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Un ennemi en commun

Au lendemain de l’attentat sanglant survenu à Moscou, le plan Vigipirate est rehaussé au niveau « urgence attentat » sur l’ensemble du territoire national en France. Le vrai danger n’est pas Poutine, mais l’islamisme, rappelle Ivan Rioufol.


Une guerre de l’Occident contre la Russie serait absurde. Tous deux partagent le même ennemi existentiel : l’islam du sabre et son suprémacisme. Si la France a rehaussé dimanche soir le plan Vigipirate à son maximum (« Urgence attentat »), c’est pour tenter de se protéger à son tour d’une possible offensive terroriste de l’Etat islamique, dont la branche afghane a revendiqué, via son agence de presse Amaq, l’attentat vendredi soir contre le Crocus City Hall, près de Moscou (137 morts).

Faiblesse russe

L’attaque contre la Russie a été justifiée par l’État islamique du Khorasan au nom de sa lutte mondiale contre les infidèles et les apostats. Les tueurs du Bataclan (13 novembre 2015) ne raisonnaient pas autrement. Pour l’idéologie coranique, la Russie comme l’Europe, les États-Unis ou Israël font partie de la même civilisation judéo-chrétienne promise à la soumission du dhimmi ou à la disparition physique. Or c’est un front désuni qui s’offre à l’ennemi commun. Emmanuel Macron et Vladimir Poutine partagent une même lâcheté face à l’islamisme. Le président français évite de le nommer quand il aborde le terrorisme. Le président russe a été plus loin encore dans le déni, en ne retenant pas la claire revendication de Daesh pour ne voir qu’une implication ukrainienne que rien ne démontre à ce stade. Cet évitement dit la peur de Poutine face à la radicalisation qui s’observe parmi les musulmans du Nord-Caucase, qui représentent environ 20% de la population (soit environ 30 millions). Là est la vraie faiblesse russe.

Bêtises communes

En désignant ses ennemis comme faisant partie d’un même bloc, l’islamisme démontre l’incohérence de la guerre fratricide entre deux peuples salves (Ukraine-Russie) et, plus encore, la bêtise des matamores occidentaux contre Poutine. Si Macron veut mener une guerre utile, ce n’est pas contre le despote russe qu’il faut la décréter, mais contre l’islamisme qui est devenu un ennemi intérieur. Les deux assassins des professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard venaient pour l’un de Tchétchénie et pour l’autre d’Ingouchie. L’Union européenne est plus généralement une cible.

Quant à Poutine, qui s’est auto-promu l’opposant numéro un de l’Occident décadent au nom du Sud global humilié, il est ramené à ses racines civilisationnelles par une partie du monde musulman sunnite, guère impressionné apparemment par ses alliances sulfureuses avec l’Iran chiite. Sa détestation de l’Ukraine de Volodymyr Zelensky lui fait négliger le djihad qui vient de ridiculiser ses services de renseignement et sa police. Dans un entretien mis en ligne le 23 mars par le magazine Omerta, l’ancien Premier ministre François Fillon le rappelle : « Dans la hiérarchie des menaces auxquelles sont confrontés les Occidentaux – et au premier rang d’entre eux les Européens- le totalitarisme islamique arrive en tête, loin devant la question russe (…) ». Un vieil adage dit : « Les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». A quand un front uni contre l’islam conquérant et colonisateur ?

Insécurité: en France, un désordre XXL

Comme « seuls sont perdus d’avance les combats qu’on ne livre pas », le gouvernement entreprend des « Opérations XXL » en France pour lutter contre le trafic de drogue et les nouvelles menaces sécuritaires traumatisant des villes entières. Ce n’est pas suffisant. Quels sont les autres dispositifs envisageables, pour endiguer cette violence endémique ? Grande analyse.


Depuis quelques années, et notamment celles sous Emmanuel Macron, les problèmes d’ordre public se multiplient. Les derniers chiffres sur l’insécurité sont imparables en ce sens.  Sur la base des derniers chiffres fournis par le ministère de l’Intérieur, la situation est grave et en voie de désespérance. En 2023, les coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus augmentent fortement dans le cadre familial (+ 9 %) poursuivant la hausse observée depuis 2017, et plus modérément hors cadre familial (+ 4%). Au total, l’ensemble de ces violences enregistrées progresse nettement (+7 %), en ralentissant toutefois par rapport aux deux années précédentes. Les violences sexuelles augmentent également sur un an (+8 %), plus modérément toutefois que les années précédentes. Les homicides poursuivent leur progression (+5 %), de manière plus modérée que les tentatives d’homicide (+13 %). En 2023, les escroqueries continuent d’augmenter (+7 %). Les vols avec armes montent légèrement (+2). Seuls points positifs : les vols contre les personnes sont globalement en baisse sur un an (-8 % pour les vols violents sans arme et -3 % pour les vols sans violence contre les personnes). Le nombre de destructions et dégradations volontaires s’accroît (+3 %) en lien avec l’explosion de ce type d’infractions lors des violences urbaines de fin juin-début juillet 2023 (+140 % sur une semaine par rapport à la même période en 2022). Les victimes d’atteintes aux personnes sont en moyenne plus jeunes que celles d’atteintes aux biens. Les mis en cause sont, quant à eux, plus jeunes en moyenne que la population française, et plus souvent de nationalités étrangères. Les mis en cause étrangers restent toutefois minoritaires (17 % des mis en cause en 2023). Les deux premiers mois de 2024 montrent que ce dernier chiffre est déjà à 20%[1].  Il est donc incontestable que, au moins dans un certain nombre de villes françaises, le désordre public s’installe.

Seulement 31% des affaires traitées par les Parquets susceptibles de connaitre une réponse pénale !

Ces chiffres sont ceux données par la police et la gendarmerie sur la base d’affaires constatées et/ou élucidées. Comme on le sait les délinquants et les criminels sont ensuite livrés à la justice. On sait que la réponse pénale est parfois inexistante voire surprenante. Ainsi en 2021, 4 millions d’affaires pénales ont été traitées par les parquets. Un peu moins de sept sur dix ont été considérées comme non poursuivables, soit que l’affaire n’ait pas été enregistrée (31 %), soit que l’auteur n’ait pas été identifié (23 %), soit pour un motif juridique, une absence d’infraction ou des charges insuffisantes (15 %). Cela fait que 31 % des affaires traitées par les parquets sont donc « poursuivables » et susceptibles de recevoir une réponse pénale. Cette proportion est globalement stable depuis l’an 2000. Cela fait quand même 70 % qui ne le sont pas… Cela entretient aussi le désordre.

En 2021, les tribunaux correctionnels ont prononcé 371 000 jugements portant culpabilité ou relaxe et 90 600 comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité, en hausse, respectivement de 26 % et 48 % par rapport à 2020. Ainsi, toutes décisions pénales confondues, le nombre de décisions rendues par les tribunaux correctionnels (663 400) est en hausse (+ 22 %) par rapport à 2020. Le volume de décisions pénales retrouve son niveau d’avant la crise sanitaire : il augmente de 1,2 % par rapport à 2019. Les 370 800 jugements ont concerné 437 000 personnes. Si l’on ramène aux quelques 4 millions d’affaires traitées par les parquets ab initio cela fait bien peu[2]« Le problème de la police c’est la justice » disait un syndicaliste. Force est de constater qu’une grande majorité de policiers de terrain (et nous en connaissons beaucoup) abondent dans ce sens. En on sait en plus qu’il est des décisions de justice qui, par leur laxisme, entretiennent le désordre public.

Pourquoi la justice est-elle si lente ?

Ce qui ne va pas dans le sens de la paix sociale ni dans celui de la préservation de l’ordre public, c’est que les délais de procédure sont particulièrement longs en France (parmi les plus longs de l’UE). Là encore les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2021, le délai moyen des procédures correctionnelles était de 9,5 mois, celui des classements sans suite de 10,2 mois ; en matière criminelle et en première instance, le délai moyen entre le début de l’instruction et le prononcé de la condamnation était de 49,4 mois[3].  Sans parler du civil où c’est encore plus long, il ne faut pas s’étonner que la France soit régulièrement condamnée pour non-respect du « délai raisonnable » par la Cour européenne des droits de l’Homme. Ces temps anormalement longs dans les délais de justice sont dus à de multiples facteurs : un large accès à la justice, une procédure pénale très pointilleuse, des procureurs hyper chargés au pénal, un effort « limité » au regard de la richesse nationale, une démographie modeste des professions de justice. Dans ce dernier cas il existe pourtant des recrutements de magistrats par des voies parallèles (magistrats à titre temporaire, intégration directe par exemple). Mais le milieu des magistrats est très endogame et on ne peut plus corporatiste. On peut parler d’ENMarchie ! En tant qu’ancien juge de proximité, nous savons de quoi nous parlons !…. Et là encore ces retards à dire le droit participent très directement du désordre public.

Parmi les délinquants qui fomentent les mauvais coups sur notre territoire, une immense majorité est, comme l’on dit, « connue des services judiciaires ». Souvent avec des casiers noircis sur plusieurs pages. Et en état de récidive le plus souvent. Et quid du taux de remplissage des prisons ? Au 1er décembre, le nombre de détenus a atteint un nouveau record absolu, avec 75 677 personnes incarcérées. Avec seulement 61 359 places opérationnelles début décembre, la densité carcérale globale s’établit désormais à 123,3 %. Près de 2500 prisonniers dorment sur des matelas à même le sol[4]… Et même si des efforts notables ont été faits depuis quelques années, les prisons françaises restent parmi les plus inconfortables de l’UE. Et on ne parle pas des cages de garde-à-vue qui sont, dans la plupart des commissariats, de véritables cloaques.

Ma cité va craquer

On sait que la situation dans les quartiers sensibles de France est de plus en plus tendue. Même grave disons-le. Ce qui s’est passé à Aubervilliers la semaine passée est révélateur. C’est toujours le même scénario. La police a poursuivi un scooter avec deux jeunes hommes à son bord, après un refus de contrôle. Ce deux-roues a été heurté quelques instants plus tard par un véhicule d’une brigade anticriminalité (BAC) appelé en renfort, venant en sens inverse et qui, en voulant éviter une collision avec un autre véhicule, entre en collision avec le scooter. Bilan toujours regrettable pour la famille et les proches : mort du conducteur âgé de 18 ans et passager blessé. Bien évidemment les jeunes n’ont rien fait. Ce sont des angelots totalement inconnus des services judiciaires, qui circulaient là par hasard et qui, bien entendu, sont victimes de la police fasciste. Il s’en suit une mini émeute le lendemain soir avec l’attaque du commissariat de La Courneuve au mortier. On remarquera que de suite des élus LFI ont pris, comme d’habitude, fait et cause contre la police et donc pour les délinquants. Comme ils le font, leur grand chef sioux Jean-Luc en tête, contre Israël et donc pour les terroristes du Hamas… S’il est une engeance politique qui participe sciemment de l’insécurité publique, c’est LFI.

Le commissariat de police de la Courneuve (93), au lendemain de l’attaque par 50 délinquants, 18 mars 2024 © Clotilde GOURLET / AFP

L’été dernier nous avons eu les émeutes que l’on sait et qui ont coûté au contribuable la modique somme de 750 millions d’euros. Car c’est toujours le contribuable qui paye. Et dans les banlieues où se sont déroulées ces émeutes, ce même contribuable est victime d’une double peine avec les impôts locaux qui vont augmenter pour réparer ce qui a été saccagé par ces hordes de sauvages en tous genres. Sans compter les primes d’assurance. Dans le même temps à Nîmes, Avignon, Dijon, Rennes ou Marseille les bandes de dealers se tirent dessus au su et au vu de tout le monde. Lorsqu’ils ne se tuent pas entre eux, depuis quelques années ces nouveaux barbares tuent des innocents. Là c’est encore plus grave. Il va bien falloir, un jour ou l’autre, en finir avec cette insécurité publique normalisée. Il va bien falloir reconquérir ces Territoires perdus de la République. Faire en sorte que les zones de non-droit disparaissent une bonne fois pour toute. Car n’en déplaise aux débatteurs en tous genres des plateaux télé et studios de radio, ces zones existent dans certaines banlieues françaises. Il n’est qu’à interroger ceux qui y vivent. Elles ne redeviennent lieu de droit que lorsque les forces de l’ordre les réinvestissent temporairement pour quelques « opérations XXL » (expression si incongrue). Dès que lesdites forces partent, le désordre revient. Un état d’urgence sur plusieurs mois pourrait changer la donne.

2005 : Chirac ne prend pas la mesure de la gravité des évènements

Alors Mesdames et Messieurs qui présidez et gouvernez, vous avez des moyens dans la Constitution et dans la loi pour mettre un coup d’arrêt à cet état de criminalité et de délinquance organisé. Certes il faut un peu de courage. Et c’est là que depuis 2005 le bât blesse. Comme le dit magnifiquement Alain “il est difficile d’être courageux sans se faire méchant !” 2005, pourquoi ? C’est la dernière grande crise des banlieues qui a eu lieu en France. Rappelons que les émeutes de 2005 ont commencé à Clichy-sous-Bois à la suite de la mort de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, le 27 octobre 2005, électrocutés dans l’enceinte d’un poste électrique alors qu’ils cherchent à échapper à un contrôle de police.  A-t-on idée de se réfugier ainsi dans un lieu hautement dangereux (signalétique en place) lorsque l’on n’a rien fait ? A fortiori si on n’a rien à se reprocher. Là encore on a parlé de la crainte du policier fasciste (et raciste cela va de soi).  Trois jours plus tard, une grenade lacrymogène est lancée à l’entrée de la mosquée Bilal par des forces de l’ordre victimes de tirs de projectiles. Visiblement ladite mosquée servait de base arrière à des délinquants. Pour une religion pacifique c’est fâcheux. Le 30 octobre, les émeutes se propagent de Clichy-sous-Bois et Montfermeil à l’ensemble de la Seine-Saint-Denis, puis deux jours plus tard à un certain nombre de communes partout en France.

C’est là que le président Chirac va décréter en Conseil des ministres, le 8 Novembre, l’état d’urgence qui sera prolongé pour une durée de trois mois.  Rappelons ce qu’est l’état d’urgence. Il a été institué par la loi du 3 avril 1955 et modifié plusieurs fois, en particulier par l’ordonnance du 15 avril 1960 et la loi du 20 novembre 2015. Décidé par décret en Conseil des ministres, il peut être déclaré sur tout ou partie du territoire soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas de calamité publique (catastrophe naturelle d’une ampleur exceptionnelle). D’une durée initiale de 12 jours, l’état d’urgence peut être prolongé par le vote d’une loi votée par le Parlement. Ce régime d’exception permet de renforcer les pouvoirs des autorités civiles et de restreindre certaines libertés publiques ou individuelles. Il autorise le ministre de l’Intérieur et les préfets à décider :

  • l’interdiction des manifestations, cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique ;
  • la mise en place de périmètres de protection pour assurer la sécurité d’un lieu ou d’un évènement ;
  • l’interdiction de certaines réunions publiques ou la fermeture de lieux publics et de lieux de culte ;
  • des perquisitions administratives ;
  • des réquisitions de personnes ou moyens privés ;
  • le blocage de sites internet prônant des actes terroristes ou en faisant l’apologie ;
  • des interdictions de séjour ;
  • des assignations à résidence.

Qu’attend donc Emmanuel Macron pour recourir à cet état d’urgence ? Plus de morts ? Plus de saccages ? Cela étant dit il n’a même pas eu le courage de le faire pour les émeutes de l’été 2023 alors que la situation s’y prêtait encore mieux. Il a choisi le pourrissement, comme à l’accoutumée. En même temps l’ordre et le désordre finalement. Il fut bien plus prompt à déclarer l’état d’urgence sanitaire lors du Covid en nous confinant et restreignant nos libertés comme aucun autre pays européen ne l’a fait. Et en sacrifiant des milliers de jeunes, lycéens ou étudiants, qui depuis sont dans un état psychique très inquiétant. De nombreux rapports de psychiatres (et même de l’IGAS) relèvent cela chez la génération des 18-25 ans.

