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Homme déconstruit qui s’assume enfin, voici comment je suis devenu heureux

Comment je me suis reconstruit en tant qu’homme, grâce à #metoo et au féminisme.


Tout d’abord un aveu : pendant une période ma vie, je me souciais peu du féminisme. Je n’étais pas éduqué sur ces questions. Enfant, ma mère portait la culotte à la maison, mais pourtant elle ne m’expliquait pas la théorie féministe. Adolescent puis jeune adule, je ne m’intéressais en réalité pas du tout à la doctrine féminisme réelle. Pour vous donner une idée de mon ignorance : un ami me dit un jour que Gisele Halimi était proche du MLF, je ne savais même pas ce qu’était le MLF, j’ai cru que l’on me disait qu’elle était une MILF, et j’ai répondu « Chacun ses goûts, Gisèle Halimi n’est pas mon type de femme ». Je n’en veux pas à mes parents, c’était une époque où l’on élevait ses enfants sans forcément les éveiller aux luttes pour l’égalité. Je suis simplement né au mauvais moment. Ah si je pouvais d’un coup de baguette magique, retourner dans ces années et tout recommencer en sachant ce que je sais aujourd’hui grâce au féminisme ! Que d’erreurs éviterais-je ! Que de réussites accomplirais-je ! Mais voilà, ce n’est pas possible, comme le dit Kundera, la vie n’est vécue qu’une seule fois et sans aucune préparation.

Le jour où mon destin a basculé

Ma vie a basculé beaucoup plus tard, le 22 janvier 2018, un peu après #metoo. Je marchais dans Londres, j’ai oublié le but de cette marche. Ce que je n’oublierai jamais, en revanche, c’est cet autocollant féministe sur une des colonnes blanches d’une maison de Onslow Square, à South Kensington : « Feminism : educate yourself ! Read the following books… » Suivait une liste de cinq essais écrits par des féministes, parmi lesquelles Judith Butler et Valérie Solanas notamment. Médusé, je réalisai ce jour-là que je n’en avais lu aucun ! Même pas un sur cinq ! Pourtant je me croyais cultivé, j’étais un grand lecteur depuis toujours, mais un lecteur de romans, pas d’essais. J’ai photographié la liste. J’ai commandé ces cinq essais. Les ai lus. Je me suis éduqué au féminisme ! De fil en aiguille j’ai découvert des blogs, des podcasts de scientifiques féministes françaises, Noémie de Lattre, Victoire Tuaillon, Camille Froidevaux-Metterie. Tel Serge Lama, qui a réalisé, en allant voir les petites femmes de Pigalle lorsque sa femme l’a quitté, qu’en amour il n’y connaissait rien, j’ai réalisé qu’en « genre », en rapports hommes-femmes, je n’y connaissais rien ! J’appris par exemple qu’il y avait deux types d’hommes : les hommes « déconstruits » qui remettaient en question les stéréotypes de la virilité et s’interrogeaient sur la leur, et les hommes « virilistes », toxiques, qui ne se posaient aucune question et n’hésitaient pas à affirmer leur virilité sans honte. L’homme déconstruit c’est le nom scientifique de ce que les Américains appellent un « loser », compris-je en lisant la littérature féministe. L’homme viriliste, au contraire, c’est le « winner », celui qui collectionne les conquêtes féminines, la réussite professionnelle et le prestige social.

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Alors j’ai commencé une introspection. J’ai réfléchi. Je lisais beaucoup de romans, je l’ai déjà dit. J’avais adoré l’Amie prodigieuse d’Elena Ferrante, un chef-d’œuvre de la littérature européenne, selon moi. Je ne connaissais pas les marques de voiture, ne faisais pas la différence entre une Ferrari et une Porsche par exemple. Je détestais la Formule 1, ne comprenais même pas comment ce sport pouvait intéresser quelqu’un. Je me déplaçais à vélo. Au club de sport, je n’utilisais aucun appareil de musculation. Je n’avais jamais fumé le cigare et détestais son odeur. Parmi mes amis hommes, j’étais souvent le seul à avoir déjà assisté à un ballet à l’Opera (ma femme m’avait obligé à l’y accompagner il y a 20 ans, et je ne m’étais même pas endormi). J’aimais le jus de pamplemousse. Au pub, mes copains prenaient des pintes de bière, moi un Coca Zéro. Souvent dans les soirées, un groupe d’hommes se formait, j’essayais de me glisser parmi eux. Mais ils se mettaient à parler de voitures, échangeaient des informations sur les meilleurs spots de kitesurf puis partaient fumer le cigare en terrasse ! J’étais largué, incapable de participer à ces conversations, je me retrouvais contre mon gré seul homme dans un groupe de leurs femmes à discuter de romans ou des études des enfants. Dans les barbecues, je privilégiais les viandes peu grasses comme le blanc de poulet alors que mes amis hommes préféraient les côtes de bœuf et les saucisses. Au bout de quelques semaines d’introspection : je compris enfin la terrible réalité : j’étais, et j’avais toujours été, un homme « déconstruit » !

Je prends mon ticket pour le Salon du barbecue

C’était affreux. Et cela expliquait sans doute, je le réalisais, mes difficultés dans la vie. Alors que mes amis hommes qui fumaient le cigare étaient souvent membres de leur Codir, je n’étais qu’invité au Codir de temps en temps. Ils avaient un 4×4 BMW, moi un break Volvo ! Ils trompaient leurs femmes avec des top-modèles de 25 ans, des danseuses baltes du Crazy Horse, moi seulement avec une voisine à la retraite, de 25 ans de plus que moi, – et encore, je ne voulais pas, c’était elle qui m’obligeait, elle me menaçait de tout dire à ma femme si je refusais – ! Ils avaient d’énormes barbecues Weber au charbon, j’avais le modèle électrique. C’est comme si soudain j’avais été ébloui par la lumière de la science: tout s’éclairait ! Je comprenais mon chemin de vie, mes difficultés ! J’étais un homme déconstruit, c’était déprimant, oui, mais je devais l’admettre. À cause de cela j’avais raté la première moitié de ma vie. Sauf que je pouvais réagir, parce que j’avais lu les auteurs féministes, parce que j’étais éduqué dorénavant. Je connaissais la suite du chemin. C’était un chemin difficile, pentu, il fallait du courage et beaucoup de travail, mais je devais me RECONSTRUIRE. Alors j’ai travaillé sur moi, jour après jour, mois après mois. J’ai d’abord changé de voiture, acheté une BMW. Je me suis mis à fumer le cigare. Au début, juste une taffe, c’était horrible, je toussais, j’avais mal à la gorge. J’ai augmenté progressivement les doses. Je me suis habitué à la bière. J’ai lu Sapiens, puis les biographies de Steve Jobs et Warren Buffet. Ces essais étaient sans intérêt, pénibles, mais les lire me permettait de participer aux discussions entre hommes virilistes. Le plus facile a été d’arrêter complètement le jus de pamplemousse, finalement ce n’était pas si important pour moi.

Image d’illustration Unsplash

Aujourd’hui je suis reconstruit et heureux. J’ai un vrai barbecue, au charbon, pas électrique. Je bois des pintes de bière avec mes copains. Je ne trompe plus ma femme avec la voisine à la retraite mais avec sa petite-fille qui est danseuse. Lorsque je fais l’amour, je ne me préoccupe plus du tout de l’orgasme de ma partenaire, alors que j’en étais obsédé lorsque j’étais un homme déconstruit, et pourtant, -c’est incroyable-, le taux d’orgasme de mes partenaires, qui n’était que de 44% lorsque j’étais déconstruit, est passé à 71%*. Dans mon Codir, trois hommes ont été virés pour être remplacés par trois femmes au nom de la parité. Et pourtant, au même moment, mon patron m’a convoqué et m’a annoncé ma nomination comme membre permanent! Les trois hommes virés étaient trop déconstruits, sans doute, on les a choisis pour qu’ils se virent entre eux car on savait qu’ils ne protesteraient pas. Je suis heureux, enfin. Je suis un homme reconstruit. Souvent le soir, un verre de rouge dans une main, l’os de ma côte de bœuf dans l’autre, du heavy-metal très fort dans mes enceintes, je me dis que mon bonheur je le dois à #metoo et aux intellectuelles féministes qui m’ont éduqué. Je ne laisserai personne raconter que #metoo n’a pas été utile. Je voulais par ce texte les remercier de tout ce qu’elles m’ont apporté. On dit souvent que derrière chaque grand homme il y a une femme, eh bien derrière moi il y en a plusieurs. Oui, Judith Butler, Mona Cholet, merci, merci à toutes et à tous !

* Pourcentage calculé sur 12 mois glissant

Médecins de seconde zone

Pour lutter contre les déserts médicaux, la députée LR de Corrèze Frédérique Meunier propose de donner une « deuxième chance » aux étudiants qui ont raté de peu le concours, contre un engagement de leur part à travailler 10 ans en milieu rural quand ils auront leur diplôme… Est-ce que cela revient à faire soigner nos campagnards par de mauvais médecins ? L’avis d’Elisabeth Lévy.


Une députée LR suggère de repêcher les étudiants en médecine recalés pour qu’ils aillent s’installer dans les déserts médicaux1.  Elle propose aux étudiants qui ont raté de justesse le passage en deuxième année (on ne redouble pas la première) de poursuivre leurs études contre l’engagement de choisir la médecine générale et de s’installer dans un désert médical. Symboliquement, ce n’est tout de même pas terrible, voire très choquant.

