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La fin des populistes est-elle la fin du populisme?

L'horizon politique de BoJo et Trump s'obscurcit sérieusement


La fin des populistes est-elle la fin du populisme?
Nations Unies, 19 septembre 2017 © CHINE NOUVELLE/SIPA

Dans la même semaine, Donald Trump a été mis en accusation pour avoir emporté chez lui des documents classifiés appartenant aux archives nationales des États-Unis, pendant que Boris Johnson a été contraint – selon lui – de démissionner en tant que député par une commission parlementaire qui l’accuse d’avoir menti devant la Chambre des Communes… Est-ce la fin des deux leaders populistes ? Est-ce la fin du grand élan populiste qui a vu le jour en 2016 ?


Les antipopulistes sont en train de jubiler – de nouveau. Leurs deux bêtes noires favorites, Donald Trump et Boris Johnson, font l’objet de litiges aptes à mettre en doute leur avenir politique. Et les deux populistes y réagissent de manière tout à fait prévisible en se prétendant chacun victime d’une campagne de persécution antidémocratique. Cette défense même conforte leurs critiques qui y voient une preuve de plus que ces politiques pour le moins inorthodoxes ne comprennent rien à la démocratie. Mais le sort de Johnson et de Trump ne signale pas la fin des préoccupations populaires qui les ont portés au pouvoir.

Coïncidence, Trump doit comparaître devant un tribunal à Miami le 13 juin, le même jour où le verdict de la Commission des privilèges sur Johnson est rendu public

Le serpent de mer du partygate

Dans la nuit du vendredi au samedi, Boris Johnson a publié une déclaration où il annonçait sa démission en tant que député parlementaire. En avril 2022, la Chambre des Communes, sans opposition de la part des députés conservateurs, a donné un mandat à une commission parlementaire, la « Commission des privilèges » (Committee of Privileges), pour enquêter sur les déclarations faites par M. Johnson devant le parlement à propos des fêtes qui ont eu lieu au 10 Downing Street pendant la pandémie. La Commission devait répondre à la question suivante : le Premier ministre de l’époque a-t-il sciemment menti au parlement à propos de ces infractions aux règles du confinement ? Autrement dit, est-il coupable de dissimulation au sujet de l’affaire surnommée Partygate ? L’enquête a commencé en juin 2022 et la Commission a passé au crible de très nombreux documents officiels, dont une nouvelle catégorie qui figure désormais dans toutes les enquêtes administratives outre-Manche : celle des messages échangés par des politiques et des fonctionnaires dans des groupes WhatsApp. En mars de cette année, M. Johnson a fait une première déposition par écrit avant d’être longuement interrogé par la Commission. Il a reconnu avoir communiqué au parlement des informations qui se sont révélées erronées, mais a nié l’avoir fait intentionnellement.

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Or, jeudi 8 juin, la Commission lui a envoyé par avance ses conclusions qui sont que, oui, il a menti sciemment. La conséquence d’un tel verdict pour l’ancien Premier ministre aurait été une suspension d’au moins dix jours. Une telle suspension créerait à son tour l’opportunité de déclencher un mécanisme spécial, une « pétition de destitution », permettant à d’autres candidats éventuels de contester le siège occupé actuellement par Johnson. En d’autres termes, le résultat aurait été une élection partielle dans une circonscription où BoJo n’a pas du tout une majorité écrasante. Voilà pourquoi ce dernier prétend avoir été forcé de démissionner. Selon l’expression consacrée en anglais, il a décidé de sauter avant d’être poussé (he decided to jump before he was pushed). Sa démission a l’avantage de mettre fin hic et nunc à l’enquête de la Commission, censée rendre public son rapport mardi 13 juin. [Pour des raisons dites « techniques », la Commission a reporté la publication au 15 juin].

