomène inverse.

Cela n’a rien à voir avec l’islam ?

La « rue arabe » était même appelée par le Hezbollah, ce mercredi, à participer à un « jour de colère sans précédent », après le bombardement d’un hôpital de Gaza mardi soir. Le Hamas a immédiatement désigné Israël comme responsable de ce tir contre des civils, accusation reprise dans la foulée par l’extrême gauche française dévouée à la cause islamiste et à sa « résistance ».


Il semblait néanmoins, hier matin, que cette version soit démentie par les images: elles montreraient un tir raté provenant du jihad islamique. Quoi qu’il en soit, Israël demeure l’unique coupable aux yeux du monde musulman qui, depuis le 7 octobre, montre son soutien à la barbarie du Hamas. En dépit des horreurs indicibles commises au nom d’Allah contre des bébés, des femmes, des vieillards et des civils pacifistes plus généralement, c’est l’État hébreu qui est désigné par la foule comme « assassin » et « terroriste ». La sauvagerie contre des Israéliens (1400 morts), qui aurait dû être un repoussoir pour la cause palestinienne, a été excusée au nom d’un antisionisme fanatique, cautionné par Jean-Luc Mélenchon, travesti désormais en grand mufti de la Seine-Saint-Denis, perdu dans sa quête électoraliste.


« Ceci n’est pas l’islam », répètent ceux des musulmans qui s’horrifient des massacres mais qui n’entendent pas les dénoncer publiquement. Ce leitmotiv est constant depuis les premiers attentats islamistes en France[1]. En 2012, après les meurtres de Mohamed Merah, nous n’étions pas cent, place de la Bastille, à avoir répondu à l’appel de l’imam Chalghoumi pour protester contre ce terrorisme islamique. Pour avoir moi-même, le soir du massacre à Charlie-Hebdo, le 7 janvier 2015, intimé aux musulmans, sur RTL, de faire connaître leur désapprobation, j’ai dû essuyer les foudres de militants islamistes s’estimant insultés par ma demande.

Hassen Chalghoumi et Abdennour Bidar bien seuls

Après l’agression du Hamas, puis le meurtre de l’enseignant Dominique Bernard et enfin l’assassinat de deux Suédois à Bruxelles, l’imam Chalghoumi est resté le seul de sa communauté à s’indigner de ces crimes. Ni la Fondation de l’islam de France, ni le Conseil français du culte musulman, ni la Grande mosquée de Paris n’ont jugé bon de manifester publiquement ; au risque d’amalgamer dans l’opinion l’islamisme conquérant à l’islam vécu comme une religion intime.

Dans Le Monde de lundi[2], le philosophe musulman Abdennour Bidar invite à son tour, urgemment à « une parole claire, forte, responsable et courageuse des représentants de la communauté musulmane de France ! Des intellectuels, des engagés, des citoyens de culture musulmane ! ». Il explique : « Cette parole est indispensable, requise, cruciale tandis qu’à l’inverse demeurer dans le silence serait inexcusable. » Cependant, le silence musulman reste, hélas, assourdissant.


[1] Voir mon blog du 29 septembre 2014, Les faux résistants à l’Etat islamique

[2] https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/13/le-philosophe-abdennour-bidar-sur-l-attaque-du-hamas-contre-israel-vite-une-parole-claire-et-forte-des-representants-de-la-communaute-musulmane-de-france_6194215_3232.html

Encore une loi pour rien!

Le projet de loi concocté par le gouvernement ne permettra pas de mieux contrôler l’immigration. Les timides réformes administratives et judiciaires qu’il propose ne tiennent pas compte de l’évolution des flux d’arrivants et, surtout, n’ont rien de dissuasif pour quiconque les contournerait.


Cinq ans après l’adoption de la loi « Pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie », Emmanuel Macron et son gouvernement remettent leur ouvrage sur le métier[1], avec le projet de loi « Pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ». Avec 137 000 nouvelles demandes d’asile et 320 000 primo-délivrances de titres de séjour enregistrées en 2022, la loi du 10 septembre 2018 est loin d’avoir atteint son objectif de « maîtrise de l’immigration ». Le nouveau projet de loi a-t-il des chances sérieuses de mieux faire ? C’est ce que prétend le gouvernement, qui propose pour cela quatre séries de mesures : réforme de l’asile, expulsion des étrangers qui menacent l’ordre public facilitée, sanction du travail illégal et renforcement des conditions d’accès au séjour.

Une réforme à la marge du système de l’asile, qui ne corrige aucun dysfonctionnement majeur

La réforme proposée comporte, d’un côté, des mesures concernant la gestion administrative de l’asile, et de l’autre des mesures relatives à l’énorme contentieux généré par les demandeurs (plus de 40 % des affaires traitées par les tribunaux administratifs en 2019).

S’agissant de la gestion administrative, le projet de loi propose de créer des guichets uniques « France Asile » regroupant les services des préfectures, de l’Office français de l’immigration et de l’intégration et de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Le projet de loi modifie également les procédures – nombreuses et complexes –du contentieux de l’asile.

Concernant les procédures devant la Cour nationale du droit d’asile, le point le plus notable consiste en l’institution du juge unique pour examiner les recours. S’agissant des procédures devant le juge administratif, elles sont réduites au nombre de quatre, en fonction de l’urgence à statuer. Enfin, devant le juge des libertés et de la détention, la seule modification procédurale consiste en l’ajout d’un nouveau motif permettant de porter le délai de jugement des requêtes à quarante-huit heures (contre vingt-quatre), et de maintenir l’étranger en zone d’attente au-delà de quatre jours. Directement inspiré de l’affaire de l’Ocean Viking qui avait accosté à Toulon avec 234 demandeurs d’asile en novembre 2022, ce nouveau motif est le « placement en zone d’attente simultané d’un nombre important d’étrangers au regard des contraintes du service juridictionnel ». Il est toutefois à craindre que cette disposition devienne rapidement obsolète, tant il paraît improbable que le juge des libertés et de la détention, déjà débordé, parvienne à traiter en quarante-huit heures un contentieux dont la masse l’a empêché de se prononcer en vingt-quatre, dans un contexte d’inflation continue des arrivées.

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En supposant que ces mesures permettent de mieux administrer le système de l’asile, elles ne sont de nature ni à réduire le nombre de demandes d’asile, ni à améliorer le taux d’exécution des mesures d’éloignement des déboutés. Cet éloignement effectif dépend en effet du bon vouloir des pays d’origine. Ainsi, en 2021, plus de 120 000 obligations de quitter le territoire français ont été prononcées, et moins de 15 000 réalisés, un taux d’exécution de 12,5 %, l’un des plus faibles d’Europe.

En outre, aucune disposition du projet de loi n’a pour objet de dissuader les demandes d’asile infondées, alors même qu’une minorité de demandeurs seulement se voit octroyer la protection internationale. Au contraire, certaines mesures ne visent qu’à mieux préparer le système de l’asile à absorber un nombre croissant et massif de demandes, via l’extension du délai de jugement des décisions de placement en zone d’attente. Rien n’est donc fait pour corriger les principaux défauts du système : un taux d’exécution calamiteux des mesures d’éloignement conjugué à une absence de mesures dissuasives à l’égard des demandes infondées. Dans le projet de loi, les déboutés de l’asile ont donc toujours plus de chances de se maintenir sur le territoire national que de le quitter.

De timides mesures visant à mieux sanctionner les étrangers qui menacent gravement l’ordre public

En l’état actuel du droit, les étrangers ne peuvent être expulsés[2] que s’ils représentent une menace grave pour l’ordre public (article L631-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ou CESEDA) et s’ils ne bénéficient pas de l’une des nombreuses protections mentionnées aux articles L631-2 et L631-3.

Ainsi, l’article L631-2 ne permet l’expulsion d’un étranger parent d’enfant français mineur, conjoint de Français, résidant en France depuis plus de dix ans ou titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle, que si son maintien sur le territoire national menace la sûreté de l’État ou la sécurité publique. Deux exceptions sont toutefois prévues à ces protections : l’étranger condamné à une peine d’emprisonnement ferme d’au moins cinq ans et l’étranger vivant en situation de polygamie.

L’article L631-3 va plus loin et ne permet l’expulsion de certains étrangers – résidant habituellement en France depuis l’âge de 13 ans ; depuis plus de vingt ans ; depuis plus de dix ans et marié depuis quatre ans avec un Français ou un étranger vivant en France depuis l’âge de 13 ans ; depuis plus de dix ans et parent d’un enfant français mineur ; étranger malade ne pouvant bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine – qu’en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence. Les étrangers visés à cet article L631-3 peuvent toutefois être éloignés s’ils vivent en situation de polygamie ou si les faits à l’origine de la décision d’expulsion ont été commis à l’encontre de leur conjoint ou de leurs enfants.

Le projet de loi vient réduire l’étendue de ces protections : ce n’est plus la durée de la peine de prison effectivement infligée par le juge qui permet de prononcer une expulsion, mais la durée encourue. Le juge ne peut donc plus protéger d’une expulsion un étranger menaçant la sûreté de l’État ou la sécurité publique en le condamnant à une faible peine de prison.

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Il convient toutefois de relativiser la portée de ces dispositions. Pour tous les faits punis de moins de cinq ans de prison, l’étranger continue de bénéficier des protections des articles L631-2 et L631-3. En outre, la peine de prison d’au moins cinq ans n’est pas un motif suffisant d’expulsion, encore faut-il que l’État prouve que l’étranger continue de représenter une menace grave pour l’ordre public. Enfin, lorsqu’il est saisi d’une décision d’expulsion, le juge apprécie sa nécessité et sa proportionnalité, notamment à l’aune de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège le droit de toute personne « au respect de la vie privée et familiale » et a donné lieu à une abondante jurisprudence très protectrice des étrangers faisant l’objet de mesures d’expulsion.