Car cela revient à admettre que la France des centres-villes a le droit à une médecine de première classe et celle des campagnes, à une sous-médecine. Et cela revient d’ailleurs également à dire aux étudiants : si tu es admis du premier coup, à toi les grandes villes, si tu es repêché, va soigner les « ploucs »…

85% du territoire concerné !

Évidemment, ce résumé ne correspond nullement à la volonté ou à la pensée de Frédérique Meunier, élue de Corrèze: quand elle parle de désert médical, elle sait de quoi elle parle. D’ailleurs, avec une humilité assez rare, elle dit que sa proposition est là pour contribuer au débat, qu’elle doit être améliorée ou amendée par ses collègues de l’Assemblée.

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Et si cette idée est problématique en théorie, son idée n’est pas absurde en pratique. Avec l’aléa d’un concours, il n’est pas sûr que des étudiants à qui il manque 0,1 ou 0,2 point pour passer en seconde année soient tellement moins bons. On ne parle pas de repêcher les étudiants qui sont dans les profondeurs du classement ! Beaucoup de recalés vont d’ailleurs étudier en Roumanie ou en Espagne et reviennent ensuite en France avec le statut de médecins étrangers. Personne ne s’en plaint…

Et, bien sûr, nous sommes face à un enjeu crucial. Les déserts médicaux concerneraient 85% du territoire et 51% des Français ! Lesquels doivent parcourir des kilomètres en voiture pour trouver un médecin quand leur enfant est malade.

Comment réglez-vous ? Avez-vous votre carte Vitale ?

À long terme, bien entendu, ce n’est pas en repêchant les recalés que l’on va régler ce problème : notre système éducatif doit produire les médecins dont nous avons besoin. La révision du numérus clausus va déjà dans le bon sens – si elle ne se traduit pas, comme  toujours et comme avec le baccalauréat, par une baisse du niveau… Néanmoins, la révision du numérus clausus mettra plusieurs années à produire des effets. Et cela ne suffira sans doute pas à attirer les meilleurs éléments d’une génération si l’on veut des médecins brillants.

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Nicolas Baverez dénonce la « soviétisation du système de santé » dans Le Figaro2: si la médecine de première ligne a disparu, c’est aussi parce qu’elle ne paie plus, dit-il. On a beau avoir la vocation, après dix ans d’études, une consultation à 26,50 euros (contre 70 en Allemagne, et 200 dollars aux États-Unis), ce n’est pas très attractif ! Si on veut des médecins bien formés, il faut les payer, ce qui signifie que les Français doivent accepter de contribuer à hauteur de leurs moyens. En attendant, la proposition de Frédérique Meunier mérite donc d’être étudiée.

Après tout, il vaut mieux être soigné par un médecin repêché au concours que pas soigné du tout.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio.

Retrouvez Elisabeth Lévy du lundi au jeudi dans le « Grand Matin » de Patrick Roger.


  1. https://www.francebleu.fr/emissions/invite-de-8h15-de-france-bleu-limousin/frederique-meunier-deputee-lr-de-la-correze-presente-sa-proposition-de-loi-contre-les-deserts-medicaux-3509761 ↩︎
  2. https://www.lefigaro.fr/vox/societe/nicolas-baverez-la-sovietisation-du-systeme-de-sante-20240324 ↩︎

Quand les Portugais disent «ça suffit»

Quelques jours avant de célébrer les 50 ans de leur « Révolution des Œillets », les Portugais ont triplé le score du parti de droite nationale « Chega », lors des élections législatives anticipées du 10 mars. Et en France, comment votent les lusodescendants ?


La chose était entendue. Le Portugal, comme l’Espagne, paraissait durablement hermétique aux sirènes de la droite populiste. Et, de la même manière qu’est apparu Vox, est apparu Chega (en français « ça suffit »).

La recette : discours anti-immigration et anticorruption. D’un seul député en 2019, le parti est passé à 12 en 2022, puis à 48 lors des législatives de mars 2024 – dans une Chambre qui compte 230 sièges. Député isolé lors de son élection il y a cinq ans, André Ventura fait désormais partie des leaders en vue au sein de la droite populiste en Europe.

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Mais alors, comment a voté la communauté portugaise de France ? Sur les deux sièges accordés aux Portugais de France, l’un a été remporté par José Dias Fernandes, député Chega. Au consulat de Marseille, le vote Chega monte à 20 % et se retrouve en tête. À l’échelle nationale, le score s’élève à 16 %. À noter que le parti arrive aussi en tête parmi les importantes diasporas installées en Suisse et au Luxembourg. Sur le site Fdesouche, un lusodescendant (un descendant d’immigrés portugais) commente : « La prochaine fois, je demanderai la nationalité portugaise, rien que pour voter Chega. » Si les enquêtes d’opinion basées sur l’origine ethnique sont interdites en France, une étude de Sciences Po Paris, en 2017, avait montré que la moitié des jeunes Français d’origine portugaise étaient prêts à voter Marine Le Pen, tandis que leurs aînés avaient un comportement plus proche de l’ensemble national. L’ancienne présidente du RN (comme son père déjà en son temps) a adressé des clins d’œil à la communauté portugaise, désignée comme modèle d’assimilation réussie.

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Marion, une militante de droite croisée au meeting de « Reconquête ! » du 10 mars et lusodescendante, commentait en marge les premiers résultats qui arrivaient de Lisbonne : « Le vote d’une bonne partie de la communauté portugaise pour Le Pen ou Zemmour, c’est l’affirmation d’une adhésion complète au projet national français. Et, étrangement, pour les plus motivés qui votent Chega, c’est comme la possibilité de voter une deuxième fois pour Marine ou pour Éric ! »


En déplacement à Lisbonne le 10 janvier 2021, Marine Le Pen scrute ce qui se profile de l’autre côté de l’Atlantique… © Alain ROBERT/SIPA Numéro de reportage : 00999282_000039

«C’est pas moi qui m’en occupe!»

Ce n’est pas la grande démission mais… C’est le summum de la non-implication – la phrase qui semble exempter de tout effort celui auquel vous vous adressiez, en tant que malheureux client… N’importe quoi peut vous arriver: votre interlocuteur n’est pas concerné !


Dans les pays anglo-saxons, au lieu de cela, on vous demande « Can I help you ? » (en quoi puis-je vous aider) et on cherche comment. Le « c’est pas moi qui m’en occupe » est une rengaine qui fait que vous n’avez aucune chance que l’on vous réponde ou que l’on vous dépanne, que le responsable soit en pause-déjeuner, en congé de quelque chose, en télétravail, en tache familiale ou qu’il ait autre chose à faire ! En d’autres termes, « c’est pas mon problème ».

Et la conscience professionnelle alors ?

Un mouvement d’indifférence qui gagne du terrain. Dans le monde de l’entreprise, on se plaint à juste titre de l’absentéisme, des revendications des salariés pour travailler chez eux confortablement, pour obtenir plus de télétravail, des « pauses respiration » etc.  On ne parle pas encore vraiment assez de la vague de conséquences de ce détachement généralisé qui peu à peu nous pollue la vie.

Le détachement géographique, le recentrage sur soi et sa vie personnelle, le refus des responsabilités même anodines qui ne sont pas clairement contractuelles font que ce que l’on appelait « la conscience professionnelle », fierté des salariés de jadis, se retrouve diluée et classée au rang des valeurs périmées. Alors, on tente de la remplacer par des séances de coaching, de motivation, de méditation… Le principal, surtout, c’est « le bien-être en entreprise », c’est-à-dire tout ce qui fait le no-stress du salarié, lequel doit à tout prix échapper au burn-out. Le client, lui, peut stresser !

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Le salarié est peu à peu déconnecté avec bonne conscience de « l’intérêt général » de son entreprise. À chacun son boulot dans un égocentrisme croissant. Avez-vous remarqué que plus on parlait d’intérêt général – politiques compris – moins on se sentait concernés ? Parallèlement, l’État nounou contribue bien sûr à ce laxisme national revendiqué, en s’immisçant financièrement dans le confort des foyers au mépris de la dette. On raccommode vos vêtements, vos ressemelages. On rembourse vos aides à domicile. On s’assure que votre temps de travail est équitablement réparti. On gère votre implication familiale, pour que le salarié homme puisse avoir lui aussi le « droit » de s’absenter pour donner le bain de bébé. On attribue des vacances en « bons cadeaux », pour inciter à faire plus d’enfants. Et j’en passe… L’État veille sur votre vie privée : payez vos impôts, braves gens, on s’occupe de tout le reste. Y compris de la campagne de pub avec un dévendeur sur l’achat déconseillé pour mieux dé-consommer. Non mais on rêve !!

Le ministre à la Planète estime qu’il faut produire moins pour la sauver, le lendemain le président de la République nous explique qu’il faut produire plus… Allez comprendre.