La France se transforme en narco-Etat

Pour nous il n’y a aucun doute que les trafics et tueries qui se produisent dans certaines villes françaises vont se multiplier. Des émeutes couvent. Les hors-la-loi font leur loi et les honnêtes citoyens la subissent. C’est un des principaux acquis de la présidence Macron en matière de sécurité.  Il est grand temps de mettre en place, avant l’état d’urgence, des couvre-feux. Et ne pas craindre d’enrôler l’armée pour qu’ils soient plus efficaces. Et puisque l’on parle d’armée, n’oublions pas que dans la Constitution figure aussi l’état de siège. Prévu par l’article 36 de la Constitution, l’état de siège restreint aussi les libertés publiques. Décrété en Conseil des ministres, il est mis en place en cas de péril imminent, pour faire face à un conflit (troubles intérieurs graves, par exemple). Prévu pour une durée de 12 jours, il peut être prolongé par une loi. Mais, contrairement à l’état d’urgence, les pouvoirs de police sont exercés par les autorités militaires aux compétences accrues. Des juridictions militaires peuvent alors juger les crimes et délits contre la sûreté de l’État ou portant atteinte à la défense nationale, qu’ils soient perpétrés par des militaires ou des civils. L’état de siège c’est un cran au-dessus de l’état d’urgence. Là encore, la tournure que prennent les actes criminels et délinquants dans certains quartiers de France, pose question à ce sujet. La crise de l’été 2023 pouvait justifier aussi cette réglementation.

Il est clair que si l’on prend par exemple certains quartiers de Marseille, c’est bien à un véritable siège auquel se livrent les dealers. Un siège pour s’approprier, pour croître encore et toujours, pour défier aussi l’ordre établi.  Le seul fil conducteur de ces racailles est l’argent et la violence. C’est une guerre des gangs qui se battent pour le commerce de la drogue avec parfois la « complicité » de certains services judiciaires comme l’a laissé entendre récemment le procureur de la République du Tribunal Judiciaire de Marseille, M. Bessonne (audition devant une commission sénatoriale sur le narcotrafic). Ce dernier a même dit qu’en matière de narcotrafic le combat était perdu ! Incroyable pour un Procureur ! Inadmissible même. Si on se donne les moyens d’assiéger ces quartiers en recourant notamment à l’état de siège ou d’urgence, on peut y arriver. « Seuls sont perdus d’avance les combats qu’on ne livre pas » disait le général de Gaulle. On ne peut tolérer dans une démocratie telle que la nôtre que la loi du plus fort l’emporte sur le droit à la sécurité et la liberté d’aller et venir. Or dans certains quartiers de nos villes c’est le cas.

Emeutiers à Marseille, 30 juin 2023 © SENER YILMAZ ASLAN/SIPA

Nous allons nous faire bénir par certains lecteurs qui vont se dire pour un prof de droit, il y va fort ! Peu importe. En matière d’ordre public il est un exemple qui nous interpelle depuis quelques temps, c’est celui du président du Salvador. Nayib Bukele a revendiqué en février dernier une victoire écrasante (85 % des voix) lors de l’élection présidentielle au Salvador à laquelle il se représentait. Même s’il a procédé depuis 2019 à une reprise en mains des principaux pouvoirs, les quelques six millions de salvadoriens lui vouent un véritable culte. Raison principale ? Il mène depuis sa première élection une guerre sans merci aux gangs qui gangrenaient le pays avant lui. Le Salvador était parmi les pays d’Amérique du Sud les plus corrompus et les plus criminogènes. Depuis la déclaration de l’état d’urgence en 2022, plus aucune des 14 villes qui se trouvaient avant sous l’autorité directe de ces organisations criminelles ne l’est plus aujourd’hui. Ainsi de 70 000 à 100 000 personnes ont été placées derrière les barreaux (1,6 à 2,3% de la population, soit le plus fort taux d’incarcération au monde). Certes les conditions d’incarcération ne sont pas des plus confortables et certaines organisations droitdelhommistes s’indignent. Toujours est-il que grâce à cette politique, le Salvador n’a recensé que 154 homicides en 2023, contre 6600 en 2015 (le taux d’homicide s’est écroulé de 106,3 pour 100.000 habitants en 2015 à 2,4 en 2023). Se présentant comme « un dictateur cool », N. Bukele a pris d’autres décisions fortes. Ainsi il a augmenté de 20% le salaire minimum moyen, instauré le bitcoin en monnaie nationale (aux côtés du dollar américain), subventionné l’essence ou encore distribué 300 dollars et des paniers alimentaires aux habitants dans le besoin pendant la crise du Covid-19, mis en place une politique d’aide pour les plus démunis.  Des mesures qui en appellent sans doute bien d’autres dans les quatre années à venir. Et les habitants des favelas salvadoriennes revivent, débarrassées qu’elles sont des gangs. Il est tant de gens qui vivent dans la peur dans certaines banlieues de France et de Navarre. Il est des quartiers de France où l’on s’approche de plus en plus de de ce qui se passait au Salvador avant Bukele. Délinquants et criminels font leur loi, tiennent et entretiennent même certains quartiers défavorisés. En particulier dans la cité phocéenne.  Il faut lire l’ouvrage de Philippe Pujol, La Fabrique du monstre : 10 ans d’immersion dans les quartiers nord de Marseille, l’une des zones les plus inégalitaires de France (Points, 2017).  La simple présentation faite par Le Point est éloquente et se passe de commentaire : « Une admirable et terrible descente dans le dernier cercle de l’enfer. » Dans les quartiers pauvres de Marseille, on devient délinquant par vocation ou par ennui. Du shit mal coupé qui fait de l’argent facile autant qu’il rend fou aux règlements de comptes à la kalachnikov, Philippe Pujol raconte cette jeunesse perdue et sa misère. Et pendant que ces enfants dressés en bêtes sauvages s’entre-dévorent, élus corrompus et marchands de sommeil se repaissent de ce charnier. Pour information Philippe Pujol a reçu le prix Albert-Londres en 2014 pour sa série d’articles « Quartiers Shit », matière première de La Fabrique du monstre. Rien que la couverture de son ouvrage est révélatrice. On se croirait dans un bidonville. “L’ordre, et l’ordre seul, fait en définitive la liberté. Le désordre fait la servitude.” (C. Péguy).


[1] www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques-de-presse/insecurite-et-delinquance-en-2023-premiere-photographie

[2] www.justice.gouv.fr, rapport chiffré 2023

[3] www.vie-publique.fr/fiches/38062-la-justice-est-elle-trop-lente, mai 2023

[4] www.lejdd.fr, 29/12/2023

CETA: il va encore y avoir du sport!

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L’accord de libre-échange, dit CETA, entre l’Union européenne et le Canada, a été rejeté par le Sénat. Mais il « pourrait » s’appliquer même si l’Assemblée nationale le rejette, assure Valérie Hayer, sur France info. Explications.


En pleine élection européenne, voilà une claque pour le gouvernement français. L’accord de libre-échange, dit CETA, entre l’Union Européenne et le Canada, a été rejeté jeudi 21 mars par le Sénat.

Mais, même si la France rejetait finalement le traité, cela ne changerait rien à son application provisoire en réalité. L’Union européenne a en effet inventé un nouveau type de gouvernance qui s’assied sur la souveraineté du peuple et les principes démocratiques avec la complicité des pouvoirs en place. Des accords non ratifiés sont ainsi appliqués et même en cas de rejet par un État, des dispositifs existent pour contourner le problème. Le CETA illustre parfaitement cette dérive.

Le CETA, négocié entre l’Europe et le Canada, supprime les droits de douane sur 98% des produits échangés entre les deux marchés. Mais voilà, en Europe, dix pays rechignent à le signer dont l’Italie, la Bulgarie, la France, la Grèce, la Pologne…

On pourrait donc penser que l’accord ne peut s’appliquer, faute d’avoir été accepté par les parlements des pays concernés. Or ce n’est pas du tout le cas. Dans les faits, le CETA s’applique déjà. 90% des dispositions du texte ont été mises en place et fonctionnent. A titre provisoire. Et bien sûr les premiers démantèlements tarifaires ont concerné les droits de douane.

Vice démocratique

Cette manière de faire, pour être efficace, n’en est pas moins malsaine. En effet cet accord fonctionne depuis 2017 et le moins que l’on puisse dire est que sa non-ratification pèse sur sa légitimité. L’Union Européenne presse donc les États de valider l’accord en bonne et due forme le plus rapidement possible. Le vice démocratique de la situation n’échappe à personne, puisque, littéralement, en absence d’accord un accord est malgré tout appliqué et que ce choix a des implications très concrètes sur les pays et leurs filiales de production. Le déni de souveraineté et de démocratie se manifeste ici en plein jour.

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On pourrait penser que l’inscription à l’ordre du jour du Sénat, de cette loi que l’Assemblée nationale a adoptée de justesse en 2019, est liée à la volonté du gouvernement de régulariser une situation problématique. Eh bien non ! Celui-ci n’a pas de majorité au Sénat et souhaitait éviter que ce type de vote montre à quel point le Roi est nu. C’était sans compter sur le groupe de sénateurs communiste qui l’a inscrit à l’ordre du jour sur sa niche parlementaire, avec la complicité de la droite ! Justement pour qu’il soit rejeté à la faveur d’un vote droite-gauche. Ce qui n’a pas manqué de se produire. Le but était de mettre le président Macron face à son impuissance, de lui rappeler qu’il n’a pas de majorité et que sa tentative d’enchaîner les séquences de commémorations, d’hommages, les selfies et les postures de matamore/chefs de guerre ne trompait personne. La Chambre haute est décidée à user de son pouvoir et le fait avec un certain sens de l’à-propos. C’est également une opportunité pour la droite, majoritaire au Sénat, de rappeler au gouvernement et aux électeurs qu’elle agit et qu’elle peut encore peser, comme la loi immigration l’a déjà montré. Mais surtout : c’est une défaite symbolique aux yeux de tous en pleine élection européenne.

Le mauvais souvenir de la Loi immigration

Pour autant, le texte n’est pas encore rejeté, même s’il a du plomb dans l’aile. Il doit maintenant retourner devant les députés qui ont toujours le dernier mot dans l’adoption ou non d’une loi… Sauf que le gouvernement n’a pas de majorité et qu’à défaut d’avoir beaucoup de marge de manœuvre, il a de la mémoire. Or la dernière fois, avec la loi immigration, il s’est pris les pieds dans le tapis et n’a dû son salut qu’à la complaisance du Conseil d’État. Or ce vote-là s’annonce également délicat et peut susciter une majorité de circonstance droite/gauche comme au Sénat. Les communistes ne l’ignorent pas, qui ont annoncé profiter de leur niche parlementaire pour inscrire, ce 30 mai, le texte à l’ordre du jour de l’Assemblée. Cela promet du sport. En effet, la situation est critique. En théorie, en effet, en cas de rejet du texte par un Etat-membre, la déclaration 20 du conseil de l’Union européenne prévoit la dénonciation de l’application provisoire du CETA.

On pourrait donc penser que, si la stratégie des communistes fonctionne, le refus du parlement français de ratifier le CETA mettrait fin à l’accord. En tout cas c’est ce qui ressort de la lecture de cette fameuse déclaration 20.

Mais une fois de plus ce n’est pas le cas.
En effet, en pratique, un Etat-membre a déjà refusé l’accord. Il s’agit de… Chypre. Et pourtant l’application du traité n’a pas été annulée par l’Union européenne. Comment cela a-t-il été possible ? Eh bien, il a suffi que le gouvernement chypriote ne communique pas à la Commission de notification formelle pour que l’accord continue de s’appliquer. À Bruxelles, la réalité n’existe que si elle est notifiée dans les règles bureaucratiques adéquates… Ainsi, même si le Parlement, autrement dit les représentants du peuple, rejettent l’accord, il suffit de ne pas le notifier pour que le vote n’ait aucun effet. Les dictateurs en ont rêvé, l’UE l’a réalisé et a trouvé le moyen de nier le vote des citoyens. Le peuple est ainsi dépouillé de sa souveraineté par la magie de la procédure. Cette histoire n’est-elle pas exemplaire de ce qui creuse un fossé entre des peuples et leurs dirigeants ? Comment s’étonner, quand on observe une telle comédie, que l’Europe soit contestée et que les pays européens connaissent une crise démocratique sans précédent ?

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Guerre des droites: Jordan et Malika font un croche-pied à François-Xavier!

Malika Sorel, ancienne membre du Haut Conseil à l’intégration nommée par Nicolas Sarkozy, annonce rejoindre la liste de Jordan Bardella pour les élections européennes, afin de lutter contre la « libanisation » de la France. L’évènement invisibilise le lancement de campagne du LR François-Xavier Bellamy en Seine-Saint-Denis la veille, où s’est rendu notre journaliste. Ce matin, M. Bellamy fustige les débauchages et assure qu’il fera bien plus que 5%. Les places sur sa liste seront âprement négociées.


Il y avait presque un côté « En terre inconnue » à voir les partisans de François-Xavier Bellamy descendre station Front Populaire ce samedi, à Aubervilliers (93). Aux Docks de Paris, complexe moderne à l’esthétique pas complètement déplaisante, s’étaient réunies 3000 personnes, à deux mois et demi du scrutin européen. Bien sûr, on est loin des grands raouts du temps de la splendeur du sarkozysme, mais enfin, la droite républicaine était bien décidée à montrer ce qui lui reste de ses griffes.

Céline Imart n’a pas respecté les consignes de François Fillon

Dans les premières rangées, on retrouvait les classiques et les caciques. Nadine Morano, Brice Hortefeux, Laurent Wauquiez, Roger Karoutchi. Seule la chaise de Rachida Dati était vide, et pour cause… Le parti a cependant décidé de renouveler ses têtes d’affiche, en choisissant les numéros 2 et 3 de la liste parmi la société civile et l’armée. Numéro 2 : Céline Imart, 41 ans, a repris la ferme familiale dans le Tarn. A la tribune, elle affirme : « Je suis fière plus que jamais de n’avoir jamais voté pour Emmanuel Macron, ni en 2017, ni en 2022 ». Ah cette jeunesse : déjà un irrespect des consignes de vote du parti ! En numéro 3, puisque la politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens, le général Christophe Gomart se lance aussi dans la bataille. Pour l’Ukraine, il nous annonce la couleur : « Moins de mots, plus de munitions ». Mais les orateurs du jour ont malgré tout tiré à boulets rouges sur la récente échappée en solitaire du président Macron dans l’affaire russo-ukrainienne.

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C’est au tour de François-Xavier Bellamy. Présenté à son apparition dans le jeu politique comme un professeur de philosophie échappé de sa bibliothèque, l’ancien élève de l’ENS compte bien jouer de son décalage avec l’air du temps pour se trouver un espace. Pas question de vouloir avoir l’air moins sérieux, de parler d’autre chose que de son bilan en cinq années au parlement. Il nous assure qu’il ne s’adonnera pas au commentaire politicien, mais dézingue quand même Valérie Hayer (tête de liste « Renaissance ») et même François Hollande, épouvantail toujours efficace dans les meetings à droite. L’air de rien, il appellerait presque ses électeurs à tout casser : « J’ai tant de visages à l’esprit aujourd’hui. Ceux de cette France courage, qui ne plie pas. Qui ne la ramène pas. C’est peut-être d’ailleurs son seul, son grand tort : ne pas tout casser quand elle n’est pas d’accord ». Bellamy, bel esprit, cite Max Weber, et même Guy Debord. « Toute la vie de cette société s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation ». Un peu plus, et il ajoutait, au sujet de la photo du président-boxeur : « Le spectacle est le capital à un tel degré d’accumulation qu’il devient image ». « En vingt ans, le parti est passé de Doc Gynéco à l’Internationale Situationniste », nous glisse Marine Castro, militante LR de la première heure, capable de regarder avec amusement l’évolution de son parti. Ce qu’il a perdu en électeurs, il l’a gagné en profondeur. En tout cas avec Bellamy.