On peut trouver surprenant qu’il existe des « protections » pour empêcher l’expulsion des étrangers menaçant l’ordre public, voire dont le comportement est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, ce qui laisse penser que l’État est plus soucieux de préserver le droit au séjour d’un étranger dangereux que la sécurité de ses propres citoyens.Vu l’étendue de ces protections, que le projet de loi préserve, l’expulsion devrait donc rester une mesure de police exceptionnelle (en 2022, seuls 341 arrêtés d’expulsion ont été ordonnés).

Lutter contre le recours au travail illégal et, « en même temps », régulariser les clandestins travaillant dans les métiers en tension

Le projet de loi crée une amende, pouvant aller jusqu’à 4 000 euros par travailleur, à l’égard des personnes qui emploieraient des étrangers n’ayant pas le droit de travailler. Il introduit « en même temps », à titre expérimental jusqu’en 2026, une carte de séjour temporaire mention « travail dans les métiers en tension », valant autorisation de travail. Pour bénéficier de cette carte, l’étranger devra exercer ou avoir exercé pendant au moins huit mois au cours des vingt-quatre derniers mois une activité salariée dans un métier ou une zone géographique en tension.

Ainsi, le gouvernement concocte-t-il un texte qui parvientà la fois à renforcer les sanctions contre le travail illégal et à permettre la régularisation des clandestins travaillant dans les métiers en tension, ce qui aura pour conséquence un recours accru au travail illégal. Bien loin de l’objectif de mieux contrôler l’immigration, ou d’améliorer l’intégration, le projet de loi crée ainsi une raison de plus de tenter d’entrer et de se maintenir irrégulièrement sur le territoire.

Un timide renforcement du contrôle de l’intégration des étrangers

Pour « améliorer l’intégration », le gouvernement propose d’obliger l’étranger qui demande un titre de séjour à s’engager à respecter une série de principes dits républicains – liberté personnelle, liberté d’expression et de conscience, égalité entre les femmes et les hommes, dignité de la personne humaine, devise et symboles de la République –, et à ne pas se prévaloir de ses croyances ou convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers.

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Cette disposition, déjà prévue pour la carte de séjour pluriannuelle et la carte de résident, est étendue à la carte de séjour temporaire (annuelle). Toutefois, la délivrance de ce titre n’étant soumise à aucun prérequis linguistique, il est probable qu’un certain nombre d’étrangers signeront cet engagement sans en comprendre la lettre et encore moins l’esprit. En outre, les sanctions (refus, retrait ou non-renouvellement du titre) ne peuvent être prises qu’à des conditions très restrictives : manquements suffisamment graves et caractérisés et décision prise après avis de la commission du titre de séjour. Surtout, la sanction encourue doit être mise en balance avec le respect de la vie privée et familiale du demandeur, qui reste prioritaire.

Les locaux de la police aux frontières de Menton, près de la frontière italienne, 16 février 2023. Credit:Lionel Urman/SIPA

Le projet de loi conditionne également la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle à un niveau minimal de connaissance de la langue française, là où cette délivrance n’est aujourd’hui conditionnée qu’à la participation assidue aux formations prévues dans le contrat d’intégration républicaine (CIR). Cette simple exigence d’assiduité explique qu’environ un quart des signataires du CIR n’atteigne pas le niveau A1 (le plus faible) à l’issue de son parcours, sans que cela fasse obstacle à la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle.

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Le niveau attendu pour la délivrance de cette carte doit être fixé par décret, mais il est peu probable qu’il soit supérieur à A1.À titre de comparaison, l’Italie exige un niveau A2 après deux ans de séjour, qui peuvent être prolongés d’un an, avant que le titre de séjour soit retiré et que l’étranger puisse faire l’objet d’une mesure d’éloignement. Même avec l’introduction de cette exigence linguistique – qui peut être contournée par la multiplication des cartes de séjour temporaires comme le suggère le directeur de l’OFII[3]–, la France resterait donc l’un des pays les moins exigeants d’Europe pour l’admission au séjour.

Comme en 2018, ce projet de loi relatif à l’immigration manque d’ambition, et ne peut être considéré comme permettant sérieusement de mieux « contrôler l’immigration » ni d’« améliorer l’intégration ». Les mesures proposées sont d’autant plus décevantes que plusieurs démocraties occidentales (Danemark, Royaume-Uni, États-Unis) ont proposé des réformes innovantes et efficaces de leurs politiques migratoires dans la période récente, dont la France aurait pu s’inspirer : externalisation de la gestion de l’asile à des pays tiers, restrictions du regroupement familial, instauration de quotas annuels… Dans ce contexte, les très timides mesures proposées, qui éludent totalement les sujets essentiels de l’acquisition de la nationalité et de l’immigration familiale, témoignent davantage d’un souhait de continuité de la politique actuelle que d’une volonté de réforme authentique. Le président de la République ne s’en cache d’ailleurs pas, lorsqu’il affirme, dans un entretien au Figaro du 2 août 2023, que la France « continuera d’être un pays d’immigration », et qu’il souhaite y conduire une « politique de peuplement ».


[1]Cette analyse porte sur la dernière version connue du PJL Immigrationprésentée par le Gouvernement au 1er semestre 2023

[2]. L’expulsion, à ne pas confondre avec l’éloignement, est une mesure de police administrative ne visant que les étrangers – en situation régulière ou non – représentant une menace pour l’ordre public.

[3]. Entretien au Figaro du 13 mars 2023.

La défaillance de la nation

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Les députés Jean-Luc Mélenchon et Danièle Obono, sur les bancs de l'Assemblée nationale, Paris, 22 mars 2020 © LUDOVIC MARIN-POOL/SIPA

La nation française se divise et se morcelle sous nos yeux. Les professeurs qui sont en première ligne en sont les premières victimes. L’un d’eux sonne l’alarme.


L’attentat commis contre Dominique Bernard, professeur de lettres au collège-lycée Gambetta-Carnot d’Arras, nous a presque tous cruellement touchés.

Je dis « presque » tous, car la nation française est loin d’être unie dans la douleur. Le plus triste, c’est qu’il ne faudrait même pas en être surpris : la disparition de l’unité nationale est aussi, trop souvent, la cause première des attentats qui nous ébranlent.

Rancœurs silencieuses

M’accuserait-on de pessimisme ? Le réel plaide en ma faveur : plus de 350 incidents recensés lors de la minute de silence organisée dans les écoles en hommage au professeur. Mesure ô combien symbolique, rassembleuse, émouvante ! – qu’il est proprement insupportable de voir bafouée par les haïsseurs de la patrie. Et l’on ne compte plus les commentaires injurieux sur les réseaux sociaux contre une victime devenue héros dans son sacrifice, ni les rancœurs silencieuses que l’on préfère ignorer pudiquement, par effroi de la vérité.

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Ce n’est pas tout de s’indigner, il faudrait peut-être agir. Et pas seulement par « l’exclusion » de 68 élèves (!), comme l’a proposé le ministre de l’Éducation nationale, mais par des sanctions exemplaires. Ce traitement inconséquent des soutiens, même passifs, à des entreprises terroristes est indigne, et démontre bien à quel point le mot de « nation » est désormais descendu. On rappellera, à tout hasard, que le fait d’entretenir des intelligences avec une organisation étrangère « en vue de susciter des hostilités ou des actes d’agression contre la France » est puni de trente ans de détention et de 450 000 euros d’amende (art. 411-4 du code pénal). La suscitation d’une « intelligence », d’une « hostilité », d’une « agression » même, c’est pourtant bien, il me semble, à quoi ressemblent les « incidents » constatés dans les écoles : on parle pour certains lycéens de menaces de mort contre les enseignants ! – « T’es le prochain », disent-ils. Chahuter dans ces circonstances atroces une minute de silence, c’est grave. Hélas ! pour ce genre d’élève qui bouscule l’hommage à la victime d’un attentat fanatique, une exclusion, c’est certainement une bonne nouvelle. L’État est encore une fois défaillant.

Fracture culturelle

Donc, s’indignera-t-on chaque année inutilement ? En 2021, déjà, une centaine d’incidents avaient été dénombrés lors des hommages à Samuel Paty. Combien y en aura-t-il en 2024, en 2025, lors de nouveaux hommages à de nouveaux professeurs assassinés, à Reims, à Lille ou peut-être Toulouse ? De plus en plus, à n’en pas douter.

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Si l’exécutif voulait nous protéger efficacement, ce qui devrait être son premier vœu, puisque c’est son rôle premier, il prendrait des mesures nationalistes, par exemple une limitation drastique de l’immigration. L’importation du conflit israélo-palestinien sur notre territoire a révélé à quel point sont chez nous profondes, irréconciliables et nombreuses les fractures culturelles. Mais la nation, on aime mieux décidément la faire disparaître ; alors l’Intérieur, malgré tous ses beaux discours, préfère installer des portiques de sécurité aux entrées des écoles, quand c’est devant la France entière qu’il faudrait mettre des barrières, et poursuivre en justice tous ceux qui ne vont pas dans son sens. Quel est l’intérêt de saisir la justice contre Danièle Obono ? Le ministre la croit-il sincèrement délinquante ? Mais il devrait l’écouter, plutôt, et avec attention : car n’en déplaise, elle est la porte-parole d’une proportion de la population qui ne cesse d’augmenter, et qui deviendra majoritaire si rien n’est fait.

Gérald Darmanin peut bien taper des poings sur la table. En 2022 (chiffres du ministère de l’Intérieur), 320 330 premiers titres de séjour ont été délivrés, rien que ça. Et je ne reviendrai pas sur l’historique de l’assassin de Dominique Bernard, affligeant, comme toujours.