30% des salariés tiennent les boîtes pendant que les autres regardent les trains passer

Comment ensuite développer un esprit de responsabilité au travail, au pays des RTT et des records absolus en « congés maladie » ? Récemment, les patrons l’ont échappé belle : les malheureux qui étaient malades ont brutalement eu le droit de bénéficier des congés payés liés à ces absences pour maladie… et le comble, c’est que l’on a failli rendre ce bénéfice rétroactif sur 14 ans ! Finalement on ne pourra remonter « que » sur trois ans. C’est tout comme si le gouvernement ne savait plus quoi inventer pour soustraire les salariés à leur entreprise. Avec l’intention sans doute de donner le « bon exemple » au privé, les parents divorcés dans la fonction publique pourront-ils dorénavant avoir une semaine par mois « en temps adapté » ?

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Il est évalué que dans une entreprise, 30% des salariés « tirent la boite » alors que les 70% restants suivent le mouvement, plus ou moins concernés. C’est ainsi que l’on constate que certains sont épuisés par l’énergie décuplée qu’ils doivent mettre pour compenser le minimal syndical de leurs collègues tire-au-flanc… Cette avalanche de bienveillances coûteuses, de coolitude organisée, de droits à tout et d’obligations à presque rien, nous entraine vers un dysfonctionnement généralisé dans tous les secteurs : manque de personnel, indifférence sur les engagements pris, retards dans tous les projets. La France fonctionne mal.

« Travailler plus » fait ricaner, on tend vers le travailler moins pour gagner moins, mais avec la compensation d’aides publiques. Alors qu’on devrait plutôt s’adapter à l’intelligence artificielle qui remplacera rapidement bien des emplois. Dernière nouvelle : on vient d’apprendre qu’il faut utiliser beaucoup moins son portable : 3 gigas par semaine max, préconise Najat Vallaud-Belkacem ! Cela donnera à certains une nouvelle excuse : « je ne peux pas vous aider, désolé j’ai atteint mes 3 gigas… »

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La parole révélée

Judith Godrèche n’en finit pas d’accuser-condamner les hommes qui ont partagé sa vie et sa carrière. Victime sanctifiée aux Césars, elle est devenue le nouveau visage de MeToo. La profession est sommée de racheter son âme et, pour cela, n’hésite pas à sacrifier ses monstres sacrés.


Distillé crescendo depuis plusieurs semaines, l’édifiant feuilleton #MeToo de ce début d’année autour de Judith Godrèche appelle quelques réflexions. Dissonantes sans doute, dans le fascinant unisson qui enfle et porte toujours plus haut la complainte accusatoire de l’actrice « traumatisée »– ornementée parfois de pieuses repentances, ainsi les excuses sirupeuses présentées par Laure Adler à l’héroïne du moment.

Judith Godrèche revient des États-Unis après plusieurs années d’absence, avec une série dont il lui faut assurer la promotion, Icons of French Cinema, inspirée de son « enfance » abusée par le « système de prédation » du cinéma français. La chair innocente livrée sans défense à des Barbe-Bleue « systémiques » : thème porteur (et lucratif), depuis le succès phénoménal du livre de Vanessa Springora, Le Consentement.

Version antérieure

C’est dans le droit fil des thèmes lancés alors sur le marché florissant de la metoosphère – l’emprise, le scandale absolu que représente aujourd’hui l’idée d’une relation amoureuse ou sexuelle entre un adulte et un adolescent, ce dernier aurait-il atteint et dépassé l’âge de la majorité sexuelle –, que la Parole de Judith Godrèche opérera. « Avant d’être enfin entendue, c’est-à-dire que sa parole se change en vérité, Judith Godrèche avait déjà parlé. » (Hélène Frappat). Mystère de la transsubstantiation qui s’accomplit dans la grand-messe MeToo : « Ceci est mon corps outragé, amen ». Pour célébrants : les médias, grands et petits. Et parmi eux, guidant avec componction les génuflexions des dévots, quelques prélats : ainsi Le Monde délivre-t-il, trois jours de suite sur double-page (et en une le troisième jour ; le Christ est une femme) la Parole de la divine « enfant kidnappée ».

Elle avait déjà parlé, oui. Mais pour dire tout autre chose : lors d’une interview en 2010, elle évoquait son histoire de jeune fille de 15 ans « extrêmement déterminée » (fillette terrifiée ?) à vivre sa longue (et à beaucoup d’égards successfull) relation avec Benoît Jacquot, qualifié de « très séduisant » (vous avez dit « dégoût » ?), et dont l’emprise fut « extrêmement inspirante », dit aussi l’actrice.

Sa parole alors –sans majuscule : flatus vocis ? Judith Godrèche, toute fière, ne chuchotait guère pourtant. Elle renie aujourd’hui sa version antérieure, et ses mots inverses, consacrés par la liturgie médiatique de la « parole libérée » à laquelle tous sont aujourd’hui sommés de communier, font advenir enfin, proclame-t-on, le règne du Vrai, du Bien, du Juste. Que les Mauvais soient, en masse indistincte, précipités dans la géhenne. Jacquot = Doillon = Depardieu (derniers en date) = Richard Berry = Alain Corneau (†) = Harvey Weinstein = Woody Allen = Roman Polanski (le prototype) = tous les autres, à quoi bon les différencier, ils SONT le Vice. Dans un monde dûment purifié, tout ira mieux.

Sanctification définitive d’une opération de communication digne des télévangélistes les plus consommés : Judith Godrèche – qui a aussi officié lors de la cérémonie des César, la glamourisation de la « victimitude » est une affaire qui marche– sera reçue au Sénat, à l’initiative de quelques dames patronnesses des bonnes œuvres « féministes » (?) de la vénérable institution.

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La séquence va s’amplifiant jour après jour sous nos yeux azimutés par tant de « révélations » fracassantes – y compris sur des morts, au moins Alain Corneau n’aura-t-il pas le mauvais goût de vouloir se défendre des accusations de certaine demoiselle Grappin, « inspirée » (sic) par Judith Godrèche. Laquelle en dézingue deux d’un coup, plus un troisième (plus fort que Springora) : après Jacquot, Doillon, et dans le sillage de Jacquot, Gérard Miller, premier cas sérieux, quant à lui, de lapideur lapidé (Julien Bayou et Aurélien Quatennens, coupeurs de têtes intransigeants, sans oublier les déboires de quelques figures du Collectif 50/50 : des amuse-bouches vite oubliés). Lisons ou relisons Les dieux ont soif (Anatole France).

Les malheurs de Judith

L’accès le plus direct à la Parole de Judith Godrèche : une vidéo d’une dizaine de minutes sur le média Brut.

Nous y voyons une femme de 50 ans, habillée en mignon chérubin, débiter d’une voix sucrée –assez peu convaincante pour tout esprit sensé – l’histoire de ses « malheurs », puis de son réveil miraculeux, nous gratifiant au passage de quelques assertions péremptoires pêchées dans le catéchisme de la « victimologie traumatique ».

Or non, une jeune fille de 15, 16, 17 ans, ce n’est pas une petite fille. C’est une adolescente, dont la sexualité peut être impérieuse, comme la disposition à la passion amoureuse. Vulnérable certes, à la mesure des élans de cet âge de passage et d’initiation à l’état adulte. Certaines relations précoces font mal – ou font du mal. D’autres au contraire donnent force et confiance en soi pour la suite d’une vie amoureuse. Dans tous les cas on y apprend beaucoup, sur soi, et sur la vie. Pour mémoire, l’âge de la majorité sexuelle est fixé à 15 ans – avec des restrictions de plus en plus drastiques, garde-fous illusoires qui privent les adolescents de leur protection la plus sûre : l’indispensable conscience de leur responsabilité personnelle dans la conduite de leur vie, y compris amoureuse. Affaire capitale de l’éducation. Ajoutons que l’on est pénalement responsable dès 13 ans. Le législateur considère donc que l’on n’est plus un enfant.

A lire aussi : La liberté sexuelle et la différence générationnelle

Si manipulateurs ou abusifs qu’aient été – peut-être – les hommes que dénonce aujourd’hui Godrèche, et nonobstant l’abandon éducatif dont elle a pu souffrir de la part de parents négligents, la question pertinente est celle de son implication, active et désirante, dans les fantasmes de transgression de ses amants plus âgés. Prétendre la méconnaître n’est d’aucun secours pour se remettre de tels épisodes – si c’est vraiment de cela qu’il s’agit.

Et puis il existe des histoires d’amour et/ou sexuelles qui enjambent la différence d’âge. Ce n’est ni dégoûtant, ni criminel. Simplement – un peu – hors norme.

Mais l’« emprise », me direz-vous ?

« C’est Vénus tout entière à sa proie attachée » : Phèdre, éprise de son beau-fils. Image de prédation, en effet. Mais quel que soit son destin, heureux ou tragique, une passion – une emprise – a-t-elle ailleurs qu’au plus secret de soi sa source irrépressible ?

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Le déconcertant président du Salvador

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Les résultats de Nayib Bukele en matière sécuritaire étant impressionnants et profitant à toute la population, il a été réélu triomphalement pour un second mandat le mois dernier. Toutefois, on ne fait pas d’omelette sans casser quelques œufs…


À l’inverse de l’image donnée par la presse, l’élection le 4 février du président salvadorien, Nayib Bukele, 43 ans, Palestinien de la troisième génération, à un second mandat de cinq ans, n’est pas anecdotique, et lui encore moins un « huluberlu ». Sa réélection pose deux questions de fond que ledit État de droit élude. Est-ce que le droit à la sécurité de tout un chacun n’est pas celui qui doit primer sur tous les autres ? Et est-ce que la limitation des mandats, qui tend à se généraliser, ne porte pas atteinte au libre choix des électeurs ?