Pendant que LR tape sur la macronie…

On fait un dernier tour parmi les premiers rangs en se demandant quand même si un ou deux futurs ministres de Gabriel Attal ne se sont pas glissés parmi nous. Si le parti est coincé dans un étroit couloir entre le centre et la droite de la droite, les militants valident le choix de Bellamy de s’en prendre surtout à la macronie. « On a plus de chance de récupérer nos voix chez Macron que chez Le Pen ».

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La campagne de Bellamy semblait donc lancée, et puis, patatras ; en annonçant le ralliement de Malika Sorel, jadis membre du Haut Conseil à l’Intégration nommée en 2009 par Nicolas Sarkozy, le Rassemblement national réalisait le gros coup du week-end1, tirant toute la couverture sur lui-même, et n’en laissant pas pour les autres. 

  1. https://www.lefigaro.fr/elections/europeennes/malika-sorel-rejoint-jordan-bardella-je-souhaite-participer-a-la-recomposition-francaise-20240324 ↩︎

Irmgard Keun, naturalisée humaine

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Une merveille. Irmgard Keun, vous connaissez ? Pas sûr. Aurait-elle du succès aujourd’hui ? Pas sûr : elle détestait le mot « victime »… et fut une grande féministe dans le Berlin des années 30. Allez comprendre ! (Ce n’est pas si difficile). Ou… lisez-la.


Ce n’est pas la Arletty de Marcel Carné dans Hôtel du Nord – puisqu’elle s’appelle Doris, que cela se passe entre Cologne et Berlin en 1930-1932, mais c’est la même gouaille, la même fulgurance, la même science intime, et innée, du ridicule, des ridicules de la comédie humaine (des hommes en particulier) – mais avec une tendresse et un sourire, une indulgence en somme, qui fait affectueuse et si « vraie », la saillie moqueuse : « On peut vivre pour vraiment pas cher quand on est riche. »

Ou le soir de la générale d’une pièce où elle joue, actrice débutante : « Étaient présents tous les hommes avec lesquels j’avais eu un jour une liaison. Je n’aurais jamais cru qu’il y en avait tant. A part eux, le théâtre était plutôt vide. »

Ou lorsqu’un homme de hasard l’invite à dîner : « Ça m’est hélas impossible parce qu’il louche terriblement, au point que je me mets à loucher aussi quand je suis assise en face de lui – ce qui me fait perdre mon charme. On ne peut tout de même pas exiger ça de moi. »

Elle n’est que drôlerie et innocence, Doris, qui veut devenir vedette (sic) et ne le sera peut-être pas, qui veut rencontrer un homme, connaître l’amour et fera les deux – et retour (séparation) : « Nous nous sommes tutoyés avec tant de distinction que c’était comme si nous nous disions ‘’vous’’. »

Qui rencontrera aussi les filles des rues de la grande ville – et conservera ce regard, si humain, espiègle, élégant aussi, dont elle ne se départ jamais : « Je suis tellement distinguée que je pourrais me dire ‘’vous’’ à moi-même. » 

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Ou lorsqu’elle se balade dans un parc au milieu des cygnes « qui ont de petits yeux et de longs cous avec lesquels ils détestent les gens. Je peux comprendre ça, mais moi non plus je n’aime pas les cygnes, bien qu’ils bougent et que l’on puisse trouver auprès d’eux une certaine consolation. » Si ce n’est pas un regard unique« L’énorme vague d’enthousiasme, en se retirant, a déposé sur mon rivage un homme » ; « Je lui ai dit : ‘’Un instant, s’il vous plaît’’ et je me suis éclipsé discrètement par une autre porte. »

Irmgard Keun (1905-1982) est méconnue en France : elle fut encouragée par Zweig et Heinrich Mann, adulée par Hans Fallada et Döblin, amante (1936-1938) de Joseph Roth avec lequel elle s’abîmera dans l’alcool (puis longue dépression).

Une vie étincelante (1932) a été traduit dès 1934 chez Gallimard par… Clara Malraux (quand même) puis retraduite en 1982 par Dominique Autrand (La jeune fille en soie artificielle).

Entre 1995 et 2014, trois biographies ont paru en Allemagne – et les éditions du typhon s’en sont emparées et procurent cette pépite (puisque c’en est une).

On n’oubliera pas Doris – petite sœur de Molly, la prostituée au grand cœur du Voyage de Céline. Le miracle de cette littérature est de la faire entendre (et exister) distinctement, de rendre sa connaissance sensible, et tangibles sa liberté, son appétit, son désir – et la vie dedans, partout, transfusée. Qui manifeste.


Une vie étincelante, d’Irmgard Keun. Traduit de l’allemand par Dominique Autrand, Le Typhon, 204 pages.

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Jacques Genin, un cœur fondant

Après une enfance difficile et sans formation particulière, Jacques Genin n’a suivi que ses intuitions. Le garçon plein de rage et hypersensible est parvenu à transformer sa colère en force créatrice, jusqu’à devenir l’un des meilleurs pâtissiers chocolatiers de France.


Nous naissons tous avec un nom que nous n’avons pas choisi. Mais nous pouvons aussi le recréer afin de nous libérer de son emprise. Ainsi Jacques Genin a-t-il supprimé l’accent aigu qu’il y avait sur le « e » pour ne pas porter le même nom que son père qui le battait…

Cinq heures durant, au cours d’un mémorable déjeuner bien arrosé, le plus grand pâtissier et chocolatier de France s’est livré, l’œil embué de larmes.

Un caractère !

Nous sommes en présence d’un fauve, d’un animal sauvage de 65 ans à la force vitale toujours prodigieuse, qui continue à caraméliser ses pistaches de Sicile à la main dans des chaudrons en cuivre… Un de ces caractères que notre société s’efforce aujourd’hui d’effacer et de castrer au profit de petits hommes gris en costumes bleus.

Hannah Assouline.

« Mon parcours a commencé dans les abattoirs des Vosges, quand j’avais 12 ans. Les abattoirs, c’était pour me sauver, pour ne pas mourir… J’ai mis une vie pour mettre des mots sur cette période. »

Né en 1959 à Saint-Dié-les-Vosges, Jacques Genin vient des bas-fonds. Battu et violenté par ses parents, il s’enfuit et travaille durant sept ans dans des abattoirs.« Enfant, je détestais l’être humain… je ne connaissais pas l’amour… je ne connaissais que la violence et la haine contre mes parents… en même temps, j’étais un garçon plein de rêves. »

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Un jour, il entend parler sur RTL d’un grand chef, trois étoiles Michelin, nommé Alain Chapel, dont le restaurant se trouve à Mionnay, à 20 km de Lyon. Une force le propulse aussitôt dans un train, en troisième classe.« J’arrive là-bas. Je regarde la carte affichée à l’entrée du restaurant. Il n’y a pas de prix ! Je ne comprends rien à ce qui est écrit. Je ne sais pas ce qu’est un homard, ni ce que sont des écrevisses… Un monsieur sort alors du restaurant, vêtu tout en blanc. Je ne savais pas qui était Chapel, je ne l’avais jamais vu. Il me demande très poliment s’il peut m’aider. Il me fait entrer et m’installe à une table alors que j’étais habillé n’importe comment. Il me propose un verre, mais je n’aimais pas le vin qui était associé à l’odeur du vomi de mes parents… Monsieur Chapel (je ne sais toujours pas que c’est lui) me retire la carte des mains et me sert des plats qui vont me bouleverser. Après le repas, il me raccompagne à la porte sans me faire payer et me dit simplement : “Merci d’être venu.” Pour la première fois de ma vie, j’ai vu ce qu’était la générosité ! Humainement, c’est Alain Chapel qui a fait de moi ce que je suis. Il m’a irradié et m’a aidé à sortir de ma prison intérieure. »

Hannah Assouline.

À 19 ans, Jacques part sur les routes, fait du stop, sans but. Un camion le prend et le dépose à Paris… Il faudrait écrire un livre sur sa vie. Ses petits boulots, sa rencontre avec les prostituées de la rue Saint-Denis, puis Valérie, en cinquième année de médecine, qui lui apprend ce qu’aimer veut dire et qui lui donne une fille qu’il adore et qui deviendra avocate.

Le plus fascinant, c’est de voir comment ce garçon plein de rage est parvenu à transformer sa colère en force créatrice. Un jour, il décide de monter son propre restaurant, rue de Tournon. Sans le permis, il va en Bretagne chercher ses poissons. Très vite, le Guide Michelin le remarque et lui propose une étoile qu’il refuse : « Ne faites pas ça, je ne suis pas mûr, je me cherche, je vais me barrer. »

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Le lendemain, la Maison du chocolat le recrute comme chef pâtissier… De 1992 à 1996, il crée le cake au citron, le marbré et l’éclair au chocolat qui demeurent les signatures de cette institution.

Mais comment devient-on pâtissier et chocolatier du jour au lendemain, sans avoir fait aucune école ? « La première fois que tu as embrassé une fille, est-ce que tu as fait une école pour ça ? Tu inventes ! Ce n’est pas marqué dans un manuel. Ce qui compte, c’est l’envie, l’énergie qu’il y a dans ton ventre. »

Hannah Assouline.

Quand la Maison du chocolat lui demande de faire du congelé, Jacques donne sa démission. « Ne vous faites pas d’illusions, aujourd’hui, tous les pâtissiers font du congelé, à commencer par les galettes des rois qui sont mises au froid dès le mois de septembre. L’inconvénient est que cela assèche le feuilleté qui devient friable. Moi, je fabrique mes galettes le jour même ! Je suis le dernier à faire ça. Je suis un besogneux. » Genin met toute sa vie dans ses créations. Ses chocolats fins comme de la dentelle de Bruges, ses pâtes de fruits pleines de fraîcheur, ses caramels qui ne collent pas aux dents…

Situé dans un bel immeuble du XVIIe siècle, dans le Marais, sa boutique ressemble à un grand atelier de peintre où la pierre, le bois, la brique et le fer forgé renvoient la lumière du jour. Unique à Paris, son laboratoire est à l’étage, et non dans un sous-sol obscur. C’est là qu’il est passé maître dans l’art des accords.« En infusant une plante ou une épice, tu obtiens une huile qui concentre les goûts. Il ne te reste plus qu’à marier cette quintessence avec le chocolat. »

La pâtisserie, une évolution constante

Son fameux chocolat à la menthe est, de ce point de vue, un archétype. Au début, c’est un simple bonbon de 50 g que l’on croque et qui se casse dans la bouche. La ganache se répand alors sur le palais en donnant une sensation d’onctuosité. Puis surgit d’un coup la fraîcheur délicate de la menthe, semblable à un joli gazon au milieu d’une clairière… Enfin, la puissance acidulée du chocolat de Madagascar reprend le dessus avec ses notes boisées et épicées ! Une symphonie en mouvement. On est loin des chocolats à la menthe d’autrefois qui sentaient l’after-shave.

Hannah Assouline.

« Les pâtissiers-chocolatiers ont répandu cette légende selon laquelle leur métier serait une science exacte, une chimie au gramme près. C’est pour défendre leur statut social. En fait, on s’adapte, on bricole, comme un peintre qui change ses couleurs selon la lumière du jour. Ma pâtisserie évolue et change tout le temps. Ce qui compte, c’est mon premier ressenti. »

Avec une telle franchise, Jacques Genin est un homme que l’on ne peut qu’aimer. 


Jacques Genin

133, rue de Turenne, 75003 Paris

Tél. : 01 45 77 29 01

jacquesgenin.fr

La cantine où il aime manger :

Vantre

19, rue de la Fontaine-au-Roi, 75011 Paris

Tél. : 01 48 06 16 96

Un restaurant merveilleux dirigé par un encyclopédiste des vins.

Menu entrée-plat-dessert à 28 euros !

Trois parties pour deux balles!

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Venez jouer aux flippers et aux Baby-foot à la Monnaie de Paris dans l’exposition interactive « Insert Coin » jusqu’au 30 juin !


Qu’est-ce que l’identité française ? Concrètement, matériellement, sans thèses fumeuses à la rescousse, sans prêchi-prêcha de chaque côté de l’échiquier politique, je veux du solide, de la pierre de taille, pas de l’évanescent ; je veux du coulé dans le bronze et validé par plusieurs générations depuis l’Après-guerre.

Artistes des comptoirs de bistro

Je l’ai trouvé à la Monnaie de Paris dans l’exposition « Insert Coin » qui nous raconte l’histoire des machines de jeux fonctionnant avec des pièces de monnaie. Une expo frappée par le bon sens populaire qui n’a pas peur de mettre en avant la culture du zinc et du divertissement, les deux mamelles des jeunesses en formation. Sans cette approche bistrotière qui manque tant à nos gouvernements, on ne comprend rien à notre pays, à la liberté et à l’égalité, à une certaine forme aussi de fraternité devant un verre de « Monaco » et un Baby Bonzini. Un homme d’État qui n’aurait pas fréquenté assidument les bars serait-il vraiment apte à diriger une nation comme la nôtre ? Je ne le crois pas. Il lui manquerait la souplesse et la fermeté du poignet pour effectuer une « gamelle », l’albatros de Ballesteros, l’ace de Djoko, la figure artistique des troquets qui faisait d’un joueur lambda de Baby, un élu du quartier ! Il y a des bruits qui nous rappellent notre adolescence, le son de la balle en liège venant taper dans la cage en métal du goal et ressortir par magie, c’est du Brahms à l’heure de l’apéro, une arabesque qui vaut une mauresque.

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Le bâtiment historique qui abrite l’Hôtel de la Monnaie construit au XVIIIème, face aux bouquinistes de la Seine, se transforme en un « Balto » plus vrai que nature jusqu’au 30 juin. On n’est plus dans le VIème arrondissement au printemps 2024 mais à Créteil en 1974 ou à Montluçon en 1983. Les organisateurs ont imaginé plusieurs salles pour chaque décennie, des années 1960 aux années 1990, à chaque fois, une ambiance différente, vinyles, formica, chromes, publicités d’époque et doudous générationnels dans les vitrines, Rubik’s Cub ou 45 tours de Christophe, affiche de Bébel en Pierrot le fou et casque de mob sans visière ; que vous ayez été « jeune » dans les Yéyés, sous Tonton président ou quand Indra chantait le tube « Misery », vous allez vous souvenir de vos quinze ans sans injections de botox.

C’était mieux, avant TikTok

Avant les échanges virtuels, le rade du coin, que vous habitiez en pleine cambrousse ou en banlieue, était le rendez-vous des collégiens et des lycéens. On s’y chambrait, on refaisait le monde à notre sauce sans la tutelle des parents, on était un peu marioles mais on apprenait à interagir socialement. Et accessoirement, on dépensait notre argent de poche en partie de flippers, de Baby et plus tard, sur les bornes d’arcade. « Insert Coin » revient sur l’évolution technologique et sociologique de ce business jadis florissant, signe d’une humanité rieuse et où « le vivre-ensemble » n’était pas un mensonge électoraliste.

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De la fabrication de ces machines au consommateur final en passant par les cafetiers et divers intermédiaires, une chaîne se mettait en place et solidifiait notre ancrage quelque part.

Tract contre l’uranium à Ille-sur-Têt (66) à l’entrée d’un bar lors de la campagne du référendum 28 mai 1978 © Etienne MONTES/Gamma-Rapho via Getty Images

Autant le Baby n’évolua guère dans sa forme, autant le flipper connut des vagues et des modes au cours de ces trente ans d’existence. Celui à l’effigie d’Indiana Jones avec sa tirette lanceur en forme de pistolet recueille un succès phénoménal, des files de gamins de onze ans avec leurs parents s’y agglutinent. Car la Monnaie de Paris a eu la bonne idée de rendre opérationnelle cette fête foraine, bruyante, donc vivante, en remettant à chaque visiteur quelques pièces. On peut donc y jouer « pour de vrai ». Il ne manque que la fumée de cigarettes pour recomposer fidèlement ce tableau et son atmosphère…

Tous ces jeux fonctionnent à l’exception de quelques-uns qui étaient déjà en maintenance après une semaine d’ouverture ; comme durant l’Âge d’or, les flippers ont toujours été sensibles aux manipulations brusques et aux bourrins du super tilt. Voir une grand-mère bourgeoise s’amuser à Pac-Man en compagnie de sa petite-fille me donne plus d’espoir dans le genre humain qu’assister à un meeting de campagne.


