À New York, alors que les violences s’y multiplient au péril des usagers, le gouverneur démocrate Kathy Hochul a décidé de déployer 750 soldats dans le métro. Si sa décision radicale est critiquée par certains là-bas, notre chroniqueur estime que le président Macron pourrait s’en inspirer ici plutôt que de regarder vers l’Est.
Appliquant le principe martial néo-macronien selon quoi « En dynamique rien ne doit être exclu », Madame le Gouverneur de l’État de New York, Kathy Hochul – sommité du parti démocrate, précisons-le – activement suivie en cela par le maire de la Grosse Pomme, Eric Adams, lui aussi membre éminent du parti démocrate, a décidé de déployer des troupes, non pas au sol, mais au sous-sol de la ville. Plus précisément dans le gigantesque dédale des quelque quatre cents stations de métro qu’empruntent chaque jour des millions de personnes de tous âges, de toutes conditions, locaux et touristes. Madame le Gouverneur (on excusera ma réticence à donner dans la mode inclusive, cela d’autant plus que la dame en question fait montre d’un caractère qu’en d’autres temps on n’aurait pas hésité à qualifier de viril) Madame le Gouverneur, disais-je, en ayant plus qu’assez des trafics en tous genres, doublement souterrains, qui gangrènent son réseau métropolitain, lasse de compter, ou plutôt de ne plus compter, les vols, les agressions, les viols, les actes de vandalisme, a pris l’affaire en main. D’une main qui ne tremble pas. Elle fait donc désormais appel à l’armée – des effectifs de la Garde Nationale de l’État. Parallèlement, elle renforce de manière significative les forces de police dédiées au maintien de la paix sous terre. Quelque chose comme mille hommes et femmes supplémentaires. Munis de consignes d’une fermeté elle aussi non tremblante.
Kathy Hochul y pensait depuis un moment. Une fusillade survenue mi-février dans le Bronx a achevé de la décider. Un mort, cinq blessés. Auparavant, dans Brooklyn, un conducteur avait été attaqué au couteau. Voilà un peu plus d’un an, toujours à Brooklyn, une mitraillade à une heure de pointe avait fait plusieurs dizaines de blessés. L’auteur purge maintenant une peine à vie – à vie pour de bon – jugé et condamné pour terrorisme. À ces faits en eux-mêmes terrifiants, sont venus s’ajouter les bonnes vieilles statistiques sans quoi on ne saurait parler de rien. 50% d’actes de violence en plus dans le métro new yorkais en janvier 2024 par rapport à janvier 2023. C’est beaucoup. C’est trop.
Le maire, quant à lui, entré en fonction le premier janvier 2022, avait été élu sur la promesse de combattre la criminalité sous toutes ses formes, en surface comme en profondeur. Ainsi, ces deux-là devaient fatalement s’entendre. Ils ont rapidement affiché haut et clair leur doctrine en la matière. Ils n’ont pas craint de faire de la sécurité dans le métro, de la lutte contre les fléaux de la drogue et du crime « leur guerre ».
Or, pendant ce temps, Monsieur Macron, sa guerre, « notre guerre », il la voit ailleurs. Par ailleurs, il conceptualise, il intellectualise la chose, n’est-ce pas. Il ne peut pas s’en empêcher. « En dynamique rien ne doit être exclu ». Tout est dans le « en dynamique », manifestation d’une pensée sophistiquée, élevée qui ne se satisfait pas des réalités de tout un chacun, celles observées au ras du bitume. Cela dit, serait-ce lui manquer gravement de respect que de lui faire remarquer que des lieux d’ici, de chez nous, comme Marseille pour ne prendre que cet exemple, ne sont pas loin, en « dynamique », de se mettre à ressembler à quelque chose qui serait de moins en moins éloigné du Bronx à ses plus fâcheux moments ? Et en conséquence, puisque, selon sa propre vision il ne faut rien exclure, ne pourrait-on lui suggérer d’envisager de déployer des « troupes au sol ». Le sol d’ici, bien sûr, de chez nous. Ici et maintenant. Je sais, on m’objectera que ce n’est pas, originellement, le job de l’armée. Et alors, à la guerre comme à la guerre, non ? À moins bien sûr qu’on se refuse à considérer que le tsunami de drogues mortelles et la déferlante de violence que nous subissons chaque jour un peu plus ne puissent être qualifiés de guerre? Une guerre qui, pourtant, serait bel et bien la nôtre, cette fois…
Ancien des forces spéciales, « BSD » va affronter le cador Dustin Poirier, samedi à Miami, en MMA. Un sport à la réputation sulfureuse qui est en plein essor en France et passionne la jeunesse. Le combat, retransmis en France sur RMC Sport, n’est pas prévu avant 4h00 du matin.
Le MMA est en vogue depuis quelques années. Il est même devenu un véritable phénomène de société en France après avoir conquis les bastions traditionnels du combat professionnel que sont les États-Unis, le Japon, le Brésil et l’Europe de l’Est. Cédric Doumbé et Baki se sont ainsi affrontés devant plus de 20 000 personnes à l’Accor Arena le 7 mars, un combat à l’atmosphère assez désagréable qui s’est fini par une déception après que l’ancien champion du Glory a reçu… une écharde dans le pied. Un apéritif pour patienter avant le choc de samedi. Porte-étendard de ce sport en France, l’ancien militaire des forces spéciales Benoit Saint Denis a en effet rendez-vous avec l’histoire samedi à Miami où il affrontera une légende du sport, l’Américain Dustin Poirier.
Un phénomène de société
Sport adoré par les amateurs et conspué par une grande partie de la population qui le trouve trop violent, voire comparé à de modernes jeux du cirque de Rome, le MMA est un paradoxe et une bulle de virilisme dans une société qui se veut libérée des instincts primitifs de l’homme. Sous cet acronyme se cache un sport de combat mixte qui trouve ses racines dans le pancrace mais aussi les différentes luttes occidentales qui faisaient l’attraction lors des foires itinérantes. Proposant des phases de contact debout en boxe anglaise ou en boxe pieds-poings, des phases de préhension proches de la lutte et du judo, ainsi que des moments au sol où l’arsenal des prises de soumission du jiu-jitsu brésilien fait parler la poudre, le MMA est en passe de remplacer les sports qui l’ont précédé. À la fin des années 90 et au début des années 2000, certains jeunes pratiquants comme votre serviteur se levaient en pleine nuit pour admirer Jérôme Le Banner affronter Peter Aerts au K1 Grand Prix de Tokyo. Les gladiateurs officiaient alors dans une version testostéronée du kickboxing offrant quelques points communs avec le muay thaï. L’UFC n’en était alors qu’à ses balbutiements, dominé par les Brésiliens spécialistes du combat au sol et les lutteurs.
Bien que remontant aux antiques Jeux Olympiques grecs – Pythagore était lui-même un pratiquant – le MMA actuel est encore un sport relativement jeune qui n’a été autorisé que tardivement dans l’hexagone, au terme d’années de combat acharné de la fédération de Judo qui voyait d’un mauvais œil une discipline susceptible de lui faire perdre de nombreux licenciés. Ca n’est qu’en 2018 que les premières compétitions professionnelles répondant aux standards américains ont été autorisées. Paradoxalement pourtant, le MMA est moins traumatique que la boxe. Il impressionne par les phases de coups portés au sol, mais l’anglaise est un sport où la cible des jouteurs est principalement la tête, se déroulant en 12 rounds de 3 minutes quand le MMA offre des combats majoritairement en 3 rounds de 5 et exceptionnellement pour les ceintures en 5 rounds de 5.
C’est justement son premier combat en 5 rounds de 5 que va disputer notre Benoit Saint Denis national à Miami contre Dustin Poirier, l’homme qui a battu par deux fois Conor McGregor et été à un cheveu de l’emporter contre l’invaincu citoyen russe d’origine daghestanaise Khabib Nurmagomedov. Caricaturé en « sport de cités », le MMA offre un visage bien plus complexe qu’il n’y parait désormais. Il est bien entendu très aimé et pratiqué dans les quartiers de l’immigration. Tous les sports de combat sont d’ailleurs particulièrement vifs dans les quartiers difficiles du monde entier, à commencer par la boxe qui a eu de nombreux champions afro-américains, des pays de l’est ou encore issus des populations des gens du voyage. Le MMA ne fait évidemment pas exception, mais il montre désormais une image différente et un paysage renouvelé auquel Benoît Saint Denis contribue grandement. Il peut apporter bien des valeurs humaines s’il est encadré par des coachs qui n’en manquent pas, tels que messieurs Woirin ou Diabaté en France.
Saint Denis, un personnage atypique
Ouvertement patriote et catholique pratiquant, Benoit Saint-Denis est le fils d’un officier supérieur de la Légion étrangère. Son style mutique tranche avec celui des grandes gueules de son sport, à l’image du chambreur Cédric Doumbé. Saint Denis préfère s’exprimer avec ses poings dans la cage et il le fait admirablement bien dans la catégorie la plus disputée des poids légers (70 kilos). Il est actuellement sur une série de cinq victoires d’affilée toutes avant la limite. Son bagage d’ancien militaire d’OPEX lui donne une force mentale hors du commun, ses adversaires sachant par avance qu’ils devront le « tuer » pour espérer sortir victorieux d’une rencontre. Il offre d’ailleurs un style de combat en totale adéquation avec les exigences du MMA moderne, basé sur des phases de transition entre la lutte et le combat debout parfaitement pensées. Alors que certains combattants sont parfois unidimensionnels, misant tout sur un point fort, « BSD » n’est mauvais nulle part.
Son pieds-poings a été peaufiné sous la férule de Daniel Woirin, sacré bonhomme à l’ancienne et expert de la boxe thaïlandaise qui lui a permis de comprendre comment finir un adversaire et utiliser toutes les parties de son corps en clinch rapproché comme à mi-distance. Jonatan Mac Hardy, journaliste MMA pour Winamax et anciennement RMC, me l’a confié il y a quelques semaines : « Benoit est une machine de guerre, il va tout arracher et prend Poirier au bon moment ». Puisse-t-il avoir raison, la France a besoin de ce genre de modèles d’hommes qui se dépassent et se transcendent. Lors de son premier combat UFC, acceptée en dernière minute dans la catégorie supérieure des moins de 77 kilos contre un athlète brésilien dopé, le Dieu de la guerre a dévoilé un cœur de champion comme rarement vu dans le sport français ; celui d’un Marcel Cerdan ou d’un Georges Carpentier. Il était réellement animé par l’esprit des chevaliers et des poilus, possédé par l’adrénaline d’un combat qu’il a refusé de perdre sans honneur.
C’est une fierté de se savoir représenté à l’international par des hommes qui, comme lui, incarnent l’esprit de résistance des Français. Oss !
Depuis quelques années, le combat féministe donne de lui une drôle d’image. Oui, il peut donner l’impression de se dévoyer, ou de n’être plus qu’une succursale de l’extrême gauche! Anne Zelensky affirme dans cette tribune que son féminisme n’est pas du côté de la séparation des sexes, mais œuvre au contraire à leurs retrouvailles.
Une minorité de femmes depuis quelques années donne une visibilité certaine au féminisme. On les nomme néo-féministes. Elles incarnent le nouveau visage du féminisme. Mais la question qui se pose est : se situent-elles dans le long héritage historique d’un mouvement qui depuis des siècles travaille à la libération des femmes et donc des hommes ? Certaines de leurs revendications s’inscrivent indéniablement dans ce long mouvement. D’autres pas du tout. D’où le désarroi de bon nombre d’entre nous, les féministes dites historiques dont je suis. Sans parler du grand public. On ne s’y retrouve pas.
Où est passé l’esprit du MLF qui a tant bouleversé la société des années 1970 et qui a laissé une trace profonde dans l’imaginaire collectif ? Pour mieux juger de la question, il faut définir de quoi on parle et se tourner vers le passé.
Les néo-féministes rejettent en effet, comme beaucoup de nos contemporains, l’Histoire. Elles se pensent en dehors d’elle et ne se reconnaissent pas toujours dans la longue lignée de leurs prédécesseuses qui depuis quelque 200 ans, ont patiemment conquis des droits. Mon long engagement dans l’action et la pensée féministes me donne quelque légitimité à en parler.
Émancipation des femmes
Qui suis-je ? J’ai créé dès 1966 une des premières associations féministes mixtes, FMA (Féminin Masculin Avenir) qui a contribué à alimenter le MLF créé en 1970. Compagne de lutte et amie de Simone de Beauvoir, avec laquelle nous avons fondé en 1974 la Ligue du Droit des Femmes (pour palier l’inexistence de la question des femmes à la Ligue des Droits de l’Homme), je suis à l’origine du Manifeste des 343. Il réunissait des femmes anonymes et des célébrités qui ont déclaré publiquement en 1971, avoir avorté (c’était alors un délit passible de prison). J’ai même été à l’époque baptisée « sainte Anne de l’avortement » par Valeurs Actuelles. J’ai été présidente du premier refuge pour femmes battues ouvert en 1978 à Clichy et collaboratrice d’Yvette Roudy au Ministère des Droits de la Femme. Et surtout, fondatrice avec d’autres hommes et femmes du premier centre d’accueil des hommes violents. Et j’en passe…
Cet itinéraire témoigne dans sa singularité des principaux thèmes de la seconde vague du féminisme des années 1970. Cette seconde vague prolonge la première qui a conquis le statut d’égalité avec les hommes. Rappelons que le féminisme en tant que mouvement collectif, s’est organisé à partir de la Révolution française. Il est compagnon de route de la démocratie. Il a bousculé le triptyque républicain « Liberté Egalité Fraternité » en inversant ses termes. Nous avons donc commencé par réclamer un statut d’égalité avec les hommes. Cela a occupé le 19ème siècle et une partie du 20ème (rappelons que le droit de vote n’a été accordé aux femmes françaises qu’en 1944, bien après des pays moins émancipés). Munies de ce vadémécum, nous nous sommes aperçu qu’il était lettre morte sans un droit élémentaire, celui de la Liberté. Liberté de disposer de son corps, de son ventre, de son désir et de dévoiler les différentes violences qu’entraîne la domination masculine. Nous avons tiré le rideau qui masquait la chambre à coucher. Le privé devenait politique. Puis, est venu le temps de la sororité, autre face de la fraternité. Nous qui avions toujours été divisées et rivales, avons accédé à un « Nous » commun. Ensuite, nous avons pu prétendre à sortir des maisons pour revendiquer notre place dans le champ politique. Voilà comment émergea la demande de parité. Les femmes représentant plus de la moitié de l’humanité, pourquoi ne gèreraient-elles pas la cité à parts égales avec les hommes ?
À travers ce bref rappel de l’histoire du féminisme, nous voyons donc qu’il a une logique, un sens. Les grandes lignes du féminisme sont du côté de « Charité bien ordonnée commence par soi-même ». Partir de soi, rompre avec le dévouement obligatoire, autrement dit prendre son envol, se dégager des tutelles. Le féminisme va bien au-delà des divisions politiciennes.
Nouvelle prison
Or, les néo-féministes semblent toujours prisonnières de l’idéologie de gauche, surtout extrême. Voyons en effet quelles sont leurs revendications :
Intersectionnalité des luttes, wokisme, décolonialisme, transgenrisme, multiculturalisme, focus sur le mâle Blanc comme seul responsable de la domination masculine, antiracisme obsessionnel, liberté de se prostituer, de porter le voile… On dirait une succursale de l’extrême-gauche. Où est là-dedans la spécificité féministe ?
Liberté de porter le voile ? Quelle liberté ? Celle d’arborer un symbole évident d’asservissement qui dans de nombreux pays musulmans conduit celles qui le refusent à la prison ou à la mort ? Liberté dévoyée. Les néo-féministes sont ici victimes d’un piège grossier : les femmes qui en France portent le voile comme un étendard, manifestent en fait leur rejet des valeurs occidentales dont par ailleurs elles profitent. D’autre part, pourquoi cet aveuglement sur le mâle autre que Blanc qui serait exempté de toute sanction pour violences ? Pourquoi ce silence pudique sur les agressions sexistes et sexuelles d’hommes venus d’ailleurs ? La couleur de peau dédouanerait-elle du machisme ? Qu’en pensent les Africaines, les Indiennes, les Iraniennes, les Afghanes… ? En se consacrant autant à la cause de l’Autre, nos néo-féministes en arrivent à s’oublier elles et leurs sœurs et sont victimes de ce qu’elles dénoncent : la tendance millénaire des femmes à se faire passer après. Etre féministe est une gageure : Il faut à la fois prendre de la distance vis-à-vis de l’être le plus proche tout en ne le rejetant pas radicalement. Etre une femme amoureuse et une militante, « c’est pas si facile ».
Ce qui libère la femme libère l’homme
Petites sœurs néo êtes-vous sûres de ne pas prendre des chemins sans issue ? Peut-être avez-vous quitté la grande voie historique pour mieux la rejoindre plus tard ? Mais tout de même… Lâchez la main de votre souteneur historique, la gauche. Osez reprendre le droit fil de la pensée libre. Liberté de pensée plutôt que liberté de se voiler. N’ayez pas peur d’être visionnaires. Levez le nez au-dessus du présent, enlisé trop souvent dans le victimaire et la revanche. La mise en cause des dommages liés à la domination masculine est un passage obligé et incontournable de la libération des femmes. Nous sommes dans le passage. Turbulences garanties, malaise inévitable des hommes. Mais quand l’eau se trouble, c’est pour mieux s’éclaircir ensuite.
Des perspectives, il en y a. Elles ne sont pas du côté de l’égalité comme but en soi. C’est le minimum vital pour aller au-delà. L’égalité pour quoi faire, telle est la bonne question. L’avenir est peut-être du côté des hommes. Et si le féminisme était leur affaire ? « Ce qui libère la femme libère l’homme » disait notre chère Simone de Beauvoir. Certains hommes ont déjà compris que la masculinité toxique est un carcan qui les coupe de leur humanité. Déjà, dans les années 1970, des groupes d’hommes se réunissaient pour réfléchir sur la contraception masculine, sur la prison de la virilité, sur la nécessité de changer leur relation avec les femmes. Il y a de l’espoir.
Les hommes et les femmes sont plus semblables que différents. Les poètes l’ont depuis longtemps compris : Rimbaud, Rainer Maria Rilke…Mon féminisme n’est pas du côté de la séparation des sexes, mais œuvre à leurs retrouvailles. La guerre a assez duré, nous ne cherchons pas à la reconduire, mais à aller au-delà. À trouver, hommes et femmes ensemble, une manière d’être, harmonieuse.