Un score canon

S’il a été plébiscité, en recueillant 84,6% des suffrages et en réduisant l’opposition à trois sièges sur les 60 de l’Assemblée législative, chambre unique, c’est parce qu’il a réussi l’impossible : éradiquer les « maras », ces gangs importés de Los Angeles par les migrants de retour au pays après les accords de paix de 1992 et qui avaient mis en coupe réglée le pays, le plus petit d’Amérique centrale, deux départements et demi français, mais le plus densément peuplé avec 310 habitants au km2. Le Salvador a été de 1980 à 1992 le théâtre d’une guerre civile qui a fait 80 000 tués. A leur démobilisation, bon nombre de guérilleros « perdus », n’ayant pas été intégrés dans l’armée régulière, mais forts d’une compétence acquise au cours de ces 12 années de lutte armée, rejoignirent les « maras », contribuant de la sorte à qu’elles s’érigent en un quasi-Etat.

En vert, le petit Salvador, 6 millions d’habitants, capitale : San Salvador. DR.

Pour y parvenir, Nayid Bukele n’a pas eu d’état d’âme ni lésiné sur les moyens. Estimant que les droits de l’homme doivent bénéficier aux honnêtes gens et non aux criminels qui s’en moquent, il confia, à peine investi, à l’armée, autorisée à ouvrir le feu, la traque des membres de ces gangs, faciles à identifier car tatoués des pieds jusqu’au visage, construisit une prison de 40 000 places « d’où on ne sort plus quand on y rentre ». Et envoya 75 000 de ces tatoués derrière les barreaux. C’est comme si la France avait construit 400 000 places de prison et incarcéré 750 000 délinquants.

Exceptionnel

Les vendredi et samedi 22 et 23 mars 2022 furent la fin de semaine la plus sanglante depuis la conclusion de l’accord de paix : 87 individus furent tués dans l’agglomération de San Salvador, la capitale, qui compte en tout près de 2 millions d’habitants, un tiers de la population du pays. D’urgence, le samedi soir, Nayid Bukele convoque une cellule de crise, le lendemain matin fait voter à une majorité des deux tiers l’Etat d’exception qui entre immédiatement en vigueur. L’armée déboule alors dans les quartiers sous contrôle des deux principales « maras », Salvatrucha (Sauvetruite) et Barrio 13 (Quartier 13) et procède à des rafles massives. Le résultat a été immédiat et spectaculaire. En 2018, un an avant son accession à la présidence, le taux d’homicides était de 56 pour 100 000 habitants, le plus élevé au monde à l’époque. En 2023, il n’était plus que de 2,5. En France, il est de 1,5. Anticipant les reproches rituels des ONG, de l’ONU, sur l’atteinte aux valeurs démocratiques, lui-même se qualifia de dictateur, mais de « dictateur cool ».   

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Tenue décontractée-chic, courte barbe, chevelure gominée rejetée en arrière, parfois coiffé d’une casquette visière sur la nuque, Nayib Bukele est un personnage assurément déconcertant, car, à première vue paradoxal.

Publicitaire de profession, à ce titre, il a été chargé de la com du principal parti de gauche, le Front Farabundo Marti de Libération nationale (FMLN), héritier du mouvement de guérilla quand, suite à l’accord de paix, celui-ci a troqué les balles pour le bulletin. Pendant 30 ans, il alterne au pouvoir avec le parti de droite Alliance pour la Renaissance nationale (ARENA), jusqu’en 2019, quand Nayib Bukele est élu président à la surprise générale dès le premier tour avec 53% des voix. Dégagisme et sécurité avaient été les deux thèmes de campagne.

Bitcoin City

Auparavant, Nayid Bukele a été pendant six ans un élu de terrain, notamment maire de la capitale sous l’étiquette FMLN qui l’exclura pour « dérive droitière ». Puis à la tête de l’Etat, trois ans avant qu’il soit côté à Wall Street, il adopte le bitcoin comme devise nationale avec le dollar. Son projet est d’ériger une ville nouvelle, la Bitcoin-city, qui se consacrerait à la production de la cryptomonnaie. Son ambition est de faire du Salvador une plateforme à « start-ups ». Fan de surf, pour donner une image fun de son pays, il transforme aussi trois modestes stations balnéaires en Surf-city…

Second président d’origine palestinienne, père chrétien converti à l’islam, mère et épouse catholiques (cette dernière a eu un grand-père juif), lui se dit sans religion. Le lendemain du pogrom du 7 octobre, il fait une déclaration fracassante : « La meilleure chose qui puisse arriver au peuple palestinien est la disparition du Hamas. Ces bêtes sauvages ne représentent pas les Palestiniens. Quiconque soutient la cause palestinienne commettrait une grave erreur en se rangeant du côté de ces criminels. »

En principe, la constitution lui interdisait de se présenter à un second mandat, à moins d’attendre dix ans. Mais c’était sans compter sur une maladresse dans la rédaction de l’article concerné. Il saisit la Cour constitutionnelle. Celle-ci tranche en sa faveur. L’article proscrit « deux mandats de suite ». Les juges estiment qu’en effet s’il démissionne six mois avant l’échéance de son premier mandat, il n’enchaîne pas « deux mandats de suite » et peut donc postuler puisqu’il y a eu ce qu’on appelle « une solution de continuité ». S’il n’avait pas pu se présenter, les Salvadoriens auraient eu droit à nouveau à un duel entre les deux candidats du FMLN et l’ARENA qui ont recueilli respectivement 6,4% et 5,5% des voix, et chaque parti, l’un deux députés, l’autre un. Les urnes ont tranché sans appel.

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Bas de laine

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Le nouveau film de l’Argentin Rodrigo Moreno suit deux modestes – mais audacieux – employés de banque de Buenos Aires qui en ont assez de la routine… Savoureux, attendrissant et cruel. Los delincuentes de Rodrigo Moreno. En salles le 27 mars 2024


Costard cravate ringard de petit employé de banque, Moràn (Daniel Elias) exerce son métier sans joie depuis des lustres dans une agence défraîchie de Buenos Aires, assez loin du décor high-tech auquel nous sommes accoutumés pour ce genre de boutique. N’en pouvant plus, le quarantenaire fait le calcul : si, dans le coffre auquel ses années de bons et loyaux services lui donnent accès quotidiennement, il puise, en cash, l’équivalent de ce qu’il va toucher comme salaire jusqu’à sa retraite, il pourra se la couler douce, sans faire d’excès, en claquant lentement, avec pondération, son petit bas de laine. Adieu travail, adieu routine.   

Insoupçonnables

Moràn prend soin de multiplier par deux l’estimation du montant nécessaire, en sorte de partager le pactole, le temps venu, avec Ramon (Esteban Bigliardi), son collègue employé modèle, encore plus insoupçonnable que lui. À Ramon de mettre en lieu sûr les liasses de dollars (le peso argentin, comme l’on sait, ne vaut plus rien), pendant que lui, après s’être dénoncé à la police, purgera comme il se doit ses six années de prison dont, prévoyant, il anticipe qu’elles seront automatiquement ramenées à trois ans, pour bonne conduite.

Complices d’opportunité, voilà nos deux hères devenus delincuentes – faut-il traduire ? Tout semble se passer selon leurs plans. A cela près que la sinistre maison d’arrêt n’a rien d’un havre de paix pour Moràn, soudoyé sans délai par le parrain des lieux (de façon significative, un seul et même acteur, German Da Silva, campe d’ailleurs le malfrat et le directeur de la banque – Janus d’une seule et même oppression, semble nous suggérer ce doublon). Quant à Ramon, il doit faire face aux soupçons (légitimes) d’une investigatrice pugnace, en charge d’enquêter pour le compte des assurances au sein de la banque, dans une ambiance évidemment délétère, qui met le personnel à cran. Ramon, en proie aux insomnies et tenté par l’alcoolisme, voit son foyer conjugal passablement perturbé.

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La fable nous entraîne bientôt loin de la capitale argentine, au cœur de cette nature inviolée où Ramon a été chargé par Moràn d’enfouir le sac contenant les précieuses liasses, sous un énorme rocher, non loin d’un plan d’eau sur la rive duquel pique-nique et se délasse un conclave des deux sexes, auquel le citadin sera invité à se joindre… S’ensuivra une drôle de romance où convergeront à leur insu les assiduités de nos deux apprentis forbans pour une naïade néo-rurale.

Conte savoureux

Los delincuentes, sixième long métrage du pontife de la « nouvelle vague argentine » Rodrigo Moreno déploie ainsi, en deux actes dont cette « partie de campagne » fait la jonction, le théâtre captivant d’un récit nimbé de musiques, aux aller-retours temporels inattendus, et dont la durée, étirée sur plus trois heures, fait pièce au formatage de nos fatigantes séries télévisées. Conjuguant l’air de rien, et sans y insister outre-mesure, quelques remarquables audaces formelles (split-screens, fondus alentis, superbes panoramiques ou plans fixes sur les paysages), sa coulée sans accrocs s’adosse à un scénario construit avec sûreté. Au fil des péripéties de ce conte à la fois savoureux, attendrissant et cruel, s’esquisse sans pathos, mais avec beaucoup de poésie, le rêve rousseauiste d’une vie simple, tout entière livrée à l’oisiveté, en communion avec la nature, sans préoccupation du lendemain, sans iPhone ni réseaux sociaux.