11, Quai de Conti. Du mardi au dimanche, de 11h à 18h
Nocturnes les mercredis jusqu’à 21h
Entrée : 12 € (incluant 10 pièces de jeu)

Monsieur Nostalgie

Price: 17,00 €

11 used & new available from 12,89 €

Vous avez dit populisme… ?


Voilà quelque temps, je suivais, un dimanche soir, le journal télévisé de France 2 lorsque, en incidente, comme si l’affaire était entendue une fois pour toutes et non discutable, le présentateur, Laurent Delahousse pour ne pas le citer, laissa tomber, navré, accablé : « …et ce populisme qui piétine la démocratie ». L’entre-soi de plateau étant ce qu’il est à France TV, on enchaîna aussitôt puisqu’il n’y avait rien, vraiment rien, à redire sur ce diagnostic. Le journaliste aurait déclaré « Il fait jour à midi », on n’aurait pas eu autour de lui davantage de réserves à émettre !

On sort le dico

Intrigué, je me suis soudain demandé ce que c’était au fond, je veux dire réellement, le populisme, ce que pouvait bien receler ce que je ne percevais finalement que comme une invective commode, un mot-valise revenant en boucle dans la bouche des bienpensants sans autre bagage rhétorique. Quels en sont les éléments constitutifs, quels sont les critères objectifs qui permettent de dire cela relève du populisme et cela non, où cela commence et où cela s’arrête ? Bref, autant de questions de bon sens, de celles qu’on se pose lorsqu’on cherche à définir un concept, quel qu’il soit. Ne trouvant pas les réponses, je m’en suis remis aux définitions du Petit Robert. Et là, tout est devenu beaucoup plus clair. Populisme : 1 – Didactique. Ecole littéraire qui cherche, dans les romans, à dépeindre avec réalisme la vie des gens du peuple. 2 – Politique (souvent péjoratif). Discours politique s’adressant aux classes populaires, fondé sur la critique du système et de ses représentants.

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Idée méprisable

Tout d’abord, il me semble que l’annotation « souvent péjoratif » aurait pu figurer aussi pour le populisme littéraire. Quelle idée méprisable et vulgaire en effet que de s’intéresser aux gens du peuple et prétendre faire de la littérature avec la sueur du labeur qui pue, du chou bouilli de la soupe qui en rajoute en remugle, le gros rouge et l’haleine tue-mouche ! Quelle horreur, ma chère. La littérature, aujourd’hui, celle qui vaut d’être encensée, porte sur la libido germanopratine multi facettes, sur les angoissants questionnements existentiels consistant à démêler si ce qui est le plus traumatisant est d’avoir été sodomisé à dix ans par papa ou tonton ou ne pas l’avoir été, ou encore si avoir un truc qui pend entre les jambes est davantage débilitant que de ne pas l’avoir.

Pas nouveau !

J’en étais là de mes cogitations lorsque je me suis penché sur la définition 2, celle du populisme politique : discours fondé sur la critique du système et de ses représentants. Alors là, mon sang n’a fait qu’un tour, le vertige m’a saisi. Je suis au bord de l’apoplexie. À l’instant, je réalise que, depuis très longtemps, depuis toujours en fait, je vis entouré, cerné de populistes. Je lève les yeux de mon écran, je porte le regard autour de moi. Ils sont là, bien rangés, telle une armée m’assiégeant, et tous plus populistes les uns que les autres, tous plus ardents critiques du système et de ses représentants, les Karl Marx, les Voltaire, les Rousseau, les Beaumarchais, les Molière, les Coluche, les Audiard, les Céline, les Orwell, les Erasme, les Chamfort, les Hannah Arendt, les Simone Weil, les Mary Wollstonecraft (mère et fille), les Nietzsche… les… les… Il y en a tant ! Elle est là, sous mes yeux, la belle engeance populiste, l’honneur du genre humain. Esprits sublimes, ceux-là s’adressent à tous. Du moins l’ambitionnent-ils. À tous, y compris, et peut-être même d’abord, aux classes populaires, ce qui serait pourtant l’autre élément constitutif du crime « populiste » si l’on se réfère à la définition même du dictionnaire…

Le champ des possibles

Les Amis du Champ-de-Mars veulent nous faire encore aimer Paris. Leur ouvrage richement illustré démontre que les abords de la tour Eiffel sont avant tout un exceptionnel conservatoire architectural et artistique, de l’Art nouveau à l’Art déco. Ce musée à ciel ouvert surnage actuellement dans le chaos Hidalgo, mais c’est une autre histoire…


Anne Hidalgo a raison : les Parisiens ont une sacrée capacité de « résilience ». Malgré sa politique de saccage systématique, nous voulons continuer de voir les beautés de notre capitale, de nous émerveiller des trésors qu’elle recèle. Cela permet, notamment, de nous préserver des dingueries imposées par cette municipalité. Et c’est ce qui motive Les Amis du Champs-de-Mars à publier un beau livre sur ce quartier connu dans le monde entier, mais trop peu observé.


Dans cet ouvrage, l’association fait volontairement l’impasse sur les conséquences de l’incurie de la Mairie : la désolation des abords de la tour Eiffel, l’épuisement du site par trop de manifestations et trop de touristes, ses pelouses ravagées ; il n’est nullement question des vendeurs à la sauvette, des pickpockets, des joueurs clandestins, du terrorisme, des vols, des viols et autres joyeusetés désormais associées au cœur battant de la Ville lumière.

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Non, ces amis du beau nous proposent, dans un geste de résistance intelligente, d’ouvrir les yeux sur ce quadrilatère, son histoire, ses jardins, les immeubles et les hôtels particuliers qui voisinent avec la Dame de fer. À travers des centaines de documents (plans, gravures, tableaux) et un véritable inventaire photographique (photos anciennes et contemporaines), on réalise l’incroyable conservatoire architectural que représente le Champ-de-Mars. Un musée de l’Art nouveau et de l’Art déco à ciel ouvert, un lieu d’innovations et d’expérimentations artistiques qui ne demandent qu’à être admirées.

Ferveur révolutionnaire

Cette vaste étendue à l’ouest de Paris a été préservée de la folie immobilière grâce à la construction de l’École militaire, commandée par Louis XV à Ange-Jacques Gabriel, en 1751. L’immense dégagement laissé entre le bâtiment et la Seine sert de champ d’entraînement pour les soldats et leurs chevaux – de là son appellation de Champ-de-Mars, le dieu de la guerre.

Et c’est parce que le terrain est toujours dégagé durant la Révolution qu’on décide d’y édifier le gigantesque cirque à l’antique pour la Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790. Plus de cent mille personnes prennent place autour de la famille royale, le pays croit alors en la pérennité d’une monarchie constitutionnelle. Lors de cette cérémonie, d’un kitsch dont les révolutionnaires avaient le secret, une messe est célébrée sur l’autel de la Patrie par Talleyrand (qui est aussi évêque d’Autun) ; et c’est en allant officier qu’il lance à La Fayette son célèbre : « Surtout, ne me faites pas rire. »

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Un an plus tard, le 17 juillet 1791, c’est devant ce même autel que des dizaines de Parisiens venus signer une pétition lancée par les cordeliers pour réclamer la destitution du roi sont fusillés par la garde nationale. C’est Jean Sylvain Bailly, le maire de Paris, qui a donné l’ordre de tirer. Il reviendra sur les lieux, le 12 novembre 1793, pour y être guillotiné.

À partir de cette époque, le Champ-de-Mars demeure sans affectation particulière, et son étendue continue d’accueillir fêtes et célébrations diverses sous l’Empire et la Restauration.

Ferveur universelle

Avec le Second Empire naît la grande époque des expositions universelles. Notre ami Pierre Lamalattie, membre des Amis du Champ-de-Mars, précise que, si celle de 1855 se tient sur les Champs-Élysées, les quatre suivantes ont le Champ-de-Mars pour site principal. En 1867, une grande halle ovoïde occupe quasiment toute sa superficie, et ne laisse qu’une bande d’arbres côté Seine (ce sont ces arbres, préservés ensuite par Gustave Eiffel, qu’Anne Hidalgo souhaitait faire abattre pour installer des bagageries en vue des JO !). La IIIe République reprend dignement le flambeau pour faire de Paris le phare de l’Europe sur le monde. L’expo de 1878 marque les esprits, mais ce n’est rien face à celle de 1889 dominée par la tour Eiffel et celle de 1900 qui épate la planète entière.

© AAM Editions.

Le démontage de la tour écarté, le destin de cette grande dame est intimement lié au Champ-de-Mars, et pour toujours – même si elle subit quelques changements esthétiques[1] ; c’est elle qui structure les perspectives et rythme les aménagements à venir, notamment le nouveau jardin dessiné en 1900 par l’architecte paysagiste Jules Vacherot. C’est en effet à cette époque qu’il est décidé de ne plus laisser ce vaste terrain en friche entre deux expositions universelles, mais de le lotir pour en faire un quartier d’habitation à part entière, distribué autour d’un jardin ouvert sur la ville.

Ferveur artistique

Entre 1900 et 1930, aux abords de ce jardin de 25 hectares, c’est la grande effervescence, dépeinte par Maurice Culot et Charlotte Mus dans leur introduction : « L’architecture et l’art ornemental sont ici à leur zénith. Les volutes, les consoles, les chutes de fleurs, les bestiaires en pierre de taille, les ferronneries des balcons, la serrurerie des portes et fenêtres, les décors de l’Art Nouveau et les lignes brisées de l’Art Déco tourbillonnent et fusionnent dans un idéal plastique partagé. Architectes, décorateurs, sculpteurs, artisans d’art, maîtres d’ouvrage se mesurent et se surpassent. Les étages d’attiques sont l’occasion d’autant de joutes artistiques d’où se dégage une poétique des toits qui à elle seule justifie un classement au patrimoine mondial. »

© AAM Editions.

Lucien Guitry commande à Charles Mewès, l’architecte du Ritz, son hôtel particulier dans un pur style XVIIIe, Sacha y habitera ensuite toute sa vie avec ses collections de tableaux et d’œuvres d’art (en 1963 la maison est rasée pour édifier une verrue en béton armé).

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De l’autre côté des pelouses, Paul Morand habite un hôtel fastueux décoré par l’architecte du roi d’Angleterre. De son côté, le mannequin Baba (la princesse de Faucigny-Lucinge) donne des bals et des soirées à thèmes qui font bruisser le Tout-Paris. Les artistes ne vivent pas qu’à Montmartre.

Cette ville n’a pas besoin d’être « embellie » et « réenchantée », tout est là, sous nos yeux. Mais il faut avoir le courage de l’humilité (incompatible avec la politique) de savoir simplement accepter et préserver ce précieux héritage afin de le transmettre, intact, à notre tour.

À lire

Maurice Culot et Charlotte Mus (dir.), Le Champ-de-Mars : 1900-1930, Art nouveau, Art déco, AAM Éditions, 2023.


[1] Lire aussi « La tour Eiffel rit jaune », Pierre Lamalattie, Causeur n° 100, avril 2022.

Julien Scavini, arbitre des élégances


Il y a bientôt dix ans, je félicitais un jeune tailleur parisien, Julien Scavini, de publier d’intelligentes réflexions sur l’élégance masculine sous la forme d’un album illustré avec goût, intitulé Modemen, avec un clin d’œil aux amateurs de cette fameuse série US qui a tant fait pour remettre à l’honneur une esthétique classique.

De l’architecture aux belles étoffes

Lorsque je lui rendis visite dans sa ravissante boutique située à quelques encablures des Invalides, Scavini m’expliqua que, au départ, il avait une formation d’architecte et qu’il avait appris le métier de tailleur par la suite. Pourquoi avoir abandonné l’architecture ? La crise, et surtout une formation par trop cérébrale négligeant le goût et le bon sens au profit d’un radotage postmoderne (Bourdieu, Derrida & tutti quanti). Surtout : la passion du beau ; le goût des étoffes ; la volonté d’illustrer et de défendre une élégance intemporelle. Car Scavini tenait déjà clairement et sans faiblir pour l’élégance anglaise, dans la lignée de l’illustre James Darwen, l’auteur d’un livre talisman, hélas épuisé, que tout gentilhomme a posé sur sa table de chevet, Le Chic anglais.

La boue du nivellement

Julien Scavini récidive avec un autre splendide album, Billets d’élégance, dont toutes les illustrations sont de la main de l’auteur, dans un style que je rapprocherais de la ligne claire, celle d’Edgar-Pierre Jacobs. Pas une seule photographie donc, mais des dessins soignés… En près de deux cents chroniques, courtes, allant à l’essentiel avec un sens certain de la formule et un vocabulaire d’une précision maniaque (ô combien bienvenue en ces temps de confusion systématique), notre esthète, qui se révèle aussi discret moraliste, propose des réflexions un tantinet désabusées mais non dépourvues d’un humour très british, non pas sur la mode, qui n’intéresse que les conformistes, mais sur le style, par définition intemporel. C’est précisément ce que j’adore chez Scavini, cette indépendance d’esprit, ce conservatisme de bon aloi, sans rien de borné. Son courage aussi, car il rompt quelques lances contre la tendance universelle à l’avachissement. Ainsi, sa défense argumentée du costume me ravit : « Texture de l’étoffe, qualité de la coupe, accord avec une cravate, illusion de la pochette. Ainsi l’on s’amuse et l’on s’invite en société à l’étage que l’on veut ». Chaque matin, choisir un costume, une chemise, une cravate, la pochette et les souliers, relève d’un exercice de connaissance de soi et d’une forme supérieure de politesse. Avec lucidité, Scavini voit dans la disparition progressive du costume « un abandon du sens et de la profondeur », « un mouvement mondial d’abaissement du sens ». Superflus, le costume, la cravate, la pochette ? Ils sont le piment de l’existence, et l’aboutissement d’une recherche esthétique séculaire. Porter, contre vents et marées, une cravate, un nœud papillon ou un foulard, c’est résister à la boue du nivellement.

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Comme lui, je place très haut la simplissime cravate en tricot, celle qu’affectionnaient Lino Ventura ou Jean d’Ormesson. Et son éloge du fer à repasser ! L’ultime luxe aujourd’hui, quand on sort : repérer les rares chemises repassées (ne parlons pas des chaussures cirées et brillantes comme des miroirs…).

Moraliste, Scavini sait que l’élégance, qui ne dépend pas des moyens (via le commerce de seconde main, les soldes & les puces) est une haute forme de culture et le fruit d’un apprentissage – une construction de soi. Citons-le une dernière fois pour la route : « rendre les choses belles et distinguées est l’un des chemins du bonheur ».

Julien Scavini, Billets d’élégance, Alterpublishing, 212 pages.

Un ennemi en commun

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Devant le Crocus City Hall, banlieue de Moscou, 22 mars 2024 © Sergey Bobylev/SPUTNIK/SIPA

Au lendemain de l’attentat sanglant survenu à Moscou, le plan Vigipirate est rehaussé au niveau « urgence attentat » sur l’ensemble du territoire national en France. Le vrai danger n’est pas Poutine, mais l’islamisme, rappelle Ivan Rioufol.