Notre chroniqueur, qui aime assurément les femmes, a décidé de leur souhaiter une bonne journée dans une sorte de litanie à la Prévert. À toutes ? Eh bien, explique-t-il, il y a quelques exceptions…
Je souhaite une belle journée à toutes les femmes… Mais je ne la souhaite pas aux femmes grillagées des Talibans, grâce à la retraite précipitée des Américains qui leur ont fait miroiter la liberté et la démocratie avant de se carapater… Ni aux Iraniennes emprisonnées ou tuées parce qu’elles refusent de porter un voile, et très mollement défendues par l’ONU… Ni aux Israéliennes violées, torturées et tuées par ces terroristes du Hamas qu’encense Judith Butler, l’idole des bobos et de LFI réunis, qui a inventé la théorie du genre… Ni aux femmes mariées de force à leur oncle ou à leur cousin, de façon à accoucher de gosses qui se transmettront quelques tares héréditaires en se mariant à leur tour avec leurs cousines… Ni aux femmes vendues pour quelques chameaux ou un troupeau de chèvres… Ni aux petites filles excisées ou infibulées çà et là — y compris en Occident… Ni aux Occidentales violées par des immigrants de plus ou moins fraîche date qu’il ne faudrait quand même pas stigmatiser, les pauvres, de sorte qu’au nom de l’intersectionnalité des luttes… Ni aux Maghrébines ou aux Africaines violées par des « frères de race », qu’elles ne doivent surtout pas dénoncer, explique Houria Bouteldja… Ni aux femmes voilées sur injonction de leurs grands frères et de tous les autres — heureusement que les Chiennes de garde françaises se battent pour qu’elles aient le droit de sortir elles aussi empaquetées jusqu’aux yeux dans des sacs-poubelle… Ni aux filles des syndicats lycéens qui veulent absolument avoir le droit d’arriver en classe en abaya ou en tchador… Ni aux femmes sans conviction religieuse mais tenues de croire en un dieu auquel elles ne croient pas — sous peine de mort… Ni aux femmes qui au nom de la religion n’ont droit qu’à une fraction de l’héritage de leurs frères… Ni aux femmes qui n’étant ni mères ni épouses sont considérées comme des putes… Ni aux sportives forcées désormais de cohabiter dans les vestiaires et dans les stades ou les piscines avec des hommes transgenres… Ni aux épouses régulièrement malmenées par leur compagnon — pour celles mortes sous leurs coups, de toute façon, c’est un peu tard… Ni aux femmes abusées par leur psychanalyste… Ni aux femmes payées 20% de moins que les hommes alors qu’elles fournissent un travail équivalent, et qui du coup ont le pain quotidien, comme dit Prévert, relativement hebdomadaire… Ni aux enseignantes que les petits machos auxquels elles expliquent la règle d’accord des participes passés méprisent parce qu’elles sont des femmes… Ni aux femmes complices de leurs oppresseurs, et qui ne liront jamais La Servitude volontaire d’Etienne de la Boétie… Ni à celles qui trouvent que Sandrine Rousseau a raison… Ni à celles qui admirent Mathilde Panot… Ni à celles qui trouvent normal qu’il n’y ait en tout et pour tout que six femmes au Panthéon… Ni…
Gérard Depardieu a-t-il fait une blague salace sur une fillette dans un haras nord-coréen ? C’est ce que montrent les images et leur commentaire diffusés par « Complément d’enquête ». Or, selon Yann Moix, réalisateur de cette séquence, l’acteur évoquait une cavalière adulte, restée hors champ. Faute de preuve absolue, toutes les hypothèses restent sur la table.
C’est une séquence de cinquante secondes qui a fait le tour du monde. Pour l’opinion, la « scène du haras » pèse plus lourd dans le dossier de Gérard Depardieu que des accusations de viol. Pas parce que le public respecte scrupuleusement la présomption d’innocence, mais parce que, si ce qu’a montré « Complément d’enquête » correspond strictement à la réalité, Gérard Depardieu a transgressé ce que la société a de plus sacré : les enfants, qui, au passage, sont privés de toute complexité, donc de toute humanité, ces anges n’ayant jamais partie liée avec le mal.
Le plus grave, c’est qu’à entendre les braillements outragés, on dirait que notre mauvais sujet national a attenté au corps réel d’un enfant. Évidemment pas. La seule chose qu’on voit à l’écran, c’est qu’il fait des blagues, des blagues obscènes sur une gamine qui ne comprend même pas sa langue. Autrement dit, même si les images sont exactes, même si Depardieu blaguait sur cette petite fille, cela n’a aucune importance. On aurait créé un délit de mauvaise blague ? Une société qui a ses vapeurs pour une grossièreté et somme l’humour de se conformer aux canons de la morale devrait plutôt se demander ce qu’elle refoule. À part ça, vous croyez vraiment que les pédophiles font des blagues pédophiles ?
Le mot chien ne mord pas, disait-on dans les amphis des années 1970. C’est fini, le mot chien mord et le mot clito jouit. Outre qu’elle confond la commission d’un crime et son évocation, ce qui pose un problème de droit, cette confusion mortelle entre signifié et signifiant signifie la mort de la représentation, c’est-à-dire de la littérature, de l’art et de l’amour. On aurait voulu que Depardieu fasse du Depardieu, vomisse les croquantes et les croquants qui rient de le voir emmené, et défende bruyamment son droit de faire des blagues obscènes. Au demeurant, on a envie de lui demander ce qu’il est allé faire dans un pays totalitaire plutôt que des comptes sur ses outrances langagières.
Son entourage lui aura conseillé la prudence. Dans ces affaires, la grande stratégie des avocats, c’est d’intimer à l’homme accusé de se laisser traîner dans la boue sans réagir. Ne va pas sur ce terrain, c’est inaudible. C’est peut-être sage. Dans la société de surveillance dont rêvent les néoféministes, tout ce que vous dites ou ne dites pas est retenu contre vous. Mais si tout le monde s’écrase, ça ne va pas s’arranger.
Gérard Depardieu affirme – et Yann Moix, qui a tourné les images, confirme – qu’il n’a pas fait cette blague à propos d’une petite fille.Il est même outré qu’on puisse le penser. On est un peu déçus d’apprendre que même lui a des limites en matière de rigolade, mais il n’y a pas de raison de ne pas le croire, sinon que la mémoire humaine n’est jamais fiable à 100 %. Pour les deux hommes, il y a entourloupe quelque part. Si c’est le cas, gageons qu’elle a été montée à l’insu de la présidence de France Télévisions et de la rédaction en chef de « Complément d’enquête », où l’on se montre parfaitement serein. Quant au producteur Anthony Dufour, patron de la société Hikari, qui a réalisé ce « Complément d’enquête » et l’a vendu à France Télévisions, il n’a pas répondu à nos messages.
Pour comprendre un pataquès qui se conclura sans doute au tribunal, il faut expliquer dans quelles conditions des images tournées par Yann Moix pour un film de fiction se sont retrouvées dans une émission d’investigation de France 2 ayant pour titre – tout un programme –« La chute d’un ogre ».
En 2018, Yann Moix part avec Gérard Depardieu en Corée du Nord. Il veut réaliser un film dont il n’a pas encore écrit le scénario. Il a l’intention de filmer Depardieu à Pyongyang et de voir quelle histoire il peut écrire avec son matériel. Les frais sont payés par la société Hikari, mais personne ne signe de contrat. Tout le monde est en parfaite confiance.
Deux ans plus tard, après plusieurs semaines de montage dans les studios d’Hikari, Moix parvient à une copie de travail d’une durée de deux heures trente. Sous le nom de code « 70 », elle est envoyée à quelques journalistes et amis via un lien vidéo. Quelques projections privées sont organisées.Dans ses textos, Anthony Dufour parle alors de « Gégé » et de son désir de voir ce brouillon de film avec lui. Puis les premières plaintes contre Depardieu sortent, Hikari prend ses distances, il n’est plus question de film. Les années suivantes, les relations Moix/Dufour se tendent, celui-ci demandant plusieurs dizaines de milliers d’euros pour rendre les images à l’écrivain.
Dans le courant 2023, Anthony Dufour, peu soucieux d’en être pour ses frais, propose à « Compléments d’enquête » un portrait de Depardieu utilisant notamment ces images tournées en Corée du Nord. Le marché est conclu, une journaliste de la rédaction de l’émission visionne les rushs, suit la fabrication du documentaire. Il faut savoir qu’en le vendant, Hikari se porte garant de la propriété des images (c’est la garantie de bonne fin). Pourtant, quelques jours avant la diffusion de l’émission, en décembre, il propose à Yann Moix de lui rendre l’intégralité des enregistrements (les rushs) pour 10 000 euros si l’écrivain lui accorde le droit de les exploiter, ce qui laisse penser qu’il n’est pas sûr de son coup.
La suite est connue. Moix découvre l’existence de ce doc la veille de sa diffusion. Il se sent trahi comme artiste et coupable comme ami.
La séquence « du manège » est sans nul doute le point d’orgue de « La chute d’un ogre », diffusée comme prévu le soir du 7 décembre sur France 2. D’une durée précise de cinquante secondes, elle montre l’acteur en visite dans un haras de Pyongyang, en 2018, où, installé dans une tribune, il observe et commente une démonstration équestre organisée par les autorités nord-coréennes à son attention. Assurément le passage le plus scandaleux de l’émission car, comme l’indique la voix off de France 2, Gérard Depardieu y « va même jusqu’à sexualiser une fillette d’une dizaine d’années ».
De fait, on entend au cours de la séquence l’acteur tenir des propos obscènes cependant que, devant lui, une enfant fait un tour de piste sur son poney. « Si jamais elle galope, elle jouit. C’est bien ma fifille, continue ! » lance-t-il alors. Les images parlent, et elles disent que Depardieu est pédophile.
Les images peuvent raconter n’importe quoi. Yann Moix et le clan Depardieu accusent aussitôt la voix off de France 2 de mentir. Dix jours après la diffusion du « Complément d’enquête », une tribune est même publiée sous la signature de « Julie, Roxane, Jean, Delphine, Élisabeth et toute la famille Depardieu », dans Le Journal du dimanche, taxant l’émission de malhonnêteté : « Selon Yann Moix qui était présent, écrivent-ils, ce montage est frauduleux. Ces propos ne désignaient pas une petite fille. » Ce qui permet à Emmanuel Macron de lancer à son tour, le 20 décembre, alors qu’il est interrogé sur Depardieu dans l’émission « C quotidien » sur France 2 : « J’ai entendu qu’il y avait des polémiques sur les mots qui étaient en décalage avec les images. »
L’hypothèse d’un « décalage » n’est pas farfelue. Les images enregistrées lors de la séquence « du manège » proviennent en effet de plusieurs caméras. La version qu’en propose France 2 est donc une sélection, un montage, au sens technique du terme, réalisé par la société Hikari, en sa qualité de prestataire de service en contrat avec France 2 pour les besoins de « Complément d’enquête ».
Le 20 décembre, face au soupçon relayé par le chef de l’État, la direction de France 2 doit faire un geste. Après discussion avec les journalistes de la maison, elle demande à un huissier de justice de visionner les rushs qui ont permis d’obtenir les cinquante secondes polémiques, et d’attester de la simultanéité entre d’une part le plan où l’on voit la petite fille à cheval et d’autre part le son où l’on entend Depardieu dire : « Si jamais elle galope, elle jouit. »
À France Télévisions, on pense que l’affaire est close. « Nous avons jugé la situation suffisamment exceptionnelle pour demander un constat d’huissier, dit-on au huitième étage. Pour nous, il n’y a plus aucune ambiguïté. » Problème : si le constat d’huissier a bel et bien été dressé, il n’a pas été rendu public. Seules quelques lignes ont fuité, révélées par la rédaction de France Info (dont France Télévisions est l’un des actionnaires). Nous voilà donc obligés de nous fier à cette source unique, partielle et problématique.
Or, il existe plusieurs discordances entre le constat d’huissier et les images diffusées. D’après France Info, l’huissier a en effet consigné le verbatim de Gérard Depardieu comme suit : « C’est bien Madame, si jamais elle galope, elle jouit. » Soit un contenu différent de ce qu’on a entendu quinze jours plus tôt dans « Complément d’enquête ». Dans l’émission, d’une part le mot « Madame » a disparu (ce qui a son importance, surtout quand il s’agit d’accuser quelqu’un de « sexualiser une fillette ») d’autre part, on entend Depardieu dire « il » (galope), et pas « elle » (galope). Il faut mentionner une autre bizarrerie. On entend Gérard Depardieu dire « Tiens elle se gratte ! », mais personne ne se gratte.
Pour lever l’équivoque, nous avons demandé l’autorisation de visionner les rushs à la direction de France Télévisions, qui nous l’a refusée. Nous obligeant dès lors à maintenir nos interrogations, que l’on peut résumer ainsi : s’il est certain que Gérard Depardieu a évoqué, en présence d’une petite fille qui ne parlait pas sa langue, la jouissance sexuelle féminine procurée selon lui par l’équitation, on ne peut pas affirmer avec une certitude absolue que ses propos visaient la demoiselle en question. Selon Yann Moix, qui s’en explique dans les pages suivantes, il commentait la prestation d’une autre cavalière, âgée d’une trentaine d’années et montant un cheval hors champ au même moment dans le manège. Il pourrait donc y avoir méprise sans que quiconque soit de mauvaise foi. Resterait en ce cas la légèreté du commentaire affirmant que Gérard Depardieu « sexualise une petite fille » sans qu’on en apporte la preuve définitive.
Surtout, le doute demeure quant à la disparition du mot « Madame », et quant à la différence de pronom employé par Depardieu (« il » ou « elle ») selon qu’il s’agisse de la version diffusée à la télévision ou des rushs constatés par huissier. On peut certes envisager une erreur matérielle, commise soit par ce dernier, soit par le journaliste de France Info (l’un aurait mal entendu, l’autre mal transcrit). Mais aucun élément ne permet à ce stade d’assurer qu’il s’agisse de la bonne explication. Les techniciens qui ont assuré le montage de « Complément d’enquête » peuvent tout aussi bien avoir triché ou pris des libertés avec la bande-son, ce qui constituerait pour le moins une faute, si ce n’est, on n’ose l’imaginer, la fabrication d’un faux.
Erreur de retranscription, maladresse d’un monteur, volonté de nuire ? Toutes les hypothèses sont sur la table et France Télévisions n’a hélas rien fait pour nous permettre de percer le mystère. Cette attitude opaque ne disculpe pas le comédien. En attendant, pour le crime de blague obscène avec circonstance aggravante d’humour sur enfants, Gérard Depardieu mérite le bénéfice du doute. Il devrait être acquitté. L’ennui, c’est que le tribunal médiatique n’acquitte jamais.
À l’occasion de la diffusion de la série télé de France 2 La Peste (avec Frédéric Pierrot, le psy de En Thérapie) qui reprend les personnages du célèbre roman de son père et les plonge dans notre époque contemporaine, Catherine Camus a reçu une journaliste du Point. Elle lui a notamment confié : « La droite le détestait mais la gauche ne l’aimait pas non plus. Il était seul comme un rat ». Elle semble avoir du mal à se réjouir de la victoire posthume des idées de son père sur celles de Sartre: « Papa répétait que l’homme passe avant l’Histoire. À la chute du mur de Berlin, j’ai reçu quantité de coups de fil de journalistes m’expliquant combien papa avait triomphé. J’ai répondu que ça m’étonnerait qu’il triomphe après 80 millions de morts. Personne n’a repris mes propos ».
Avec un parler-vrai impressionnant, la fille d’Albert Camus s’est exprimée dans Le Point[1]. Macroniste faute de mieux, évoquant les livres sur son père, elle affirme avoir détesté, par exemple, celui de Michel Onfray. On la sent profondément agacée par les malentendus et les incompréhensions engendrés par la personnalité et l’œuvre d’Albert Camus. Sa sincérité, parfois roide et vigoureuse, fait du bien. Avec elle, on n’est pas dans le confit et la dévotion. Puis-je me permettre, moi qui suis un inconditionnel d’Albert Camus tant pour l’ensemble de ses œuvres (j’y inclus le théâtre) que pour sa personnalité riche, complexe et profondément honnête, de discuter une affirmation de Catherine Camus : « La droite détestait mon père mais la gauche ne l’aimait pas non plus. Il était seul comme un rat… »
Désormais récupéré de toutes parts
Je comprends bien pourquoi la gauche intellectuelle, philosophique et idéologique « n’aimait pas » Albert Camus. Il y avait dans ses positions controversées sur les enjeux et les tragédies de l’époque, notamment le drame algérien, une telle obsession de la vérité, de la pensée juste – mesurant ce qu’il convenait de concéder à la politique et en même temps à l’humain -, qu’il était perçu comme décalé par rapport aux délires partisans de sa famille naturelle, la gauche humaniste. Il se tenait en permanence dans une attitude, aussi douloureuse et inconfortable qu’elle soit, où il ne cédait jamais rien sur la complexité du réel, avec un refus de l’Histoire sanglante et meurtrière.
Peut-être que la droite le « détestait » en cette période où les esprits et les caractères comme les siens étaient voués à être incompris, précisément à cause de convictions qui, sur l’Algérie par exemple, tenaient fermement les deux bouts de la chaîne : justice et égalité d’un côté, détestation et dénonciation du terrorisme aveugle de l’autre. Mais il me semble que cette vision a bien changé et qu’Albert Camus est devenu profondément (grâce à l’universalité de sa morale bien davantage que pour ses idées qui, aussi pertinentes qu’elles aient pu apparaître, pouvaient cliver) une sorte de référence que des camps antagonistes prétendent s’approprier. Alors que sa force tient précisément à son dépassement, par une conscience toujours en éveil et inquiète, des problématiques dérisoires et conjoncturelles.
Il ne s’agit en aucun cas de tomber dans ce ridicule, pour faire « progressiste », de faire fond, pour irriguer sa cause, sur des pensées apparemment aux antipodes de celle-ci. Combien de discours de Nicolas Sarkozy ont été emplis hier d’invocations de personnalités qui n’avaient pour utilité que de faire croire à une synthèse, en réalité purement artificielle, entre la droite et la gauche… Sur ce plan, il faut reconnaître que Gramsci a beaucoup servi et qu’il continue à être exploité notamment pour sa vision célèbre de la crise, au demeurant jamais totalement explicitée…
Allure et courage
Il n’empêche qu’au risque de déplaire à Catherine Camus – mais qui pourrait se plaindre d’un hommage de bonne foi à un père admirable ? -, je ne peux m’empêcher de ressentir une très vive familiarité avec une conception authentiquement humaniste de l’existence. Surtout quand Catherine Camus énonce que, pour Albert Camus, « l’homme passe avant l’Histoire » et que pour elle, considérer qu’avec la chute du Mur de Berlin le triomphe de son père se réalisait était une absurdité, elle aurait été étonnée qu’il exultât après 80 millions de morts ! J’entends bien qu’il serait choquant de la part de la droite et du libéralisme de s’estimer seuls propriétaires de la vision si chaleureuse et empathique de l’Histoire, refusant que celle-ci soit, au nom de la lutte des classes et de la prétendue société idéale à la fin des temps, un cimetière monstrueux où à force de vouloir régénérer les hommes, on les aurait fait disparaître.