Sciemment anagrammés pour leur donner sens, les prénoms de Moràn et Ramon, et de Morna et Norma, leurs âmes-sœurs de rencontre dans ce paradis sylvestre, paraphent en quelque sorte l’utopie mi-écolo mi-anarchiste de se soustraire une bonne fois pour toutes aux contingences du réel. L’errance contre la routine, en somme. À ce titre, nous sommes tous des délinquants en puissance.              


Los delincuentes. Film de Rodrigo Moreno. Argentine, Luxembourg, Brésil, Chili. Durée : 3h10.

Crocus City Hall: l’Etat islamique frappe en Russie

Un deuil national a été observé hier dimanche, au surlendemain de l’attentat revendiqué par l’Etat islamique qui a fait au moins 137 morts dans une salle de concert de la banlieue de Moscou. Vladimir Poutine a allumé un cierge dans la chapelle de sa résidence de Nono-Ogarevo à cette occasion. Samedi, il s’est exprimé sans mentionner la revendication de l’organisation Etat islamique, et le régime travaille depuis à faire porter des responsabilités sur… l’Ukraine – pour y motiver une augmentation de ses frappes.


Vendredi 22 mars au soir, Moscou connaissait l’un des attentats les plus sanglants de son histoire. A l’heure où ces lignes sont écrites, le bilan humain s’est considérablement alourdi. On décompte ainsi au moins 137 personnes assassinées et 114 blessées causés par cette attaque armée qui a été suivie de l’incendie du Crocus City Hall, salle de concert de la proche banlieue moscovite située à Krasnogork. Le Kremlin a annoncé l’arrestation de quatre des onze terroristes présumés impliqués lors de cette équipée sauvage et meurtrière.

Un attentat revendiqué par l’Etat islamique

Revendiqué par l’Etat islamique, l’attentat de Moscou rappellera à tous les Français les images traumatiques du 13 novembre 2015 au Bataclan. Dès le lendemain, le groupe Etat islamique publiait un communiqué décrivant l’opération : « Elle a été menée par quatre combattants du Califat armés de mitrailleuses, d’un pistolet, de couteaux et de bombes incendiaires ». Les djihadistes ont aussi précisé que l’attentat s’inscrivait dans le contexte plus large de « la guerre faisant rage » entre eux et tous « les pays combattant l’islam ». Visé par les spécialistes comme Wassim Nasr, le groupe Etat islamique au Khorasan est la piste privilégiée par les experts. Il ne s’agit pas d’un groupe mineur puisque l’EI-Khorasan d’origine afghane s’est fait connaître par une importante activité terroriste ces dernières années.

Issu d’une scission au sein des talibans pakistanais, le groupe djihadiste dont le nom fait référence à l’Afghanistan médiéval, qui comprenait alors des pans du Turkménistan, de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan d’où viennent les quatre premiers terroristes interpellés, sont particulièrement violents et suivis par les services de renseignement américains depuis déjà plusieurs années. En août 2021, ils ont notamment commis un attentat à l’aéroport international de Kaboul qui a entraîné la mort de 13 soldats américains et 170 civils. Ils ont aussi été à l’origine de l’attentat de Kerman en Iran, causant 84 victimes lors d’un évènement commémorant le souvenir du général Qassem Soleimani.

Plus significatif encore, ils ont attaqué l’ambassade russe de Kaboul lors d’un attentat suicide en septembre 2022. En guerre contre le régime des Talibans en Afghanistan, le groupe Khorasan reproche notamment à la Russie de s’être rapprochée de son principal antagoniste. Les Talibans ont tué l’un des chefs du groupe en avril 2023, et l’ont de ce fait empêché de s’emparer de territoires au sein de cet Etat d’Asie mineure perpétuellement déstabilisés par les conflits tribaux et les factions islamistes. Il n’y a pas à chercher beaucoup plus loin la motivation de Khorasan, groupe qui ne recule devant rien et d’un fanatisme tel qu’il effraie donc même les Talibans.

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Les Etats-Unis avaient d’ailleurs alerté le Kremlin de l’imminence d’une attaque il y a tout juste quinze jours. Ce partage de renseignements a semble-t-il été balayé d’un revers de la main par Vladimir Poutine lui-même, comme en témoigne un enregistrement où le président russe explique qu’il ne se laissera pas intimider par « le chantage de la peur des Occidentaux visant à déstabiliser la société ». Une vidéo depuis effacée du site officiel du Kremlin ! Il aurait pourtant dû prendre en compte ces bienveillants conseils au vu de la catastrophe du 22 mars… Mais il faut croire que Vladimir Poutine semble ne pas vouloir ouvrir la boite de Pandore de la Fédération de Russie, où vivent entre 15 et 20% de musulmans de diverses obédiences, parfois particulièrement guerriers comme les Ingouches, les Daghestanais ou encore les Tchétchènes dont l’actuel calme apparent ne peut masquer les rancœurs tenaces encore présentes dans une partie non négligeable de la population. Quant aux Tadjiks, à l’œuvre lors de l’attentat du Crocus City Hall, ils sont tout de même plus de 500 000 à Moscou et indispensables pour occuper les petits métiers de service. A Moscou comme chez nous, Vladimir Poutine devra aussi composer avec le « pas d’amalgame » d’un Empire qui peut basculer d’un moment à l’autre dans la guerre civile, où la citoyenneté russe ne se confond pas avec la nationalité. Il est aussi à noter que la garde personnelle du premier Calife de l’Etat islamique Al-Baghdadi était constituée de Tadjiks.

Autre élément troublant, le Kremlin a désigné l’un des Tadjiks interpellés comme ayant combattu en Ukraine. Il s’agit d’une désinformation puisqu’ils ont sciemment montré une photo de Abdel Hakim al-Chichani, ancien émir d’Ajnad al-Kavkaz en Syrie, un Tchétchène dissident qui a effectivement servi à Bakhmout mais qui n’a jamais appartenu ni à Al-Qaeda ni à l’Etat islamique, et n’a par ailleurs rien à voir avec l’attentat du Crocus City Hall.

Quand le régime russe se défausse et alimente le complotisme mondial

Pour comprendre les positions du Kremlin, il faut parfois regarder ce que disent ses zélateurs occidentaux sur les réseaux sociaux. Confus et troublés par la situation, nombre d’entre eux ont immédiatement accusé les Ukrainiens, la CIA ou encore Israël d’être derrière les attentats.

Une personnalité comme Aymeric Chauprade a manifesté son soutien légitime au peuple russe endeuillé tout en ajoutant, grandiloquent et plein d’emphase : « Des forces profondes et maléfiques, venues de l’Ouest, ont entrepris depuis 2014 au moins de précipiter le monde dans la guerre mondiale. Rien ne les arrêtera pour semer la haine entre les peuples et à l’intérieur des peuples. » Un sous-entendu ne faisant pas mystère de son sentiment profond : l’attentat djihadiste couvrirait selon lui une opération plus obscure, issue des esprits dérangés des Occidentaux… Dans le même goût, Youssef Hindi écrivait le soir même que « Daech frappe systématiquement les ennemis des Etats-Unis et d’Israël. C’est pas du complotisme, c’est la théorie de la coïncidence. »

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Des propos qui trouvent un écho aux Etats-Unis, avec un compte Twitter très influent et dont le compteur s’affole depuis qu’il a adopté des positions propalestiniennes lors du conflit entre Israël et le Hamas, celui de Jackson Hinckle. Ce trouble personnage, reçu récemment au Kremlin par Sergeï Lavrov, voyait lui aussi la main de la CIA dans l’attaque. Du côté des officiels russes, il ne semble pas y avoir urgence à lutter contre les djihadistes, mais bien à instrumentaliser l’attentat pour justifier de nouveaux bombardements contre les civils ukrainiens. Bricolant à la va-vite un lien avec le « régime kievin » honni, Vladimir Poutine a ainsi affirmé que les terroristes se dirigeaient vers la frontière la plus gardée du monde dans l’espoir de rejoindre leurs complices « nazis ». Un amusant et paradoxal aveu de faiblesse destiné tant à cacher la réalité de la menace islamiste pesant sur la Russie qu’à opportunément saisir un nouveau prétexte pour blâmer l’ennemi héréditaire et démonisé.