Une guerre de l’Occident contre la Russie serait absurde. Tous deux partagent le même ennemi existentiel : l’islam du sabre et son suprémacisme. Si la France a rehaussé dimanche soir le plan Vigipirate à son maximum (« Urgence attentat »), c’est pour tenter de se protéger à son tour d’une possible offensive terroriste de l’Etat islamique, dont la branche afghane a revendiqué, via son agence de presse Amaq, l’attentat vendredi soir contre le Crocus City Hall, près de Moscou (137 morts).

Faiblesse russe

L’attaque contre la Russie a été justifiée par l’État islamique du Khorasan au nom de sa lutte mondiale contre les infidèles et les apostats. Les tueurs du Bataclan (13 novembre 2015) ne raisonnaient pas autrement. Pour l’idéologie coranique, la Russie comme l’Europe, les États-Unis ou Israël font partie de la même civilisation judéo-chrétienne promise à la soumission du dhimmi ou à la disparition physique. Or c’est un front désuni qui s’offre à l’ennemi commun. Emmanuel Macron et Vladimir Poutine partagent une même lâcheté face à l’islamisme. Le président français évite de le nommer quand il aborde le terrorisme. Le président russe a été plus loin encore dans le déni, en ne retenant pas la claire revendication de Daesh pour ne voir qu’une implication ukrainienne que rien ne démontre à ce stade. Cet évitement dit la peur de Poutine face à la radicalisation qui s’observe parmi les musulmans du Nord-Caucase, qui représentent environ 20% de la population (soit environ 30 millions). Là est la vraie faiblesse russe.

Bêtises communes

En désignant ses ennemis comme faisant partie d’un même bloc, l’islamisme démontre l’incohérence de la guerre fratricide entre deux peuples salves (Ukraine-Russie) et, plus encore, la bêtise des matamores occidentaux contre Poutine. Si Macron veut mener une guerre utile, ce n’est pas contre le despote russe qu’il faut la décréter, mais contre l’islamisme qui est devenu un ennemi intérieur. Les deux assassins des professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard venaient pour l’un de Tchétchénie et pour l’autre d’Ingouchie. L’Union européenne est plus généralement une cible.

Quant à Poutine, qui s’est auto-promu l’opposant numéro un de l’Occident décadent au nom du Sud global humilié, il est ramené à ses racines civilisationnelles par une partie du monde musulman sunnite, guère impressionné apparemment par ses alliances sulfureuses avec l’Iran chiite. Sa détestation de l’Ukraine de Volodymyr Zelensky lui fait négliger le djihad qui vient de ridiculiser ses services de renseignement et sa police. Dans un entretien mis en ligne le 23 mars par le magazine Omerta, l’ancien Premier ministre François Fillon le rappelle : « Dans la hiérarchie des menaces auxquelles sont confrontés les Occidentaux – et au premier rang d’entre eux les Européens- le totalitarisme islamique arrive en tête, loin devant la question russe (…) ». Un vieil adage dit : « Les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». A quand un front uni contre l’islam conquérant et colonisateur ?

Insécurité: en France, un désordre XXL

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Marseille, 19 mars 2024, en marge d'un déplacement d'Emmanuel Macron consacré à la lutte contre le trafic de drogue © LOUAI BARAKAT/SIPA

Comme « seuls sont perdus d’avance les combats qu’on ne livre pas », le gouvernement entreprend des « Opérations XXL » en France pour lutter contre le trafic de drogue et les nouvelles menaces sécuritaires traumatisant des villes entières. Ce n’est pas suffisant. Quels sont les autres dispositifs envisageables, pour endiguer cette violence endémique ? Grande analyse.


Depuis quelques années, et notamment celles sous Emmanuel Macron, les problèmes d’ordre public se multiplient. Les derniers chiffres sur l’insécurité sont imparables en ce sens.  Sur la base des derniers chiffres fournis par le ministère de l’Intérieur, la situation est grave et en voie de désespérance. En 2023, les coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus augmentent fortement dans le cadre familial (+ 9 %) poursuivant la hausse observée depuis 2017, et plus modérément hors cadre familial (+ 4%). Au total, l’ensemble de ces violences enregistrées progresse nettement (+7 %), en ralentissant toutefois par rapport aux deux années précédentes. Les violences sexuelles augmentent également sur un an (+8 %), plus modérément toutefois que les années précédentes. Les homicides poursuivent leur progression (+5 %), de manière plus modérée que les tentatives d’homicide (+13 %). En 2023, les escroqueries continuent d’augmenter (+7 %). Les vols avec armes montent légèrement (+2). Seuls points positifs : les vols contre les personnes sont globalement en baisse sur un an (-8 % pour les vols violents sans arme et -3 % pour les vols sans violence contre les personnes). Le nombre de destructions et dégradations volontaires s’accroît (+3 %) en lien avec l’explosion de ce type d’infractions lors des violences urbaines de fin juin-début juillet 2023 (+140 % sur une semaine par rapport à la même période en 2022). Les victimes d’atteintes aux personnes sont en moyenne plus jeunes que celles d’atteintes aux biens. Les mis en cause sont, quant à eux, plus jeunes en moyenne que la population française, et plus souvent de nationalités étrangères. Les mis en cause étrangers restent toutefois minoritaires (17 % des mis en cause en 2023). Les deux premiers mois de 2024 montrent que ce dernier chiffre est déjà à 20%[1].  Il est donc incontestable que, au moins dans un certain nombre de villes françaises, le désordre public s’installe.

Seulement 31% des affaires traitées par les Parquets susceptibles de connaitre une réponse pénale !

Ces chiffres sont ceux données par la police et la gendarmerie sur la base d’affaires constatées et/ou élucidées. Comme on le sait les délinquants et les criminels sont ensuite livrés à la justice. On sait que la réponse pénale est parfois inexistante voire surprenante. Ainsi en 2021, 4 millions d’affaires pénales ont été traitées par les parquets. Un peu moins de sept sur dix ont été considérées comme non poursuivables, soit que l’affaire n’ait pas été enregistrée (31 %), soit que l’auteur n’ait pas été identifié (23 %), soit pour un motif juridique, une absence d’infraction ou des charges insuffisantes (15 %). Cela fait que 31 % des affaires traitées par les parquets sont donc « poursuivables » et susceptibles de recevoir une réponse pénale. Cette proportion est globalement stable depuis l’an 2000. Cela fait quand même 70 % qui ne le sont pas… Cela entretient aussi le désordre.

En 2021, les tribunaux correctionnels ont prononcé 371 000 jugements portant culpabilité ou relaxe et 90 600 comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité, en hausse, respectivement de 26 % et 48 % par rapport à 2020. Ainsi, toutes décisions pénales confondues, le nombre de décisions rendues par les tribunaux correctionnels (663 400) est en hausse (+ 22 %) par rapport à 2020. Le volume de décisions pénales retrouve son niveau d’avant la crise sanitaire : il augmente de 1,2 % par rapport à 2019. Les 370 800 jugements ont concerné 437 000 personnes. Si l’on ramène aux quelques 4 millions d’affaires traitées par les parquets ab initio cela fait bien peu[2]« Le problème de la police c’est la justice » disait un syndicaliste. Force est de constater qu’une grande majorité de policiers de terrain (et nous en connaissons beaucoup) abondent dans ce sens. En on sait en plus qu’il est des décisions de justice qui, par leur laxisme, entretiennent le désordre public.

Pourquoi la justice est-elle si lente ?

Ce qui ne va pas dans le sens de la paix sociale ni dans celui de la préservation de l’ordre public, c’est que les délais de procédure sont particulièrement longs en France (parmi les plus longs de l’UE). Là encore les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2021, le délai moyen des procédures correctionnelles était de 9,5 mois, celui des classements sans suite de 10,2 mois ; en matière criminelle et en première instance, le délai moyen entre le début de l’instruction et le prononcé de la condamnation était de 49,4 mois[3].  Sans parler du civil où c’est encore plus long, il ne faut pas s’étonner que la France soit régulièrement condamnée pour non-respect du « délai raisonnable » par la Cour européenne des droits de l’Homme. Ces temps anormalement longs dans les délais de justice sont dus à de multiples facteurs : un large accès à la justice, une procédure pénale très pointilleuse, des procureurs hyper chargés au pénal, un effort « limité » au regard de la richesse nationale, une démographie modeste des professions de justice. Dans ce dernier cas il existe pourtant des recrutements de magistrats par des voies parallèles (magistrats à titre temporaire, intégration directe par exemple). Mais le milieu des magistrats est très endogame et on ne peut plus corporatiste. On peut parler d’ENMarchie ! En tant qu’ancien juge de proximité, nous savons de quoi nous parlons !…. Et là encore ces retards à dire le droit participent très directement du désordre public.

Parmi les délinquants qui fomentent les mauvais coups sur notre territoire, une immense majorité est, comme l’on dit, « connue des services judiciaires ». Souvent avec des casiers noircis sur plusieurs pages. Et en état de récidive le plus souvent. Et quid du taux de remplissage des prisons ? Au 1er décembre, le nombre de détenus a atteint un nouveau record absolu, avec 75 677 personnes incarcérées. Avec seulement 61 359 places opérationnelles début décembre, la densité carcérale globale s’établit désormais à 123,3 %. Près de 2500 prisonniers dorment sur des matelas à même le sol[4]… Et même si des efforts notables ont été faits depuis quelques années, les prisons françaises restent parmi les plus inconfortables de l’UE. Et on ne parle pas des cages de garde-à-vue qui sont, dans la plupart des commissariats, de véritables cloaques.

Ma cité va craquer

On sait que la situation dans les quartiers sensibles de France est de plus en plus tendue. Même grave disons-le. Ce qui s’est passé à Aubervilliers la semaine passée est révélateur. C’est toujours le même scénario. La police a poursuivi un scooter avec deux jeunes hommes à son bord, après un refus de contrôle. Ce deux-roues a été heurté quelques instants plus tard par un véhicule d’une brigade anticriminalité (BAC) appelé en renfort, venant en sens inverse et qui, en voulant éviter une collision avec un autre véhicule, entre en collision avec le scooter. Bilan toujours regrettable pour la famille et les proches : mort du conducteur âgé de 18 ans et passager blessé. Bien évidemment les jeunes n’ont rien fait. Ce sont des angelots totalement inconnus des services judiciaires, qui circulaient là par hasard et qui, bien entendu, sont victimes de la police fasciste. Il s’en suit une mini émeute le lendemain soir avec l’attaque du commissariat de La Courneuve au mortier. On remarquera que de suite des élus LFI ont pris, comme d’habitude, fait et cause contre la police et donc pour les délinquants. Comme ils le font, leur grand chef sioux Jean-Luc en tête, contre Israël et donc pour les terroristes du Hamas… S’il est une engeance politique qui participe sciemment de l’insécurité publique, c’est LFI.

Le commissariat de police de la Courneuve (93), au lendemain de l’attaque par 50 délinquants, 18 mars 2024 © Clotilde GOURLET / AFP

L’été dernier nous avons eu les émeutes que l’on sait et qui ont coûté au contribuable la modique somme de 750 millions d’euros. Car c’est toujours le contribuable qui paye. Et dans les banlieues où se sont déroulées ces émeutes, ce même contribuable est victime d’une double peine avec les impôts locaux qui vont augmenter pour réparer ce qui a été saccagé par ces hordes de sauvages en tous genres. Sans compter les primes d’assurance. Dans le même temps à Nîmes, Avignon, Dijon, Rennes ou Marseille les bandes de dealers se tirent dessus au su et au vu de tout le monde. Lorsqu’ils ne se tuent pas entre eux, depuis quelques années ces nouveaux barbares tuent des innocents. Là c’est encore plus grave. Il va bien falloir, un jour ou l’autre, en finir avec cette insécurité publique normalisée. Il va bien falloir reconquérir ces Territoires perdus de la République. Faire en sorte que les zones de non-droit disparaissent une bonne fois pour toute. Car n’en déplaise aux débatteurs en tous genres des plateaux télé et studios de radio, ces zones existent dans certaines banlieues françaises. Il n’est qu’à interroger ceux qui y vivent. Elles ne redeviennent lieu de droit que lorsque les forces de l’ordre les réinvestissent temporairement pour quelques « opérations XXL » (expression si incongrue). Dès que lesdites forces partent, le désordre revient. Un état d’urgence sur plusieurs mois pourrait changer la donne.

2005 : Chirac ne prend pas la mesure de la gravité des évènements

Alors Mesdames et Messieurs qui présidez et gouvernez, vous avez des moyens dans la Constitution et dans la loi pour mettre un coup d’arrêt à cet état de criminalité et de délinquance organisé. Certes il faut un peu de courage. Et c’est là que depuis 2005 le bât blesse. Comme le dit magnifiquement Alain “il est difficile d’être courageux sans se faire méchant !” 2005, pourquoi ? C’est la dernière grande crise des banlieues qui a eu lieu en France. Rappelons que les émeutes de 2005 ont commencé à Clichy-sous-Bois à la suite de la mort de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, le 27 octobre 2005, électrocutés dans l’enceinte d’un poste électrique alors qu’ils cherchent à échapper à un contrôle de police.  A-t-on idée de se réfugier ainsi dans un lieu hautement dangereux (signalétique en place) lorsque l’on n’a rien fait ? A fortiori si on n’a rien à se reprocher. Là encore on a parlé de la crainte du policier fasciste (et raciste cela va de soi).  Trois jours plus tard, une grenade lacrymogène est lancée à l’entrée de la mosquée Bilal par des forces de l’ordre victimes de tirs de projectiles. Visiblement ladite mosquée servait de base arrière à des délinquants. Pour une religion pacifique c’est fâcheux. Le 30 octobre, les émeutes se propagent de Clichy-sous-Bois et Montfermeil à l’ensemble de la Seine-Saint-Denis, puis deux jours plus tard à un certain nombre de communes partout en France.

C’est là que le président Chirac va décréter en Conseil des ministres, le 8 Novembre, l’état d’urgence qui sera prolongé pour une durée de trois mois.  Rappelons ce qu’est l’état d’urgence. Il a été institué par la loi du 3 avril 1955 et modifié plusieurs fois, en particulier par l’ordonnance du 15 avril 1960 et la loi du 20 novembre 2015. Décidé par décret en Conseil des ministres, il peut être déclaré sur tout ou partie du territoire soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas de calamité publique (catastrophe naturelle d’une ampleur exceptionnelle). D’une durée initiale de 12 jours, l’état d’urgence peut être prolongé par le vote d’une loi votée par le Parlement. Ce régime d’exception permet de renforcer les pouvoirs des autorités civiles et de restreindre certaines libertés publiques ou individuelles. Il autorise le ministre de l’Intérieur et les préfets à décider :

  • l’interdiction des manifestations, cortèges, défilés et rassemblements de personnes sur la voie publique ;
  • la mise en place de périmètres de protection pour assurer la sécurité d’un lieu ou d’un évènement ;
  • l’interdiction de certaines réunions publiques ou la fermeture de lieux publics et de lieux de culte ;
  • des perquisitions administratives ;
  • des réquisitions de personnes ou moyens privés ;
  • le blocage de sites internet prônant des actes terroristes ou en faisant l’apologie ;
  • des interdictions de séjour ;
  • des assignations à résidence.

Qu’attend donc Emmanuel Macron pour recourir à cet état d’urgence ? Plus de morts ? Plus de saccages ? Cela étant dit il n’a même pas eu le courage de le faire pour les émeutes de l’été 2023 alors que la situation s’y prêtait encore mieux. Il a choisi le pourrissement, comme à l’accoutumée. En même temps l’ordre et le désordre finalement. Il fut bien plus prompt à déclarer l’état d’urgence sanitaire lors du Covid en nous confinant et restreignant nos libertés comme aucun autre pays européen ne l’a fait. Et en sacrifiant des milliers de jeunes, lycéens ou étudiants, qui depuis sont dans un état psychique très inquiétant. De nombreux rapports de psychiatres (et même de l’IGAS) relèvent cela chez la génération des 18-25 ans.