S’il y a un enseignement à tirer d’Albert Camus, c’est celui-ci : rien n’est plus dévastateur qu’une conscience molle, un esprit assoupi, une défaite de tous les instants quand au lieu de choisir l’allure et le courage, dans les grandes comme dans les petites circonstances de l’existence, on optera pour la tranquille médiocrité. L’intelligence étant également répartie, mieux vaut avoir raison avec Albert Camus que tort avec Jean-Paul Sartre !
Le premier est notre frère très, parfois trop humain. Le second voulait notre bien en excusant trop souvent le Mal.
Une salle de concert du Jardin Botanique de Bruxelles devait être prise pour cible «dans quelques semaines», a annoncé lundi le parquet fédéral belge. Quatre hommes, dont trois mineurs, ont été interpellés la veille. Et depuis, le JDD nous a appris qu’ont été appréhendés en France trois mineurs car ils étaient en relation avec les individus bruxellois. Mais, « enquête oblige », les autorités et la police sont d’une rare discrétion. Correspondance.
On sait très peu de choses de l’attentat que projetaient quatre jeunes djihadistes à Bruxelles. Les infos qu’ils s’échangeaient sur le Darknet ont permis au parquet de les intercepter à temps et d’éviter le carnage. Leur cible était une des salles de concert de l’élégant et vénérable Jardin Botanique, rebaptisé « Bota » par les bobos qui pullulent dans la capitale de l’Europe.
Il semble d’ailleurs que le quatuor en avait déjà planifié d’autres. « Mais pour le moment, nous ne dirons rien sur ce dossier pour des raisons d’enquête », déclare Eric Van Duyse, le porte-parole du parquet fédéral.
Notre confrère Jules Torres du Journal du Dimanche rapporte aussi que trois adolescents ont également été arrêtés en France, partageant les mêmes projets coraniques et sanglants que leurs potes d’Outre-Quiévrain. [1]
Un seul des apprentis terroristes est majeur. Il a été écroué et, par la voix de ses avocats, Maîtres Alaya Kahloun et Isa Gültaslar, nie toute implication.[2] Les trois autres sont mineurs et ont été placés en IPPJ (Institutions Publiques pour la Protection de la Jeunesse) où ils pourront faire de la pâte à sel.
Bref, on ne sait pas grand-chose sur cet attentat déjoué, sinon qu’on l’a échappé belle, et on ne sait rien du tout sur ses auteurs présumés. Sauf une chose que l’on nous explique à longueur de JT : ils sont belges ! Et cela semble la seule information importante. Leur prénom, leur parcours ou leur origine sont soigneusement tus, les Belges doivent avant tout savoir qu’il s’agit de leurs « compatriotes ».
Le candidat à la présidentielle américaine revanchard et l’intellectuelle de gauche radicale sont tous deux les partisans d’une « post-vérité » qui augure des lendemains qui déchantent.
Ce sont deux luminaires de la pensée contemporaine.
Le premier, le monde entier le connait, depuis Washington jusqu’à la Corée du Nord où le 30 juin 2019, dans la zone démilitarisée, il a mis un pied dans le pays du dictateur Kim Jong Un. « C’est un grand jour pour le monde », avait-il dit sobrement, paraphrasant Neil Armstrong arrivant sur la Lune « Un petit pas pour l’homme un grand pas pour l’humanité ». Il s’agit évidemment de Donald Trump, vainqueur du « Super mardi » des primaires américaines, après lequel sa rivale Nikki Haley a jeté l’éponge. Le problème est qu’il n’a rien changé à la Corée du Nord, la dictature la plus impitoyable de la planète, puissance nucléaire et grand pourvoyeur d’armement pour l’Iran et la Russie. D’ailleurs les historiens disent que la célèbre phrase d’Armstrong n’a jamais été prononcée telle quelle.
Parole, parole, chantait Adriano Celentano dans ma jeunesse…
Donald Trump se prend pour Superman
On attribue à Donald Trump un concept philosophique majeur de notre époque, celui de post-vérité. Il n’a pas inventé le terme, il ne sait probablement pas ce qu’est un concept et n’a certainement jamais ouvert une page de philosophie, mais dès les premiers jours de sa présidence, sa conseillère en communication parlait de « faits alternatifs » quand on lui faisait remarquer que contrairement à ce que disait le nouveau président, très peu de personnes avaient assisté à la cérémonie d’investiture.
Hannah Arendt avait écrit que la post-vérité, qu’on n’appelait pas encore de ce nom, se caractérise par l’indifférence à la distinction entre mensonge et vérité. Cette tournure d’esprit est d’ailleurs aussi vieille que la société. On la trouve en matière religieuse dès qu’on suspend son jugement sur la vérité ou la fausseté des récits sacrés, auxquels on croit sans y croire. À l’inverse, quand on dit d’un individu qu’il s’engage « aveuglément » derrière une idéologie ou derrière un homme, c’est aussi qu’il se dispense de toute confrontation à la réalité.
Outre ceux qui le suivent par intérêt ou parce qu’ils partagent certains de ses ressentiments, on retrouve chez les partisans de Trump ceux qui ne croient pas à l’existence d’une vérité objective comme ceux qui répètent avec enthousiasme les slogans de leur héros, comme MAGA, Make American Great Again, même si la formule pour rendre l’Amérique grande à nouveau consiste à se désintéresser des affaires du monde et laisser le champ libre à ses ennemis.
Trump lui-même se moque de la vérité, son narcissisme est sans limites et sa trajectoire judiciaire accablante. Mais ce sont là des caractéristiques qui lui servent pour entrainer les individus, humilier les adversaires, affabuler le passé et magnifier l’avenir. Il peut alléguer sans preuve s’être fait voler l’élection, se dire aussi persécuté que Navalny, se vanter de résoudre le drame ukrainien en 24 heures et prétendre que s’il avait été au pouvoir, le Hamas n’aurait pas osé bouger, ses admirateurs communient dans ses soi-disant combats et ses soi-disant épreuves.
La présidence de Trump a été marquée par le contraste entre d’une part les initiatives favorables à Israël, l’ambassade à Jérusalem, les accords d’Abraham et la dénonciation d’un accord inepte et hypocrite avec l’Iran et d’autre part les débordements antisémites de certains de ses partisans du QAnon. Par rapport au massacre du 7 octobre, Trump s’était peu exprimé. Il vient de dire qu’il faut laisser les Israéliens finir leur travail. Mais il n’est pas sûr qu’il aurait montré à l’égard d’Israël la même réactivité que Biden aux jours les plus sombres de l’histoire de ce pays, alors que le désengagement extérieur est l’un de ses mantras.
Judith Butler : bon chic, mauvais genre
Pour l’autre personnalité américaine dont le nom est apparu dans les médias français, à un niveau infiniment plus confidentiel, nous savons comment elle aurait réagi si elle avait été aux « affaires ». Il s’agit de Judith Butler, probablement la philosophe la plus influente de notre époque, qui a qualifié les massacres du 7 octobre d’ « actes de résistance armée ».
Le 3 mars, Judith Butler, pionnière des études de genre dans les universités américaines, a déclaré que l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023, était «un acte de résistance armée». pic.twitter.com/d6lsggpWUs
Elle devait donner une série de conférences à l’Ecole Normale Supérieure. Il semble que celles-ci ont été reportées.
Judith Butler née comme son célèbre mentor Noam Chomsky, dans une famille juive très engagée, est la papesse reconnue du woke ou plus exactement de ces « gender studies » dont l’emprise sur l’université américaine est en train de pervertir la liberté académique et de promouvoir des délires antisémites d’un genre – c’est le cas de le dire – inattendu.
Dois-je l’avouer, je n’ai pas lu ses livres. Autant ses partisans la mettent au pinacle, autant ses adversaires prétendent que la tortuosité de son style masque la pauvreté de ses arguments en impressionnant le lecteur qui confond difficulté de compréhension et profondeur de pensée. Son premier livre de 1990, qui reste le plus connu, n’a été traduit en français, sous le nom de Troubles dans le genre, que 15 ans plus tard, alors que, de Simone de Beauvoir à Monique Wittig, de Jacques Lacan à Michel Foucault, la plupart des intellectuels dont elle s’inspire et qu’elle cherche à dépasser sont d’origine française. Judith Butler a créé le concept de binarité et a été jusqu’au bout de la vision de la différence sexuelle comme une simple assignation sociétale. 1990, c’est aussi la parution du livre de l’universitaire afro-américaine Kimberley Crenshaw qui crée le concept d’intersectionnalité des luttes, cette formule qui permet les regroupements les plus baroques.
Judith Butler coche parfaitement la case consacrée à la haine d’Israël.
Par leur influence, leur agressivité, leur simplisme, leur mépris du débat, les idéologies antagonistes dont Donald Trump et Judith Butler sont les figures de proue ont finalement un air commun. Il n’augure rien de bon pour l’avenir de la pensée.
Notre contributeur revient sur l’émission d’Alain Finkielkraut Répliques du 24 février consacrée à l’amour, avec Noémie Halioua et Victoire Tuaillon. Et sur les réactions ultra-gauchisantes qu’elle a suscitées.
Résumons.
Le 24 février 2024, Noémie Halioua, auteur de La Terreur jusque sous les draps – sauver l’amour des nouvelles morales, un essai qui commence à faire parler de lui et pour cause[1], était invitée à Répliques par Alain Finkielkraut pour débattre avec Victoire Tuaillon, animatrice du fameux podcast Les couilles sur la table, sur le thème Faut-il réinventer l’amour ? Le débat (qu’on pourra réécouter ici), fut explosif, tendu, quoique très intéressant, palpitant et significatif du fait même de son caractère aporétique. Par bien des aspects, il rappela celui du plateau d’Apostrophes en 1978 [archive INA ci-dessous] entre Annie Le Brun et Gisèle Halimi.
Même mépris néo-féministe envers celles qui osent ne pas se reconnaitre dans leur combat communautariste, même négation de l’individualité au nom de la lutte collective, même misandrie décomplexée, même haine de la littérature – et il fallait bien une surréaliste aussi classe que l’autrice des Châteaux de la subversion pour oser s’attaquer toute seule à la meute progressiste. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard (ou si c’en est un, alors il est objectif !) si Noémie Halioua termine son propre essai sur le mot d’André Breton à sa fille : « je vous souhaite d’être follement aimée. »
Amour fou contre Big Bang theorie
Alors sans doute suis-je partie prenante dans cette affaire et donc forcément partial mais il me semble que la surprise (et non l’emprise !), la verve et l’élan vital furent du côté de Noémie bien plus que de celui de la podcasteuse qui s’enlisa très vite dans ses chiffres, ses stats, ses « études », sa perception toute scientiste des choses, idéologiquement imparable mais existentiellement très pauvre – et typique de cette « prétention du présent », comme le fit remarquer d’emblée la première, qui tend à tout régenter au nom du bien et à déshumaniser à force de dénaturaliser.
Dès lors, la bataille pouvait commencer.
L’une, du côté de l’homme et de la femme éternels, de l’amour tel qu’il est vécu depuis la nuit des temps, forcément imparfait, dissymétrique, associé au tragique ; l’autre, du côté de la réparation permanente, de l’obsession qu’il faut révolutionner le réel dans une optique banalement anticapitaliste quoique sans comprendre que c’est justement le capitalisme et la révolution industrielle qui ont permis l’émancipation des femmes bien plus que le blabla moralisateur des féministes (que n’a-t-elle lu Féminicène de Véra Nikolski, le seul essai sociologique du moment qui renouvelle le logiciel progressiste) – et préférant comme il se doit s’en prendre à la culture immémoriale, réduisant l’amour au féminicide, l’œuvre d’art à la culture du viol et la littérature à Matzneff. Tant pis pour Madame de Mortsauf et son bouleversant « J’ai parfois désiré quelque violence de vous » à Félix de Vandenesse dans Le Lys dans la vallée, cité par Finkielkraut, qui impressionna fort peu Victoire, certaine de l’emporter grâce aux chiffres de l’INSEE.
Le plus drôle est qu’en défendant son monde parfait où tout le monde s’aimerait de la même façon et d’un amour qui ne serait en fait qu’une forme d’amitié sublime plus ou moins zadiste, c’est elle qui se révéla ultra-romantique, idéelle, irréelle – alors que Noémie, toute à sa défense des contes de fées, était paradoxalement dans le réel le plus âpre, vécu comme tel avec ses défauts et ses risques. Et c’est pourquoi, plutôt que le féminisme révolutionnaire, toujours un brin totalitaire, promue par la première (« le féminisme n’est pas une opinion », asséna celle-ci – énormité de l’émission s’il en fut), l’on préférera toujours celui de réconciliation proposée par Noémie[2].
Mais le plus beau était à venir…
Le même jour, ces dames mirent sur leur profil respectif, et avec une fierté fort compréhensible, la photo faite après l’émission avec Alain Finkielkraut et (entre !) elles. Tout le monde fut heureux pour Noémie alors que cela se passa fort différemment pour Victoire. Très vite, celle-ci fut taclée sur son X (ex-Twitter) avec une incroyable violence par sa communauté l’accusant d’être allée se compromettre dans une émission « crypto-fasciste » d’un « vieux mâle blanc cisgenre », osant, qui plus est, poser avec un grand sourire à côté de lui – acte de collaboration impardonnable.
Pire, on l’attaqua sur sa blanchité, son orientation sexuelle (car on a beau être féministe pratiquante, on n’en reste pas moins une caucasienne hétéro), tout ce qui constituait à son corps défendant une trahison éhontée de la cause – et qui lui fit perdre sur le champ près de cinq mille followers ! La malheureuse fut alors obligée de rétropédaler, tentant d’expliquer pourquoi elle avait accepté cette invitation, qu’il était de son devoir de combattre les « idées moisies » sur leur terrain et que son sourire n’était en rien de déférence mais au contraire d’insolence. Explications qui ne convainquirent pas du tout la bande d’enragés qui la suivait, certains allant jusqu’à dire qu’ « elle aussi faisait partie du problème », démontrant, si besoin en était, que le campisme se termine toujours très mal – et comme l’expliqua très bien Peggy Sastre : « on surestime grandement à la fois l’homogénéité de son exogroupe (pas de ma bande) que celle de son endogroupe (de ma bande) – une double illusion, susceptible de faire de grosses étincelles ».
À ce texte crispant et surtout peu solidaire avec une personne qu’ils auraient dû soutenir, Noémie réagit avec beaucoup d’honneur par une élégante vidéo dans laquelle elle s’étonnait du peu de goût de cette journaliste de gauche pour la liberté d’expression et le débat démocratique et qui lui donnait pour le coup envie de défendre la Tuaillon. Cette dernière n’apprécia pas non plus beaucoup cette leçon de morale que Libé lui faisait et eut des mots plutôt rudes avec son émissaire. Il est vrai qu’entre camarades d’ultra-gauche on n’oublie jamais de se taper dessus en cas de manquement idéologique avant de s’exclure en bonne et due forme, la Révolution finissant toujours par dévorer ses enfants. Et entre des fanatiques l’accusant d’aller faire du gringue à l’ennemi et une « stalinienne en jupon » la semonçant publiquement, Victoire a dû se sentir bien seule.
La gauche black mirror
Au-delà de sa mésaventure personnelle, ce qui importe dans cette affaire picrocholine est de constater le tournant que prend aujourd’hui la gauche culturelle.
Non qu’on ne la savait pas intolérante, sectaire et rép(g)ressive depuis longtemps – mais pas de manière si officielle. De ce point de vue, ce sont Geoffroy de Lagasnerie et Edouard Louis qui ont gagné. Quand on est de gauche, on ne discute plus avec Marcel Gauchet ni avec Alain Finkielkraut, ni avec personne. On agit – c’est-à-dire on boycotte, on censure, on interdit (regardez ce qui se passe avec CNews). Le problème n’est plus le désaccord mais bien le débat en soi – pour ne pas dire l’Autre qu’il faut désormais annuler ou invisibiliser comme dans un épisode de Black Mirror. Pour ces gens-là, le « fascisme » ne commence pas à l’extrême droite, à droite ou même au centre mais bien avec la gauche libérale dont fait malgré tout partie Victoire Tuaillon – à qui il arrive la même chose qu’à l’écolo Hugo Clément après que celui-ci a accepté d’aller débattre avec Valeurs actuelles et s’être fait traité par ses propres troupes d’« écofasciste ». Pour l’anti-fa comme pour le fa, seule importe la pureté – c’est-à-dire la mort. Et c’est pour cela qu’on a envie de sauver la soldate Tuaillon de son engeance et peut-être même de la réconcilier avec Noémie Halioua – la sororité étant plus une affaire d’individus que de meute.
[2] Et même si nous n’avons rien contre l’idée d’une autre version du conte de Perrault dans laquelle ce serait Aurore qui embrasse le prince pour le réveiller de son sommeil de cent ans – et comme du reste Trinity embrasse Néo dans Matrix et lui rend la vie. Là-dessus, nous sommes en accord érogène avec Victoire. Oui au Beau au bois dormant ! Oui au female gaze !
Nos querelles d’idéologues et les batailles d’opinions empêchent le moindre débat rationnel sur la réalité de l’immigration, question pourtant toujours plus décisive. Le Petit traité sur l’immigration irrégulière de Maxime Guimard promet d’y voir plus clair. La démographe Michèle Tribalat a lu le premier essai de ce haut fonctionnaire de la place Beauvau, préfacé par Dominique Reynié.
L’intérêt du livre de Maxime Guimard1 est de porter l’attention sur la présence d’étrangers en situation irrégulière, soit parce qu’ils sont entrés sans en avoir le droit, soit parce qu’ils ont prolongé leur séjour au-delà de la durée de leur visa, et de dévoiler l’envers du décor : astuces, contournements, fraudes, chantages, fausses bonnes idées et aveuglements politiques. Je suis d’ailleurs étonnée qu’il n’ait pas reçu un écho médiatique plus important. Son auteur étant lui-même un cadre du ministère de l’Intérieur, il dispose d’informations de première main qui auraient dû retenir l’attention des médias, d’autant qu’il est sorti en janvier alors qu’une loi adoptée sur le sujet s’est vue en grande partie retoquée par le Conseil constitutionnel. L’ordre du jour médiatique ne pouvait pas être plus propice à un large écho. Une des grandes leçons de ce livre est sans doute qu’il serait plus efficace de dissuader d’entrer que d’obliger à partir.