La réalité est aussi que les services de renseignements et les forces de l’ordre russes ont failli au Crocus City Hall. Les terroristes ont pu massacrer des innocents plusieurs heures durant au vu et au su des caméras, sans masques, et repartir au volant de la voiture à bord de laquelle ils s’étaient rendus sur les lieux en empruntant une autoroute ultra surveillée. Arrêtés dans la région de Bryansk, ils sont ensuite passés aux aveux express après avoir été vraisemblablement torturés, l’un d’entre eux ayant été forcé à manger l’une de ses oreilles coupées sous l’œil des caméras, admettant finalement avoir fomenté une opération suicide dans l’optique de gagner l’équivalent en roubles de 11 000 euros… Ca ne tient pas. Sur place, la police n’a pas tiré un coup de feu. La vérité est que la police russe a été débordée et était insuffisamment préparée à une telle attaque. Le Kremlin, à commencer par le vice-président Medvedev qui a accusé l’Ukraine de complicité, ne veut pas assumer ses responsabilités et tente de profiter du brouillard informationnel habituel que ses mensonges permanents amènent. Comme l’a très justement déclaré François Hollande : « Certains suspects parmi les personnes interpellées avoueront, sans doute sous la torture, qu’ils voulaient fuir en Ukraine et nieront leurs liens avec Daech. Car Poutine voudra mettre cette atrocité au service de sa guerre contre l’Ukraine. » Il n’est qu’à voir l’acharnement mis par les terroristes pour être bien certains que leurs actes cruels leur soient attribués à eux et rien qu’à eux, notamment avec la diffusion d’une vidéo en caméra embarquée d’une extrême brutalité.

La Russie ayant fait du faux un moment du vrai, il est malheureusement à craindre que ses contre-vérités ne soient crues par beaucoup. Elle alimente aussi légitimement la suspicion de ses adversaires, qui faisant référence à des évènements passés comme l’empoisonnement de Timochenko ou les attentats possiblement sous faux drapeaux tchétchène de la fin des années 90, les pensent capables d’avoir provoqué un attentat. Pourtant, il semblerait bien que cette cellule de l’Etat islamique ait la Russie dans son viseur depuis longtemps. Ça ne fait pas les affaires de Vladimir Poutine, pas plus que celle de son peuple ou les nôtres, mais c’est ainsi.

Reste que la lecture partielle et partiale de certains commentateurs qui se sont empressés de dire que le véritable ennemi n’était pas la Russie mais l’islamisme est toute aussi fausse.

Les deux entités sont aussi dangereuses l’une que l’autre. Les atermoiements russes et le flou entretenu autour de ce cas tragique permettent d’ailleurs de mesurer l’irresponsabilité de ce régime.

Adieu, Maurizio Pollini!

Hommage à un dieu du piano


La sonate s’appelle « Les adieux ». En allemand, l’adieu (Lebewohl). Le premier mouvement dit merveilleusement l’attente. Le troisième mouvement, le retour, est un cri d’allégresse. On dit de cette sonate sa richesse et sa difficulté. À la fin d’un concert, pour prendre congé d’un public transporté, il s’asseyait et jouait la tendre berceuse de Chopin. Nous n’entendrons plus cette berceuse. Maurizio Pollini est décédé samedi 23 mars, à l’âge de quatre-vingt-deux ans, dans les premiers jours du printemps, à Milan, nous laissant en partage la nostalgie —ce sentiment si beau — de sa présence et de ses concerts, salle Pleyel et à la Philarmonie.

Des sonates, des sonates, oui mais avec Pollini!

On ne présente pas Maurizio Pollini, ce monde de musique qu’il a construit et nous a donné, année après année, avec une rigueur et une émotion exceptionnelles. Je me souviens de l’intégrale des sonates de Beethoven. Je me souviens de Debussy, d’une merveilleuse Cathédrale engloutie, loin d’un climat français symboliste décadent. Du Clavecin bien tempéré de Bach, à l’opposé de la mécanique des notes à laquelle certaines interprétations nous avaient habitués. De la sonate de Liszt qui avait bouleversé une salle entière debout dans une standing ovation qui n’en finissait pas. Des sonates de Pierre Boulez. En 2019, il avait joué, de nouveau, les trois dernières sonates de Beethoven qui demandent une telle virtuosité que peu de pianistes les donnent en concert. Ces sonates qui mêlent fugue et variations, harmonies et dissonances, exaltation et rêverie n’avaient jamais été jouées du vivant de Beethoven. Elles avaient désarçonné le public de l’époque par leur excentricité, jusqu’à mettre au compte de la surdité de l’auteur le baroque d’une musique échevelée. Pour nous, les sonates entrent en résonance avec les bouleversants derniers quatuors.

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Année après année, le temps avait creusé le visage, intériorisé les sentiments mais la vigueur, la violence titanesque, la virtuosité étaient toujours là, l’émotion allant de pair avec la sobriété. Ses concerts — on se souvient de la série « Perspectives Pollini » — étaient toujours composés avec le souci ardent d’éduquer le goût du public en lui faisant connaître ce qui ne lui était pas forcément familier. De l’ouvrir à des horizons inconnus. Chaque concert avait donc un climat musical singulier. En trente ans, de Debussy à Beethoven, Bach, Liszt, Nono, Boulez on n’aura vu qu’une fois Pollini devant une partition. Quel cerveau électronique remplacera jamais les mains du pianiste quand un public, fait d’êtres vivants, participe, disait-il, à l’acoustique elle-même du piano ?

Ne reste que les enregistrements…

Dans Musique, mythe, nature, le musicien contemporain François-Bernard Mâche dit que la musique doit faire trouver «  comme l’ébauche d’un sens dans ce monde »— le critère en étant la joie. L’immense pianiste Maurizio Pollini nous a quittés. Nous ne le verrons plus, vêtu avec élégance, se diriger de son pas pressé, vers le piano, avoir hâte de nous prendre dans la musique. Nous n’entendrons plus les dernières notes de la berceuse de Chopin. Il nous reste ses enregistrements, et la mémoire, servante fidèle.

Car jamais un enregistrement ne rendra la grâce— et c’est heureux— du moment d’éternité que représentait le concert. Adieu, Maurizio Pollini, et merci !

Musique - Mythe - Nature

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Ainsi, à Poutine aussi…

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Que Vladimir Poutine soit à la tête de la puissante Russie avec la main de fer que l’on sait ne l’a pas rendue invulnérable. Pire, ses services de renseignements ont été ridiculisés, car des avertissements n’ont semble-t-il pas été écoutés.


L’horreur de cet attentat revendiqué par l’Etat islamique et perpétré apparemment par quatre assaillants (au moins cent trente-sept morts dont trois enfants et cent vingt-et-un blessés dans cette salle de spectacle dans la périphérie de Moscou) suscite analyses et sentiments mélangés. Onze personnes ont été interpellées dont, semble-t-il, les tueurs. Ainsi cela arrive aussi dans une dictature et aucun pouvoir n’est à l’abri. Que la cause de cette tuerie soit endogène, comme le pense Christian Prouteau sur CNews, ou exogène, Daech a donc la possibilité, ses capacités de nuisance recouvrées et organisées, de commettre le pire et de réussir cette odieuse entreprise : massacrer des chrétiens et autres victimes. Qu’un Poutine soit à la tête de ce pays avec une main de fer ne l’a pas rendu invulnérable. En plus de la guerre contre l’Ukraine dont la responsabilité lui incombe, Poutine va devoir mener une lutte sur un second front qui va le mobiliser encore davantage que le premier car il concerne, sans le moindre filtre, son image auprès de ses concitoyens. Le virilisme autoritaire de leur président n’est pas un bouclier absolu. Pour peu que l’information circule, les Russes seront également au fait de la bêtise absurdement complotiste de leur chef, avisé une quinzaine de jours avant le massacre par l’ambassade des Etats-Unis à Moscou du risque sérieux d’une attaque mais qualifiant cette annonce, trois jours avant qu’elle ait lieu, de « chantage évident ». Poutine n’est pas le premier, dans l’Histoire du monde et parmi les potentats l’ayant dévoyée, à ne pas avoir cru à une révélation qui pourtant aurait peut-être pu permettre de prévenir une ignoble tuerie. Mais les dictateurs, dominés par leur haine et la certitude de leur toute-puissante lucidité, ne savent plus écouter. On devrait, dans un Etat normal, en faire grief à ce chef sourd et aveugle mais la Russie vit en autarcie politique sous une implacable férule. N’est connu que ce qui sert à glorifier le dictateur et à mentir à son peuple. Quand j’ai appris l’horreur, ma naïveté, mon rêve de paix ont une seconde espéré. Malgré les menaces toujours aussi délirantes d’un Medvedev qui semble avoir perdu la tête en pratiquant un honteux extrémisme du langage, hier contre notre président, le 22 contre les dirigeants de l’Ukraine. Poutine sur la même ligne, en moins grossier, avec des insinuations sur la responsabilité ukrainienne… Quoi qu’il se passe, rien ne change… Cette illusion fugace, si vite dissipée, se fondait sur le fait qu’il aurait pu se créer avec ce massacre une sorte de fraternité liant les victimes de Daech et faisant passer au second plan toutes les autres considérations. Mais à l’évidence ce sentiment ne pouvait pas naître dans la tête d’un Poutine. Celui-ci est encore là pour longtemps et sa personnalité totalement cynique et abjecte va continuer à dominer, dans la force des rapports, un jeu international où sa supériorité, parce que dépourvue de toute morale, va l’emporter dans le rapport de force avec ses adversaires entravés. Contrairement à lui, ils ne peuvent pas, ils ne doivent pas, tout s’autoriser.

Homme déconstruit qui s’assume enfin, voici comment je suis devenu heureux

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L'actrice et essayiste féministe Noémie de Lattre, Monaco, 2015 © VILLARD/NIVIERE/SIPA

Comment je me suis reconstruit en tant qu’homme, grâce à #metoo et au féminisme.