La France se transforme en narco-Etat

Pour nous il n’y a aucun doute que les trafics et tueries qui se produisent dans certaines villes françaises vont se multiplier. Des émeutes couvent. Les hors-la-loi font leur loi et les honnêtes citoyens la subissent. C’est un des principaux acquis de la présidence Macron en matière de sécurité.  Il est grand temps de mettre en place, avant l’état d’urgence, des couvre-feux. Et ne pas craindre d’enrôler l’armée pour qu’ils soient plus efficaces. Et puisque l’on parle d’armée, n’oublions pas que dans la Constitution figure aussi l’état de siège. Prévu par l’article 36 de la Constitution, l’état de siège restreint aussi les libertés publiques. Décrété en Conseil des ministres, il est mis en place en cas de péril imminent, pour faire face à un conflit (troubles intérieurs graves, par exemple). Prévu pour une durée de 12 jours, il peut être prolongé par une loi. Mais, contrairement à l’état d’urgence, les pouvoirs de police sont exercés par les autorités militaires aux compétences accrues. Des juridictions militaires peuvent alors juger les crimes et délits contre la sûreté de l’État ou portant atteinte à la défense nationale, qu’ils soient perpétrés par des militaires ou des civils. L’état de siège c’est un cran au-dessus de l’état d’urgence. Là encore, la tournure que prennent les actes criminels et délinquants dans certains quartiers de France, pose question à ce sujet. La crise de l’été 2023 pouvait justifier aussi cette réglementation.

Il est clair que si l’on prend par exemple certains quartiers de Marseille, c’est bien à un véritable siège auquel se livrent les dealers. Un siège pour s’approprier, pour croître encore et toujours, pour défier aussi l’ordre établi.  Le seul fil conducteur de ces racailles est l’argent et la violence. C’est une guerre des gangs qui se battent pour le commerce de la drogue avec parfois la « complicité » de certains services judiciaires comme l’a laissé entendre récemment le procureur de la République du Tribunal Judiciaire de Marseille, M. Bessonne (audition devant une commission sénatoriale sur le narcotrafic). Ce dernier a même dit qu’en matière de narcotrafic le combat était perdu ! Incroyable pour un Procureur ! Inadmissible même. Si on se donne les moyens d’assiéger ces quartiers en recourant notamment à l’état de siège ou d’urgence, on peut y arriver. « Seuls sont perdus d’avance les combats qu’on ne livre pas » disait le général de Gaulle. On ne peut tolérer dans une démocratie telle que la nôtre que la loi du plus fort l’emporte sur le droit à la sécurité et la liberté d’aller et venir. Or dans certains quartiers de nos villes c’est le cas.

Emeutiers à Marseille, 30 juin 2023 © SENER YILMAZ ASLAN/SIPA

Nous allons nous faire bénir par certains lecteurs qui vont se dire pour un prof de droit, il y va fort ! Peu importe. En matière d’ordre public il est un exemple qui nous interpelle depuis quelques temps, c’est celui du président du Salvador. Nayib Bukele a revendiqué en février dernier une victoire écrasante (85 % des voix) lors de l’élection présidentielle au Salvador à laquelle il se représentait. Même s’il a procédé depuis 2019 à une reprise en mains des principaux pouvoirs, les quelques six millions de salvadoriens lui vouent un véritable culte. Raison principale ? Il mène depuis sa première élection une guerre sans merci aux gangs qui gangrenaient le pays avant lui. Le Salvador était parmi les pays d’Amérique du Sud les plus corrompus et les plus criminogènes. Depuis la déclaration de l’état d’urgence en 2022, plus aucune des 14 villes qui se trouvaient avant sous l’autorité directe de ces organisations criminelles ne l’est plus aujourd’hui. Ainsi de 70 000 à 100 000 personnes ont été placées derrière les barreaux (1,6 à 2,3% de la population, soit le plus fort taux d’incarcération au monde). Certes les conditions d’incarcération ne sont pas des plus confortables et certaines organisations droitdelhommistes s’indignent. Toujours est-il que grâce à cette politique, le Salvador n’a recensé que 154 homicides en 2023, contre 6600 en 2015 (le taux d’homicide s’est écroulé de 106,3 pour 100.000 habitants en 2015 à 2,4 en 2023). Se présentant comme « un dictateur cool », N. Bukele a pris d’autres décisions fortes. Ainsi il a augmenté de 20% le salaire minimum moyen, instauré le bitcoin en monnaie nationale (aux côtés du dollar américain), subventionné l’essence ou encore distribué 300 dollars et des paniers alimentaires aux habitants dans le besoin pendant la crise du Covid-19, mis en place une politique d’aide pour les plus démunis.  Des mesures qui en appellent sans doute bien d’autres dans les quatre années à venir. Et les habitants des favelas salvadoriennes revivent, débarrassées qu’elles sont des gangs. Il est tant de gens qui vivent dans la peur dans certaines banlieues de France et de Navarre. Il est des quartiers de France où l’on s’approche de plus en plus de de ce qui se passait au Salvador avant Bukele. Délinquants et criminels font leur loi, tiennent et entretiennent même certains quartiers défavorisés. En particulier dans la cité phocéenne.  Il faut lire l’ouvrage de Philippe Pujol, La Fabrique du monstre : 10 ans d’immersion dans les quartiers nord de Marseille, l’une des zones les plus inégalitaires de France (Points, 2017).  La simple présentation faite par Le Point est éloquente et se passe de commentaire : « Une admirable et terrible descente dans le dernier cercle de l’enfer. » Dans les quartiers pauvres de Marseille, on devient délinquant par vocation ou par ennui. Du shit mal coupé qui fait de l’argent facile autant qu’il rend fou aux règlements de comptes à la kalachnikov, Philippe Pujol raconte cette jeunesse perdue et sa misère. Et pendant que ces enfants dressés en bêtes sauvages s’entre-dévorent, élus corrompus et marchands de sommeil se repaissent de ce charnier. Pour information Philippe Pujol a reçu le prix Albert-Londres en 2014 pour sa série d’articles « Quartiers Shit », matière première de La Fabrique du monstre. Rien que la couverture de son ouvrage est révélatrice. On se croirait dans un bidonville. “L’ordre, et l’ordre seul, fait en définitive la liberté. Le désordre fait la servitude.” (C. Péguy).


[1] www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques-de-presse/insecurite-et-delinquance-en-2023-premiere-photographie

[2] www.justice.gouv.fr, rapport chiffré 2023

[3] www.vie-publique.fr/fiches/38062-la-justice-est-elle-trop-lente, mai 2023

[4] www.lejdd.fr, 29/12/2023

CETA: il va encore y avoir du sport!

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L'Allemande Ursula von der Leyen et la Française Valérie Hayer, Strasbourg, 12 mars 2024 © Jean- Francois Badias/AP/SIPA

L’accord de libre-échange, dit CETA, entre l’Union européenne et le Canada, a été rejeté par le Sénat. Mais il « pourrait » s’appliquer même si l’Assemblée nationale le rejette, assure Valérie Hayer, sur France info. Explications.


En pleine élection européenne, voilà une claque pour le gouvernement français. L’accord de libre-échange, dit CETA, entre l’Union Européenne et le Canada, a été rejeté jeudi 21 mars par le Sénat.

Mais, même si la France rejetait finalement le traité, cela ne changerait rien à son application provisoire en réalité. L’Union européenne a en effet inventé un nouveau type de gouvernance qui s’assied sur la souveraineté du peuple et les principes démocratiques avec la complicité des pouvoirs en place. Des accords non ratifiés sont ainsi appliqués et même en cas de rejet par un État, des dispositifs existent pour contourner le problème. Le CETA illustre parfaitement cette dérive.

Le CETA, négocié entre l’Europe et le Canada, supprime les droits de douane sur 98% des produits échangés entre les deux marchés. Mais voilà, en Europe, dix pays rechignent à le signer dont l’Italie, la Bulgarie, la France, la Grèce, la Pologne…

On pourrait donc penser que l’accord ne peut s’appliquer, faute d’avoir été accepté par les parlements des pays concernés. Or ce n’est pas du tout le cas. Dans les faits, le CETA s’applique déjà. 90% des dispositions du texte ont été mises en place et fonctionnent. A titre provisoire. Et bien sûr les premiers démantèlements tarifaires ont concerné les droits de douane.

Vice démocratique

Cette manière de faire, pour être efficace, n’en est pas moins malsaine. En effet cet accord fonctionne depuis 2017 et le moins que l’on puisse dire est que sa non-ratification pèse sur sa légitimité. L’Union Européenne presse donc les États de valider l’accord en bonne et due forme le plus rapidement possible. Le vice démocratique de la situation n’échappe à personne, puisque, littéralement, en absence d’accord un accord est malgré tout appliqué et que ce choix a des implications très concrètes sur les pays et leurs filiales de production. Le déni de souveraineté et de démocratie se manifeste ici en plein jour.

A lire aussi: La fin de l’Europe écolo-woke ?

On pourrait penser que l’inscription à l’ordre du jour du Sénat, de cette loi que l’Assemblée nationale a adoptée de justesse en 2019, est liée à la volonté du gouvernement de régulariser une situation problématique. Eh bien non ! Celui-ci n’a pas de majorité au Sénat et souhaitait éviter que ce type de vote montre à quel point le Roi est nu. C’était sans compter sur le groupe de sénateurs communiste qui l’a inscrit à l’ordre du jour sur sa niche parlementaire, avec la complicité de la droite ! Justement pour qu’il soit rejeté à la faveur d’un vote droite-gauche. Ce qui n’a pas manqué de se produire. Le but était de mettre le président Macron face à son impuissance, de lui rappeler qu’il n’a pas de majorité et que sa tentative d’enchaîner les séquences de commémorations, d’hommages, les selfies et les postures de matamore/chefs de guerre ne trompait personne. La Chambre haute est décidée à user de son pouvoir et le fait avec un certain sens de l’à-propos. C’est également une opportunité pour la droite, majoritaire au Sénat, de rappeler au gouvernement et aux électeurs qu’elle agit et qu’elle peut encore peser, comme la loi immigration l’a déjà montré. Mais surtout : c’est une défaite symbolique aux yeux de tous en pleine élection européenne.

Le mauvais souvenir de la Loi immigration

Pour autant, le texte n’est pas encore rejeté, même s’il a du plomb dans l’aile. Il doit maintenant retourner devant les députés qui ont toujours le dernier mot dans l’adoption ou non d’une loi… Sauf que le gouvernement n’a pas de majorité et qu’à défaut d’avoir beaucoup de marge de manœuvre, il a de la mémoire. Or la dernière fois, avec la loi immigration, il s’est pris les pieds dans le tapis et n’a dû son salut qu’à la complaisance du Conseil d’État. Or ce vote-là s’annonce également délicat et peut susciter une majorité de circonstance droite/gauche comme au Sénat. Les communistes ne l’ignorent pas, qui ont annoncé profiter de leur niche parlementaire pour inscrire, ce 30 mai, le texte à l’ordre du jour de l’Assemblée. Cela promet du sport. En effet, la situation est critique. En théorie, en effet, en cas de rejet du texte par un Etat-membre, la déclaration 20 du conseil de l’Union européenne prévoit la dénonciation de l’application provisoire du CETA.

On pourrait donc penser que, si la stratégie des communistes fonctionne, le refus du parlement français de ratifier le CETA mettrait fin à l’accord. En tout cas c’est ce qui ressort de la lecture de cette fameuse déclaration 20.

Mais une fois de plus ce n’est pas le cas.
En effet, en pratique, un Etat-membre a déjà refusé l’accord. Il s’agit de… Chypre. Et pourtant l’application du traité n’a pas été annulée par l’Union européenne. Comment cela a-t-il été possible ? Eh bien, il a suffi que le gouvernement chypriote ne communique pas à la Commission de notification formelle pour que l’accord continue de s’appliquer. À Bruxelles, la réalité n’existe que si elle est notifiée dans les règles bureaucratiques adéquates… Ainsi, même si le Parlement, autrement dit les représentants du peuple, rejettent l’accord, il suffit de ne pas le notifier pour que le vote n’ait aucun effet. Les dictateurs en ont rêvé, l’UE l’a réalisé et a trouvé le moyen de nier le vote des citoyens. Le peuple est ainsi dépouillé de sa souveraineté par la magie de la procédure. Cette histoire n’est-elle pas exemplaire de ce qui creuse un fossé entre des peuples et leurs dirigeants ? Comment s’étonner, quand on observe une telle comédie, que l’Europe soit contestée et que les pays européens connaissent une crise démocratique sans précédent ?

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Guerre des droites: Jordan et Malika font un croche-pied à François-Xavier!

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Malika Sorel, ce matin sur CNews (DR). A droite, François-Xavier Bellamy à Aubervilliers, samedi 23 mars 2024 ( © ISA HARSIN/SIPA)

Malika Sorel, ancienne membre du Haut Conseil à l’intégration nommée par Nicolas Sarkozy, annonce rejoindre la liste de Jordan Bardella pour les élections européennes, afin de lutter contre la « libanisation » de la France. L’évènement invisibilise le lancement de campagne du LR François-Xavier Bellamy en Seine-Saint-Denis la veille, où s’est rendu notre journaliste. Ce matin, M. Bellamy fustige les débauchages et assure qu’il fera bien plus que 5%. Les places sur sa liste seront âprement négociées.


Il y avait presque un côté « En terre inconnue » à voir les partisans de François-Xavier Bellamy descendre station Front Populaire ce samedi, à Aubervilliers (93). Aux Docks de Paris, complexe moderne à l’esthétique pas complètement déplaisante, s’étaient réunies 3000 personnes, à deux mois et demi du scrutin européen. Bien sûr, on est loin des grands raouts du temps de la splendeur du sarkozysme, mais enfin, la droite républicaine était bien décidée à montrer ce qui lui reste de ses griffes.

Céline Imart n’a pas respecté les consignes de François Fillon

Dans les premières rangées, on retrouvait les classiques et les caciques. Nadine Morano, Brice Hortefeux, Laurent Wauquiez, Roger Karoutchi. Seule la chaise de Rachida Dati était vide, et pour cause… Le parti a cependant décidé de renouveler ses têtes d’affiche, en choisissant les numéros 2 et 3 de la liste parmi la société civile et l’armée. Numéro 2 : Céline Imart, 41 ans, a repris la ferme familiale dans le Tarn. A la tribune, elle affirme : « Je suis fière plus que jamais de n’avoir jamais voté pour Emmanuel Macron, ni en 2017, ni en 2022 ». Ah cette jeunesse : déjà un irrespect des consignes de vote du parti ! En numéro 3, puisque la politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens, le général Christophe Gomart se lance aussi dans la bataille. Pour l’Ukraine, il nous annonce la couleur : « Moins de mots, plus de munitions ». Mais les orateurs du jour ont malgré tout tiré à boulets rouges sur la récente échappée en solitaire du président Macron dans l’affaire russo-ukrainienne.

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C’est au tour de François-Xavier Bellamy. Présenté à son apparition dans le jeu politique comme un professeur de philosophie échappé de sa bibliothèque, l’ancien élève de l’ENS compte bien jouer de son décalage avec l’air du temps pour se trouver un espace. Pas question de vouloir avoir l’air moins sérieux, de parler d’autre chose que de son bilan en cinq années au parlement. Il nous assure qu’il ne s’adonnera pas au commentaire politicien, mais dézingue quand même Valérie Hayer (tête de liste « Renaissance ») et même François Hollande, épouvantail toujours efficace dans les meetings à droite. L’air de rien, il appellerait presque ses électeurs à tout casser : « J’ai tant de visages à l’esprit aujourd’hui. Ceux de cette France courage, qui ne plie pas. Qui ne la ramène pas. C’est peut-être d’ailleurs son seul, son grand tort : ne pas tout casser quand elle n’est pas d’accord ». Bellamy, bel esprit, cite Max Weber, et même Guy Debord. « Toute la vie de cette société s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation ». Un peu plus, et il ajoutait, au sujet de la photo du président-boxeur : « Le spectacle est le capital à un tel degré d’accumulation qu’il devient image ». « En vingt ans, le parti est passé de Doc Gynéco à l’Internationale Situationniste », nous glisse Marine Castro, militante LR de la première heure, capable de regarder avec amusement l’évolution de son parti. Ce qu’il a perdu en électeurs, il l’a gagné en profondeur. En tout cas avec Bellamy.