Prenez donc des mesures d’urgence, Monsieur le ministre ; faites des hommages, tenez des discours de fermeté. Et « en même temps » habituez-vous, comme nous tous, à entendre crier « Allah Akbar » sur la place de la République : ce sera votre bilan.

Fachos, mais pas trop

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D.R.

À Rennes, le groupe d’extrême droite l’Oriflamme a revendiqué avoir dégradé l’entrée du local du Parti communiste dimanche dernier, en réaction à la mort de Dominique Bernard. Le bourgeois breton, qui estime que rien n’est plus sacré que le droit des réfugiés tchétchènes à demeurer en France, est très choqué. Qui sont ces affreux du groupe l’Oriflamme, et quel est leur message ?


Lundi matin, c’est ce gros titre qu’ont découvert les Rennais sur le petit chevalet bleu et jaune Ouest-France qui s’expose devant les marchands de journaux et les supérettes : « PCF : les locaux vandalisés ». Il fallait s’aventurer dans les colonnes du quotidien, pour en savoir plus.

On apprenait alors qu’un groupuscule d’extrême droite dénommé l’Oriflamme avait vandalisé la veille le local du parti des 70 000 fusillés. L’action a été elle-même revendiquée par la formation sur son compte Twitter. « Traîtres à la France, communistes assassins », pouvait-on lire sur des imprimés collés sur le portail, sur lequel de la peinture rouge avait été également apposée. « L’entrée du local du PCF a été décorée en scène de crime car les politiques défendues par les gauchistes (et notamment les communistes) tuent des Français, nous explique un militant. Il convient donc de le montrer aux Français, plus que jamais. Leur cosmopolitisme les mène à défendre des islamistes qui finissent par tuer des Français. Ce sont des traîtres. »

Un communiqué du PC rennais embarrassant

L’Oriflamme a voulu réagir à sa façon à la brulante actualité nationale, et reproche au PCF local de s’être mobilisé ,en 2014, aux côtés du MRAP et de la Cimade, contre l’expulsion de la famille de Mohammed Mogouchkov, le terroriste islamiste d’Arras. La mobilisation avait alors permis le réexamen du dossier par le ministère de l’Intérieur, qui avait fini par annuler l’expulsion. Le jeune homme originaire d’Ingouchie s’est désormais fait connaitre de tous comme l’auteur de la terrible attaque au couteau qui a coûté la vie à Dominique Bernard, enterré hier. À l’époque, la famille était hébergée à la Guerche-de-Bretagne, dans l’Est de Ille-et-Vilaine, et venait d’être déboutée du droit d’asile. Michèle Fougeron, alors présidente du MRAP, s’était émue : « Comment oser reprocher à ces parents de n’avoir pas de ressources, quand la préfecture a refusé, voici deux ans, une autorisation au père qui avait une promesse d’embauche ? » Puis, le père, Kiadi Mougouchkov, a lui été expulsé vers la Russie, en 2018, en raison de problèmes administratifs et de soupçons de violences conjugales.

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À Rennes, la gauche, qui domine nettement le paysage politique et intellectuel, est scandalisée. Aurélien Guillot, secrétaire fédéral du PCF en Ille-et-Vilaine, a annoncé qu’il portait plainte. Une menace qui n’inquiète pas outre mesure notre militant : « Il n’y aucun risque judiciaire car la permanence n’a pas été dégradée et nous ne sommes pas rentrés dans les locaux par effraction ; nous n’y sommes pas du tout rentrés ». La maire de la ville, Nathalie Appéré (PS), a exprimé son soutien aux camarades. Et la section locale du PCF estime que puisque Mohammed Mougouchkov n’avait que onze ans au moment de la mobilisation contre son expulsion, rien ne pouvait présager qu’il pourrait un jour commettre un tel acte terroriste. Reste que le communiqué de presse de 2014 en soutien à la famille a depuis ce week-end disparu du site web de la section rennaise du PCF…

Terre hostile

Mais qu’est-ce donc que l’Oriflamme ? Dans une capitale bretonne où Marine Le Pen n’a fait que 15% des voix au deuxième tour de la présidentielle 2022, le groupuscule tente de diffuser des thèmes très droitiers en terrain très hostile.

On les voit, sur certaines photographies, avec des croix celtiques, symbole utilisé par divers mouvements d’ultra-droite européens. « En réalité, c’est le logo d’une marque de vêtements, European Brotherhood », assure notre contact, une marque connue dans tous les mouvements européens d’extrême droite. Notre militant rectifie : « Nous disposons d’un drapeau mi-fleur de lys mi-croix celtique. Il représente la nation et la civilisation, la France et l’Europe. Et puis, de toute façon, si nous voulions être ironiques, nous dirions que la croix celtique a toute sa place en Bretagne car elle rappelle ses racines celtes ». Il est vrai que l’on croise ce symbole dans de nombreux cimetières bretons. Au départ, les jeunes gens de l’Oriflamme constituaient la cellule locale de l’Action française avant de se séparer du vieux mouvement maurrassien. « Il s’agissait pour les militants de recouvrer une certaine liberté, aussi bien de mouvements que de pensée, sans subir le joug d’une bureaucratie parisienne déconnectée et, à l’usure, néfaste et décourageante ». Le groupuscule rennais dégage désormais un style moins royaliste que fascisant, dans le genre des supporters de la Lazio de Rome. Notre militant interrogé se défend et conteste fermement le terme : « Fascistes, nous ? Vous osez nous demander si l’on se définit par le terme le plus déformé du monde, qui recouvre désormais une centaine de fantasmes au moins ? Il n’est pas possible de vous répondre, du moins nous sommes dans l’obligation de dire : non ». Le militantisme dans des partis plus classiques, très peu pour eux : « Nous ne désirons pas défendre des partis qui ne sont que des structures pourries où le pire de l’homme (la perfidie, le mensonge, la trahison, la volonté de pouvoir) s’exprime constamment ».

Choquer le bourgeois

En mai 2023, l’Oriflamme s’est mobilisé à Saint-Brévin (Loire-Atlantique) contre l’installation d’un camp de migrants. Puis également à Saint-Senoux (Ille-et-Vilaine), contre un atelier donné à des enfants et animé par des drag-queens dans la médiathèque de la bourgade. Une quinzaine de militants, aux visages dissimulés et avec un mégaphone, avait sérieusement plombé l’ambiance ce jour-là. L’un des participants a été condamné à six mois de prison ferme et 1 500 euros d’amende pour « injure publique envers une personne dépositaire de l’autorité publique » (le maire de la ville) et « provocation publique à la haine ou à la violence en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre ».

Avec leur action contre les cocos, les militants de l’Oriflamme auront donc réussi cette fois à choquer le bourgeois rennais. Une mobilisation que l’on pourrait toutefois rapprocher des actions d’agit-prop de Greenpeace, lorsque ses activistes s’introduisent dans des centrales nucléaires. Ça choque, ça a été conçu pour, ce n’est pas sympa pour celui qui doit enlever la peinture après, mais pas de quoi ouvrir une cellule psychologique non plus.

A Rennes, ce week-end, d’autres tags ont été observés, non loin du cimetière du Nord : « Mort aux Juifs ». Un message sans doute en lien avec l’actualité au Proche-Orient, et qu’aurait pu également rapporter Ouest-France sur son petit chevalet du lundi matin.

Quelque chose de réussi au Royaume du Danemark

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Mette Frederiksen, la Première ministre sociale-démocrate du Danemark, présente son nouveau gouvernement issu d’un accord avec le parti centriste et la formation libérale, 14 décembre 2022 © Mads Claus Rasmussen/Ritzau Scanpix/Sipa

Après avoir tenté l’accueil pour tous, les Danois ont compris que la défense de leur cohésion nationale passait par une immigration strictement encadrée. Le secret de la réussite de ce « modèle » : ne pas être inféodé aux diktats de Maastricht et ignorer les remontrances de l’ONU et des ONG.


Pour les gauches européennes, comme pour l’ONU, la crise démographique de notre continent n’appelle qu’une seule réponse : l’ouverture des frontières. L’immigration est à la fois une fatalité, une nécessité et une obligation. Hors son acceptation, point de salut. Ce n’est pourtant pas l’avis des premiers concernés : les peuples, de plus en plus inquiets face à l’arrivée massive de migrants comme à Lampedusa. Les citoyens européens ne voient pas la crise démographique comme un simple problème économique, soluble dans l’importation de main-d’œuvre et de ventres. Ils sont conscients qu’elle se pose aussi en termes anthropologiques et culturels. Ils craignent la submersion et ont le sentiment que leurs représentants politiques sont dans le déni.

Prix culturel

Alors est-il possible pour un État, de mettre en place une politique d’immigration sans en payer le prix culturel ? Est-il possible pour une nation de contrôler les flux et d’exiger l’assimilation ?« Non », répond Clément Beaune, ministre des Transports. Il prend à témoin la situation actuelle de l’Italie. Selon lui, Georgia Meloni est en train de prouver qu’une solution à l’échelle nationale est vouée à l’échec. Seule l’Europe aurait la réponse. Autant dire que nous sommes assignés à l’apathie.

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Or il existe un petit pays européen qui a réussi à mettre en place une politique consensuelle et efficace permettant de maîtriser l’immigration. Il s’agit du Danemark. Pourtant, les Danois n’ont pas eu de révélation. Ce n’est qu’au bout d’un long processus (de 2002 à 2016, la loi sur les étrangers a été modifiée 93 fois et 42 fois entre 2017 et 2019) qu’ils ont élaboré le désormais célèbre « modèle danois ».Leur recette ? D’abord un positionnement pragmatique et non idéologique vis-à-vis de l’Union européenne. Quand les Danois ont rejeté le traité de Maastricht, leurs représentants politiques n’ont pas décrété que le peuple avait mal voté. Ils ont entendu le message et ont négocié nombre de dérogations au droit européen. Le traité a fini par être ratifié, sans que le Danemark adhère aux obligations imposées par l’Europe en matière d’immigration. Il démontre aujourd’hui, par sa réussite, que l’Europe fait partie du problème.