Tout d’abord un aveu : pendant une période ma vie, je me souciais peu du féminisme. Je n’étais pas éduqué sur ces questions. Enfant, ma mère portait la culotte à la maison, mais pourtant elle ne m’expliquait pas la théorie féministe. Adolescent puis jeune adule, je ne m’intéressais en réalité pas du tout à la doctrine féminisme réelle. Pour vous donner une idée de mon ignorance : un ami me dit un jour que Gisele Halimi était proche du MLF, je ne savais même pas ce qu’était le MLF, j’ai cru que l’on me disait qu’elle était une MILF, et j’ai répondu « Chacun ses goûts, Gisèle Halimi n’est pas mon type de femme ». Je n’en veux pas à mes parents, c’était une époque où l’on élevait ses enfants sans forcément les éveiller aux luttes pour l’égalité. Je suis simplement né au mauvais moment. Ah si je pouvais d’un coup de baguette magique, retourner dans ces années et tout recommencer en sachant ce que je sais aujourd’hui grâce au féminisme ! Que d’erreurs éviterais-je ! Que de réussites accomplirais-je ! Mais voilà, ce n’est pas possible, comme le dit Kundera, la vie n’est vécue qu’une seule fois et sans aucune préparation.

Le jour où mon destin a basculé

Ma vie a basculé beaucoup plus tard, le 22 janvier 2018, un peu après #metoo. Je marchais dans Londres, j’ai oublié le but de cette marche. Ce que je n’oublierai jamais, en revanche, c’est cet autocollant féministe sur une des colonnes blanches d’une maison de Onslow Square, à South Kensington : « Feminism : educate yourself ! Read the following books… » Suivait une liste de cinq essais écrits par des féministes, parmi lesquelles Judith Butler et Valérie Solanas notamment. Médusé, je réalisai ce jour-là que je n’en avais lu aucun ! Même pas un sur cinq ! Pourtant je me croyais cultivé, j’étais un grand lecteur depuis toujours, mais un lecteur de romans, pas d’essais. J’ai photographié la liste. J’ai commandé ces cinq essais. Les ai lus. Je me suis éduqué au féminisme ! De fil en aiguille j’ai découvert des blogs, des podcasts de scientifiques féministes françaises, Noémie de Lattre, Victoire Tuaillon, Camille Froidevaux-Metterie. Tel Serge Lama, qui a réalisé, en allant voir les petites femmes de Pigalle lorsque sa femme l’a quitté, qu’en amour il n’y connaissait rien, j’ai réalisé qu’en « genre », en rapports hommes-femmes, je n’y connaissais rien ! J’appris par exemple qu’il y avait deux types d’hommes : les hommes « déconstruits » qui remettaient en question les stéréotypes de la virilité et s’interrogeaient sur la leur, et les hommes « virilistes », toxiques, qui ne se posaient aucune question et n’hésitaient pas à affirmer leur virilité sans honte. L’homme déconstruit c’est le nom scientifique de ce que les Américains appellent un « loser », compris-je en lisant la littérature féministe. L’homme viriliste, au contraire, c’est le « winner », celui qui collectionne les conquêtes féminines, la réussite professionnelle et le prestige social.

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Alors j’ai commencé une introspection. J’ai réfléchi. Je lisais beaucoup de romans, je l’ai déjà dit. J’avais adoré l’Amie prodigieuse d’Elena Ferrante, un chef-d’œuvre de la littérature européenne, selon moi. Je ne connaissais pas les marques de voiture, ne faisais pas la différence entre une Ferrari et une Porsche par exemple. Je détestais la Formule 1, ne comprenais même pas comment ce sport pouvait intéresser quelqu’un. Je me déplaçais à vélo. Au club de sport, je n’utilisais aucun appareil de musculation. Je n’avais jamais fumé le cigare et détestais son odeur. Parmi mes amis hommes, j’étais souvent le seul à avoir déjà assisté à un ballet à l’Opera (ma femme m’avait obligé à l’y accompagner il y a 20 ans, et je ne m’étais même pas endormi). J’aimais le jus de pamplemousse. Au pub, mes copains prenaient des pintes de bière, moi un Coca Zéro. Souvent dans les soirées, un groupe d’hommes se formait, j’essayais de me glisser parmi eux. Mais ils se mettaient à parler de voitures, échangeaient des informations sur les meilleurs spots de kitesurf puis partaient fumer le cigare en terrasse ! J’étais largué, incapable de participer à ces conversations, je me retrouvais contre mon gré seul homme dans un groupe de leurs femmes à discuter de romans ou des études des enfants. Dans les barbecues, je privilégiais les viandes peu grasses comme le blanc de poulet alors que mes amis hommes préféraient les côtes de bœuf et les saucisses. Au bout de quelques semaines d’introspection : je compris enfin la terrible réalité : j’étais, et j’avais toujours été, un homme « déconstruit » !

Je prends mon ticket pour le Salon du barbecue

C’était affreux. Et cela expliquait sans doute, je le réalisais, mes difficultés dans la vie. Alors que mes amis hommes qui fumaient le cigare étaient souvent membres de leur Codir, je n’étais qu’invité au Codir de temps en temps. Ils avaient un 4×4 BMW, moi un break Volvo ! Ils trompaient leurs femmes avec des top-modèles de 25 ans, des danseuses baltes du Crazy Horse, moi seulement avec une voisine à la retraite, de 25 ans de plus que moi, – et encore, je ne voulais pas, c’était elle qui m’obligeait, elle me menaçait de tout dire à ma femme si je refusais – ! Ils avaient d’énormes barbecues Weber au charbon, j’avais le modèle électrique. C’est comme si soudain j’avais été ébloui par la lumière de la science: tout s’éclairait ! Je comprenais mon chemin de vie, mes difficultés ! J’étais un homme déconstruit, c’était déprimant, oui, mais je devais l’admettre. À cause de cela j’avais raté la première moitié de ma vie. Sauf que je pouvais réagir, parce que j’avais lu les auteurs féministes, parce que j’étais éduqué dorénavant. Je connaissais la suite du chemin. C’était un chemin difficile, pentu, il fallait du courage et beaucoup de travail, mais je devais me RECONSTRUIRE. Alors j’ai travaillé sur moi, jour après jour, mois après mois. J’ai d’abord changé de voiture, acheté une BMW. Je me suis mis à fumer le cigare. Au début, juste une taffe, c’était horrible, je toussais, j’avais mal à la gorge. J’ai augmenté progressivement les doses. Je me suis habitué à la bière. J’ai lu Sapiens, puis les biographies de Steve Jobs et Warren Buffet. Ces essais étaient sans intérêt, pénibles, mais les lire me permettait de participer aux discussions entre hommes virilistes. Le plus facile a été d’arrêter complètement le jus de pamplemousse, finalement ce n’était pas si important pour moi.

Image d’illustration Unsplash

Aujourd’hui je suis reconstruit et heureux. J’ai un vrai barbecue, au charbon, pas électrique. Je bois des pintes de bière avec mes copains. Je ne trompe plus ma femme avec la voisine à la retraite mais avec sa petite-fille qui est danseuse. Lorsque je fais l’amour, je ne me préoccupe plus du tout de l’orgasme de ma partenaire, alors que j’en étais obsédé lorsque j’étais un homme déconstruit, et pourtant, -c’est incroyable-, le taux d’orgasme de mes partenaires, qui n’était que de 44% lorsque j’étais déconstruit, est passé à 71%*. Dans mon Codir, trois hommes ont été virés pour être remplacés par trois femmes au nom de la parité. Et pourtant, au même moment, mon patron m’a convoqué et m’a annoncé ma nomination comme membre permanent! Les trois hommes virés étaient trop déconstruits, sans doute, on les a choisis pour qu’ils se virent entre eux car on savait qu’ils ne protesteraient pas. Je suis heureux, enfin. Je suis un homme reconstruit. Souvent le soir, un verre de rouge dans une main, l’os de ma côte de bœuf dans l’autre, du heavy-metal très fort dans mes enceintes, je me dis que mon bonheur je le dois à #metoo et aux intellectuelles féministes qui m’ont éduqué. Je ne laisserai personne raconter que #metoo n’a pas été utile. Je voulais par ce texte les remercier de tout ce qu’elles m’ont apporté. On dit souvent que derrière chaque grand homme il y a une femme, eh bien derrière moi il y en a plusieurs. Oui, Judith Butler, Mona Cholet, merci, merci à toutes et à tous !

* Pourcentage calculé sur 12 mois glissant

Médecins de seconde zone

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Vincent Lacoste dans "Hippocrate" de Thomas Lilti (2014) © 31 Juin Films

Pour lutter contre les déserts médicaux, la députée LR de Corrèze Frédérique Meunier propose de donner une « deuxième chance » aux étudiants qui ont raté de peu le concours, contre un engagement de leur part à travailler 10 ans en milieu rural quand ils auront leur diplôme… Est-ce que cela revient à faire soigner nos campagnards par de mauvais médecins ? L’avis d’Elisabeth Lévy.


Une députée LR suggère de repêcher les étudiants en médecine recalés pour qu’ils aillent s’installer dans les déserts médicaux1.  Elle propose aux étudiants qui ont raté de justesse le passage en deuxième année (on ne redouble pas la première) de poursuivre leurs études contre l’engagement de choisir la médecine générale et de s’installer dans un désert médical. Symboliquement, ce n’est tout de même pas terrible, voire très choquant.