Pendant que LR tape sur la macronie…

On fait un dernier tour parmi les premiers rangs en se demandant quand même si un ou deux futurs ministres de Gabriel Attal ne se sont pas glissés parmi nous. Si le parti est coincé dans un étroit couloir entre le centre et la droite de la droite, les militants valident le choix de Bellamy de s’en prendre surtout à la macronie. « On a plus de chance de récupérer nos voix chez Macron que chez Le Pen ».

A lire aussi, Ivan Rioufol: L’irresponsable fuite en avant de la macronie aux abois

La campagne de Bellamy semblait donc lancée, et puis, patatras ; en annonçant le ralliement de Malika Sorel, jadis membre du Haut Conseil à l’Intégration nommée en 2009 par Nicolas Sarkozy, le Rassemblement national réalisait le gros coup du week-end1, tirant toute la couverture sur lui-même, et n’en laissant pas pour les autres. 

  1. https://www.lefigaro.fr/elections/europeennes/malika-sorel-rejoint-jordan-bardella-je-souhaite-participer-a-la-recomposition-francaise-20240324 ↩︎

Irmgard Keun, naturalisée humaine

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© Le Typhon

Une merveille. Irmgard Keun, vous connaissez ? Pas sûr. Aurait-elle du succès aujourd’hui ? Pas sûr : elle détestait le mot « victime »… et fut une grande féministe dans le Berlin des années 30. Allez comprendre ! (Ce n’est pas si difficile). Ou… lisez-la.


Ce n’est pas la Arletty de Marcel Carné dans Hôtel du Nord – puisqu’elle s’appelle Doris, que cela se passe entre Cologne et Berlin en 1930-1932, mais c’est la même gouaille, la même fulgurance, la même science intime, et innée, du ridicule, des ridicules de la comédie humaine (des hommes en particulier) – mais avec une tendresse et un sourire, une indulgence en somme, qui fait affectueuse et si « vraie », la saillie moqueuse : « On peut vivre pour vraiment pas cher quand on est riche. »

Ou le soir de la générale d’une pièce où elle joue, actrice débutante : « Étaient présents tous les hommes avec lesquels j’avais eu un jour une liaison. Je n’aurais jamais cru qu’il y en avait tant. A part eux, le théâtre était plutôt vide. »

Ou lorsqu’un homme de hasard l’invite à dîner : « Ça m’est hélas impossible parce qu’il louche terriblement, au point que je me mets à loucher aussi quand je suis assise en face de lui – ce qui me fait perdre mon charme. On ne peut tout de même pas exiger ça de moi. »

Elle n’est que drôlerie et innocence, Doris, qui veut devenir vedette (sic) et ne le sera peut-être pas, qui veut rencontrer un homme, connaître l’amour et fera les deux – et retour (séparation) : « Nous nous sommes tutoyés avec tant de distinction que c’était comme si nous nous disions ‘’vous’’. »

Qui rencontrera aussi les filles des rues de la grande ville – et conservera ce regard, si humain, espiègle, élégant aussi, dont elle ne se départ jamais : « Je suis tellement distinguée que je pourrais me dire ‘’vous’’ à moi-même. » 

A lire aussi: Joseph Roth, mémorialiste d’un empire disparu

Ou lorsqu’elle se balade dans un parc au milieu des cygnes « qui ont de petits yeux et de longs cous avec lesquels ils détestent les gens. Je peux comprendre ça, mais moi non plus je n’aime pas les cygnes, bien qu’ils bougent et que l’on puisse trouver auprès d’eux une certaine consolation. » Si ce n’est pas un regard unique« L’énorme vague d’enthousiasme, en se retirant, a déposé sur mon rivage un homme » ; « Je lui ai dit : ‘’Un instant, s’il vous plaît’’ et je me suis éclipsé discrètement par une autre porte. »

Irmgard Keun (1905-1982) est méconnue en France : elle fut encouragée par Zweig et Heinrich Mann, adulée par Hans Fallada et Döblin, amante (1936-1938) de Joseph Roth avec lequel elle s’abîmera dans l’alcool (puis longue dépression).

Une vie étincelante (1932) a été traduit dès 1934 chez Gallimard par… Clara Malraux (quand même) puis retraduite en 1982 par Dominique Autrand (La jeune fille en soie artificielle).

Entre 1995 et 2014, trois biographies ont paru en Allemagne – et les éditions du typhon s’en sont emparées et procurent cette pépite (puisque c’en est une).

On n’oubliera pas Doris – petite sœur de Molly, la prostituée au grand cœur du Voyage de Céline. Le miracle de cette littérature est de la faire entendre (et exister) distinctement, de rendre sa connaissance sensible, et tangibles sa liberté, son appétit, son désir – et la vie dedans, partout, transfusée. Qui manifeste.


Une vie étincelante, d’Irmgard Keun. Traduit de l’allemand par Dominique Autrand, Le Typhon, 204 pages.

À lire également: Bréviaire capricieux de littérature contemporaine pour lecteurs déconcertés, désorientés, désemparés, de François Kasbi (Éd. de Paris-Max Chaleil).

Jacques Genin, un cœur fondant

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Jacques Genin. © Hannah Assouline

Après une enfance difficile et sans formation particulière, Jacques Genin n’a suivi que ses intuitions. Le garçon plein de rage et hypersensible est parvenu à transformer sa colère en force créatrice, jusqu’à devenir l’un des meilleurs pâtissiers chocolatiers de France.


Nous naissons tous avec un nom que nous n’avons pas choisi. Mais nous pouvons aussi le recréer afin de nous libérer de son emprise. Ainsi Jacques Genin a-t-il supprimé l’accent aigu qu’il y avait sur le « e » pour ne pas porter le même nom que son père qui le battait…

Cinq heures durant, au cours d’un mémorable déjeuner bien arrosé, le plus grand pâtissier et chocolatier de France s’est livré, l’œil embué de larmes.

Un caractère !

Nous sommes en présence d’un fauve, d’un animal sauvage de 65 ans à la force vitale toujours prodigieuse, qui continue à caraméliser ses pistaches de Sicile à la main dans des chaudrons en cuivre… Un de ces caractères que notre société s’efforce aujourd’hui d’effacer et de castrer au profit de petits hommes gris en costumes bleus.

Hannah Assouline.

« Mon parcours a commencé dans les abattoirs des Vosges, quand j’avais 12 ans. Les abattoirs, c’était pour me sauver, pour ne pas mourir… J’ai mis une vie pour mettre des mots sur cette période. »

Né en 1959 à Saint-Dié-les-Vosges, Jacques Genin vient des bas-fonds. Battu et violenté par ses parents, il s’enfuit et travaille durant sept ans dans des abattoirs.« Enfant, je détestais l’être humain… je ne connaissais pas l’amour… je ne connaissais que la violence et la haine contre mes parents… en même temps, j’étais un garçon plein de rêves. »

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Un jour, il entend parler sur RTL d’un grand chef, trois étoiles Michelin, nommé Alain Chapel, dont le restaurant se trouve à Mionnay, à 20 km de Lyon. Une force le propulse aussitôt dans un train, en troisième classe.« J’arrive là-bas. Je regarde la carte affichée à l’entrée du restaurant. Il n’y a pas de prix ! Je ne comprends rien à ce qui est écrit. Je ne sais pas ce qu’est un homard, ni ce que sont des écrevisses… Un monsieur sort alors du restaurant, vêtu tout en blanc. Je ne savais pas qui était Chapel, je ne l’avais jamais vu. Il me demande très poliment s’il peut m’aider. Il me fait entrer et m’installe à une table alors que j’étais habillé n’importe comment. Il me propose un verre, mais je n’aimais pas le vin qui était associé à l’odeur du vomi de mes parents… Monsieur Chapel (je ne sais toujours pas que c’est lui) me retire la carte des mains et me sert des plats qui vont me bouleverser. Après le repas, il me raccompagne à la porte sans me faire payer et me dit simplement : “Merci d’être venu.” Pour la première fois de ma vie, j’ai vu ce qu’était la générosité ! Humainement, c’est Alain Chapel qui a fait de moi ce que je suis. Il m’a irradié et m’a aidé à sortir de ma prison intérieure. »

Hannah Assouline.

À 19 ans, Jacques part sur les routes, fait du stop, sans but. Un camion le prend et le dépose à Paris… Il faudrait écrire un livre sur sa vie. Ses petits boulots, sa rencontre avec les prostituées de la rue Saint-Denis, puis Valérie, en cinquième année de médecine, qui lui apprend ce qu’aimer veut dire et qui lui donne une fille qu’il adore et qui deviendra avocate.

Le plus fascinant, c’est de voir comment ce garçon plein de rage est parvenu à transformer sa colère en force créatrice. Un jour, il décide de monter son propre restaurant, rue de Tournon. Sans le permis, il va en Bretagne chercher ses poissons. Très vite, le Guide Michelin le remarque et lui propose une étoile qu’il refuse : « Ne faites pas ça, je ne suis pas mûr, je me cherche, je vais me barrer. »

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Le lendemain, la Maison du chocolat le recrute comme chef pâtissier… De 1992 à 1996, il crée le cake au citron, le marbré et l’éclair au chocolat qui demeurent les signatures de cette institution.

Mais comment devient-on pâtissier et chocolatier du jour au lendemain, sans avoir fait aucune école ? « La première fois que tu as embrassé une fille, est-ce que tu as fait une école pour ça ? Tu inventes ! Ce n’est pas marqué dans un manuel. Ce qui compte, c’est l’envie, l’énergie qu’il y a dans ton ventre. »

Hannah Assouline.

Quand la Maison du chocolat lui demande de faire du congelé, Jacques donne sa démission. « Ne vous faites pas d’illusions, aujourd’hui, tous les pâtissiers font du congelé, à commencer par les galettes des rois qui sont mises au froid dès le mois de septembre. L’inconvénient est que cela assèche le feuilleté qui devient friable. Moi, je fabrique mes galettes le jour même ! Je suis le dernier à faire ça. Je suis un besogneux. » Genin met toute sa vie dans ses créations. Ses chocolats fins comme de la dentelle de Bruges, ses pâtes de fruits pleines de fraîcheur, ses caramels qui ne collent pas aux dents…

Situé dans un bel immeuble du XVIIe siècle, dans le Marais, sa boutique ressemble à un grand atelier de peintre où la pierre, le bois, la brique et le fer forgé renvoient la lumière du jour. Unique à Paris, son laboratoire est à l’étage, et non dans un sous-sol obscur. C’est là qu’il est passé maître dans l’art des accords.« En infusant une plante ou une épice, tu obtiens une huile qui concentre les goûts. Il ne te reste plus qu’à marier cette quintessence avec le chocolat. »

La pâtisserie, une évolution constante

Son fameux chocolat à la menthe est, de ce point de vue, un archétype. Au début, c’est un simple bonbon de 50 g que l’on croque et qui se casse dans la bouche. La ganache se répand alors sur le palais en donnant une sensation d’onctuosité. Puis surgit d’un coup la fraîcheur délicate de la menthe, semblable à un joli gazon au milieu d’une clairière… Enfin, la puissance acidulée du chocolat de Madagascar reprend le dessus avec ses notes boisées et épicées ! Une symphonie en mouvement. On est loin des chocolats à la menthe d’autrefois qui sentaient l’after-shave.

Hannah Assouline.

« Les pâtissiers-chocolatiers ont répandu cette légende selon laquelle leur métier serait une science exacte, une chimie au gramme près. C’est pour défendre leur statut social. En fait, on s’adapte, on bricole, comme un peintre qui change ses couleurs selon la lumière du jour. Ma pâtisserie évolue et change tout le temps. Ce qui compte, c’est mon premier ressenti. »

Avec une telle franchise, Jacques Genin est un homme que l’on ne peut qu’aimer. 


Jacques Genin

133, rue de Turenne, 75003 Paris

Tél. : 01 45 77 29 01

jacquesgenin.fr

La cantine où il aime manger :

Vantre

19, rue de la Fontaine-au-Roi, 75011 Paris

Tél. : 01 48 06 16 96

Un restaurant merveilleux dirigé par un encyclopédiste des vins.

Menu entrée-plat-dessert à 28 euros !

Trois parties pour deux balles!

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A couple playing arcade games, namely Ms Pac-Man New York City 1er janvier 1985 © Jill Freedman/Getty Images

Venez jouer aux flippers et aux Baby-foot à la Monnaie de Paris dans l’exposition interactive « Insert Coin » jusqu’au 30 juin !


Qu’est-ce que l’identité française ? Concrètement, matériellement, sans thèses fumeuses à la rescousse, sans prêchi-prêcha de chaque côté de l’échiquier politique, je veux du solide, de la pierre de taille, pas de l’évanescent ; je veux du coulé dans le bronze et validé par plusieurs générations depuis l’Après-guerre.

Artistes des comptoirs de bistro

Je l’ai trouvé à la Monnaie de Paris dans l’exposition « Insert Coin » qui nous raconte l’histoire des machines de jeux fonctionnant avec des pièces de monnaie. Une expo frappée par le bon sens populaire qui n’a pas peur de mettre en avant la culture du zinc et du divertissement, les deux mamelles des jeunesses en formation. Sans cette approche bistrotière qui manque tant à nos gouvernements, on ne comprend rien à notre pays, à la liberté et à l’égalité, à une certaine forme aussi de fraternité devant un verre de « Monaco » et un Baby Bonzini. Un homme d’État qui n’aurait pas fréquenté assidument les bars serait-il vraiment apte à diriger une nation comme la nôtre ? Je ne le crois pas. Il lui manquerait la souplesse et la fermeté du poignet pour effectuer une « gamelle », l’albatros de Ballesteros, l’ace de Djoko, la figure artistique des troquets qui faisait d’un joueur lambda de Baby, un élu du quartier ! Il y a des bruits qui nous rappellent notre adolescence, le son de la balle en liège venant taper dans la cage en métal du goal et ressortir par magie, c’est du Brahms à l’heure de l’apéro, une arabesque qui vaut une mauresque.

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Le bâtiment historique qui abrite l’Hôtel de la Monnaie construit au XVIIIème, face aux bouquinistes de la Seine, se transforme en un « Balto » plus vrai que nature jusqu’au 30 juin. On n’est plus dans le VIème arrondissement au printemps 2024 mais à Créteil en 1974 ou à Montluçon en 1983. Les organisateurs ont imaginé plusieurs salles pour chaque décennie, des années 1960 aux années 1990, à chaque fois, une ambiance différente, vinyles, formica, chromes, publicités d’époque et doudous générationnels dans les vitrines, Rubik’s Cub ou 45 tours de Christophe, affiche de Bébel en Pierrot le fou et casque de mob sans visière ; que vous ayez été « jeune » dans les Yéyés, sous Tonton président ou quand Indra chantait le tube « Misery », vous allez vous souvenir de vos quinze ans sans injections de botox.

C’était mieux, avant TikTok

Avant les échanges virtuels, le rade du coin, que vous habitiez en pleine cambrousse ou en banlieue, était le rendez-vous des collégiens et des lycéens. On s’y chambrait, on refaisait le monde à notre sauce sans la tutelle des parents, on était un peu marioles mais on apprenait à interagir socialement. Et accessoirement, on dépensait notre argent de poche en partie de flippers, de Baby et plus tard, sur les bornes d’arcade. « Insert Coin » revient sur l’évolution technologique et sociologique de ce business jadis florissant, signe d’une humanité rieuse et où « le vivre-ensemble » n’était pas un mensonge électoraliste.

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De la fabrication de ces machines au consommateur final en passant par les cafetiers et divers intermédiaires, une chaîne se mettait en place et solidifiait notre ancrage quelque part.