Regroupement familial et acquisition de la nationalité: le parcours du combattant

La cohérence de la politique danoise et son caractère consensuel viennent de la clarté de leur diagnostic : pour les Danois, la protection de leur système social passe par la diminution de l’immigration et non par l’ouverture des frontières, supposée augmenter le nombre de cotisants. Ils pensent que« l’État providence dépend autant du niveau de confiance dans la société que des performances économiques du pays[1] ». Ainsi l’homogénéité et la cohésion de la société – plutôt qu’une certaine idée de la diversité –sont essentielles pour que les citoyens acceptent de payer les uns pour les autres. Voilà pourquoi la politique d’immigration danoise marche sur deux jambes : restriction (mais pas immigration zéro) et exigence d’assimilation.

Les Danois, par ailleurs, se moquent des protestations de l’ONU et des ONG, parce qu’ils ont pu constater que la fermeté paye. Entre 2014 et 2019 le nombre total des demandes d’asile a chuté de 82 % et celui des migrants (hors demandeurs d’asile) a baissé de 14 %.

En ce qui concerne le regroupement familial, par exemple, chaque immigré doit signer un contrat spécifique qui fixe ses obligations, les objectifs et les étapes du parcours d’intégration. Sans contrat signé et respecté, pas d’aides sociales. D’autres règles ont été mises en place pour éviter que les migrants aillent chercher des épouses « au pays ». Pour pouvoir faire venir une personne de sa famille, il faut atteindre un certain niveau de revenu, ne plus toucher de prestations sociales et avoir un logement adéquat (pas plus de deux personnes par pièce, surface de 20 m2 par personne…). Autre point, l’effort d’intégration étant au cœur de la politique d’accueil, toute peine de prison, même avec sursis, est un facteur rédhibitoire pour l’acquisition de la nationalité.

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Et ce n’est pas tout : la politique danoise d’expulsion est elle aussi efficace. D’abord la mesure est appliquée immédiatement une fois la demande refusée et une autre demande ne peut être déposée avant un délai conséquent. Pendant l’examen du dossier les candidats hébergés dans des centres pour migrants, doivent pointer à la police quotidiennement. Enfin, c’est le Danemark qui définit lui-même si un pays est sûr ou pas et donc s’il est possible de renvoyer les réfugiés dans leur pays d’origine. Par ailleurs ayant pu, pendant l’affaire des caricatures de Mahomet, mesurer la dangerosité du fondamentalisme musulman et surtout des militants religieux, le Danemark a durci les conditions requises pour que ceux-ci puissent bénéficier d’un titre de séjour.

Mais le Danemark va encore plus loin. La « Jewellery Law » (« loi des bijoux ») votée en 2016 – suscitant une énorme controverse – donne aux autorités le pouvoir de confisquer argent, bijoux ou objetsd’une valeur supérieure à 10 000 couronnes (1 340 euros). L’idée est de faire participer le réfugié à la charge qu’il génère dans le pays qui l’accueille.

Ce modèle danois est parfaitement reproductible ailleurs. Mais pour cela, la renégociation de certains traités européens est indispensable. Pour autant, tout n’est pas si facilement transposable : les mêmes causes n’ont pas toujours les mêmes effets. Au Danemark, par exemple, la suppression des aides sociales s’est rapidement traduite par une baisse du nombre de demandes d’accueil. En France, les candidats à l’immigration sont souvent francophones, ils bénéficient d’attaches et de points de chute, peuvent compter sur une diaspora importante, leur choix ne dépend pas forcément du montant des aides sociales. Il n’en reste pas moins que l’exemple du Danemark ne tient pas seulement aux mesures concrètes mises en place. Elle rappelle que la politique, c’est avant tout du courage et de l’action, et qu’un sujet délicat peut devenir consensuel quand les hommes politiques s’en emparent au nom de l’intérêt général et de la volonté des peuples.


[1] « La politique danoise d’immigration : une fermeture consensuelle », janvier 2023, fondapol.org.

À Gaza, Médecins Sans Frontières participe, hélas, à la manipulation du Hamas

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L'humanitaire Sarah Chateau, "Quotidien", 18 octobre 2023. Capture d'écran.

Si l’enquête et l’Histoire confirment bien que le tir retombé sur l’Hôpital Al-Ahli Arabi a été tiré depuis Gaza, MSF aura fait le jeu du Hamas en relayant sa propagande. L’organisation terroriste palestinienne ne peut que se réjouir des déclarations de la prestigieuse organisation humanitaire. 


Avec « l’attaque contre l’hôpital de Gaza », nous venons d’assister à l’une des plus « belles » manipulations de l’histoire récente. Reprenons. Immédiatement après l’impact, la presse du monde entier, qui ne dispose d’aucune information directe et d’aucun correspondant sur place reprend « l’info » de cette attaque. Les plus prudents, comme le New York Times, qui changera trois fois son titre par la suite, parlent d’une « une frappe israélienne tuant des centaines de personnes dans un hôpital selon les Palestiniens », sans préciser qu’ici il s’agit du Hamas. La plupart des médias ne mentionnent aucune source. Lorsqu’elle est citée pour évoquer le nombre de morts, il s’agit du « ministère de la santé de Gaza », sans jamais, à quelques exceptions près, mentionner le Hamas. 

Les fantasmes de la rue arabe

Aussitôt, « la rue arabe » s’enflamme. Il faut évidemment un peu de temps à l’armée israélienne pour analyser l’événement, d’autant plus qu’elle n’est pas à l’origine de la frappe mortelle. Au fil des heures, les preuves s’accumulent : une vidéo d’un tir du Hamas, l’absence de cratère au lieu de l’impact, une conversation enregistrée entre membres du Hamas, aucune image des « au moins 500 morts » dont on ne voit pas pourquoi le Hamas se serait privé de les montrer, des voitures calcinées mais un hôpital qui semble intact, ou du moins pas du tout effondré comme les immeubles touchés par les frappes israéliennes dont on voit quotidiennement les images à la télévision.

En visite en Israël, Joe Biden cautionne l’analyse du gouvernement israélien et le renseignement européen croit savoir qu’il n’y aurait « que » 10 à 50 morts, ce qui est beaucoup plus conforme aux images que chacun peut voir. Fin de l’histoire, mais pas plus qu’elle n’a été convaincue que le 11 septembre 2001 n’était pas un complot juif, la « rue arabe » ne croira jamais à la culpabilité du Hamas. Tous les journalistes et médias qui ont relayé cette fake news de la responsabilité israélienne ont fait le jeu du Hamas. Au passage, l’absurdité de la directive européenne sur les services digitaux chère au commissaire Thierry Breton se confirme. Dans le monde actuel, il est utopique de vouloir contrôler par la loi ce qu’il appelle la «  désinformation ». Dans ce cas, la presse du monde entier est tombée dans la fake news. A qui va-t-il infliger une amende ?

Syndrome de Stockholm ?

Le plus interpellant reste le fait que des organisations humanitaires relaient le discours du Hamas. Ainsi dans un tweet toujours visible, Médecins Sans Frontières déclare « Nous sommes horrifiés par le bombardement israélien (je souligne) de l’hôpital Ahli Arab dans la ville de Gaza ». « Des centaines de personnes ont été tuées selon les autorités locales », mais MSF ne précise pas qu’il s’agit du Hamas. Cette prise de position pose problème pour une organisation dont les principes de base sont la neutralité et l’impartialité, de même que la reprise du nombre de victimes selon le Hamas, mais sans mentionner ce dernier. Enfin, selon les déclarations de ses responsables, MSF aurait du personnel sur place dans l’hôpital, et devrait ainsi avoir une meilleure évaluation que le Hamas du nombre de morts, ce qui pourrait donner un sens au rôle de témoignage de l’organisation. Dans une interview la coordinatrice de MSF à Paris affirme que « le toit de l’hôpital s’est effondré sur un de ses chirurgiens pendant qu’il opérait ». Peut-être, mais on aimerait en savoir davantage puisque le toit de l’hôpital semble intact. À ce jour, aucun tweet ne vient corriger l’erreur (la faute?) initiale de MSF, attribuant la frappe à Israël. Et un journaliste un peu consciencieux aurait pu interroger l’organisation, encore présente dans l’émission Quotidien hier, à ce sujet.

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Depuis le début de cette guerre, MSF n’a fait aucun tweet pour dénoncer les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis par le Hamas en Israël, pas plus que la prise d’otages de dizaines d’Israéliens qui viole le droit humanitaire auquel l’organisation fait si souvent appel. Longuement interrogée il y a quelques jours sur France 24, Sarah Chateau, la responsable du programme, se voit tendre une perche en fin d’interview par la journaliste qui l’interroge sur le sort des otages. Or, Madame Chateau se contente de répondre laconiquement qu’elle est « désolée » pour ces otages, sans prononcer la moindre condamnation. 

Le syndrome de Stockholm est assez fréquent dans le monde de l’humanitaire où, focalisé sur une situation particulière souvent dramatique, les acteurs ne sont pas conscients d’autres aspects pourtant tout aussi visibles d’une crise humanitaire. Souvent, inconsciemment, ils en viennent à se faire complice des bourreaux des victimes qu’ils cherchent à aider. On l’a vu en Ethiopie (1984-1985), lors du génocide des Tutsis au Rwanda (1994) et en Bosnie (1992-1995). À Gaza, sans aucunement jeter la pierre à ceux qui sont sur place et font ce qu’ils peuvent, MSF fait le jeu du Hamas, qui ne peut que se réjouir des déclarations de la prestigieuse organisation humanitaire. Afin de tenter de rendre leur discours plus « objectif » (ou plus neutre, ou simplement plus honnête), les médias ont besoin de témoins sur place qui ne soient pas palestiniens. Dans ce jeu de rôle, une organisation renommée comme Médecins sans Frontières est l’acteur idéal pour « crédibiliser » la description de la situation.