Comment les appeler ?
Maxime Guimard se refuse, à raison, d’appeler « clandestins » des étrangers qui sont arrivés parfois au vu et au su de tout le monde et ne vivent généralement pas dans la clandestinité. Il se résout à adopter l’appellation des militants pro-immigration – « sans-papiers » – même s’il n’y recourt que cinq fois. Il distingue « immigration légale » et immigration qu’il appelle irrégulière et non pas illégale, sans doute en raison de sa banalisation.
Un chiffrage forcément approximatif
Maxime Guimard estime à 500 000 le nombre possible d’étrangers en situation irrégulière au 1er janvier 2022 en retirant chaque année, de 2009 à 2021, du nombre d’étrangers connus pour être entrés, d’une manière ou d’une autre, dans l’irrégularité, ceux qui en sont sortis (décès[1], retour ou régularisation).
Pour 1,3 million de personnes repérées comme entrants dans l’irrégularité de 2009 à 2021, 800 000 sont sortis de l’irrégularité, en grande partie grâce aux procédures de régularisation (80 %). C’est donc principalement par la régularisation que l’État français « lutte » contre la présence irrégulière d’étrangers en France. « La quasi-certitude d’accéder un jour à un statut régulier est inéluctablement interprétée par le migrant comme un signal d’accueil favorable adressé par le pays de destination, qui constitue en lui-même le moteur essentiel de la migration irrégulière » observe Maxime Guimard.
Une politique des visas ajustée, la clef de la prévention
Le dépassement de validité du visa est le moyen le plus fréquent d’entrée dans l’irrégularité. Le visa de court séjour est donc l’objet d’une grande convoitise et les pays que l’UE a dispensés de visas peuvent servir d’intermédiaires complaisants.
On peut forcer la porte en passant par un pays de transit non soumis au visa aéroportuaire ou en obtenant un visa pour un pays lointain et en débarquant lors d’une escale en Europe pour demander l’asile. On peut aussi passer par des pays de rebond, comme le Brésil, pour se rendre au poste frontière de Saint-Georges de l’Oyapock et déposer une demande d’asile en Guyane. La simple corruption peut aider, comme ce fut le cas d’universités bidon au Royaume-Uni prétendant accueillir de nombreux étudiants qui payaient, en échange de faux certificats d’inscription ou de présence. La malveillance aussi, comme ce fut le cas en 2021 lorsque la Géorgie distribua des visas à des Irakiens en leur faisant miroiter une entrée dans l’UE.
Le système d’enregistrement électronique entrées-sorties (EES) attendu pour 2025 et permettant de dématérialiser le cachetage du passeport devrait permettre de produire des données statistiques sur le dépassement de la durée de validité des visas par nationalité, par consulat et critères sociaux professionnels, à même d’informer une politique de visas. En effet, détecter après coup les dépassements c’est bien, mais c’est encore mieux de pouvoir les empêcher par une politique de visas apte à repérer les candidats au dépassement et les fraudes même si, en termes budgétaires, la délivrance d’un visa est moins coûteuse qu’un refus.
Pour les pays dispensés de visas, on espère beaucoup du fichier ETIAS[2] qui délivrera ou non, après consultation de divers fichiers, une autorisation de séjour de trois mois. ETIAS aussi permettra d’étudier les dépassements de séjour autorisé et d’ajuster les pratiques administratives en conséquence.
Si l’on refuse aujourd’hui plus de visas qu’autrefois, c’est parce que les demandes se sont considérablement accrues et non parce qu’on en délivrerait moins.
Promesses humanitaires ou solution à l’australienne ?
Quant au forçage des frontières par la mer, le secours apporté par des ONG pour sauver les étrangers des embarcations précaires entretient la rente financière des passeurs, quand il ne les aide pas à récupérer les bateaux pour de nouveaux transports. Ces ONG jouent le rôle de facilitateur de l’immigration irrégulière par mer, avec son lot de noyades. Si les pays européens sont loin d’être prêts à montrer les muscles et à imiter les Australiens, force est de reconnaître que la méthode de refoulement de ces derniers avec la marine de guerre et l’impossibilité de mettre un pied en Australie pour ceux qui auront essayé d’y entrer illégalement a mis fin aux noyades en mer. Si l’on n’imagine pas l’UE sortir des bateaux de guerre (lesquels ?) pour repousser les candidats à l’immigration, le « push back » y ayant été déclaré interdit, il devrait être plus facile d’interdire le retour dans l’UE d’étrangers ayant essayé d’en forcer la porte. À condition qu’ils n’aient pas réussi car, une fois sur place, l’éloignement est devenu quasi impossible, particulièrement en France.
Organisation de l’impuissance à la frontière
Depuis une loi de 1989, les associations disposent d’une permanence dans les aéroports leur permettant d’orienter les étrangers retenus à la frontière vers la demande d’asile. Si elle apparaît manifestement infondée, un recours contentieux est possible, recours qui est devenu suspensif depuis une décision de la CEDH en 2007, prolongeant ainsi le délai de maintien en zone d’attente, sous contrôle du juge des libertés et de la détention. Particularité française, il faut ajouter à cela la possibilité, depuis une loi de 1981, pour l’étranger de refuser d’être rapatrié avant l’expiration d’un jour franc[3]. Si le taux de réacheminement n’est pas très élevé en aéroport (30 %, d’après l’ANAFE[4]), l’épisode de l’Ocean-Viking a montré qu’on pouvait faire bien pire (3%).
Quant aux prestations de Frontex, elles sont si problématiques que les pays de première ligne en viennent à préférer s’en passer.
François Leggeri, qui pensait diriger une brigade de gardes-frontières, dut en tirer les conséquences et démissionner.
Des trous dans la raquette
La directive de 2009 visant à sanctionner les employeurs recrutant des étrangers sans titre de séjour a déplacé la fraude sur l’emprunt de vrais titres de séjour contre 10% à 30% du salaire. Si l’employeur transmet bien une copie du titre de séjour à la préfecture deux jours avant l’embauche, aucun mécanisme n’a été mis en place pour vérifier si ce titre de séjour est utilisé par plusieurs étrangers. L’application AGDREF[5] du ministère de l’Intérieur devrait être améliorée ou remplacée afin de permettre de telles vérifications.
L’aubaine hospitalière française
L’étranger en situation irrégulière depuis trois mois ou disposant d’une autorisation provisoire de séjour dans l’attente d’une décision sur sa demande d’asile peut recourir à l’AME dans le premier cas ou à la PUMA dans le second cas. L’AME est sous condition de ressources, purement déclaratives, et donne lieu à des fraudes. En profitent surtout des étrangers exemptés de visas qui ne disposent pas dans leur pays des mêmes prestations ou ne sont pas couverts.
L’absence de contrôles a ainsi permis à l’actuel ministre des affaires étrangères des Comores de se faire passer pour un Mahorais et à se faire soigner à la Réunion pendant une dizaine d’années !
L’asile, filière par excellence de l’immigration irrégulière
La durée des procédures, la dégradation des contrôles aux frontières et l’évolution de la législation ont contribué à gonfler les demandes d’asile. Une fois en Europe, l’étranger a de bonnes chances de pouvoir y rester.
La Convention de Genève fut conçue pour réagir aux évènements survenus en Europe avant le 1er janvier 1951. Mais le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations unies (HCR), créé en 1950, laissait à chaque contractant la possibilité d’élargir unilatéralement le champ de la demande d’asile. Défaut d’anticipation et suivisme du quai d’Orsay ont conduit à l’adoption à l’unanimité de l’extension de la Convention au reste du monde en 1970, après la conférence de Bellagio de 1965 et après que les Nations unies l’ont recommandée. S’y ajoutèrent, en 1982, l’extension aux procédures à la frontière et, en 1998, à l’asile territorial qui devint la protection subsidiaire[6] puis, en 2003, aux persécutions non étatiques.
Le faible taux de protection français ne tient pas à une sévérité particulière mais à la composition par origine des demandeurs. Les demandeurs d’asile font des choix et ceux qui ont de bonnes chances d’obtenir l’asile préfèrent les pays les plus attractifs et où la procédure est plus rapide. L’Allemagne choisit non sans un certain cynisme les étrangers auxquels elle accorde une protection : les plus diplômés d’abord et les femmes parmi les Afghans. La France, où les procédures sont plus longues et les taux de protection supérieurs à la moyenne, notamment auprès des ressortissants de pays exemptés de visas, est donc choisie par défaut, notamment par ceux qui ont été déboutés chez nos voisins. Au rang des exceptions françaises il faut compter la composition de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) où siège, dans chaque formation, un représentant du HCR comme deuxième assesseur. La CNDA assure ainsi une protection à des cas jugés incongrus chez nos voisins. Ses décisions rétroagissent sur celles en première instance par effet d’anticipation.
Beaucoup de bruit pour rien
La procédure Dublin a mauvaise presse au ministère de l’Intérieur. Le transfert, qui doit se faire dans les six mois, échoue la plupart du temps et oblige ainsi à accepter la demande d’asile, rallongeant encore le temps de traitement du dossier. Le traitement rapide des dossiers, surtout pour les demandeurs ayant peu de chances d’obtenir une protection, est le moyen le plus sûr de réduire l’incitation à demander l’asile.
Éloignements de plus en plus difficiles
Loin d’être une directive de la honte, la directive Retour de 2008 a introduit le délai de départ volontaire (30 jours) pour l’étranger de bonne foi qui permet à l’étranger sous OQTF, de s’évaporer dans la nature. Il faut y ajouter ensuite la dépénalisation du séjour irrégulier. La France, écrit Maxime Guimard, arrive à éloigner à peu près autant qu’à la belle époque lors de l’éloignement en wagon cellulaire (4000 à 6000 par an), malgré une augmentation des décisions, traduisant ainsi une forte dégradation de la politique d’éloignement. Mauvaise volonté des pays d’origine pour délivrer les laissez-passer consulaires, procédures interminables et contraintes juridiques plus grandes expliquent cet échec, dont témoigne l’extension des capacités de rétention. La rétention n’est d’ailleurs pas forcément une aide à l’éloignement en raison de la présence, en centres de rétention administrative (CRA), d’un représentant d’associations (CIMADE, France terre d’asile…) qui prépare à l’obstruction à l’éloignement.
Toutes ces difficultés, auxquelles il faut ajouter parfois le refus de réadmission à la frontière, conduisent à l’autocensure des services d’éloignement.
L’absence d’un véritable outil statistique n’aide pas à la décision
L’application AGDREF mise en place dans les années 1990 n’est sans doute plus adaptée aux exigences actuelles. L’absence d’applications collaboratives et les échanges manuels qui perdurent sont la source d’une perte de qualité des documents, avec des copies de passeports transmises aux consulats qui sont parfois illisibles. On est loin d’une digitalisation complète des informations. Les préfectures ont ainsi renoncé à identifier les étrangers qui ne sont pas en CRA et qui ne figurent ainsi pas dans AGDREF. Le projet d’introduction d’un identifiant unique pour tout étranger devrait permettre de suivre son destin en France et de mieux appréhender l’immigration irrégulière.
Une diplomatie migratoire encore bien timide
Maxime Guimard examine les moyens de pression susceptibles d’améliorer la collaboration des pays d’origine, sachant que la politique longtemps privilégiée par l’UE d’échanger des entrées légales contre un accord de réadmission ne crée pas vraiment d’obligations pour ces pays, en raison d’une grande dissymétrie de réactivité : « Il suffit d’un télégramme pour ordonner aux consulats de ne plus délivrer de laissez-passer, quand nos démocraties forcément plus réglementées doivent engager de longues négociations pour revenir sur les facilités octroyées ».
La menace de réduire le nombre de visas a plus de chances de marcher lors d’un ciblage précis des pays qui refusent de coopérer afin d’éviter une coalition d’intérêts. La France l’a fait en 2021 à l’égard de l’Algérie très peu coopératrice (34 éloignements forcés en 2021), mais aussi du Maroc et de la Tunisie avec un retour à la normale courant 2022.
Ajoutons que le Conseil constitutionnel a consenti à ce que la France conditionne la délivrance de visas à la coopération en matière de réadmission. C’est un des rares articles introduit par le Sénat qui n’a pas été retoqué pour absence de lien avec le projet de loi initial.
Le levier de l’aide publique au développement pas très populaire
L’absence de conditionnalité est défendue par les pays destinataires de l’aide, les ONG engagées sur le sujet, telles que la Coordination Sud qui rassemble plus de 170 associations françaises et subventionnée à plus de 1 million d’euros. Craignant pour leur activité, elles sont hostiles à tout contrôle des destinataires en bout de course. Par ailleurs, la multiplicité des programmes, les divergences de priorités entre administrations ne sont guère favorables à la mise en place d’une conditionnalité. L’éviction du ministère de l’Intérieur du conseil d’administration de l’Agence Française de développement (AFD) en 2019 non plus. Sans mécanisme de révision, d’après une liste de pays selon leur degré de coopération à la réadmission établie par le ministère de l’Intérieur, c’est le louvoiement assuré des pays tiers. Il est temps d’agir, la plupart des pays de l’UE étant désormais acquis au principe de conditionnalité. Enfin, pas encore en France apparemment puisque la disposition ajoutée par le Sénat conditionnant l’aide à la coopération des états a été, celle-ci, retoquée par le Conseil constitutionnel pour absence de lien, même indirect, avec le projet de loi initial.
Quant aux transferts de fonds des immigrés vers leur pays d’origine, ils pourraient être un levier pour améliorer la coopération de pays récalcitrants en matière de réadmission (d’après un bilan du ministère de l’Intérieur), en jouant sur les coûts de transfert : nous réduirons ces coûts si vous vous montrez plus coopératifs.
De même, à côté du système général de préférences unilatéral (SGP) appliqué par l’UE dans ses transactions commerciales avec des pays à faibles revenus, un grand nombre d’accords contractuels introduisant des tarifs préférentiels comprennent des clauses de réadmission. Mais encore faudrait-il qu’elles soient activées systématiquement. Une révision du SGP pour le cycle 2023-2024 n’a pas encore abouti. Si le Comité des représentants permanents de l’UE a accepté le levier commerce-réadmission, le Parlement, fortement travaillé au corps par une campagne de lobbying, s’y est opposé. Mais ce levier n’a de chances de marcher qu’avec les pays qui exportent suffisamment dans l’UE.
Contradiction française
Comment espérer faire plier des pays tiers quand la France régularise chaque année des dizaines de milliers d’étrangers et incite ainsi des étrangers à grossir les flux à venir ? Cette contradiction ne met pas le Quai d’Orsay en bonne disposition pour tenter de faire plier les pays avec lesquels il est censé converser. Ce dernier peut avoir l’impression qu’il perd son temps, tout en indisposant ses interlocuteurs.
Un moyen plus direct d’envoyer un message aux pays réfractaires pourrait commencer par l’établissement d’une liste des faveurs accordées aux entourages de leurs diplomates et d’y mettre fin. Le légalisme des procédures démocratiques joue en faveur des régimes autoritaires qui n’ont aucun mal à se faire entendre quand les pays européens n’y arrivent pas. Il se trouve ainsi des pays qui nous refusent la réadmission de quelques-uns de leurs ressortissants mais accepteront sans broncher des retours massifs d’un pays voisin. Les Européens pourraient faire monter la pression en menaçant de mettre fin aux prébendes contre une attitude plus conciliante. Le message à faire passer : la rente est terminée !
Si quelques progrès sont possibles en faisant mieux fonctionner l’administration et en la dotant d’un système informatique beaucoup plus performant et collaboratif, une action plus globale visant la maîtrise et la restriction des flux migratoires souhaitées par l’opinion publique est freinée par la dépolitisation de la question migratoire transformée en enjeu humanitaire. À cet égard, Maxime Guimard n’oublie pas le rôle joué par quelques intellectuels, dont l’inénarrable professeur au Collège de France François Héran, qui ont naturalisé le phénomène migratoire et ont réussi à convaincre une bonne partie de l’élite. Parmi ces convertis, figure notre ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin[7]. Le mélange de « discours agressifs et de politique de tolérance » est une bien mauvaise option qui confine à l’impuissance. Impuissance que les stratégies de partage sur le territoire français ou européen ont du mal à camoufler. L’accent mis sur les politiques de retour laisse croire qu’elles sont le bon outil de lutte contre l’immigration irrégulière et apportent malencontreusement du crédit aux discours des associations dénonçant le durcissement croissant des politiques migratoires.
Une simplification radicale répondant aux aspirations humanitaires d’une France ouverte à tous reviendrait à renoncer à tout contrôle, mais au prix d’une explosion des flux. Pour Maxime Guimard, un progrès minimal consisterait à aligner la législation française sur une politique « médiane » des autres états membres de l’UE, en éliminant les dispositifs qui plaisent tant aux universitaires français mais ne sont pas partagés par nos voisins. Pour aller plus loin, explique Maxime Guimard, c’est vers les pays anglo-saxons qu’il faudrait se tourner. Cependant, l’exemple américain des dernières années, avec une immigration irrégulière record à la frontière mexicaine n’est sans doute pas celui qu’il nous faut suivre.
Petit traité sur l’immigration irrégulière,Maxime Guimard, Éditions du Cerf, janvier 2024, 384 p.
[1] Avec, à mon avis un défaut d’estimation des décès, mais qui ne change pas l’ordre de grandeur de son estimation.
[2] European Travel Information and Authorization System.
[3] L’article ajouté par le Sénat visant à supprimer cette exception française a été retoqué par le Conseil constitutionnel pour absence de lien avec le projet de loi initial.
[4] Association nationale d’assistance aux frontières.
[5] Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France.
[6] La protection subsidiaire s’adresse aux étrangers qui risquent une menace grave, indépendamment de leur situation personnelle.
[7] C’est moi qui le dis (et non Maxime Guimard) après avoir entendu le ministre, lors de sa conférence au Centre de réflexion sur la sécurité intérieure (CRSI) le 19 septembre 2023 : « la question de l’immigration n’est pas une question d’opinion publique. Il n’y a pas à être pour ou contre. Être contre c’est comme être contre le soleil. »
À New York, alors que les violences s’y multiplient au péril des usagers, le gouverneur démocrate Kathy Hochul a décidé de déployer 750 soldats dans le métro. Si sa décision radicale est critiquée par certains là-bas, notre chroniqueur estime que le président Macron pourrait s’en inspirer ici plutôt que de regarder vers l’Est.