Tract contre l’uranium à Ille-sur-Têt (66) à l’entrée d’un bar lors de la campagne du référendum 28 mai 1978 © Etienne MONTES/Gamma-Rapho via Getty Images

Autant le Baby n’évolua guère dans sa forme, autant le flipper connut des vagues et des modes au cours de ces trente ans d’existence. Celui à l’effigie d’Indiana Jones avec sa tirette lanceur en forme de pistolet recueille un succès phénoménal, des files de gamins de onze ans avec leurs parents s’y agglutinent. Car la Monnaie de Paris a eu la bonne idée de rendre opérationnelle cette fête foraine, bruyante, donc vivante, en remettant à chaque visiteur quelques pièces. On peut donc y jouer « pour de vrai ». Il ne manque que la fumée de cigarettes pour recomposer fidèlement ce tableau et son atmosphère…

Tous ces jeux fonctionnent à l’exception de quelques-uns qui étaient déjà en maintenance après une semaine d’ouverture ; comme durant l’Âge d’or, les flippers ont toujours été sensibles aux manipulations brusques et aux bourrins du super tilt. Voir une grand-mère bourgeoise s’amuser à Pac-Man en compagnie de sa petite-fille me donne plus d’espoir dans le genre humain qu’assister à un meeting de campagne.


11, Quai de Conti. Du mardi au dimanche, de 11h à 18h
Nocturnes les mercredis jusqu’à 21h
Entrée : 12 € (incluant 10 pièces de jeu)

Monsieur Nostalgie

Price: 17,00 €

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Vous avez dit populisme… ?

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Le journaliste Laurent Delahousse. DR.

Voilà quelque temps, je suivais, un dimanche soir, le journal télévisé de France 2 lorsque, en incidente, comme si l’affaire était entendue une fois pour toutes et non discutable, le présentateur, Laurent Delahousse pour ne pas le citer, laissa tomber, navré, accablé : « …et ce populisme qui piétine la démocratie ». L’entre-soi de plateau étant ce qu’il est à France TV, on enchaîna aussitôt puisqu’il n’y avait rien, vraiment rien, à redire sur ce diagnostic. Le journaliste aurait déclaré « Il fait jour à midi », on n’aurait pas eu autour de lui davantage de réserves à émettre !

On sort le dico

Intrigué, je me suis soudain demandé ce que c’était au fond, je veux dire réellement, le populisme, ce que pouvait bien receler ce que je ne percevais finalement que comme une invective commode, un mot-valise revenant en boucle dans la bouche des bienpensants sans autre bagage rhétorique. Quels en sont les éléments constitutifs, quels sont les critères objectifs qui permettent de dire cela relève du populisme et cela non, où cela commence et où cela s’arrête ? Bref, autant de questions de bon sens, de celles qu’on se pose lorsqu’on cherche à définir un concept, quel qu’il soit. Ne trouvant pas les réponses, je m’en suis remis aux définitions du Petit Robert. Et là, tout est devenu beaucoup plus clair. Populisme : 1 – Didactique. Ecole littéraire qui cherche, dans les romans, à dépeindre avec réalisme la vie des gens du peuple. 2 – Politique (souvent péjoratif). Discours politique s’adressant aux classes populaires, fondé sur la critique du système et de ses représentants.

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Idée méprisable

Tout d’abord, il me semble que l’annotation « souvent péjoratif » aurait pu figurer aussi pour le populisme littéraire. Quelle idée méprisable et vulgaire en effet que de s’intéresser aux gens du peuple et prétendre faire de la littérature avec la sueur du labeur qui pue, du chou bouilli de la soupe qui en rajoute en remugle, le gros rouge et l’haleine tue-mouche ! Quelle horreur, ma chère. La littérature, aujourd’hui, celle qui vaut d’être encensée, porte sur la libido germanopratine multi facettes, sur les angoissants questionnements existentiels consistant à démêler si ce qui est le plus traumatisant est d’avoir été sodomisé à dix ans par papa ou tonton ou ne pas l’avoir été, ou encore si avoir un truc qui pend entre les jambes est davantage débilitant que de ne pas l’avoir.

Pas nouveau !

J’en étais là de mes cogitations lorsque je me suis penché sur la définition 2, celle du populisme politique : discours fondé sur la critique du système et de ses représentants. Alors là, mon sang n’a fait qu’un tour, le vertige m’a saisi. Je suis au bord de l’apoplexie. À l’instant, je réalise que, depuis très longtemps, depuis toujours en fait, je vis entouré, cerné de populistes. Je lève les yeux de mon écran, je porte le regard autour de moi. Ils sont là, bien rangés, telle une armée m’assiégeant, et tous plus populistes les uns que les autres, tous plus ardents critiques du système et de ses représentants, les Karl Marx, les Voltaire, les Rousseau, les Beaumarchais, les Molière, les Coluche, les Audiard, les Céline, les Orwell, les Erasme, les Chamfort, les Hannah Arendt, les Simone Weil, les Mary Wollstonecraft (mère et fille), les Nietzsche… les… les… Il y en a tant ! Elle est là, sous mes yeux, la belle engeance populiste, l’honneur du genre humain. Esprits sublimes, ceux-là s’adressent à tous. Du moins l’ambitionnent-ils. À tous, y compris, et peut-être même d’abord, aux classes populaires, ce qui serait pourtant l’autre élément constitutif du crime « populiste » si l’on se réfère à la définition même du dictionnaire…

Le champ des possibles

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D.R

Les Amis du Champ-de-Mars veulent nous faire encore aimer Paris. Leur ouvrage richement illustré démontre que les abords de la tour Eiffel sont avant tout un exceptionnel conservatoire architectural et artistique, de l’Art nouveau à l’Art déco. Ce musée à ciel ouvert surnage actuellement dans le chaos Hidalgo, mais c’est une autre histoire…


Anne Hidalgo a raison : les Parisiens ont une sacrée capacité de « résilience ». Malgré sa politique de saccage systématique, nous voulons continuer de voir les beautés de notre capitale, de nous émerveiller des trésors qu’elle recèle. Cela permet, notamment, de nous préserver des dingueries imposées par cette municipalité. Et c’est ce qui motive Les Amis du Champs-de-Mars à publier un beau livre sur ce quartier connu dans le monde entier, mais trop peu observé.


Dans cet ouvrage, l’association fait volontairement l’impasse sur les conséquences de l’incurie de la Mairie : la désolation des abords de la tour Eiffel, l’épuisement du site par trop de manifestations et trop de touristes, ses pelouses ravagées ; il n’est nullement question des vendeurs à la sauvette, des pickpockets, des joueurs clandestins, du terrorisme, des vols, des viols et autres joyeusetés désormais associées au cœur battant de la Ville lumière.

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Non, ces amis du beau nous proposent, dans un geste de résistance intelligente, d’ouvrir les yeux sur ce quadrilatère, son histoire, ses jardins, les immeubles et les hôtels particuliers qui voisinent avec la Dame de fer. À travers des centaines de documents (plans, gravures, tableaux) et un véritable inventaire photographique (photos anciennes et contemporaines), on réalise l’incroyable conservatoire architectural que représente le Champ-de-Mars. Un musée de l’Art nouveau et de l’Art déco à ciel ouvert, un lieu d’innovations et d’expérimentations artistiques qui ne demandent qu’à être admirées.

Ferveur révolutionnaire

Cette vaste étendue à l’ouest de Paris a été préservée de la folie immobilière grâce à la construction de l’École militaire, commandée par Louis XV à Ange-Jacques Gabriel, en 1751. L’immense dégagement laissé entre le bâtiment et la Seine sert de champ d’entraînement pour les soldats et leurs chevaux – de là son appellation de Champ-de-Mars, le dieu de la guerre.

Et c’est parce que le terrain est toujours dégagé durant la Révolution qu’on décide d’y édifier le gigantesque cirque à l’antique pour la Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790. Plus de cent mille personnes prennent place autour de la famille royale, le pays croit alors en la pérennité d’une monarchie constitutionnelle. Lors de cette cérémonie, d’un kitsch dont les révolutionnaires avaient le secret, une messe est célébrée sur l’autel de la Patrie par Talleyrand (qui est aussi évêque d’Autun) ; et c’est en allant officier qu’il lance à La Fayette son célèbre : « Surtout, ne me faites pas rire. »

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Un an plus tard, le 17 juillet 1791, c’est devant ce même autel que des dizaines de Parisiens venus signer une pétition lancée par les cordeliers pour réclamer la destitution du roi sont fusillés par la garde nationale. C’est Jean Sylvain Bailly, le maire de Paris, qui a donné l’ordre de tirer. Il reviendra sur les lieux, le 12 novembre 1793, pour y être guillotiné.

À partir de cette époque, le Champ-de-Mars demeure sans affectation particulière, et son étendue continue d’accueillir fêtes et célébrations diverses sous l’Empire et la Restauration.

Ferveur universelle

Avec le Second Empire naît la grande époque des expositions universelles. Notre ami Pierre Lamalattie, membre des Amis du Champ-de-Mars, précise que, si celle de 1855 se tient sur les Champs-Élysées, les quatre suivantes ont le Champ-de-Mars pour site principal. En 1867, une grande halle ovoïde occupe quasiment toute sa superficie, et ne laisse qu’une bande d’arbres côté Seine (ce sont ces arbres, préservés ensuite par Gustave Eiffel, qu’Anne Hidalgo souhaitait faire abattre pour installer des bagageries en vue des JO !). La IIIe République reprend dignement le flambeau pour faire de Paris le phare de l’Europe sur le monde. L’expo de 1878 marque les esprits, mais ce n’est rien face à celle de 1889 dominée par la tour Eiffel et celle de 1900 qui épate la planète entière.

© AAM Editions.

Le démontage de la tour écarté, le destin de cette grande dame est intimement lié au Champ-de-Mars, et pour toujours – même si elle subit quelques changements esthétiques[1] ; c’est elle qui structure les perspectives et rythme les aménagements à venir, notamment le nouveau jardin dessiné en 1900 par l’architecte paysagiste Jules Vacherot. C’est en effet à cette époque qu’il est décidé de ne plus laisser ce vaste terrain en friche entre deux expositions universelles, mais de le lotir pour en faire un quartier d’habitation à part entière, distribué autour d’un jardin ouvert sur la ville.

Ferveur artistique

Entre 1900 et 1930, aux abords de ce jardin de 25 hectares, c’est la grande effervescence, dépeinte par Maurice Culot et Charlotte Mus dans leur introduction : « L’architecture et l’art ornemental sont ici à leur zénith. Les volutes, les consoles, les chutes de fleurs, les bestiaires en pierre de taille, les ferronneries des balcons, la serrurerie des portes et fenêtres, les décors de l’Art Nouveau et les lignes brisées de l’Art Déco tourbillonnent et fusionnent dans un idéal plastique partagé. Architectes, décorateurs, sculpteurs, artisans d’art, maîtres d’ouvrage se mesurent et se surpassent. Les étages d’attiques sont l’occasion d’autant de joutes artistiques d’où se dégage une poétique des toits qui à elle seule justifie un classement au patrimoine mondial. »

© AAM Editions.

Lucien Guitry commande à Charles Mewès, l’architecte du Ritz, son hôtel particulier dans un pur style XVIIIe, Sacha y habitera ensuite toute sa vie avec ses collections de tableaux et d’œuvres d’art (en 1963 la maison est rasée pour édifier une verrue en béton armé).

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De l’autre côté des pelouses, Paul Morand habite un hôtel fastueux décoré par l’architecte du roi d’Angleterre. De son côté, le mannequin Baba (la princesse de Faucigny-Lucinge) donne des bals et des soirées à thèmes qui font bruisser le Tout-Paris. Les artistes ne vivent pas qu’à Montmartre.

Cette ville n’a pas besoin d’être « embellie » et « réenchantée », tout est là, sous nos yeux. Mais il faut avoir le courage de l’humilité (incompatible avec la politique) de savoir simplement accepter et préserver ce précieux héritage afin de le transmettre, intact, à notre tour.

À lire

Maurice Culot et Charlotte Mus (dir.), Le Champ-de-Mars : 1900-1930, Art nouveau, Art déco, AAM Éditions, 2023.


[1] Lire aussi « La tour Eiffel rit jaune », Pierre Lamalattie, Causeur n° 100, avril 2022.

Julien Scavini, arbitre des élégances

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© Julien Scavini

Il y a bientôt dix ans, je félicitais un jeune tailleur parisien, Julien Scavini, de publier d’intelligentes réflexions sur l’élégance masculine sous la forme d’un album illustré avec goût, intitulé Modemen, avec un clin d’œil aux amateurs de cette fameuse série US qui a tant fait pour remettre à l’honneur une esthétique classique.

De l’architecture aux belles étoffes

Lorsque je lui rendis visite dans sa ravissante boutique située à quelques encablures des Invalides, Scavini m’expliqua que, au départ, il avait une formation d’architecte et qu’il avait appris le métier de tailleur par la suite. Pourquoi avoir abandonné l’architecture ? La crise, et surtout une formation par trop cérébrale négligeant le goût et le bon sens au profit d’un radotage postmoderne (Bourdieu, Derrida & tutti quanti). Surtout : la passion du beau ; le goût des étoffes ; la volonté d’illustrer et de défendre une élégance intemporelle. Car Scavini tenait déjà clairement et sans faiblir pour l’élégance anglaise, dans la lignée de l’illustre James Darwen, l’auteur d’un livre talisman, hélas épuisé, que tout gentilhomme a posé sur sa table de chevet, Le Chic anglais.

La boue du nivellement

Julien Scavini récidive avec un autre splendide album, Billets d’élégance, dont toutes les illustrations sont de la main de l’auteur, dans un style que je rapprocherais de la ligne claire, celle d’Edgar-Pierre Jacobs. Pas une seule photographie donc, mais des dessins soignés… En près de deux cents chroniques, courtes, allant à l’essentiel avec un sens certain de la formule et un vocabulaire d’une précision maniaque (ô combien bienvenue en ces temps de confusion systématique), notre esthète, qui se révèle aussi discret moraliste, propose des réflexions un tantinet désabusées mais non dépourvues d’un humour très british, non pas sur la mode, qui n’intéresse que les conformistes, mais sur le style, par définition intemporel. C’est précisément ce que j’adore chez Scavini, cette indépendance d’esprit, ce conservatisme de bon aloi, sans rien de borné. Son courage aussi, car il rompt quelques lances contre la tendance universelle à l’avachissement. Ainsi, sa défense argumentée du costume me ravit : « Texture de l’étoffe, qualité de la coupe, accord avec une cravate, illusion de la pochette. Ainsi l’on s’amuse et l’on s’invite en société à l’étage que l’on veut ». Chaque matin, choisir un costume, une chemise, une cravate, la pochette et les souliers, relève d’un exercice de connaissance de soi et d’une forme supérieure de politesse. Avec lucidité, Scavini voit dans la disparition progressive du costume « un abandon du sens et de la profondeur », « un mouvement mondial d’abaissement du sens ». Superflus, le costume, la cravate, la pochette ? Ils sont le piment de l’existence, et l’aboutissement d’une recherche esthétique séculaire. Porter, contre vents et marées, une cravate, un nœud papillon ou un foulard, c’est résister à la boue du nivellement.

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Comme lui, je place très haut la simplissime cravate en tricot, celle qu’affectionnaient Lino Ventura ou Jean d’Ormesson. Et son éloge du fer à repasser ! L’ultime luxe aujourd’hui, quand on sort : repérer les rares chemises repassées (ne parlons pas des chaussures cirées et brillantes comme des miroirs…).

Moraliste, Scavini sait que l’élégance, qui ne dépend pas des moyens (via le commerce de seconde main, les soldes & les puces) est une haute forme de culture et le fruit d’un apprentissage – une construction de soi. Citons-le une dernière fois pour la route : « rendre les choses belles et distinguées est l’un des chemins du bonheur ».

Julien Scavini, Billets d’élégance, Alterpublishing, 212 pages.