Dans sa déclaration, Boris Johnson a accusé la Commission des privilèges d’être un tribunal fantoche (on dit en anglais, kangaroo court, littéralement « tribunal de kangourou » – l’origine du terme est inconnue). Selon lui, elle n’a pas apporté « la moindre preuve » de sa culpabilité. Elle serait l’instrument d’une véritable « chasse aux sorcières » qui serait dirigée contre lui. À travers elle, une « petite poignée d’individus » essayerait de détourner le processus démocratique par lequel Johnson et le Parti conservateur ont été élus triomphalement en décembre 2019.

Une Commission dirigée par une Travailliste…

L’accusation de Johnson contre la Commission n’est pas tout à fait dénuée de fondement. Sa présidente est travailliste, selon une tradition qui veut que ce soit un député de l’opposition. Les six autres membres de la Commission comprennent un deuxième travailliste, un membre du Parti nationaliste écossais et quatre députés conservateurs. Tous – ses collègues conservateurs inclus – ont critiqué ou condamné Johnson, et certains ont déjà indiqué publiquement qu’ils pensaient qu’il avait menti devant les Communes. Pourtant, le récit victimaire de BoJo va plus loin encore, car il évoque un complot ourdi par des ennemis dans son propre parti, des ennemis déterminés à l’éliminer pour se venger du Brexit. Selon lui, son élimination serait même l’étape préliminaire d’une tentative de renverser le Brexit. Sans en faire le cerveau de ce complot, il accuse le Premier ministre actuel, Rishi Sunak, pourtant un Brexiteur, d’avoir trahi le legs de Johnson en échouant à exploiter les opportunités créées par le Brexit. Johnson a déclaré que le programme du gouvernement de Sunak aurait dû comporter une grande politique d’investissements par l’État, des baisses d’impôts, la construction de nouveaux logements et un accord commercial avec les États-Unis. En réalité, Johnson n’a pas mis en œuvre un tel programme quand il était au pouvoir, et Joe Biden, en dépit des discussions plutôt positives qu’il a eues avec Sunak à Washington la semaine dernière, n’est visiblement pas pressé de conclure un véritable accord. Peu importe, pour Johnson, Sunak est le Brutus à son Jules César, celui qui a asséné le coup de grâce à Johnson, il y a un an, en le suppliant de démissionner.

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Sa démission maintenant en tant que député sera très gênante pour Sunak et le Parti car elle provoquera une élection partielle dans sa circonscription d’Uxbridge, pas loin de Londres, à un moment où les sondages sont très largement favorables au Parti travailliste. Cette gêne sera d’autant plus grande que deux supporteurs de Johnson, dont une ancienne secrétaire d’État à la Culture, aux Médias et aux Sports, Nadine Dorries, viennent de démissionner en tant que députés, avec effet immédiat, provoquant au total trois élections partielles en même temps. La démission subite de Dorries est peut-être liée à un nouveau différend entre Johnson et Sunak. En tant qu’ancien Premier ministre, Johnson avait le droit de compiler une liste de décorations, distinctions et autres titres honorifiques qui seraient conférés aux personnes de son choix. C’est ainsi que son vieil ami et allié, Jacob Rees-Mogg (désormais Sir Jacob) vient d’être fait chevalier. Dorries devait recevoir une pairie, lui ouvrant les portes de la Chambre des Lords, mais, avec un petit nombre d’autres noms qui figuraient sur la « honours list » de Johnson, le sien en a été exclu. Cette liste devant être approuvée par le Premier ministre actuel, Johnson a accusé Sunak d’avoir purgé certains de ses soutiens. Sunak a riposté en prétextant l’intervention d’une Commission d’approbation de la Chambre des Lords. La trivialité même de cette prise de bec n’aide en rien à redorer le blason du Parti conservateur. Pourtant, si Johnson espérait que son annonce allait déclencher une vague de révolte contre Sunak, il doit être déçu. À part les trois départs, il n’y a eu aucun signe de guerre civile au sein du Parti. Johnson prépare-t-il un grand retour au pouvoir ? Il a dit quitter la politique « au moins pour le moment », « at least for now ». Certains observateurs ont cru momentanément que la démission de Dorries avait pour objectif de permettre à Johnson de se présenter tout de suite dans sa circonscription à elle, mais c’était une idée chimérique de leur part. Nigel Farage a déjà proposé à Johnson de faire une alliance pour défendre le Brexit, mais Johnson ne voudra rien faire en politique en dehors de son Parti. Et pourtant, il vient d’en démissionner. Le chemin du retour en politique, s’il décide de l’emprunter, risque d’être long.