Appliquant le principe martial néo-macronien selon quoi « En dynamique rien ne doit être exclu », Madame le Gouverneur de l’État de New York, Kathy Hochul – sommité du parti démocrate, précisons-le – activement suivie en cela par le maire de la Grosse Pomme, Eric Adams, lui aussi membre éminent du parti démocrate, a décidé de déployer des troupes, non pas au sol, mais au sous-sol de la ville. Plus précisément dans le gigantesque dédale des quelque quatre cents stations de métro qu’empruntent chaque jour des millions de personnes de tous âges, de toutes conditions, locaux et touristes. Madame le Gouverneur (on excusera ma réticence à donner dans la mode inclusive, cela d’autant plus que la dame en question fait montre d’un caractère qu’en d’autres temps on n’aurait pas hésité à qualifier de viril) Madame le Gouverneur, disais-je, en ayant plus qu’assez des trafics en tous genres, doublement souterrains, qui gangrènent son réseau métropolitain, lasse de compter, ou plutôt de ne plus compter, les vols, les agressions, les viols, les actes de vandalisme, a pris l’affaire en main. D’une main qui ne tremble pas. Elle fait donc désormais appel à l’armée – des effectifs de la Garde Nationale de l’État. Parallèlement, elle renforce de manière significative les forces de police dédiées au maintien de la paix sous terre. Quelque chose comme mille hommes et femmes supplémentaires. Munis de consignes d’une fermeté elle aussi non tremblante.
Kathy Hochul y pensait depuis un moment. Une fusillade survenue mi-février dans le Bronx a achevé de la décider. Un mort, cinq blessés. Auparavant, dans Brooklyn, un conducteur avait été attaqué au couteau. Voilà un peu plus d’un an, toujours à Brooklyn, une mitraillade à une heure de pointe avait fait plusieurs dizaines de blessés. L’auteur purge maintenant une peine à vie – à vie pour de bon – jugé et condamné pour terrorisme. À ces faits en eux-mêmes terrifiants, sont venus s’ajouter les bonnes vieilles statistiques sans quoi on ne saurait parler de rien. 50% d’actes de violence en plus dans le métro new yorkais en janvier 2024 par rapport à janvier 2023. C’est beaucoup. C’est trop.
Le maire, quant à lui, entré en fonction le premier janvier 2022, avait été élu sur la promesse de combattre la criminalité sous toutes ses formes, en surface comme en profondeur. Ainsi, ces deux-là devaient fatalement s’entendre. Ils ont rapidement affiché haut et clair leur doctrine en la matière. Ils n’ont pas craint de faire de la sécurité dans le métro, de la lutte contre les fléaux de la drogue et du crime « leur guerre ».
Or, pendant ce temps, Monsieur Macron, sa guerre, « notre guerre », il la voit ailleurs. Par ailleurs, il conceptualise, il intellectualise la chose, n’est-ce pas. Il ne peut pas s’en empêcher. « En dynamique rien ne doit être exclu ». Tout est dans le « en dynamique », manifestation d’une pensée sophistiquée, élevée qui ne se satisfait pas des réalités de tout un chacun, celles observées au ras du bitume. Cela dit, serait-ce lui manquer gravement de respect que de lui faire remarquer que des lieux d’ici, de chez nous, comme Marseille pour ne prendre que cet exemple, ne sont pas loin, en « dynamique », de se mettre à ressembler à quelque chose qui serait de moins en moins éloigné du Bronx à ses plus fâcheux moments ? Et en conséquence, puisque, selon sa propre vision il ne faut rien exclure, ne pourrait-on lui suggérer d’envisager de déployer des « troupes au sol ». Le sol d’ici, bien sûr, de chez nous. Ici et maintenant. Je sais, on m’objectera que ce n’est pas, originellement, le job de l’armée. Et alors, à la guerre comme à la guerre, non ? À moins bien sûr qu’on se refuse à considérer que le tsunami de drogues mortelles et la déferlante de violence que nous subissons chaque jour un peu plus ne puissent être qualifiés de guerre? Une guerre qui, pourtant, serait bel et bien la nôtre, cette fois…
Ancien des forces spéciales, « BSD » va affronter le cador Dustin Poirier, samedi à Miami, en MMA. Un sport à la réputation sulfureuse qui est en plein essor en France et passionne la jeunesse. Le combat, retransmis en France sur RMC Sport, n’est pas prévu avant 4h00 du matin.
Le MMA est en vogue depuis quelques années. Il est même devenu un véritable phénomène de société en France après avoir conquis les bastions traditionnels du combat professionnel que sont les États-Unis, le Japon, le Brésil et l’Europe de l’Est. Cédric Doumbé et Baki se sont ainsi affrontés devant plus de 20 000 personnes à l’Accor Arena le 7 mars, un combat à l’atmosphère assez désagréable qui s’est fini par une déception après que l’ancien champion du Glory a reçu… une écharde dans le pied. Un apéritif pour patienter avant le choc de samedi. Porte-étendard de ce sport en France, l’ancien militaire des forces spéciales Benoit Saint Denis a en effet rendez-vous avec l’histoire samedi à Miami où il affrontera une légende du sport, l’Américain Dustin Poirier.
Un phénomène de société
Sport adoré par les amateurs et conspué par une grande partie de la population qui le trouve trop violent, voire comparé à de modernes jeux du cirque de Rome, le MMA est un paradoxe et une bulle de virilisme dans une société qui se veut libérée des instincts primitifs de l’homme. Sous cet acronyme se cache un sport de combat mixte qui trouve ses racines dans le pancrace mais aussi les différentes luttes occidentales qui faisaient l’attraction lors des foires itinérantes. Proposant des phases de contact debout en boxe anglaise ou en boxe pieds-poings, des phases de préhension proches de la lutte et du judo, ainsi que des moments au sol où l’arsenal des prises de soumission du jiu-jitsu brésilien fait parler la poudre, le MMA est en passe de remplacer les sports qui l’ont précédé. À la fin des années 90 et au début des années 2000, certains jeunes pratiquants comme votre serviteur se levaient en pleine nuit pour admirer Jérôme Le Banner affronter Peter Aerts au K1 Grand Prix de Tokyo. Les gladiateurs officiaient alors dans une version testostéronée du kickboxing offrant quelques points communs avec le muay thaï. L’UFC n’en était alors qu’à ses balbutiements, dominé par les Brésiliens spécialistes du combat au sol et les lutteurs.
Bien que remontant aux antiques Jeux Olympiques grecs – Pythagore était lui-même un pratiquant – le MMA actuel est encore un sport relativement jeune qui n’a été autorisé que tardivement dans l’hexagone, au terme d’années de combat acharné de la fédération de Judo qui voyait d’un mauvais œil une discipline susceptible de lui faire perdre de nombreux licenciés. Ca n’est qu’en 2018 que les premières compétitions professionnelles répondant aux standards américains ont été autorisées. Paradoxalement pourtant, le MMA est moins traumatique que la boxe. Il impressionne par les phases de coups portés au sol, mais l’anglaise est un sport où la cible des jouteurs est principalement la tête, se déroulant en 12 rounds de 3 minutes quand le MMA offre des combats majoritairement en 3 rounds de 5 et exceptionnellement pour les ceintures en 5 rounds de 5.
C’est justement son premier combat en 5 rounds de 5 que va disputer notre Benoit Saint Denis national à Miami contre Dustin Poirier, l’homme qui a battu par deux fois Conor McGregor et été à un cheveu de l’emporter contre l’invaincu citoyen russe d’origine daghestanaise Khabib Nurmagomedov. Caricaturé en « sport de cités », le MMA offre un visage bien plus complexe qu’il n’y parait désormais. Il est bien entendu très aimé et pratiqué dans les quartiers de l’immigration. Tous les sports de combat sont d’ailleurs particulièrement vifs dans les quartiers difficiles du monde entier, à commencer par la boxe qui a eu de nombreux champions afro-américains, des pays de l’est ou encore issus des populations des gens du voyage. Le MMA ne fait évidemment pas exception, mais il montre désormais une image différente et un paysage renouvelé auquel Benoît Saint Denis contribue grandement. Il peut apporter bien des valeurs humaines s’il est encadré par des coachs qui n’en manquent pas, tels que messieurs Woirin ou Diabaté en France.
Saint Denis, un personnage atypique
Ouvertement patriote et catholique pratiquant, Benoit Saint-Denis est le fils d’un officier supérieur de la Légion étrangère. Son style mutique tranche avec celui des grandes gueules de son sport, à l’image du chambreur Cédric Doumbé. Saint Denis préfère s’exprimer avec ses poings dans la cage et il le fait admirablement bien dans la catégorie la plus disputée des poids légers (70 kilos). Il est actuellement sur une série de cinq victoires d’affilée toutes avant la limite. Son bagage d’ancien militaire d’OPEX lui donne une force mentale hors du commun, ses adversaires sachant par avance qu’ils devront le « tuer » pour espérer sortir victorieux d’une rencontre. Il offre d’ailleurs un style de combat en totale adéquation avec les exigences du MMA moderne, basé sur des phases de transition entre la lutte et le combat debout parfaitement pensées. Alors que certains combattants sont parfois unidimensionnels, misant tout sur un point fort, « BSD » n’est mauvais nulle part.
Son pieds-poings a été peaufiné sous la férule de Daniel Woirin, sacré bonhomme à l’ancienne et expert de la boxe thaïlandaise qui lui a permis de comprendre comment finir un adversaire et utiliser toutes les parties de son corps en clinch rapproché comme à mi-distance. Jonatan Mac Hardy, journaliste MMA pour Winamax et anciennement RMC, me l’a confié il y a quelques semaines : « Benoit est une machine de guerre, il va tout arracher et prend Poirier au bon moment ». Puisse-t-il avoir raison, la France a besoin de ce genre de modèles d’hommes qui se dépassent et se transcendent. Lors de son premier combat UFC, acceptée en dernière minute dans la catégorie supérieure des moins de 77 kilos contre un athlète brésilien dopé, le Dieu de la guerre a dévoilé un cœur de champion comme rarement vu dans le sport français ; celui d’un Marcel Cerdan ou d’un Georges Carpentier. Il était réellement animé par l’esprit des chevaliers et des poilus, possédé par l’adrénaline d’un combat qu’il a refusé de perdre sans honneur.
C’est une fierté de se savoir représenté à l’international par des hommes qui, comme lui, incarnent l’esprit de résistance des Français. Oss !
Depuis quelques années, le combat féministe donne de lui une drôle d’image. Oui, il peut donner l’impression de se dévoyer, ou de n’être plus qu’une succursale de l’extrême gauche! Anne Zelensky affirme dans cette tribune que son féminisme n’est pas du côté de la séparation des sexes, mais œuvre au contraire à leurs retrouvailles.
Une minorité de femmes depuis quelques années donne une visibilité certaine au féminisme. On les nomme néo-féministes. Elles incarnent le nouveau visage du féminisme. Mais la question qui se pose est : se situent-elles dans le long héritage historique d’un mouvement qui depuis des siècles travaille à la libération des femmes et donc des hommes ? Certaines de leurs revendications s’inscrivent indéniablement dans ce long mouvement. D’autres pas du tout. D’où le désarroi de bon nombre d’entre nous, les féministes dites historiques dont je suis. Sans parler du grand public. On ne s’y retrouve pas.
Où est passé l’esprit du MLF qui a tant bouleversé la société des années 1970 et qui a laissé une trace profonde dans l’imaginaire collectif ? Pour mieux juger de la question, il faut définir de quoi on parle et se tourner vers le passé.
Les néo-féministes rejettent en effet, comme beaucoup de nos contemporains, l’Histoire. Elles se pensent en dehors d’elle et ne se reconnaissent pas toujours dans la longue lignée de leurs prédécesseuses qui depuis quelque 200 ans, ont patiemment conquis des droits. Mon long engagement dans l’action et la pensée féministes me donne quelque légitimité à en parler.
Émancipation des femmes
Qui suis-je ? J’ai créé dès 1966 une des premières associations féministes mixtes, FMA (Féminin Masculin Avenir) qui a contribué à alimenter le MLF créé en 1970. Compagne de lutte et amie de Simone de Beauvoir, avec laquelle nous avons fondé en 1974 la Ligue du Droit des Femmes (pour palier l’inexistence de la question des femmes à la Ligue des Droits de l’Homme), je suis à l’origine du Manifeste des 343. Il réunissait des femmes anonymes et des célébrités qui ont déclaré publiquement en 1971, avoir avorté (c’était alors un délit passible de prison). J’ai même été à l’époque baptisée « sainte Anne de l’avortement » par Valeurs Actuelles. J’ai été présidente du premier refuge pour femmes battues ouvert en 1978 à Clichy et collaboratrice d’Yvette Roudy au Ministère des Droits de la Femme. Et surtout, fondatrice avec d’autres hommes et femmes du premier centre d’accueil des hommes violents. Et j’en passe…
Cet itinéraire témoigne dans sa singularité des principaux thèmes de la seconde vague du féminisme des années 1970. Cette seconde vague prolonge la première qui a conquis le statut d’égalité avec les hommes. Rappelons que le féminisme en tant que mouvement collectif, s’est organisé à partir de la Révolution française. Il est compagnon de route de la démocratie. Il a bousculé le triptyque républicain « Liberté Egalité Fraternité » en inversant ses termes. Nous avons donc commencé par réclamer un statut d’égalité avec les hommes. Cela a occupé le 19ème siècle et une partie du 20ème (rappelons que le droit de vote n’a été accordé aux femmes françaises qu’en 1944, bien après des pays moins émancipés). Munies de ce vadémécum, nous nous sommes aperçu qu’il était lettre morte sans un droit élémentaire, celui de la Liberté. Liberté de disposer de son corps, de son ventre, de son désir et de dévoiler les différentes violences qu’entraîne la domination masculine. Nous avons tiré le rideau qui masquait la chambre à coucher. Le privé devenait politique. Puis, est venu le temps de la sororité, autre face de la fraternité. Nous qui avions toujours été divisées et rivales, avons accédé à un « Nous » commun. Ensuite, nous avons pu prétendre à sortir des maisons pour revendiquer notre place dans le champ politique. Voilà comment émergea la demande de parité. Les femmes représentant plus de la moitié de l’humanité, pourquoi ne gèreraient-elles pas la cité à parts égales avec les hommes ?
À travers ce bref rappel de l’histoire du féminisme, nous voyons donc qu’il a une logique, un sens. Les grandes lignes du féminisme sont du côté de « Charité bien ordonnée commence par soi-même ». Partir de soi, rompre avec le dévouement obligatoire, autrement dit prendre son envol, se dégager des tutelles. Le féminisme va bien au-delà des divisions politiciennes.
Nouvelle prison
Or, les néo-féministes semblent toujours prisonnières de l’idéologie de gauche, surtout extrême. Voyons en effet quelles sont leurs revendications :
Intersectionnalité des luttes, wokisme, décolonialisme, transgenrisme, multiculturalisme, focus sur le mâle Blanc comme seul responsable de la domination masculine, antiracisme obsessionnel, liberté de se prostituer, de porter le voile… On dirait une succursale de l’extrême-gauche. Où est là-dedans la spécificité féministe ?
Liberté de porter le voile ? Quelle liberté ? Celle d’arborer un symbole évident d’asservissement qui dans de nombreux pays musulmans conduit celles qui le refusent à la prison ou à la mort ? Liberté dévoyée. Les néo-féministes sont ici victimes d’un piège grossier : les femmes qui en France portent le voile comme un étendard, manifestent en fait leur rejet des valeurs occidentales dont par ailleurs elles profitent. D’autre part, pourquoi cet aveuglement sur le mâle autre que Blanc qui serait exempté de toute sanction pour violences ? Pourquoi ce silence pudique sur les agressions sexistes et sexuelles d’hommes venus d’ailleurs ? La couleur de peau dédouanerait-elle du machisme ? Qu’en pensent les Africaines, les Indiennes, les Iraniennes, les Afghanes… ? En se consacrant autant à la cause de l’Autre, nos néo-féministes en arrivent à s’oublier elles et leurs sœurs et sont victimes de ce qu’elles dénoncent : la tendance millénaire des femmes à se faire passer après. Etre féministe est une gageure : Il faut à la fois prendre de la distance vis-à-vis de l’être le plus proche tout en ne le rejetant pas radicalement. Etre une femme amoureuse et une militante, « c’est pas si facile ».
Ce qui libère la femme libère l’homme
Petites sœurs néo êtes-vous sûres de ne pas prendre des chemins sans issue ? Peut-être avez-vous quitté la grande voie historique pour mieux la rejoindre plus tard ? Mais tout de même… Lâchez la main de votre souteneur historique, la gauche. Osez reprendre le droit fil de la pensée libre. Liberté de pensée plutôt que liberté de se voiler. N’ayez pas peur d’être visionnaires. Levez le nez au-dessus du présent, enlisé trop souvent dans le victimaire et la revanche. La mise en cause des dommages liés à la domination masculine est un passage obligé et incontournable de la libération des femmes. Nous sommes dans le passage. Turbulences garanties, malaise inévitable des hommes. Mais quand l’eau se trouble, c’est pour mieux s’éclaircir ensuite.
Des perspectives, il en y a. Elles ne sont pas du côté de l’égalité comme but en soi. C’est le minimum vital pour aller au-delà. L’égalité pour quoi faire, telle est la bonne question. L’avenir est peut-être du côté des hommes. Et si le féminisme était leur affaire ? « Ce qui libère la femme libère l’homme » disait notre chère Simone de Beauvoir. Certains hommes ont déjà compris que la masculinité toxique est un carcan qui les coupe de leur humanité. Déjà, dans les années 1970, des groupes d’hommes se réunissaient pour réfléchir sur la contraception masculine, sur la prison de la virilité, sur la nécessité de changer leur relation avec les femmes. Il y a de l’espoir.
Les hommes et les femmes sont plus semblables que différents. Les poètes l’ont depuis longtemps compris : Rimbaud, Rainer Maria Rilke…Mon féminisme n’est pas du côté de la séparation des sexes, mais œuvre à leurs retrouvailles. La guerre a assez duré, nous ne cherchons pas à la reconduire, mais à aller au-delà. À trouver, hommes et femmes ensemble, une manière d’être, harmonieuse.
Otto Pilny (1866-1936), Le Marché aux esclaves, 1910. DR.