Avant l’attaque contre l’hôpital, j’ai expliqué dans le Figaro pourquoi l’aide humanitaire à Gaza faisait le jeu du Hamas et ne pouvait que le renforcer. Cela ne veut, évidemment, pas dire qu’il ne faut pas soigner, nourrir et aider les Gazaouis victimes des bombardements ou contraints de se déplacer. Ce rôle devrait être laissé aux pays arabes qui ne manquent ni de médecins, ni de volontaires, ni de moyens financiers. En voulant à tout prix être sur place (pourquoi ?), les organisations humanitaires occidentales, dont on voit à travers cet exemple qu’elles n’apportent aucune valeur ajoutée même en temps que « témoin sur place », deviennent involontairement les complices du Hamas.


Alain Destexhe est médecin, sénateur honoraire belge et ex-secrétaire général de Médecins Sans Frontières. Il est l’auteur de nombreux livres et articles sur l’humanitaire en situation de conflits dont L’humanitaire impossible ou deux siècles d’ambiguïtés (Armand Collin) et de Rwanda : essai sur le génocide (Complexe).

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Sir Keir Starmer: futur Premier ministre britannique?

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Sir Keir Starmer à la Conférence annuelle du Parti travailliste, à Liverpool, le 10 octobre 2023 © Michael Bowles /Shutterstock/SIPA

Après une convention annuelle réussie à Liverpool, la semaine dernière, le leader du Parti travailliste britannique, Keir Starmer, se rêve en futur Premier ministre de la Grande-Bretagne. Portrait.


Keir Starmer est la figure politique montante de la Grande-Bretagne. Cet avocat pénaliste, élu député en 2015 puis président du Labour en 2020, après la défaite historique de son parti aux élections législatives de décembre 2019, est en position de force face au Parti conservateur (Tories), usé par ses treize années au pouvoir. L’allocution finale du leader travailliste à Liverpool, devant un amphithéâtre comble fut une partie de plaisir, malgré l’irruption impromptue d’un militant à la tribune, qui a arrosé le chef du Labour de paillettes au début de son discours. Le message de Starmer était clair : le parti travailliste gagnera sûrement les prochaines élections et doit se préparer à gouverner. Mais il a averti ses militants : la tâche à relever sera rude ! « Vous pensez que notre travail en 1997 a consisté à reconstruire un service public en ruines ? Qu’en 1964, il a consisté à moderniser notre économie dépassée ? Et en 1945, à reconstruire une nouvelle Grande-Bretagne pour la sortir du traumatisme du sacrifice collectif ? Eh bien, en 2024, ce devra être les trois à la fois !» Pas de pitié, donc, pour le bilan des conservateurs.

Sunak : le Macron britannique ?

Sir Keir Starmer a vu juste dans son discours, en accusant ses opposants de ne rien comprendre aux problèmes du peuple : « Rishi Sunak et les hommes et femmes superficiels de Westminster sont incapables de voir, incapables d’écouter, incapables de se mettre à votre place et de servir ce pays. Et ils ne changeront pas. Ils n’ont pas même changé durant la pandémie lorsque notre pays s’est rassemblé pour suivre les règles : celles qu’ils ont eux-mêmes fixées et brisées. » L’image des conservateurs est effectivement bien ternie depuis les révélations de fêtes et de réceptions organisées au 10 Downing Street durant le confinement de 2020, lorsque Boris Johnson était Premier ministre. En plus de cela, Keir Starmer souligne bien la réputation hautaine et dépensière de ses opposants, dès le début de son discours : « Le champion auto-proclamé des automobilistes, qui a dû emprunter la voiture d’un employé de magasin pour sa séance de photo. Un homme qui porte un regard attentif à la crise de l’inflation – depuis son hélicoptère de proximité. » Les rires éclatent alors dans l’assistance, où plusieurs se souviennent des critiques émises par les travaillistes à l’encontre du Premier ministre Rishi Sunak et de son chancelier Jeremy Hunt, à cause de leur usage de jets ou d’hélicoptères pour leurs déplacements en Grande-Bretagne. D’ailleurs, le Premier ministre s’est rendu à Manchester en avion au début du mois, pour la conférence annuelle des Tories, alors que le même jour il annonçait l’annulation du projet HS2 (High speed 2), qui devait relier Birmingham à Manchester par un train à grande vitesse… Milliardaire, Rishi Sunak peine encore à démontrer sa proximité avec les Britanniques « ordinaires » et Starmer, en bon travailliste en profite pour le décrédibiliser : rien de plus facile.

Objectif croissance

Keir Starmer veut y croire : son parti est prêt à remplacer les Tories d’ici la prochaine élection, prévue au plus tard en janvier 2025 – et qui pourrait avoir lieu à la fin de l’année prochaine. Au-delà de son discours offensif à l’égard des conservateurs, il a souhaité s’imposer comme le candidat du vrai changement : « Il est temps de construire un million et demi de nouvelles maisons à travers le pays. De créer des opportunités pour tous les primo-accédants dans chaque localité. De développer de nouvelles corporations avec le pouvoir d’éliminer les blocages. D’avoir de nouvelles infrastructures pour permettre aux familles et aux communautés de s’agrandir. D’avoir des routes, des tunnels et des centrales électriques – construits plus rapidement et pour moins cher. »

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Bref, Starmer souhaite montrer aux Britanniques que contrairement aux conservateurs, il possède la vision et l’ambition pour donner un nouveau dynamisme à son pays. Il souhaite ramener la croissance économique par la relance, en appliquant la bonne vieille doctrine keynésienne – dont les conservateurs sont souvent tout aussi adeptes. Mais attention, ce n’est pas le keynésianisme des Tories, fait de « réponses faciles » ou de « réductions d’impôts pour les riches », mais une économie qui profite à tous, en particulier aux « travailleurs ».

Émouvoir

Par ses références récurrentes à sa famille, d’origine effectivement modeste, Starmer a souhaité regagner les classes populaires, après la razzia de Boris Johnson en 2019 : « J’essaie de mon mieux de ne pas mentionner la maison où j’ai grandi. Mais sérieusement : cette maison en crépi représentait tout pour ma famille. Elle nous a donné de la stabilité pendant la crise de l’inflation des années 1970. Ella a servi de tremplin pour le voyage que j’ai entrepris durant ma vie. Et je crois que chaque famille mérite la même chose. » Starmer a grandi dans le comté de Surrey, au sud de la capitale. Sa mère était infirmière et son père ouvrier d’usine. Mais, au-delà de ces considérations familiales, le leader travailliste doit encore expliquer comment il compte financer son million et demi de maisons, alors que la dette britannique s’élève à plus de 2 600 milliards d’euros et que le taux directeur de la banque d’Angleterre s’établit à 5,25%. La chancelière du cabinet fantôme, Rachel Reeves, ex-économiste de la Banque d’Angleterre, l’a bien rappelé dans son discours, l’heure n’est pas à la dépense : « Je ne sous-estime pas l’ampleur de la tâche qui nous attend, ni les problèmes dont nous hériterions au gouvernement. Ils exigeront un travail dur, de la détermination et des décisions courageuses. » Le programme économique du Labour, encore très sommaire, mérite donc des précisions…

Gagner chaque vote et de la crédibilité…

Le Labour doit désormais faire face à un défi : démontrer sa crédibilité. Pour cela, il faut aussi des membres compétents pour le futur gouvernement. Et hormis la probable future chancelière de l’échiquier, Rachel Reeves, la compétence des membres du gouvernement fantôme de Starmer laisse songeur. Diane Abbott, Ministre de l’Intérieur du cabinet fantôme, un poste clé, est connue pour ses propos anti-blancs répétés depuis les années 1990 et ses positions ambigües sur l’antisémitisme au mois d’avril, cette année. Ils lui ont d’ailleurs valu une suspension de son poste pendant quelques jours, à la suite d’une interview sur Sky News, avant qu’elle ne se rétracte. Le combat du leader travailliste depuis son arrivée en poste est précisément de mettre fin à une phase sombre de l’histoire du parti, où les figures antisémites ne manquaient pas, à commencer par l’ancien maire travailliste de Londres, Ken Livingston.

Pourtant, le dernier sondage de l’institut YouGov, en date du 12 octobre, donne le Labour largement en tête des intentions de vote, avec 45%, contre 29% pour le parti conservateur. Les travaillistes ont donc de fortes chances de remporter une majorité absolue aux Communes (environ 343 sièges sur 650). Mais de tels sondages révèlent surtout d’un rejet du parti au pouvoir et le Labour doit désormais susciter un vote d’adhésion. « Get Britain’s future back » est l’actuel slogan de campagne de Starmer. D’accord, mais on attend son programme.

«Killers of the flower moon»: un grand Scorsese, un grand De Niro, un très grand film

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Robert De Niro et Leonardo DiCaprio dans « Killers of the Flower Moon » (2023) de Martin Scorsese © AppleTV+

Après la projection à Cannes de Killers of the flower moon, le public s’était levé pour une standing ovation de cinq minutes à Scorsese et à ses acteurs. Etait-ce mérité, ou était-ce juste l’hommage obligé des professionnels de la profession à un octogénaire qui a beaucoup donné au cinéma ? Notre chroniqueur est allé hier mercredi à la première heure se rendre compte de ce qu’il en était. Il en est revenu conquis.


Lire aussi, dans notre magazine en kiosques, la critique de Jean Chauvet • 

Scorsese aurait rêvé toute sa vie de faire un western, paraît-il. Eh bien le voici — ce qui nous amène à expliciter ce qu’est le western.