Les cartons de Mar-a-Lago

Pendant ce temps, celui à qui on compare Johnson depuis 2016, Donald Trump, fait face à ses propres difficultés. La publication d’une mise en accusation fédérale a révélé que l’ancien président est l’objet de multiples chefs d’inculpation pour infraction à la loi sur l’espionnage et pour entrave à l’exercice de la justice. L’année dernière, environ 13 000 documents ont été saisis par les autorités fédérales dans sa maison de Mar-a-Lago, en Floride. Ces documents auraient dû être confiés aux archives nationales quand Trump a quitté la Maison Blanche. Parmi eux, il y en avait qui étaient top secret et concernaient la capacité nucléaire des États-Unis, ou un plan d’attaque de l’Iran, ou même la personnalité du président français, Emmanuel Macron. Trump les avait stockés chez lui – dans sa chambre à coucher, dans une salle de bains et une salle de bal.

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Certes, il est vrai que l’on a trouvé des documents officiels dans les propriétés privées d’autres politiques, notamment Hilary Clinton (les fameux e-mails sur son serveur personnel), Mike Pence, le vice-président de Trump, et… Joe Biden. Et ces personnes n’ont pas eu droit aux mêmes poursuites que le propriétaire de Mar-a-Lago. Pourtant, comme dans le cas de Johnson, accusé d’avoir menti intentionnellement, Trump est accusé, à la différence des autres, d’avoir emporté ces documents en connaissance de cause et en sachant que c’était illégal. Une pièce maîtresse du ministère public est un enregistrement fait six mois après que Trump a quitté la Maison Blanche où ce dernier indiquerait de manière explicite qu’il sait que la possession de certains documents qu’il détient chez lui est contre la loi. Autre coïncidence, Trump doit comparaître devant un tribunal à Miami le 13 juin, le même jour où le verdict de la Commission des privilèges sur Johnson est rendu public. Comme Johnson, Trump allègue un complot le visant personnellement. Il prétend que le ministère de la Justice a été transformé en arme (« weaponized ») contre lui et il accuse Joe Biden d’être « totalement corrompu ». Comme Johnson, Trump trouve facilement des prétextes pour dénoncer un manque d’impartialité dans l’action des autorités. Si les chefs d’accusation qui pèsent contre Trump peuvent encourir une peine d’emprisonnement allant jusqu’à 20 ans, une condamnation ne peut pas l’empêcher, sur le plan juridique, de se porter candidat à l’élection présidentielle de 2024. Il est d’ailleurs peu probable qu’un verdict soit rendu auparavant. En revanche, ces poursuites pourraient empêcher Trump de gagner des votes en dehors de sa base. Enfin, un autre procès, cette fois pour avoir tenté – prétend-on – de renverser le résultat de l’élection de 2020 dans l’état de Géorgie, pourrait s’ajouter aux difficultés de l’ancien président.

Il n’est pas donc certain que les deux figures du populisme de 2016 fassent leur retour au pouvoir. Pourtant, les électeurs qui avaient voté pour eux sont toujours là et les raisons pour lesquelles ils leur ont donné leur voix n’ont pas vraiment changé. Les grandes préoccupations au sujet de l’immigration incontrôlée, de la puissance toujours grandissante des multinationales, de l’ingérence des institutions supranationales dans les affaires des nations démocratiques n’ont pas disparu. Qu’on approuve ou non l’action politique de Trump et de Johnson, ils ont eu le mérite de répondre directement à ces préoccupations. Avec la coïncidence de la mort de leur précurseur Berlusconi, il est possible – mais pas certain – que leur style particulier de charisme ait fait son temps, mais ce qui reste certain, c’est que les besoins populaires auquel ce style semblait répondre sont toujours là.




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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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