Notre chroniqueur, qui aime assurément les femmes, a décidé de leur souhaiter une bonne journée dans une sorte de litanie à la Prévert. À toutes ? Eh bien, explique-t-il, il y a quelques exceptions…
Je souhaite une belle journée à toutes les femmes… Mais je ne la souhaite pas aux femmes grillagées des Talibans, grâce à la retraite précipitée des Américains qui leur ont fait miroiter la liberté et la démocratie avant de se carapater… Ni aux Iraniennes emprisonnées ou tuées parce qu’elles refusent de porter un voile, et très mollement défendues par l’ONU… Ni aux Israéliennes violées, torturées et tuées par ces terroristes du Hamas qu’encense Judith Butler, l’idole des bobos et de LFI réunis, qui a inventé la théorie du genre… Ni aux femmes mariées de force à leur oncle ou à leur cousin, de façon à accoucher de gosses qui se transmettront quelques tares héréditaires en se mariant à leur tour avec leurs cousines… Ni aux femmes vendues pour quelques chameaux ou un troupeau de chèvres… Ni aux petites filles excisées ou infibulées çà et là — y compris en Occident… Ni aux Occidentales violées par des immigrants de plus ou moins fraîche date qu’il ne faudrait quand même pas stigmatiser, les pauvres, de sorte qu’au nom de l’intersectionnalité des luttes… Ni aux Maghrébines ou aux Africaines violées par des « frères de race », qu’elles ne doivent surtout pas dénoncer, explique Houria Bouteldja… Ni aux femmes voilées sur injonction de leurs grands frères et de tous les autres — heureusement que les Chiennes de garde françaises se battent pour qu’elles aient le droit de sortir elles aussi empaquetées jusqu’aux yeux dans des sacs-poubelle… Ni aux filles des syndicats lycéens qui veulent absolument avoir le droit d’arriver en classe en abaya ou en tchador… Ni aux femmes sans conviction religieuse mais tenues de croire en un dieu auquel elles ne croient pas — sous peine de mort… Ni aux femmes qui au nom de la religion n’ont droit qu’à une fraction de l’héritage de leurs frères… Ni aux femmes qui n’étant ni mères ni épouses sont considérées comme des putes… Ni aux sportives forcées désormais de cohabiter dans les vestiaires et dans les stades ou les piscines avec des hommes transgenres… Ni aux épouses régulièrement malmenées par leur compagnon — pour celles mortes sous leurs coups, de toute façon, c’est un peu tard… Ni aux femmes abusées par leur psychanalyste… Ni aux femmes payées 20% de moins que les hommes alors qu’elles fournissent un travail équivalent, et qui du coup ont le pain quotidien, comme dit Prévert, relativement hebdomadaire… Ni aux enseignantes que les petits machos auxquels elles expliquent la règle d’accord des participes passés méprisent parce qu’elles sont des femmes… Ni aux femmes complices de leurs oppresseurs, et qui ne liront jamais La Servitude volontaire d’Etienne de la Boétie… Ni à celles qui trouvent que Sandrine Rousseau a raison… Ni à celles qui admirent Mathilde Panot… Ni à celles qui trouvent normal qu’il n’y ait en tout et pour tout que six femmes au Panthéon… Ni…
Yann Moix et Gérard Depardieu dans un extrait du
« Complément d’enquête » diffusé sur France 2 le 7 décembre 2023. DR.
Gérard Depardieu a-t-il fait une blague salace sur une fillette dans un haras nord-coréen ? C’est ce que montrent les images et leur commentaire diffusés par « Complément d’enquête ». Or, selon Yann Moix, réalisateur de cette séquence, l’acteur évoquait une cavalière adulte, restée hors champ. Faute de preuve absolue, toutes les hypothèses restent sur la table.
C’est une séquence de cinquante secondes qui a fait le tour du monde. Pour l’opinion, la « scène du haras » pèse plus lourd dans le dossier de Gérard Depardieu que des accusations de viol. Pas parce que le public respecte scrupuleusement la présomption d’innocence, mais parce que, si ce qu’a montré « Complément d’enquête » correspond strictement à la réalité, Gérard Depardieu a transgressé ce que la société a de plus sacré : les enfants, qui, au passage, sont privés de toute complexité, donc de toute humanité, ces anges n’ayant jamais partie liée avec le mal.
Le plus grave, c’est qu’à entendre les braillements outragés, on dirait que notre mauvais sujet national a attenté au corps réel d’un enfant. Évidemment pas. La seule chose qu’on voit à l’écran, c’est qu’il fait des blagues, des blagues obscènes sur une gamine qui ne comprend même pas sa langue. Autrement dit, même si les images sont exactes, même si Depardieu blaguait sur cette petite fille, cela n’a aucune importance. On aurait créé un délit de mauvaise blague ? Une société qui a ses vapeurs pour une grossièreté et somme l’humour de se conformer aux canons de la morale devrait plutôt se demander ce qu’elle refoule. À part ça, vous croyez vraiment que les pédophiles font des blagues pédophiles ?
Le mot chien ne mord pas, disait-on dans les amphis des années 1970. C’est fini, le mot chien mord et le mot clito jouit. Outre qu’elle confond la commission d’un crime et son évocation, ce qui pose un problème de droit, cette confusion mortelle entre signifié et signifiant signifie la mort de la représentation, c’est-à-dire de la littérature, de l’art et de l’amour. On aurait voulu que Depardieu fasse du Depardieu, vomisse les croquantes et les croquants qui rient de le voir emmené, et défende bruyamment son droit de faire des blagues obscènes. Au demeurant, on a envie de lui demander ce qu’il est allé faire dans un pays totalitaire plutôt que des comptes sur ses outrances langagières.
Son entourage lui aura conseillé la prudence. Dans ces affaires, la grande stratégie des avocats, c’est d’intimer à l’homme accusé de se laisser traîner dans la boue sans réagir. Ne va pas sur ce terrain, c’est inaudible. C’est peut-être sage. Dans la société de surveillance dont rêvent les néoféministes, tout ce que vous dites ou ne dites pas est retenu contre vous. Mais si tout le monde s’écrase, ça ne va pas s’arranger.
Gérard Depardieu affirme – et Yann Moix, qui a tourné les images, confirme – qu’il n’a pas fait cette blague à propos d’une petite fille.Il est même outré qu’on puisse le penser. On est un peu déçus d’apprendre que même lui a des limites en matière de rigolade, mais il n’y a pas de raison de ne pas le croire, sinon que la mémoire humaine n’est jamais fiable à 100 %. Pour les deux hommes, il y a entourloupe quelque part. Si c’est le cas, gageons qu’elle a été montée à l’insu de la présidence de France Télévisions et de la rédaction en chef de « Complément d’enquête », où l’on se montre parfaitement serein. Quant au producteur Anthony Dufour, patron de la société Hikari, qui a réalisé ce « Complément d’enquête » et l’a vendu à France Télévisions, il n’a pas répondu à nos messages.
Pour comprendre un pataquès qui se conclura sans doute au tribunal, il faut expliquer dans quelles conditions des images tournées par Yann Moix pour un film de fiction se sont retrouvées dans une émission d’investigation de France 2 ayant pour titre – tout un programme –« La chute d’un ogre ».
En 2018, Yann Moix part avec Gérard Depardieu en Corée du Nord. Il veut réaliser un film dont il n’a pas encore écrit le scénario. Il a l’intention de filmer Depardieu à Pyongyang et de voir quelle histoire il peut écrire avec son matériel. Les frais sont payés par la société Hikari, mais personne ne signe de contrat. Tout le monde est en parfaite confiance.
Deux ans plus tard, après plusieurs semaines de montage dans les studios d’Hikari, Moix parvient à une copie de travail d’une durée de deux heures trente. Sous le nom de code « 70 », elle est envoyée à quelques journalistes et amis via un lien vidéo. Quelques projections privées sont organisées.Dans ses textos, Anthony Dufour parle alors de « Gégé » et de son désir de voir ce brouillon de film avec lui. Puis les premières plaintes contre Depardieu sortent, Hikari prend ses distances, il n’est plus question de film. Les années suivantes, les relations Moix/Dufour se tendent, celui-ci demandant plusieurs dizaines de milliers d’euros pour rendre les images à l’écrivain.
Dans le courant 2023, Anthony Dufour, peu soucieux d’en être pour ses frais, propose à « Compléments d’enquête » un portrait de Depardieu utilisant notamment ces images tournées en Corée du Nord. Le marché est conclu, une journaliste de la rédaction de l’émission visionne les rushs, suit la fabrication du documentaire. Il faut savoir qu’en le vendant, Hikari se porte garant de la propriété des images (c’est la garantie de bonne fin). Pourtant, quelques jours avant la diffusion de l’émission, en décembre, il propose à Yann Moix de lui rendre l’intégralité des enregistrements (les rushs) pour 10 000 euros si l’écrivain lui accorde le droit de les exploiter, ce qui laisse penser qu’il n’est pas sûr de son coup.
La suite est connue. Moix découvre l’existence de ce doc la veille de sa diffusion. Il se sent trahi comme artiste et coupable comme ami.
La séquence « du manège » est sans nul doute le point d’orgue de « La chute d’un ogre », diffusée comme prévu le soir du 7 décembre sur France 2. D’une durée précise de cinquante secondes, elle montre l’acteur en visite dans un haras de Pyongyang, en 2018, où, installé dans une tribune, il observe et commente une démonstration équestre organisée par les autorités nord-coréennes à son attention. Assurément le passage le plus scandaleux de l’émission car, comme l’indique la voix off de France 2, Gérard Depardieu y « va même jusqu’à sexualiser une fillette d’une dizaine d’années ».
De fait, on entend au cours de la séquence l’acteur tenir des propos obscènes cependant que, devant lui, une enfant fait un tour de piste sur son poney. « Si jamais elle galope, elle jouit. C’est bien ma fifille, continue ! » lance-t-il alors. Les images parlent, et elles disent que Depardieu est pédophile.
Les images peuvent raconter n’importe quoi. Yann Moix et le clan Depardieu accusent aussitôt la voix off de France 2 de mentir. Dix jours après la diffusion du « Complément d’enquête », une tribune est même publiée sous la signature de « Julie, Roxane, Jean, Delphine, Élisabeth et toute la famille Depardieu », dans Le Journal du dimanche, taxant l’émission de malhonnêteté : « Selon Yann Moix qui était présent, écrivent-ils, ce montage est frauduleux. Ces propos ne désignaient pas une petite fille. » Ce qui permet à Emmanuel Macron de lancer à son tour, le 20 décembre, alors qu’il est interrogé sur Depardieu dans l’émission « C quotidien » sur France 2 : « J’ai entendu qu’il y avait des polémiques sur les mots qui étaient en décalage avec les images. »
L’hypothèse d’un « décalage » n’est pas farfelue. Les images enregistrées lors de la séquence « du manège » proviennent en effet de plusieurs caméras. La version qu’en propose France 2 est donc une sélection, un montage, au sens technique du terme, réalisé par la société Hikari, en sa qualité de prestataire de service en contrat avec France 2 pour les besoins de « Complément d’enquête ».
Le 20 décembre, face au soupçon relayé par le chef de l’État, la direction de France 2 doit faire un geste. Après discussion avec les journalistes de la maison, elle demande à un huissier de justice de visionner les rushs qui ont permis d’obtenir les cinquante secondes polémiques, et d’attester de la simultanéité entre d’une part le plan où l’on voit la petite fille à cheval et d’autre part le son où l’on entend Depardieu dire : « Si jamais elle galope, elle jouit. »
À France Télévisions, on pense que l’affaire est close. « Nous avons jugé la situation suffisamment exceptionnelle pour demander un constat d’huissier, dit-on au huitième étage. Pour nous, il n’y a plus aucune ambiguïté. » Problème : si le constat d’huissier a bel et bien été dressé, il n’a pas été rendu public. Seules quelques lignes ont fuité, révélées par la rédaction de France Info (dont France Télévisions est l’un des actionnaires). Nous voilà donc obligés de nous fier à cette source unique, partielle et problématique.
Or, il existe plusieurs discordances entre le constat d’huissier et les images diffusées. D’après France Info, l’huissier a en effet consigné le verbatim de Gérard Depardieu comme suit : « C’est bien Madame, si jamais elle galope, elle jouit. » Soit un contenu différent de ce qu’on a entendu quinze jours plus tôt dans « Complément d’enquête ». Dans l’émission, d’une part le mot « Madame » a disparu (ce qui a son importance, surtout quand il s’agit d’accuser quelqu’un de « sexualiser une fillette ») d’autre part, on entend Depardieu dire « il » (galope), et pas « elle » (galope). Il faut mentionner une autre bizarrerie. On entend Gérard Depardieu dire « Tiens elle se gratte ! », mais personne ne se gratte.
Pour lever l’équivoque, nous avons demandé l’autorisation de visionner les rushs à la direction de France Télévisions, qui nous l’a refusée. Nous obligeant dès lors à maintenir nos interrogations, que l’on peut résumer ainsi : s’il est certain que Gérard Depardieu a évoqué, en présence d’une petite fille qui ne parlait pas sa langue, la jouissance sexuelle féminine procurée selon lui par l’équitation, on ne peut pas affirmer avec une certitude absolue que ses propos visaient la demoiselle en question. Selon Yann Moix, qui s’en explique dans les pages suivantes, il commentait la prestation d’une autre cavalière, âgée d’une trentaine d’années et montant un cheval hors champ au même moment dans le manège. Il pourrait donc y avoir méprise sans que quiconque soit de mauvaise foi. Resterait en ce cas la légèreté du commentaire affirmant que Gérard Depardieu « sexualise une petite fille » sans qu’on en apporte la preuve définitive.
Surtout, le doute demeure quant à la disparition du mot « Madame », et quant à la différence de pronom employé par Depardieu (« il » ou « elle ») selon qu’il s’agisse de la version diffusée à la télévision ou des rushs constatés par huissier. On peut certes envisager une erreur matérielle, commise soit par ce dernier, soit par le journaliste de France Info (l’un aurait mal entendu, l’autre mal transcrit). Mais aucun élément ne permet à ce stade d’assurer qu’il s’agisse de la bonne explication. Les techniciens qui ont assuré le montage de « Complément d’enquête » peuvent tout aussi bien avoir triché ou pris des libertés avec la bande-son, ce qui constituerait pour le moins une faute, si ce n’est, on n’ose l’imaginer, la fabrication d’un faux.
Erreur de retranscription, maladresse d’un monteur, volonté de nuire ? Toutes les hypothèses sont sur la table et France Télévisions n’a hélas rien fait pour nous permettre de percer le mystère. Cette attitude opaque ne disculpe pas le comédien. En attendant, pour le crime de blague obscène avec circonstance aggravante d’humour sur enfants, Gérard Depardieu mérite le bénéfice du doute. Il devrait être acquitté. L’ennui, c’est que le tribunal médiatique n’acquitte jamais.
À l’occasion de la diffusion de la série télé de France 2 La Peste (avec Frédéric Pierrot, le psy de En Thérapie) qui reprend les personnages du célèbre roman de son père et les plonge dans notre époque contemporaine, Catherine Camus a reçu une journaliste du Point. Elle lui a notamment confié : « La droite le détestait mais la gauche ne l’aimait pas non plus. Il était seul comme un rat ». Elle semble avoir du mal à se réjouir de la victoire posthume des idées de son père sur celles de Sartre: « Papa répétait que l’homme passe avant l’Histoire. À la chute du mur de Berlin, j’ai reçu quantité de coups de fil de journalistes m’expliquant combien papa avait triomphé. J’ai répondu que ça m’étonnerait qu’il triomphe après 80 millions de morts. Personne n’a repris mes propos ».
Avec un parler-vrai impressionnant, la fille d’Albert Camus s’est exprimée dans Le Point[1]. Macroniste faute de mieux, évoquant les livres sur son père, elle affirme avoir détesté, par exemple, celui de Michel Onfray. On la sent profondément agacée par les malentendus et les incompréhensions engendrés par la personnalité et l’œuvre d’Albert Camus. Sa sincérité, parfois roide et vigoureuse, fait du bien. Avec elle, on n’est pas dans le confit et la dévotion. Puis-je me permettre, moi qui suis un inconditionnel d’Albert Camus tant pour l’ensemble de ses œuvres (j’y inclus le théâtre) que pour sa personnalité riche, complexe et profondément honnête, de discuter une affirmation de Catherine Camus : « La droite détestait mon père mais la gauche ne l’aimait pas non plus. Il était seul comme un rat… »
Désormais récupéré de toutes parts
Je comprends bien pourquoi la gauche intellectuelle, philosophique et idéologique « n’aimait pas » Albert Camus. Il y avait dans ses positions controversées sur les enjeux et les tragédies de l’époque, notamment le drame algérien, une telle obsession de la vérité, de la pensée juste – mesurant ce qu’il convenait de concéder à la politique et en même temps à l’humain -, qu’il était perçu comme décalé par rapport aux délires partisans de sa famille naturelle, la gauche humaniste. Il se tenait en permanence dans une attitude, aussi douloureuse et inconfortable qu’elle soit, où il ne cédait jamais rien sur la complexité du réel, avec un refus de l’Histoire sanglante et meurtrière.
Peut-être que la droite le « détestait » en cette période où les esprits et les caractères comme les siens étaient voués à être incompris, précisément à cause de convictions qui, sur l’Algérie par exemple, tenaient fermement les deux bouts de la chaîne : justice et égalité d’un côté, détestation et dénonciation du terrorisme aveugle de l’autre. Mais il me semble que cette vision a bien changé et qu’Albert Camus est devenu profondément (grâce à l’universalité de sa morale bien davantage que pour ses idées qui, aussi pertinentes qu’elles aient pu apparaître, pouvaient cliver) une sorte de référence que des camps antagonistes prétendent s’approprier. Alors que sa force tient précisément à son dépassement, par une conscience toujours en éveil et inquiète, des problématiques dérisoires et conjoncturelles.
Il ne s’agit en aucun cas de tomber dans ce ridicule, pour faire « progressiste », de faire fond, pour irriguer sa cause, sur des pensées apparemment aux antipodes de celle-ci. Combien de discours de Nicolas Sarkozy ont été emplis hier d’invocations de personnalités qui n’avaient pour utilité que de faire croire à une synthèse, en réalité purement artificielle, entre la droite et la gauche… Sur ce plan, il faut reconnaître que Gramsci a beaucoup servi et qu’il continue à être exploité notamment pour sa vision célèbre de la crise, au demeurant jamais totalement explicitée…
Allure et courage
Il n’empêche qu’au risque de déplaire à Catherine Camus – mais qui pourrait se plaindre d’un hommage de bonne foi à un père admirable ? -, je ne peux m’empêcher de ressentir une très vive familiarité avec une conception authentiquement humaniste de l’existence. Surtout quand Catherine Camus énonce que, pour Albert Camus, « l’homme passe avant l’Histoire » et que pour elle, considérer qu’avec la chute du Mur de Berlin le triomphe de son père se réalisait était une absurdité, elle aurait été étonnée qu’il exultât après 80 millions de morts ! J’entends bien qu’il serait choquant de la part de la droite et du libéralisme de s’estimer seuls propriétaires de la vision si chaleureuse et empathique de l’Histoire, refusant que celle-ci soit, au nom de la lutte des classes et de la prétendue société idéale à la fin des temps, un cimetière monstrueux où à force de vouloir régénérer les hommes, on les aurait fait disparaître.