Rappelez-vous How the West was won — un titre édulcoré en français par La Conquête de l’Ouest (1962). Le film, en 70mm, avait mobilisé trois réalisateurs familiers du western — Ford, Hathaway et Marshall —, et une pléiade d’acteurs qui s’étaient illustrés depuis trente ans dans les films les plus célèbres du genre — Henry Fonda, Gregory Peck, James Stewart, John Wayne, Eli Wallach et j’en passe. Pesez bien le sens du titre américain : Comment l’Ouest fut conquis. Conquis sur qui ?

Fleurs de sang

Le film de Scorsese, immense film politique s’il en fut, répond à la question : la terre fut conquise sur les Indiens. Les Indiens de toutes origines et de toutes tribus, passés en un siècle de plusieurs dizaines de millions à moins de 100 000.

Et ça ne s’est pas arrêté aux années 1880. Scorsese raconte l’histoire vraie du massacre des indiens Osage, parqués dans une réserve d’Oklahoma — mais le traité stipulait qu’ils étaient propriétaires des ressources du sol et du sous-sol, que l’on pensait bien pauvres. Fatalitas ! Ça regorgeait de pétrole, et voilà nos sauvages riches à millions.

Oui, mais le Blanc n’est pas partageux. Alors il en tua quelques dizaines, pour récupérer leurs titres de propriété. C’est cette éradication tribale que raconte Killers of the flower moon (la « flower moon » est celle du mois de mai, quand la prairie fleurit — très beau plan d’iris sauvages blancs et bleus, à ceci près que les fleurs cultivées par les protagonistes blancs sont plutôt des fleurs de sang).

Et à ce jeu du vilain absolu, Robert De Niro, qui s’était ces dernières années égaré dans des productions lucratives et lamentables, fournit une prestation stupéfiante. Il ne gesticule pas, ne se lance pas dans de grands discours : il regarde, simplement, et ce qui passe dans son regard est de la haine et de la cruauté à l’état brut.

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Quand on écoute des interviews de De Niro, on est frappé par la pauvreté de ses propos. En fait, il illustre à merveille la théorie de Diderot et son Paradoxe du comédien : « C’est l’extrême sensibilité qui fait les acteurs médiocres : c’est la sensibilité médiocre qui fait la multitude des mauvais acteurs ; et c’est le manque absolu de sensibilité qui prépare les acteurs sublimes. » Voilà : De Niro (et à un moindre degré Di Caprio, qui a depuis longtemps compris que se cantonner dans les rôles de petite gouape à belle gueule ne le mènerait pas bien loin, et qui s’est épaissi, malmené, défiguré, jusqu’à ne plus être qu’un bloc de granit susceptible de toutes les expressions) ne joue pas, il devient à chaque fois le personnage qu’il incarne. Il disparaît derrière son personnage. Cybill Shepherd, sa partenaire de Taxi Driver, a raconté que dans une scène où il la menace, elle avait tellement cru à sa violence qu’elle tourne la tête, malgré elle, vers l’équipe de tournage pour quêter une aide, au cas où. C’est bien pire ici : ce que De Niro fait passer à chaque plan est une préfiguration de l’Enfer.

3h 1/2 de splendeur

Le film est long, il n’est pas trop long : l’enfer ne s’ouvre pas du jour au lendemain, il fallut près d’une soixantaine de morts avant que le FBI, que Hoover venait de créer, se décide à enquêter. Pendant ce temps, les Osages, diabétiques à force de manger comme les Blancs (à Marseille, le principal centre anti-diabétique est à la limite des quartiers musulmans du Nord, parce que le régime Coca / sodas, en sus du couscous, induit des pathologies « blanches » dans des organismes qui n’étaient pas préparés aux poisons de la civilisation avancée qu’est la nôtre), meurent à petit feu. Lily Gladstone, vraie indienne qui pourrait bien être la première « native » nominée pour un Oscar, joue splendidement le rôle de la fleur de prairie qui s’étiole et voit mourir sa famille autour d’elle, de façon plus ou moins violente.

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L’Ouest fut « gagné » par la poudre, et pas autrement. Les États-Unis aiment le sang, ils aiment la guerre, qui sert leurs intérêts commerciaux. Il n’y a aucun conflit — y compris les deux guerres mondiales — où ils soient entrés avec une autre idée que de se tailler des empires commerciaux.

C’est l’effet biblique assumé. Dieu leur a donné des territoires prétendument vierges — qu’ils se sont chargés d’assainir des tiques à peaux rouges qui les peuplaient. Killers of the flower moon tire la leçon ultime de cette conception religieuse de la propriété — et rassurez-vous, quoique condamnés, les tueurs n’ont pas fini leur vie en prison.

Prévoyez 3h1/2 de splendeur. Vous ne serez pas déçus, chaque plan est maîtrisé dans le moindre détail. L’insertion de photos noir et blanc, de fragments de films muets, donne le sentiment du temps qui passe sans peser sur le spectateur. C’est une merveille, comme seul le cinéma américain, quand il est maîtrisé par un très grand cinéaste, sait les élaborer. Et tant pis pour les p’tits jeunes qui se croient acteurs ou cinéastes. Qu’ils aillent prendre quelques leçons, et nous reviennent humbles — mais là, je crois que je rêve.


Les fossoyeurs du français, et les autres

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Le prix Nobel de littérature Annie Ernaux, ici photographiée en décembre 1996, aimerait bien simplifier la langue française, décidément bien trop compliquée © ANDERSEN ULF/SIPA

À contrecourant de la tendance actuelle prônant le ratatinement de notre langue et sa simplification à outrance, un ouvrage se propose, lui, d’enrichir notre vocabulaire. Et c’est succulent. 200 mots rares et savoureux pour briller, de Marion Navenant (Éditions De Boeck Supérieur, 2023).


Une tribune publiée dans Le Monde le 15 octobre nous a appris l’existence du collectif Les linguistes atterré(e)s, ainsi que leur revendication : « il est urgent de mettre à jour notre orthographe » !

Des gens très sérieux, tel le linguiste Claude Hagège, du Collège de France, ou encore des autrices et des auteures (je n’ai pas compris la différence), telles Geneviève Brisac, Annie Ernaux ou Marie Desplechin font front commun pour moderniser notre orthographe[1]. Parmi leurs arguments chocs : 1878, date antédiluvienne à laquelle remontent les règles qui régissent notre langue actuelle. Les signataires appellent à mettre fin à cet obscurantisme à l’origine de « l’opacité de notre orthographe […] et du temps passé à enseigner ses bizarreries et incohérences au détriment de l’écriture créative » (sic). Ces gens très sérieux appellent à retrouver « une liberté de choix », quitte à s’acoquiner avec quelques incohérences. Si « l’idée n’est pas de tout simplifier ni d’écrire en phonétique », il est, selon eux, légitime d’écrire « ognon » et « nénufar ». La même honnêteté intellectuelle leur dicte : « la paresse et le moindre effort seraient de ne rien changer » (re-sic). Parce qu’ils débordent donc d’énergie, ils estiment que les pluriels en « -s » doivent systématiquement remplacer ceux en « -x », même s’ils reconnaissent qu’ « on ne distinguera plus « lieux » et « lieus », ni « feux » et « feus » ». À ce petit détail, les signataires renvoient au « contexte » de la phrase. Ces auteures, autrices et autres linguistes ont bénéficié d’un enseignement général leur permettant de savoir ce que veut dire le mot contexte. Or, les preuves ne manquent pas pour affirmer sans risque que nombre d’écoliers, aujourd’hui, doivent ignorer ce mot ; ce mot comme tant d’autres.

Dans ce contexte, si je suis dire, d’effondrement du niveau d’orthographe comme de vocabulaire, à l’école comme dans la vie publique et professionnelle, il est rassurant de voir que nous ne sommes pas qu’entourés de fossoyeurs de la langue française. Tout le monde ne souhaite pas être enterré avec elle.

L’essayiste Marion Navenant. D.R.

Ainsi Marion Navenant nous offre-t-elle un ouvrage réjouissant : 200 mots rares et savoureux pour briller. Pour briller où ? À une réunion de famille, au bureau, au restaurant, chez le médecin, devant ses enfants, devant son chat (!), en vacances, en voiture, entre amis, sur les réseaux sociaux, à un rendez-vous amoureux, à la maison… Autant de chapitres débordants chacun d’une quinzaine de mots, avec leur étymologie, leur définition et des exemples pour les employer en société.

On pioche avec régal : fourchon. Désigne une dent de fourchette. Cuilleron, la partie creuse d’une cuillère… Ailurophile, du grec ailouros, employé pour désigner un animal qui remue la queue… Pour faire le malin, ne dites plus « j’ai attrapé un coup de soleil », mais « j’ai attrapé une actinite », et apprenez aux ignares allongés au bord de la piscine que ce mot est formé de l’affixe d’origine grecque actino-, « radiation », et –ite, « inflammation ». Une inflammation due aux rayons de soleil, quoi !

Connaître quelques bribes de la richesse de notre vocabulaire permet aussi de dire tout ce qu’on pense. « Ce type me canule » fait meilleur effet que « ce type me fait ch*er » (explication p. 129). On peut aussi lancer, sans craindre les contresens : « Je vous invite à poculer ! » Pour ceux qui n’entendent rien au latin, poculum est un « coup à boire ». 

Grâce à nos auteures, autrices et autres linguistes atterré(e)s, les élèves de France penseront encore longtemps que controuvé est une méchante insulte, si ce mot arrive un jour à leurs oreilles. Les lecteurs de causeur.fr et de Marion Navenant apprendront, s’ils ne le savent déjà, que cela désigne quelque chose d’inventé. Une rumeur ou une fausse nouvelle n’est autre qu’une « histoire controuvée ».

Quoi que nous racontent Annie Ernaux et ses amis dans cette tribune du 15 octobre, tous font bien l’éloge de l’acédie. Définition page 77 !


200 mots rares et savoureux pour briller, de Marion Navenant, Éditions De Boeck Supérieur, 2023.

Chez le même éditeur :

49 petites histoires dans l’histoire de France, de Marc Lefrançois.

49 petites histoires dans l’histoire de l’Antiquité, de Clothilde Chamussy et Lucas Pacotte.


[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/15/pourquoi-il-est-urgent-de-mettre-a-jour-notre-orthographe_6194603_3232.html

Hôpital Al-Ahli Arabi à Gaza: une bavure médiatique

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Hopital Al-Ahli Arabi, Gaza, 18 octobre 2023 © Atia Darwish apaimages/SIPA

La frappe sur l’hôpital de Gaza nous rappelle que la guerre entre Israël et le Hamas se joue aussi sur le front de l’information et des images.


Même si on n’a pas de certitude absolue sur les faits, on peut déjà parler d’une immense bavure médiatique. Mardi, dès 20 heures, quelques minutes après les faits, des médias français et occidentaux annoncent 200, puis 500 morts, « dans une frappe israélienne sur un hôpital de Gaza ». J’aurais pu commettre la même bourde, tant cette conclusion semblait évidente, puisque c’est Israël qui bombarde Gaza. Mais très vite, l’armée israélienne dément toute responsabilité et fournit des éléments probants, y compris à Joe Biden, dont l’enregistrement d’une conversation entre deux membres du Hamas, étayant la thèse d’un tir raté du Jihad islamique. De plus, si le tir était parti d’Israël, il est difficile d’expliquer que les journalistes qui grouillent au sud du pays n’aient rien vu. Hier soir, la plupart des médias, soudainement très prudents, expliquaient qu’il y avait de la propagande partout, et qu’on ne pouvait rien savoir. Il y a de la propagande, évidemment, mais aussi des faits.

La responsabilité des médias est plus lourde que jamais

Et attention, nous ne sommes pas ici dans un débat théorique sur la guerre de l’information. Car un reportage diffusé à Paris ou Gaza peut entraîner des morts à Londres ou Arras. Et en l’occurrence, cette information (des Israéliens tuent des centaines de civils dans un hôpital) a déjà provoqué des manifestations devant plusieurs de nos ambassades. Résultat : tout le monde craint désormais la contagion émeutière, des chancelleries occidentales aux palais présidentiels des régimes de pays musulmans.


Est-ce alors la faute des médias occidentaux ? Non, soyons honnêtes. Les médias peuvent inspirer ou conforter un assassin d’opportunité dans nos villes. Mais pour les foules qui ont manifesté hier, cela ne change pas grand-chose. Elles vivent déjà à l’ère de la post-vérité.

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Même si on leur montrait des photos de membres du jihad envoyant le missile, elles resteraient convaincues que c’est un coup des sionistes. La haine d’Israël, attisée par l’ignorance, est manipulée par tous les pouvoirs. Et le mensonge de 2003 sur les armes irakiennes a durablement discrédité la parole américaine et occidentale, y compris dans les élites arabes.

Il est vain d’interdire la haine

Les manifestations ne se déroulent pas seulement à Téhéran ou à Tunis; il pourrait aussi s’en produire à Sarcelles ou Vénissieux.

Pourtant, il ne faut pas interdire ces manifestations à mon avis, même si elles sont clairement pro-Hamas, sauf quand le risque de trouble à l’ordre public est absolument manifeste. C’est d’ailleurs la position assez sage du Conseil d’État qui n’interdit pas d’interdire, mais exige du cas par cas sous la houlette des préfets plutôt qu’une directive ministérielle générale. Oui, on risque d’entendre des slogans écœurants, et il faudra les sanctionner. Mais ce n’est pas en interdisant la haine des juifs et d’Israël qu’on la fera disparaître.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez notre directrice de la rédaction du lundi au jeudi dans la matinale de Patrick Roger

Rompre le silence musulman face à la barbarie du Hamas

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Tel Aviv, 18 octobre 2023 © Petros Giannakouris/AP/SIPA

Les musulmans oseront-ils protester, en France, contre la barbarie islamiste du Hamas ? Oseront-ils se désolidariser de la haine qui se déverse sur les juifs indésirables ? Force est d’observer le phénomène inverse.

Cela n’a rien à voir avec l’islam ?

La « rue arabe » était même appelée par le Hezbollah, ce mercredi, à participer à un « jour de colère sans précédent », après le bombardement d’un hôpital de Gaza mardi soir. Le Hamas a immédiatement désigné Israël comme responsable de ce tir contre des civils, accusation reprise dans la foulée par l’extrême gauche française dévouée à la cause islamiste et à sa « résistance ».


Il semblait néanmoins, hier matin, que cette version soit démentie par les images: elles montreraient un tir raté provenant du jihad islamique. Quoi qu’il en soit, Israël demeure l’unique coupable aux yeux du monde musulman qui, depuis le 7 octobre, montre son soutien à la barbarie du Hamas. En dépit des horreurs indicibles commises au nom d’Allah contre des bébés, des femmes, des vieillards et des civils pacifistes plus généralement, c’est l’État hébreu qui est désigné par la foule comme « assassin » et « terroriste ». La sauvagerie contre des Israéliens (1400 morts), qui aurait dû être un repoussoir pour la cause palestinienne, a été excusée au nom d’un antisionisme fanatique, cautionné par Jean-Luc Mélenchon, travesti désormais en grand mufti de la Seine-Saint-Denis, perdu dans sa quête électoraliste.


« Ceci n’est pas l’islam », répètent ceux des musulmans qui s’horrifient des massacres mais qui n’entendent pas les dénoncer publiquement. Ce leitmotiv est constant depuis les premiers attentats islamistes en France[1]. En 2012, après les meurtres de Mohamed Merah, nous n’étions pas cent, place de la Bastille, à avoir répondu à l’appel de l’imam Chalghoumi pour protester contre ce terrorisme islamique. Pour avoir moi-même, le soir du massacre à Charlie-Hebdo, le 7 janvier 2015, intimé aux musulmans, sur RTL, de faire connaître leur désapprobation, j’ai dû essuyer les foudres de militants islamistes s’estimant insultés par ma demande.

Hassen Chalghoumi et Abdennour Bidar bien seuls

Après l’agression du Hamas, puis le meurtre de l’enseignant Dominique Bernard et enfin l’assassinat de deux Suédois à Bruxelles, l’imam Chalghoumi est resté le seul de sa communauté à s’indigner de ces crimes. Ni la Fondation de l’islam de France, ni le Conseil français du culte musulman, ni la Grande mosquée de Paris n’ont jugé bon de manifester publiquement ; au risque d’amalgamer dans l’opinion l’islamisme conquérant à l’islam vécu comme une religion intime.

Dans Le Monde de lundi[2], le philosophe musulman Abdennour Bidar invite à son tour, urgemment à « une parole claire, forte, responsable et courageuse des représentants de la communauté musulmane de France ! Des intellectuels, des engagés, des citoyens de culture musulmane ! ». Il explique : « Cette parole est indispensable, requise, cruciale tandis qu’à l’inverse demeurer dans le silence serait inexcusable. » Cependant, le silence musulman reste, hélas, assourdissant.


[1] Voir mon blog du 29 septembre 2014, Les faux résistants à l’Etat islamique

[2] https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/13/le-philosophe-abdennour-bidar-sur-l-attaque-du-hamas-contre-israel-vite-une-parole-claire-et-forte-des-representants-de-la-communaute-musulmane-de-france_6194215_3232.html

Encore une loi pour rien!

Gérald Darmanin lors d’une séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, 26 septembre 2023. © Jacques Witt/SIPA

Le projet de loi concocté par le gouvernement ne permettra pas de mieux contrôler l’immigration. Les timides réformes administratives et judiciaires qu’il propose ne tiennent pas compte de l’évolution des flux d’arrivants et, surtout, n’ont rien de dissuasif pour quiconque les contournerait.


Cinq ans après l’adoption de la loi « Pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie », Emmanuel Macron et son gouvernement remettent leur ouvrage sur le métier[1], avec le projet de loi « Pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ». Avec 137 000 nouvelles demandes d’asile et 320 000 primo-délivrances de titres de séjour enregistrées en 2022, la loi du 10 septembre 2018 est loin d’avoir atteint son objectif de « maîtrise de l’immigration ». Le nouveau projet de loi a-t-il des chances sérieuses de mieux faire ? C’est ce que prétend le gouvernement, qui propose pour cela quatre séries de mesures : réforme de l’asile, expulsion des étrangers qui menacent l’ordre public facilitée, sanction du travail illégal et renforcement des conditions d’accès au séjour.

Une réforme à la marge du système de l’asile, qui ne corrige aucun dysfonctionnement majeur

La réforme proposée comporte, d’un côté, des mesures concernant la gestion administrative de l’asile, et de l’autre des mesures relatives à l’énorme contentieux généré par les demandeurs (plus de 40 % des affaires traitées par les tribunaux administratifs en 2019).

S’agissant de la gestion administrative, le projet de loi propose de créer des guichets uniques « France Asile » regroupant les services des préfectures, de l’Office français de l’immigration et de l’intégration et de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Le projet de loi modifie également les procédures – nombreuses et complexes –du contentieux de l’asile.