S’il y a un enseignement à tirer d’Albert Camus, c’est celui-ci : rien n’est plus dévastateur qu’une conscience molle, un esprit assoupi, une défaite de tous les instants quand au lieu de choisir l’allure et le courage, dans les grandes comme dans les petites circonstances de l’existence, on optera pour la tranquille médiocrité. L’intelligence étant également répartie, mieux vaut avoir raison avec Albert Camus que tort avec Jean-Paul Sartre !
Le premier est notre frère très, parfois trop humain. Le second voulait notre bien en excusant trop souvent le Mal.
Une salle de concert du Jardin Botanique de Bruxelles devait être prise pour cible «dans quelques semaines», a annoncé lundi le parquet fédéral belge. Quatre hommes, dont trois mineurs, ont été interpellés la veille. Et depuis, le JDD nous a appris qu’ont été appréhendés en France trois mineurs car ils étaient en relation avec les individus bruxellois. Mais, « enquête oblige », les autorités et la police sont d’une rare discrétion. Correspondance.
On sait très peu de choses de l’attentat que projetaient quatre jeunes djihadistes à Bruxelles. Les infos qu’ils s’échangeaient sur le Darknet ont permis au parquet de les intercepter à temps et d’éviter le carnage. Leur cible était une des salles de concert de l’élégant et vénérable Jardin Botanique, rebaptisé « Bota » par les bobos qui pullulent dans la capitale de l’Europe.
Il semble d’ailleurs que le quatuor en avait déjà planifié d’autres. « Mais pour le moment, nous ne dirons rien sur ce dossier pour des raisons d’enquête », déclare Eric Van Duyse, le porte-parole du parquet fédéral.
Notre confrère Jules Torres du Journal du Dimanche rapporte aussi que trois adolescents ont également été arrêtés en France, partageant les mêmes projets coraniques et sanglants que leurs potes d’Outre-Quiévrain. [1]
Un seul des apprentis terroristes est majeur. Il a été écroué et, par la voix de ses avocats, Maîtres Alaya Kahloun et Isa Gültaslar, nie toute implication.[2] Les trois autres sont mineurs et ont été placés en IPPJ (Institutions Publiques pour la Protection de la Jeunesse) où ils pourront faire de la pâte à sel.
Bref, on ne sait pas grand-chose sur cet attentat déjoué, sinon qu’on l’a échappé belle, et on ne sait rien du tout sur ses auteurs présumés. Sauf une chose que l’on nous explique à longueur de JT : ils sont belges ! Et cela semble la seule information importante. Leur prénom, leur parcours ou leur origine sont soigneusement tus, les Belges doivent avant tout savoir qu’il s’agit de leurs « compatriotes ».
Le candidat à la présidentielle américaine revanchard et l’intellectuelle de gauche radicale sont tous deux les partisans d’une « post-vérité » qui augure des lendemains qui déchantent.
Ce sont deux luminaires de la pensée contemporaine.
Le premier, le monde entier le connait, depuis Washington jusqu’à la Corée du Nord où le 30 juin 2019, dans la zone démilitarisée, il a mis un pied dans le pays du dictateur Kim Jong Un. « C’est un grand jour pour le monde », avait-il dit sobrement, paraphrasant Neil Armstrong arrivant sur la Lune « Un petit pas pour l’homme un grand pas pour l’humanité ». Il s’agit évidemment de Donald Trump, vainqueur du « Super mardi » des primaires américaines, après lequel sa rivale Nikki Haley a jeté l’éponge. Le problème est qu’il n’a rien changé à la Corée du Nord, la dictature la plus impitoyable de la planète, puissance nucléaire et grand pourvoyeur d’armement pour l’Iran et la Russie. D’ailleurs les historiens disent que la célèbre phrase d’Armstrong n’a jamais été prononcée telle quelle.
Parole, parole, chantait Adriano Celentano dans ma jeunesse…
Donald Trump se prend pour Superman
On attribue à Donald Trump un concept philosophique majeur de notre époque, celui de post-vérité. Il n’a pas inventé le terme, il ne sait probablement pas ce qu’est un concept et n’a certainement jamais ouvert une page de philosophie, mais dès les premiers jours de sa présidence, sa conseillère en communication parlait de « faits alternatifs » quand on lui faisait remarquer que contrairement à ce que disait le nouveau président, très peu de personnes avaient assisté à la cérémonie d’investiture.
Hannah Arendt avait écrit que la post-vérité, qu’on n’appelait pas encore de ce nom, se caractérise par l’indifférence à la distinction entre mensonge et vérité. Cette tournure d’esprit est d’ailleurs aussi vieille que la société. On la trouve en matière religieuse dès qu’on suspend son jugement sur la vérité ou la fausseté des récits sacrés, auxquels on croit sans y croire. À l’inverse, quand on dit d’un individu qu’il s’engage « aveuglément » derrière une idéologie ou derrière un homme, c’est aussi qu’il se dispense de toute confrontation à la réalité.
Outre ceux qui le suivent par intérêt ou parce qu’ils partagent certains de ses ressentiments, on retrouve chez les partisans de Trump ceux qui ne croient pas à l’existence d’une vérité objective comme ceux qui répètent avec enthousiasme les slogans de leur héros, comme MAGA, Make American Great Again, même si la formule pour rendre l’Amérique grande à nouveau consiste à se désintéresser des affaires du monde et laisser le champ libre à ses ennemis.
Trump lui-même se moque de la vérité, son narcissisme est sans limites et sa trajectoire judiciaire accablante. Mais ce sont là des caractéristiques qui lui servent pour entrainer les individus, humilier les adversaires, affabuler le passé et magnifier l’avenir. Il peut alléguer sans preuve s’être fait voler l’élection, se dire aussi persécuté que Navalny, se vanter de résoudre le drame ukrainien en 24 heures et prétendre que s’il avait été au pouvoir, le Hamas n’aurait pas osé bouger, ses admirateurs communient dans ses soi-disant combats et ses soi-disant épreuves.
La présidence de Trump a été marquée par le contraste entre d’une part les initiatives favorables à Israël, l’ambassade à Jérusalem, les accords d’Abraham et la dénonciation d’un accord inepte et hypocrite avec l’Iran et d’autre part les débordements antisémites de certains de ses partisans du QAnon. Par rapport au massacre du 7 octobre, Trump s’était peu exprimé. Il vient de dire qu’il faut laisser les Israéliens finir leur travail. Mais il n’est pas sûr qu’il aurait montré à l’égard d’Israël la même réactivité que Biden aux jours les plus sombres de l’histoire de ce pays, alors que le désengagement extérieur est l’un de ses mantras.
Judith Butler : bon chic, mauvais genre
Pour l’autre personnalité américaine dont le nom est apparu dans les médias français, à un niveau infiniment plus confidentiel, nous savons comment elle aurait réagi si elle avait été aux « affaires ». Il s’agit de Judith Butler, probablement la philosophe la plus influente de notre époque, qui a qualifié les massacres du 7 octobre d’ « actes de résistance armée ».
Le 3 mars, Judith Butler, pionnière des études de genre dans les universités américaines, a déclaré que l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023, était «un acte de résistance armée». pic.twitter.com/d6lsggpWUs
Elle devait donner une série de conférences à l’Ecole Normale Supérieure. Il semble que celles-ci ont été reportées.
Judith Butler née comme son célèbre mentor Noam Chomsky, dans une famille juive très engagée, est la papesse reconnue du woke ou plus exactement de ces « gender studies » dont l’emprise sur l’université américaine est en train de pervertir la liberté académique et de promouvoir des délires antisémites d’un genre – c’est le cas de le dire – inattendu.
Dois-je l’avouer, je n’ai pas lu ses livres. Autant ses partisans la mettent au pinacle, autant ses adversaires prétendent que la tortuosité de son style masque la pauvreté de ses arguments en impressionnant le lecteur qui confond difficulté de compréhension et profondeur de pensée. Son premier livre de 1990, qui reste le plus connu, n’a été traduit en français, sous le nom de Troubles dans le genre, que 15 ans plus tard, alors que, de Simone de Beauvoir à Monique Wittig, de Jacques Lacan à Michel Foucault, la plupart des intellectuels dont elle s’inspire et qu’elle cherche à dépasser sont d’origine française. Judith Butler a créé le concept de binarité et a été jusqu’au bout de la vision de la différence sexuelle comme une simple assignation sociétale. 1990, c’est aussi la parution du livre de l’universitaire afro-américaine Kimberley Crenshaw qui crée le concept d’intersectionnalité des luttes, cette formule qui permet les regroupements les plus baroques.
Judith Butler coche parfaitement la case consacrée à la haine d’Israël.
Par leur influence, leur agressivité, leur simplisme, leur mépris du débat, les idéologies antagonistes dont Donald Trump et Judith Butler sont les figures de proue ont finalement un air commun. Il n’augure rien de bon pour l’avenir de la pensée.
De gauche à droite, Noémie Halioua, Alain Finkielkraut et Victoire Tuaillon. Image: Twitter.
Notre contributeur revient sur l’émission d’Alain Finkielkraut Répliques du 24 février consacrée à l’amour, avec Noémie Halioua et Victoire Tuaillon. Et sur les réactions ultra-gauchisantes qu’elle a suscitées.
Résumons.
Le 24 février 2024, Noémie Halioua, auteur de La Terreur jusque sous les draps – sauver l’amour des nouvelles morales, un essai qui commence à faire parler de lui et pour cause[1], était invitée à Répliques par Alain Finkielkraut pour débattre avec Victoire Tuaillon, animatrice du fameux podcast Les couilles sur la table, sur le thème Faut-il réinventer l’amour ? Le débat (qu’on pourra réécouter ici), fut explosif, tendu, quoique très intéressant, palpitant et significatif du fait même de son caractère aporétique. Par bien des aspects, il rappela celui du plateau d’Apostrophes en 1978 [archive INA ci-dessous] entre Annie Le Brun et Gisèle Halimi.
Même mépris néo-féministe envers celles qui osent ne pas se reconnaitre dans leur combat communautariste, même négation de l’individualité au nom de la lutte collective, même misandrie décomplexée, même haine de la littérature – et il fallait bien une surréaliste aussi classe que l’autrice des Châteaux de la subversion pour oser s’attaquer toute seule à la meute progressiste. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard (ou si c’en est un, alors il est objectif !) si Noémie Halioua termine son propre essai sur le mot d’André Breton à sa fille : « je vous souhaite d’être follement aimée. »
Amour fou contre Big Bang theorie
Alors sans doute suis-je partie prenante dans cette affaire et donc forcément partial mais il me semble que la surprise (et non l’emprise !), la verve et l’élan vital furent du côté de Noémie bien plus que de celui de la podcasteuse qui s’enlisa très vite dans ses chiffres, ses stats, ses « études », sa perception toute scientiste des choses, idéologiquement imparable mais existentiellement très pauvre – et typique de cette « prétention du présent », comme le fit remarquer d’emblée la première, qui tend à tout régenter au nom du bien et à déshumaniser à force de dénaturaliser.
Dès lors, la bataille pouvait commencer.
L’une, du côté de l’homme et de la femme éternels, de l’amour tel qu’il est vécu depuis la nuit des temps, forcément imparfait, dissymétrique, associé au tragique ; l’autre, du côté de la réparation permanente, de l’obsession qu’il faut révolutionner le réel dans une optique banalement anticapitaliste quoique sans comprendre que c’est justement le capitalisme et la révolution industrielle qui ont permis l’émancipation des femmes bien plus que le blabla moralisateur des féministes (que n’a-t-elle lu Féminicène de Véra Nikolski, le seul essai sociologique du moment qui renouvelle le logiciel progressiste) – et préférant comme il se doit s’en prendre à la culture immémoriale, réduisant l’amour au féminicide, l’œuvre d’art à la culture du viol et la littérature à Matzneff. Tant pis pour Madame de Mortsauf et son bouleversant « J’ai parfois désiré quelque violence de vous » à Félix de Vandenesse dans Le Lys dans la vallée, cité par Finkielkraut, qui impressionna fort peu Victoire, certaine de l’emporter grâce aux chiffres de l’INSEE.
Le plus drôle est qu’en défendant son monde parfait où tout le monde s’aimerait de la même façon et d’un amour qui ne serait en fait qu’une forme d’amitié sublime plus ou moins zadiste, c’est elle qui se révéla ultra-romantique, idéelle, irréelle – alors que Noémie, toute à sa défense des contes de fées, était paradoxalement dans le réel le plus âpre, vécu comme tel avec ses défauts et ses risques. Et c’est pourquoi, plutôt que le féminisme révolutionnaire, toujours un brin totalitaire, promue par la première (« le féminisme n’est pas une opinion », asséna celle-ci – énormité de l’émission s’il en fut), l’on préférera toujours celui de réconciliation proposée par Noémie[2].
Mais le plus beau était à venir…
Le même jour, ces dames mirent sur leur profil respectif, et avec une fierté fort compréhensible, la photo faite après l’émission avec Alain Finkielkraut et (entre !) elles. Tout le monde fut heureux pour Noémie alors que cela se passa fort différemment pour Victoire. Très vite, celle-ci fut taclée sur son X (ex-Twitter) avec une incroyable violence par sa communauté l’accusant d’être allée se compromettre dans une émission « crypto-fasciste » d’un « vieux mâle blanc cisgenre », osant, qui plus est, poser avec un grand sourire à côté de lui – acte de collaboration impardonnable.
Pire, on l’attaqua sur sa blanchité, son orientation sexuelle (car on a beau être féministe pratiquante, on n’en reste pas moins une caucasienne hétéro), tout ce qui constituait à son corps défendant une trahison éhontée de la cause – et qui lui fit perdre sur le champ près de cinq mille followers ! La malheureuse fut alors obligée de rétropédaler, tentant d’expliquer pourquoi elle avait accepté cette invitation, qu’il était de son devoir de combattre les « idées moisies » sur leur terrain et que son sourire n’était en rien de déférence mais au contraire d’insolence. Explications qui ne convainquirent pas du tout la bande d’enragés qui la suivait, certains allant jusqu’à dire qu’ « elle aussi faisait partie du problème », démontrant, si besoin en était, que le campisme se termine toujours très mal – et comme l’expliqua très bien Peggy Sastre : « on surestime grandement à la fois l’homogénéité de son exogroupe (pas de ma bande) que celle de son endogroupe (de ma bande) – une double illusion, susceptible de faire de grosses étincelles ».
À ce texte crispant et surtout peu solidaire avec une personne qu’ils auraient dû soutenir, Noémie réagit avec beaucoup d’honneur par une élégante vidéo dans laquelle elle s’étonnait du peu de goût de cette journaliste de gauche pour la liberté d’expression et le débat démocratique et qui lui donnait pour le coup envie de défendre la Tuaillon. Cette dernière n’apprécia pas non plus beaucoup cette leçon de morale que Libé lui faisait et eut des mots plutôt rudes avec son émissaire. Il est vrai qu’entre camarades d’ultra-gauche on n’oublie jamais de se taper dessus en cas de manquement idéologique avant de s’exclure en bonne et due forme, la Révolution finissant toujours par dévorer ses enfants. Et entre des fanatiques l’accusant d’aller faire du gringue à l’ennemi et une « stalinienne en jupon » la semonçant publiquement, Victoire a dû se sentir bien seule.
La gauche black mirror
Au-delà de sa mésaventure personnelle, ce qui importe dans cette affaire picrocholine est de constater le tournant que prend aujourd’hui la gauche culturelle.
Non qu’on ne la savait pas intolérante, sectaire et rép(g)ressive depuis longtemps – mais pas de manière si officielle. De ce point de vue, ce sont Geoffroy de Lagasnerie et Edouard Louis qui ont gagné. Quand on est de gauche, on ne discute plus avec Marcel Gauchet ni avec Alain Finkielkraut, ni avec personne. On agit – c’est-à-dire on boycotte, on censure, on interdit (regardez ce qui se passe avec CNews). Le problème n’est plus le désaccord mais bien le débat en soi – pour ne pas dire l’Autre qu’il faut désormais annuler ou invisibiliser comme dans un épisode de Black Mirror. Pour ces gens-là, le « fascisme » ne commence pas à l’extrême droite, à droite ou même au centre mais bien avec la gauche libérale dont fait malgré tout partie Victoire Tuaillon – à qui il arrive la même chose qu’à l’écolo Hugo Clément après que celui-ci a accepté d’aller débattre avec Valeurs actuelles et s’être fait traité par ses propres troupes d’« écofasciste ». Pour l’anti-fa comme pour le fa, seule importe la pureté – c’est-à-dire la mort. Et c’est pour cela qu’on a envie de sauver la soldate Tuaillon de son engeance et peut-être même de la réconcilier avec Noémie Halioua – la sororité étant plus une affaire d’individus que de meute.
[2] Et même si nous n’avons rien contre l’idée d’une autre version du conte de Perrault dans laquelle ce serait Aurore qui embrasse le prince pour le réveiller de son sommeil de cent ans – et comme du reste Trinity embrasse Néo dans Matrix et lui rend la vie. Là-dessus, nous sommes en accord érogène avec Victoire. Oui au Beau au bois dormant ! Oui au female gaze !
Nos querelles d’idéologues et les batailles d’opinions empêchent le moindre débat rationnel sur la réalité de l’immigration, question pourtant toujours plus décisive. Le Petit traité sur l’immigration irrégulière de Maxime Guimard promet d’y voir plus clair. La démographe Michèle Tribalat a lu le premier essai de ce haut fonctionnaire de la place Beauvau, préfacé par Dominique Reynié.
L’intérêt du livre de Maxime Guimard1 est de porter l’attention sur la présence d’étrangers en situation irrégulière, soit parce qu’ils sont entrés sans en avoir le droit, soit parce qu’ils ont prolongé leur séjour au-delà de la durée de leur visa, et de dévoiler l’envers du décor : astuces, contournements, fraudes, chantages, fausses bonnes idées et aveuglements politiques. Je suis d’ailleurs étonnée qu’il n’ait pas reçu un écho médiatique plus important. Son auteur étant lui-même un cadre du ministère de l’Intérieur, il dispose d’informations de première main qui auraient dû retenir l’attention des médias, d’autant qu’il est sorti en janvier alors qu’une loi adoptée sur le sujet s’est vue en grande partie retoquée par le Conseil constitutionnel. L’ordre du jour médiatique ne pouvait pas être plus propice à un large écho. Une des grandes leçons de ce livre est sans doute qu’il serait plus efficace de dissuader d’entrer que d’obliger à partir.
Comment les appeler ?
Maxime Guimard se refuse, à raison, d’appeler « clandestins » des étrangers qui sont arrivés parfois au vu et au su de tout le monde et ne vivent généralement pas dans la clandestinité. Il se résout à adopter l’appellation des militants pro-immigration – « sans-papiers » – même s’il n’y recourt que cinq fois. Il distingue « immigration légale » et immigration qu’il appelle irrégulière et non pas illégale, sans doute en raison de sa banalisation.
Un chiffrage forcément approximatif
Maxime Guimard estime à 500 000 le nombre possible d’étrangers en situation irrégulière au 1er janvier 2022 en retirant chaque année, de 2009 à 2021, du nombre d’étrangers connus pour être entrés, d’une manière ou d’une autre, dans l’irrégularité, ceux qui en sont sortis (décès[1], retour ou régularisation).
Pour 1,3 million de personnes repérées comme entrants dans l’irrégularité de 2009 à 2021, 800 000 sont sortis de l’irrégularité, en grande partie grâce aux procédures de régularisation (80 %). C’est donc principalement par la régularisation que l’État français « lutte » contre la présence irrégulière d’étrangers en France. « La quasi-certitude d’accéder un jour à un statut régulier est inéluctablement interprétée par le migrant comme un signal d’accueil favorable adressé par le pays de destination, qui constitue en lui-même le moteur essentiel de la migration irrégulière » observe Maxime Guimard.
Une politique des visas ajustée, la clef de la prévention
Le dépassement de validité du visa est le moyen le plus fréquent d’entrée dans l’irrégularité. Le visa de court séjour est donc l’objet d’une grande convoitise et les pays que l’UE a dispensés de visas peuvent servir d’intermédiaires complaisants.
On peut forcer la porte en passant par un pays de transit non soumis au visa aéroportuaire ou en obtenant un visa pour un pays lointain et en débarquant lors d’une escale en Europe pour demander l’asile. On peut aussi passer par des pays de rebond, comme le Brésil, pour se rendre au poste frontière de Saint-Georges de l’Oyapock et déposer une demande d’asile en Guyane. La simple corruption peut aider, comme ce fut le cas d’universités bidon au Royaume-Uni prétendant accueillir de nombreux étudiants qui payaient, en échange de faux certificats d’inscription ou de présence. La malveillance aussi, comme ce fut le cas en 2021 lorsque la Géorgie distribua des visas à des Irakiens en leur faisant miroiter une entrée dans l’UE.
Le système d’enregistrement électronique entrées-sorties (EES) attendu pour 2025 et permettant de dématérialiser le cachetage du passeport devrait permettre de produire des données statistiques sur le dépassement de la durée de validité des visas par nationalité, par consulat et critères sociaux professionnels, à même d’informer une politique de visas. En effet, détecter après coup les dépassements c’est bien, mais c’est encore mieux de pouvoir les empêcher par une politique de visas apte à repérer les candidats au dépassement et les fraudes même si, en termes budgétaires, la délivrance d’un visa est moins coûteuse qu’un refus.
Pour les pays dispensés de visas, on espère beaucoup du fichier ETIAS[2] qui délivrera ou non, après consultation de divers fichiers, une autorisation de séjour de trois mois. ETIAS aussi permettra d’étudier les dépassements de séjour autorisé et d’ajuster les pratiques administratives en conséquence.
Si l’on refuse aujourd’hui plus de visas qu’autrefois, c’est parce que les demandes se sont considérablement accrues et non parce qu’on en délivrerait moins.
Promesses humanitaires ou solution à l’australienne ?
Quant au forçage des frontières par la mer, le secours apporté par des ONG pour sauver les étrangers des embarcations précaires entretient la rente financière des passeurs, quand il ne les aide pas à récupérer les bateaux pour de nouveaux transports. Ces ONG jouent le rôle de facilitateur de l’immigration irrégulière par mer, avec son lot de noyades. Si les pays européens sont loin d’être prêts à montrer les muscles et à imiter les Australiens, force est de reconnaître que la méthode de refoulement de ces derniers avec la marine de guerre et l’impossibilité de mettre un pied en Australie pour ceux qui auront essayé d’y entrer illégalement a mis fin aux noyades en mer. Si l’on n’imagine pas l’UE sortir des bateaux de guerre (lesquels ?) pour repousser les candidats à l’immigration, le « push back » y ayant été déclaré interdit, il devrait être plus facile d’interdire le retour dans l’UE d’étrangers ayant essayé d’en forcer la porte. À condition qu’ils n’aient pas réussi car, une fois sur place, l’éloignement est devenu quasi impossible, particulièrement en France.
Organisation de l’impuissance à la frontière
Depuis une loi de 1989, les associations disposent d’une permanence dans les aéroports leur permettant d’orienter les étrangers retenus à la frontière vers la demande d’asile. Si elle apparaît manifestement infondée, un recours contentieux est possible, recours qui est devenu suspensif depuis une décision de la CEDH en 2007, prolongeant ainsi le délai de maintien en zone d’attente, sous contrôle du juge des libertés et de la détention. Particularité française, il faut ajouter à cela la possibilité, depuis une loi de 1981, pour l’étranger de refuser d’être rapatrié avant l’expiration d’un jour franc[3]. Si le taux de réacheminement n’est pas très élevé en aéroport (30 %, d’après l’ANAFE[4]), l’épisode de l’Ocean-Viking a montré qu’on pouvait faire bien pire (3%).
Quant aux prestations de Frontex, elles sont si problématiques que les pays de première ligne en viennent à préférer s’en passer.
François Leggeri, qui pensait diriger une brigade de gardes-frontières, dut en tirer les conséquences et démissionner.
Des trous dans la raquette
La directive de 2009 visant à sanctionner les employeurs recrutant des étrangers sans titre de séjour a déplacé la fraude sur l’emprunt de vrais titres de séjour contre 10% à 30% du salaire. Si l’employeur transmet bien une copie du titre de séjour à la préfecture deux jours avant l’embauche, aucun mécanisme n’a été mis en place pour vérifier si ce titre de séjour est utilisé par plusieurs étrangers. L’application AGDREF[5] du ministère de l’Intérieur devrait être améliorée ou remplacée afin de permettre de telles vérifications.
L’aubaine hospitalière française
L’étranger en situation irrégulière depuis trois mois ou disposant d’une autorisation provisoire de séjour dans l’attente d’une décision sur sa demande d’asile peut recourir à l’AME dans le premier cas ou à la PUMA dans le second cas. L’AME est sous condition de ressources, purement déclaratives, et donne lieu à des fraudes. En profitent surtout des étrangers exemptés de visas qui ne disposent pas dans leur pays des mêmes prestations ou ne sont pas couverts.
L’absence de contrôles a ainsi permis à l’actuel ministre des affaires étrangères des Comores de se faire passer pour un Mahorais et à se faire soigner à la Réunion pendant une dizaine d’années !
L’asile, filière par excellence de l’immigration irrégulière
La durée des procédures, la dégradation des contrôles aux frontières et l’évolution de la législation ont contribué à gonfler les demandes d’asile. Une fois en Europe, l’étranger a de bonnes chances de pouvoir y rester.
La Convention de Genève fut conçue pour réagir aux évènements survenus en Europe avant le 1er janvier 1951. Mais le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations unies (HCR), créé en 1950, laissait à chaque contractant la possibilité d’élargir unilatéralement le champ de la demande d’asile. Défaut d’anticipation et suivisme du quai d’Orsay ont conduit à l’adoption à l’unanimité de l’extension de la Convention au reste du monde en 1970, après la conférence de Bellagio de 1965 et après que les Nations unies l’ont recommandée. S’y ajoutèrent, en 1982, l’extension aux procédures à la frontière et, en 1998, à l’asile territorial qui devint la protection subsidiaire[6] puis, en 2003, aux persécutions non étatiques.
Le faible taux de protection français ne tient pas à une sévérité particulière mais à la composition par origine des demandeurs. Les demandeurs d’asile font des choix et ceux qui ont de bonnes chances d’obtenir l’asile préfèrent les pays les plus attractifs et où la procédure est plus rapide. L’Allemagne choisit non sans un certain cynisme les étrangers auxquels elle accorde une protection : les plus diplômés d’abord et les femmes parmi les Afghans. La France, où les procédures sont plus longues et les taux de protection supérieurs à la moyenne, notamment auprès des ressortissants de pays exemptés de visas, est donc choisie par défaut, notamment par ceux qui ont été déboutés chez nos voisins. Au rang des exceptions françaises il faut compter la composition de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) où siège, dans chaque formation, un représentant du HCR comme deuxième assesseur. La CNDA assure ainsi une protection à des cas jugés incongrus chez nos voisins. Ses décisions rétroagissent sur celles en première instance par effet d’anticipation.
Beaucoup de bruit pour rien
La procédure Dublin a mauvaise presse au ministère de l’Intérieur. Le transfert, qui doit se faire dans les six mois, échoue la plupart du temps et oblige ainsi à accepter la demande d’asile, rallongeant encore le temps de traitement du dossier. Le traitement rapide des dossiers, surtout pour les demandeurs ayant peu de chances d’obtenir une protection, est le moyen le plus sûr de réduire l’incitation à demander l’asile.
Éloignements de plus en plus difficiles
Loin d’être une directive de la honte, la directive Retour de 2008 a introduit le délai de départ volontaire (30 jours) pour l’étranger de bonne foi qui permet à l’étranger sous OQTF, de s’évaporer dans la nature. Il faut y ajouter ensuite la dépénalisation du séjour irrégulier. La France, écrit Maxime Guimard, arrive à éloigner à peu près autant qu’à la belle époque lors de l’éloignement en wagon cellulaire (4000 à 6000 par an), malgré une augmentation des décisions, traduisant ainsi une forte dégradation de la politique d’éloignement. Mauvaise volonté des pays d’origine pour délivrer les laissez-passer consulaires, procédures interminables et contraintes juridiques plus grandes expliquent cet échec, dont témoigne l’extension des capacités de rétention. La rétention n’est d’ailleurs pas forcément une aide à l’éloignement en raison de la présence, en centres de rétention administrative (CRA), d’un représentant d’associations (CIMADE, France terre d’asile…) qui prépare à l’obstruction à l’éloignement.
Toutes ces difficultés, auxquelles il faut ajouter parfois le refus de réadmission à la frontière, conduisent à l’autocensure des services d’éloignement.
L’absence d’un véritable outil statistique n’aide pas à la décision
L’application AGDREF mise en place dans les années 1990 n’est sans doute plus adaptée aux exigences actuelles. L’absence d’applications collaboratives et les échanges manuels qui perdurent sont la source d’une perte de qualité des documents, avec des copies de passeports transmises aux consulats qui sont parfois illisibles. On est loin d’une digitalisation complète des informations. Les préfectures ont ainsi renoncé à identifier les étrangers qui ne sont pas en CRA et qui ne figurent ainsi pas dans AGDREF. Le projet d’introduction d’un identifiant unique pour tout étranger devrait permettre de suivre son destin en France et de mieux appréhender l’immigration irrégulière.
Une diplomatie migratoire encore bien timide
Maxime Guimard examine les moyens de pression susceptibles d’améliorer la collaboration des pays d’origine, sachant que la politique longtemps privilégiée par l’UE d’échanger des entrées légales contre un accord de réadmission ne crée pas vraiment d’obligations pour ces pays, en raison d’une grande dissymétrie de réactivité : « Il suffit d’un télégramme pour ordonner aux consulats de ne plus délivrer de laissez-passer, quand nos démocraties forcément plus réglementées doivent engager de longues négociations pour revenir sur les facilités octroyées ».
La menace de réduire le nombre de visas a plus de chances de marcher lors d’un ciblage précis des pays qui refusent de coopérer afin d’éviter une coalition d’intérêts. La France l’a fait en 2021 à l’égard de l’Algérie très peu coopératrice (34 éloignements forcés en 2021), mais aussi du Maroc et de la Tunisie avec un retour à la normale courant 2022.
Ajoutons que le Conseil constitutionnel a consenti à ce que la France conditionne la délivrance de visas à la coopération en matière de réadmission. C’est un des rares articles introduit par le Sénat qui n’a pas été retoqué pour absence de lien avec le projet de loi initial.
Le levier de l’aide publique au développement pas très populaire
L’absence de conditionnalité est défendue par les pays destinataires de l’aide, les ONG engagées sur le sujet, telles que la Coordination Sud qui rassemble plus de 170 associations françaises et subventionnée à plus de 1 million d’euros. Craignant pour leur activité, elles sont hostiles à tout contrôle des destinataires en bout de course. Par ailleurs, la multiplicité des programmes, les divergences de priorités entre administrations ne sont guère favorables à la mise en place d’une conditionnalité. L’éviction du ministère de l’Intérieur du conseil d’administration de l’Agence Française de développement (AFD) en 2019 non plus. Sans mécanisme de révision, d’après une liste de pays selon leur degré de coopération à la réadmission établie par le ministère de l’Intérieur, c’est le louvoiement assuré des pays tiers. Il est temps d’agir, la plupart des pays de l’UE étant désormais acquis au principe de conditionnalité. Enfin, pas encore en France apparemment puisque la disposition ajoutée par le Sénat conditionnant l’aide à la coopération des états a été, celle-ci, retoquée par le Conseil constitutionnel pour absence de lien, même indirect, avec le projet de loi initial.
Quant aux transferts de fonds des immigrés vers leur pays d’origine, ils pourraient être un levier pour améliorer la coopération de pays récalcitrants en matière de réadmission (d’après un bilan du ministère de l’Intérieur), en jouant sur les coûts de transfert : nous réduirons ces coûts si vous vous montrez plus coopératifs.
De même, à côté du système général de préférences unilatéral (SGP) appliqué par l’UE dans ses transactions commerciales avec des pays à faibles revenus, un grand nombre d’accords contractuels introduisant des tarifs préférentiels comprennent des clauses de réadmission. Mais encore faudrait-il qu’elles soient activées systématiquement. Une révision du SGP pour le cycle 2023-2024 n’a pas encore abouti. Si le Comité des représentants permanents de l’UE a accepté le levier commerce-réadmission, le Parlement, fortement travaillé au corps par une campagne de lobbying, s’y est opposé. Mais ce levier n’a de chances de marcher qu’avec les pays qui exportent suffisamment dans l’UE.
Contradiction française
Comment espérer faire plier des pays tiers quand la France régularise chaque année des dizaines de milliers d’étrangers et incite ainsi des étrangers à grossir les flux à venir ? Cette contradiction ne met pas le Quai d’Orsay en bonne disposition pour tenter de faire plier les pays avec lesquels il est censé converser. Ce dernier peut avoir l’impression qu’il perd son temps, tout en indisposant ses interlocuteurs.
Un moyen plus direct d’envoyer un message aux pays réfractaires pourrait commencer par l’établissement d’une liste des faveurs accordées aux entourages de leurs diplomates et d’y mettre fin. Le légalisme des procédures démocratiques joue en faveur des régimes autoritaires qui n’ont aucun mal à se faire entendre quand les pays européens n’y arrivent pas. Il se trouve ainsi des pays qui nous refusent la réadmission de quelques-uns de leurs ressortissants mais accepteront sans broncher des retours massifs d’un pays voisin. Les Européens pourraient faire monter la pression en menaçant de mettre fin aux prébendes contre une attitude plus conciliante. Le message à faire passer : la rente est terminée !
Si quelques progrès sont possibles en faisant mieux fonctionner l’administration et en la dotant d’un système informatique beaucoup plus performant et collaboratif, une action plus globale visant la maîtrise et la restriction des flux migratoires souhaitées par l’opinion publique est freinée par la dépolitisation de la question migratoire transformée en enjeu humanitaire. À cet égard, Maxime Guimard n’oublie pas le rôle joué par quelques intellectuels, dont l’inénarrable professeur au Collège de France François Héran, qui ont naturalisé le phénomène migratoire et ont réussi à convaincre une bonne partie de l’élite. Parmi ces convertis, figure notre ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin[7]. Le mélange de « discours agressifs et de politique de tolérance » est une bien mauvaise option qui confine à l’impuissance. Impuissance que les stratégies de partage sur le territoire français ou européen ont du mal à camoufler. L’accent mis sur les politiques de retour laisse croire qu’elles sont le bon outil de lutte contre l’immigration irrégulière et apportent malencontreusement du crédit aux discours des associations dénonçant le durcissement croissant des politiques migratoires.
Une simplification radicale répondant aux aspirations humanitaires d’une France ouverte à tous reviendrait à renoncer à tout contrôle, mais au prix d’une explosion des flux. Pour Maxime Guimard, un progrès minimal consisterait à aligner la législation française sur une politique « médiane » des autres états membres de l’UE, en éliminant les dispositifs qui plaisent tant aux universitaires français mais ne sont pas partagés par nos voisins. Pour aller plus loin, explique Maxime Guimard, c’est vers les pays anglo-saxons qu’il faudrait se tourner. Cependant, l’exemple américain des dernières années, avec une immigration irrégulière record à la frontière mexicaine n’est sans doute pas celui qu’il nous faut suivre.
Petit traité sur l’immigration irrégulière,Maxime Guimard, Éditions du Cerf, janvier 2024, 384 p.
[1] Avec, à mon avis un défaut d’estimation des décès, mais qui ne change pas l’ordre de grandeur de son estimation.
[2] European Travel Information and Authorization System.
[3] L’article ajouté par le Sénat visant à supprimer cette exception française a été retoqué par le Conseil constitutionnel pour absence de lien avec le projet de loi initial.
[4] Association nationale d’assistance aux frontières.
[5] Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France.
[6] La protection subsidiaire s’adresse aux étrangers qui risquent une menace grave, indépendamment de leur situation personnelle.
[7] C’est moi qui le dis (et non Maxime Guimard) après avoir entendu le ministre, lors de sa conférence au Centre de réflexion sur la sécurité intérieure (CRSI) le 19 septembre 2023 : « la question de l’immigration n’est pas une question d’opinion publique. Il n’y a pas à être pour ou contre. Être contre c’est comme être contre le soleil. »