Concernant les procédures devant la Cour nationale du droit d’asile, le point le plus notable consiste en l’institution du juge unique pour examiner les recours. S’agissant des procédures devant le juge administratif, elles sont réduites au nombre de quatre, en fonction de l’urgence à statuer. Enfin, devant le juge des libertés et de la détention, la seule modification procédurale consiste en l’ajout d’un nouveau motif permettant de porter le délai de jugement des requêtes à quarante-huit heures (contre vingt-quatre), et de maintenir l’étranger en zone d’attente au-delà de quatre jours. Directement inspiré de l’affaire de l’Ocean Viking qui avait accosté à Toulon avec 234 demandeurs d’asile en novembre 2022, ce nouveau motif est le « placement en zone d’attente simultané d’un nombre important d’étrangers au regard des contraintes du service juridictionnel ». Il est toutefois à craindre que cette disposition devienne rapidement obsolète, tant il paraît improbable que le juge des libertés et de la détention, déjà débordé, parvienne à traiter en quarante-huit heures un contentieux dont la masse l’a empêché de se prononcer en vingt-quatre, dans un contexte d’inflation continue des arrivées.

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En supposant que ces mesures permettent de mieux administrer le système de l’asile, elles ne sont de nature ni à réduire le nombre de demandes d’asile, ni à améliorer le taux d’exécution des mesures d’éloignement des déboutés. Cet éloignement effectif dépend en effet du bon vouloir des pays d’origine. Ainsi, en 2021, plus de 120 000 obligations de quitter le territoire français ont été prononcées, et moins de 15 000 réalisés, un taux d’exécution de 12,5 %, l’un des plus faibles d’Europe.

En outre, aucune disposition du projet de loi n’a pour objet de dissuader les demandes d’asile infondées, alors même qu’une minorité de demandeurs seulement se voit octroyer la protection internationale. Au contraire, certaines mesures ne visent qu’à mieux préparer le système de l’asile à absorber un nombre croissant et massif de demandes, via l’extension du délai de jugement des décisions de placement en zone d’attente. Rien n’est donc fait pour corriger les principaux défauts du système : un taux d’exécution calamiteux des mesures d’éloignement conjugué à une absence de mesures dissuasives à l’égard des demandes infondées. Dans le projet de loi, les déboutés de l’asile ont donc toujours plus de chances de se maintenir sur le territoire national que de le quitter.

De timides mesures visant à mieux sanctionner les étrangers qui menacent gravement l’ordre public

En l’état actuel du droit, les étrangers ne peuvent être expulsés[2] que s’ils représentent une menace grave pour l’ordre public (article L631-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ou CESEDA) et s’ils ne bénéficient pas de l’une des nombreuses protections mentionnées aux articles L631-2 et L631-3.

Ainsi, l’article L631-2 ne permet l’expulsion d’un étranger parent d’enfant français mineur, conjoint de Français, résidant en France depuis plus de dix ans ou titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle, que si son maintien sur le territoire national menace la sûreté de l’État ou la sécurité publique. Deux exceptions sont toutefois prévues à ces protections : l’étranger condamné à une peine d’emprisonnement ferme d’au moins cinq ans et l’étranger vivant en situation de polygamie.

L’article L631-3 va plus loin et ne permet l’expulsion de certains étrangers – résidant habituellement en France depuis l’âge de 13 ans ; depuis plus de vingt ans ; depuis plus de dix ans et marié depuis quatre ans avec un Français ou un étranger vivant en France depuis l’âge de 13 ans ; depuis plus de dix ans et parent d’un enfant français mineur ; étranger malade ne pouvant bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine – qu’en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence. Les étrangers visés à cet article L631-3 peuvent toutefois être éloignés s’ils vivent en situation de polygamie ou si les faits à l’origine de la décision d’expulsion ont été commis à l’encontre de leur conjoint ou de leurs enfants.

Le projet de loi vient réduire l’étendue de ces protections : ce n’est plus la durée de la peine de prison effectivement infligée par le juge qui permet de prononcer une expulsion, mais la durée encourue. Le juge ne peut donc plus protéger d’une expulsion un étranger menaçant la sûreté de l’État ou la sécurité publique en le condamnant à une faible peine de prison.

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Il convient toutefois de relativiser la portée de ces dispositions. Pour tous les faits punis de moins de cinq ans de prison, l’étranger continue de bénéficier des protections des articles L631-2 et L631-3. En outre, la peine de prison d’au moins cinq ans n’est pas un motif suffisant d’expulsion, encore faut-il que l’État prouve que l’étranger continue de représenter une menace grave pour l’ordre public. Enfin, lorsqu’il est saisi d’une décision d’expulsion, le juge apprécie sa nécessité et sa proportionnalité, notamment à l’aune de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège le droit de toute personne « au respect de la vie privée et familiale » et a donné lieu à une abondante jurisprudence très protectrice des étrangers faisant l’objet de mesures d’expulsion.

On peut trouver surprenant qu’il existe des « protections » pour empêcher l’expulsion des étrangers menaçant l’ordre public, voire dont le comportement est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, ce qui laisse penser que l’État est plus soucieux de préserver le droit au séjour d’un étranger dangereux que la sécurité de ses propres citoyens.Vu l’étendue de ces protections, que le projet de loi préserve, l’expulsion devrait donc rester une mesure de police exceptionnelle (en 2022, seuls 341 arrêtés d’expulsion ont été ordonnés).

Lutter contre le recours au travail illégal et, « en même temps », régulariser les clandestins travaillant dans les métiers en tension

Le projet de loi crée une amende, pouvant aller jusqu’à 4 000 euros par travailleur, à l’égard des personnes qui emploieraient des étrangers n’ayant pas le droit de travailler. Il introduit « en même temps », à titre expérimental jusqu’en 2026, une carte de séjour temporaire mention « travail dans les métiers en tension », valant autorisation de travail. Pour bénéficier de cette carte, l’étranger devra exercer ou avoir exercé pendant au moins huit mois au cours des vingt-quatre derniers mois une activité salariée dans un métier ou une zone géographique en tension.

Ainsi, le gouvernement concocte-t-il un texte qui parvientà la fois à renforcer les sanctions contre le travail illégal et à permettre la régularisation des clandestins travaillant dans les métiers en tension, ce qui aura pour conséquence un recours accru au travail illégal. Bien loin de l’objectif de mieux contrôler l’immigration, ou d’améliorer l’intégration, le projet de loi crée ainsi une raison de plus de tenter d’entrer et de se maintenir irrégulièrement sur le territoire.

Un timide renforcement du contrôle de l’intégration des étrangers

Pour « améliorer l’intégration », le gouvernement propose d’obliger l’étranger qui demande un titre de séjour à s’engager à respecter une série de principes dits républicains – liberté personnelle, liberté d’expression et de conscience, égalité entre les femmes et les hommes, dignité de la personne humaine, devise et symboles de la République –, et à ne pas se prévaloir de ses croyances ou convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers.

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Cette disposition, déjà prévue pour la carte de séjour pluriannuelle et la carte de résident, est étendue à la carte de séjour temporaire (annuelle). Toutefois, la délivrance de ce titre n’étant soumise à aucun prérequis linguistique, il est probable qu’un certain nombre d’étrangers signeront cet engagement sans en comprendre la lettre et encore moins l’esprit. En outre, les sanctions (refus, retrait ou non-renouvellement du titre) ne peuvent être prises qu’à des conditions très restrictives : manquements suffisamment graves et caractérisés et décision prise après avis de la commission du titre de séjour. Surtout, la sanction encourue doit être mise en balance avec le respect de la vie privée et familiale du demandeur, qui reste prioritaire.

Les locaux de la police aux frontières de Menton, près de la frontière italienne, 16 février 2023. Credit:Lionel Urman/SIPA

Le projet de loi conditionne également la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle à un niveau minimal de connaissance de la langue française, là où cette délivrance n’est aujourd’hui conditionnée qu’à la participation assidue aux formations prévues dans le contrat d’intégration républicaine (CIR). Cette simple exigence d’assiduité explique qu’environ un quart des signataires du CIR n’atteigne pas le niveau A1 (le plus faible) à l’issue de son parcours, sans que cela fasse obstacle à la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle.

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Le niveau attendu pour la délivrance de cette carte doit être fixé par décret, mais il est peu probable qu’il soit supérieur à A1.À titre de comparaison, l’Italie exige un niveau A2 après deux ans de séjour, qui peuvent être prolongés d’un an, avant que le titre de séjour soit retiré et que l’étranger puisse faire l’objet d’une mesure d’éloignement. Même avec l’introduction de cette exigence linguistique – qui peut être contournée par la multiplication des cartes de séjour temporaires comme le suggère le directeur de l’OFII[3]–, la France resterait donc l’un des pays les moins exigeants d’Europe pour l’admission au séjour.

Comme en 2018, ce projet de loi relatif à l’immigration manque d’ambition, et ne peut être considéré comme permettant sérieusement de mieux « contrôler l’immigration » ni d’« améliorer l’intégration ». Les mesures proposées sont d’autant plus décevantes que plusieurs démocraties occidentales (Danemark, Royaume-Uni, États-Unis) ont proposé des réformes innovantes et efficaces de leurs politiques migratoires dans la période récente, dont la France aurait pu s’inspirer : externalisation de la gestion de l’asile à des pays tiers, restrictions du regroupement familial, instauration de quotas annuels… Dans ce contexte, les très timides mesures proposées, qui éludent totalement les sujets essentiels de l’acquisition de la nationalité et de l’immigration familiale, témoignent davantage d’un souhait de continuité de la politique actuelle que d’une volonté de réforme authentique. Le président de la République ne s’en cache d’ailleurs pas, lorsqu’il affirme, dans un entretien au Figaro du 2 août 2023, que la France « continuera d’être un pays d’immigration », et qu’il souhaite y conduire une « politique de peuplement ».


[1]Cette analyse porte sur la dernière version connue du PJL Immigrationprésentée par le Gouvernement au 1er semestre 2023

[2]. L’expulsion, à ne pas confondre avec l’éloignement, est une mesure de police administrative ne visant que les étrangers – en situation régulière ou non – représentant une menace pour l’ordre public.

[3]. Entretien au Figaro du 13 mars 2023.