Car cela revient à admettre que la France des centres-villes a le droit à une médecine de première classe et celle des campagnes, à une sous-médecine. Et cela revient d’ailleurs également à dire aux étudiants : si tu es admis du premier coup, à toi les grandes villes, si tu es repêché, va soigner les « ploucs »…

85% du territoire concerné !

Évidemment, ce résumé ne correspond nullement à la volonté ou à la pensée de Frédérique Meunier, élue de Corrèze: quand elle parle de désert médical, elle sait de quoi elle parle. D’ailleurs, avec une humilité assez rare, elle dit que sa proposition est là pour contribuer au débat, qu’elle doit être améliorée ou amendée par ses collègues de l’Assemblée.

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Et si cette idée est problématique en théorie, son idée n’est pas absurde en pratique. Avec l’aléa d’un concours, il n’est pas sûr que des étudiants à qui il manque 0,1 ou 0,2 point pour passer en seconde année soient tellement moins bons. On ne parle pas de repêcher les étudiants qui sont dans les profondeurs du classement ! Beaucoup de recalés vont d’ailleurs étudier en Roumanie ou en Espagne et reviennent ensuite en France avec le statut de médecins étrangers. Personne ne s’en plaint…

Et, bien sûr, nous sommes face à un enjeu crucial. Les déserts médicaux concerneraient 85% du territoire et 51% des Français ! Lesquels doivent parcourir des kilomètres en voiture pour trouver un médecin quand leur enfant est malade.

Comment réglez-vous ? Avez-vous votre carte Vitale ?

À long terme, bien entendu, ce n’est pas en repêchant les recalés que l’on va régler ce problème : notre système éducatif doit produire les médecins dont nous avons besoin. La révision du numérus clausus va déjà dans le bon sens – si elle ne se traduit pas, comme  toujours et comme avec le baccalauréat, par une baisse du niveau… Néanmoins, la révision du numérus clausus mettra plusieurs années à produire des effets. Et cela ne suffira sans doute pas à attirer les meilleurs éléments d’une génération si l’on veut des médecins brillants.

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Nicolas Baverez dénonce la « soviétisation du système de santé » dans Le Figaro2: si la médecine de première ligne a disparu, c’est aussi parce qu’elle ne paie plus, dit-il. On a beau avoir la vocation, après dix ans d’études, une consultation à 26,50 euros (contre 70 en Allemagne, et 200 dollars aux États-Unis), ce n’est pas très attractif ! Si on veut des médecins bien formés, il faut les payer, ce qui signifie que les Français doivent accepter de contribuer à hauteur de leurs moyens. En attendant, la proposition de Frédérique Meunier mérite donc d’être étudiée.

Après tout, il vaut mieux être soigné par un médecin repêché au concours que pas soigné du tout.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio.

Retrouvez Elisabeth Lévy du lundi au jeudi dans le « Grand Matin » de Patrick Roger.


  1. https://www.francebleu.fr/emissions/invite-de-8h15-de-france-bleu-limousin/frederique-meunier-deputee-lr-de-la-correze-presente-sa-proposition-de-loi-contre-les-deserts-medicaux-3509761 ↩︎
  2. https://www.lefigaro.fr/vox/societe/nicolas-baverez-la-sovietisation-du-systeme-de-sante-20240324 ↩︎

Quand les Portugais disent «ça suffit»

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Le leader de "Chega" André Ventura à Lisbonne, le 11 mars 2024. Son parti obtient 18% des voix © Paulo Spranger/Global Imagens/At/SIPA

Quelques jours avant de célébrer les 50 ans de leur « Révolution des Œillets », les Portugais ont triplé le score du parti de droite nationale « Chega », lors des élections législatives anticipées du 10 mars. Et en France, comment votent les lusodescendants ?


La chose était entendue. Le Portugal, comme l’Espagne, paraissait durablement hermétique aux sirènes de la droite populiste. Et, de la même manière qu’est apparu Vox, est apparu Chega (en français « ça suffit »).

La recette : discours anti-immigration et anticorruption. D’un seul député en 2019, le parti est passé à 12 en 2022, puis à 48 lors des législatives de mars 2024 – dans une Chambre qui compte 230 sièges. Député isolé lors de son élection il y a cinq ans, André Ventura fait désormais partie des leaders en vue au sein de la droite populiste en Europe.

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Mais alors, comment a voté la communauté portugaise de France ? Sur les deux sièges accordés aux Portugais de France, l’un a été remporté par José Dias Fernandes, député Chega. Au consulat de Marseille, le vote Chega monte à 20 % et se retrouve en tête. À l’échelle nationale, le score s’élève à 16 %. À noter que le parti arrive aussi en tête parmi les importantes diasporas installées en Suisse et au Luxembourg. Sur le site Fdesouche, un lusodescendant (un descendant d’immigrés portugais) commente : « La prochaine fois, je demanderai la nationalité portugaise, rien que pour voter Chega. » Si les enquêtes d’opinion basées sur l’origine ethnique sont interdites en France, une étude de Sciences Po Paris, en 2017, avait montré que la moitié des jeunes Français d’origine portugaise étaient prêts à voter Marine Le Pen, tandis que leurs aînés avaient un comportement plus proche de l’ensemble national. L’ancienne présidente du RN (comme son père déjà en son temps) a adressé des clins d’œil à la communauté portugaise, désignée comme modèle d’assimilation réussie.

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Marion, une militante de droite croisée au meeting de « Reconquête ! » du 10 mars et lusodescendante, commentait en marge les premiers résultats qui arrivaient de Lisbonne : « Le vote d’une bonne partie de la communauté portugaise pour Le Pen ou Zemmour, c’est l’affirmation d’une adhésion complète au projet national français. Et, étrangement, pour les plus motivés qui votent Chega, c’est comme la possibilité de voter une deuxième fois pour Marine ou pour Éric ! »


En déplacement à Lisbonne le 10 janvier 2021, Marine Le Pen scrute ce qui se profile de l’autre côté de l’Atlantique… © Alain ROBERT/SIPA Numéro de reportage : 00999282_000039

«C’est pas moi qui m’en occupe!»

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DR.

Ce n’est pas la grande démission mais… C’est le summum de la non-implication – la phrase qui semble exempter de tout effort celui auquel vous vous adressiez, en tant que malheureux client… N’importe quoi peut vous arriver: votre interlocuteur n’est pas concerné !


Dans les pays anglo-saxons, au lieu de cela, on vous demande « Can I help you ? » (en quoi puis-je vous aider) et on cherche comment. Le « c’est pas moi qui m’en occupe » est une rengaine qui fait que vous n’avez aucune chance que l’on vous réponde ou que l’on vous dépanne, que le responsable soit en pause-déjeuner, en congé de quelque chose, en télétravail, en tache familiale ou qu’il ait autre chose à faire ! En d’autres termes, « c’est pas mon problème ».

Et la conscience professionnelle alors ?

Un mouvement d’indifférence qui gagne du terrain. Dans le monde de l’entreprise, on se plaint à juste titre de l’absentéisme, des revendications des salariés pour travailler chez eux confortablement, pour obtenir plus de télétravail, des « pauses respiration » etc.  On ne parle pas encore vraiment assez de la vague de conséquences de ce détachement généralisé qui peu à peu nous pollue la vie.

Le détachement géographique, le recentrage sur soi et sa vie personnelle, le refus des responsabilités même anodines qui ne sont pas clairement contractuelles font que ce que l’on appelait « la conscience professionnelle », fierté des salariés de jadis, se retrouve diluée et classée au rang des valeurs périmées. Alors, on tente de la remplacer par des séances de coaching, de motivation, de méditation… Le principal, surtout, c’est « le bien-être en entreprise », c’est-à-dire tout ce qui fait le no-stress du salarié, lequel doit à tout prix échapper au burn-out. Le client, lui, peut stresser !

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Le salarié est peu à peu déconnecté avec bonne conscience de « l’intérêt général » de son entreprise. À chacun son boulot dans un égocentrisme croissant. Avez-vous remarqué que plus on parlait d’intérêt général – politiques compris – moins on se sentait concernés ? Parallèlement, l’État nounou contribue bien sûr à ce laxisme national revendiqué, en s’immisçant financièrement dans le confort des foyers au mépris de la dette. On raccommode vos vêtements, vos ressemelages. On rembourse vos aides à domicile. On s’assure que votre temps de travail est équitablement réparti. On gère votre implication familiale, pour que le salarié homme puisse avoir lui aussi le « droit » de s’absenter pour donner le bain de bébé. On attribue des vacances en « bons cadeaux », pour inciter à faire plus d’enfants. Et j’en passe… L’État veille sur votre vie privée : payez vos impôts, braves gens, on s’occupe de tout le reste. Y compris de la campagne de pub avec un dévendeur sur l’achat déconseillé pour mieux dé-consommer. Non mais on rêve !!

Le ministre à la Planète estime qu’il faut produire moins pour la sauver, le lendemain le président de la République nous explique qu’il faut produire plus… Allez comprendre.

30% des salariés tiennent les boîtes pendant que les autres regardent les trains passer

Comment ensuite développer un esprit de responsabilité au travail, au pays des RTT et des records absolus en « congés maladie » ? Récemment, les patrons l’ont échappé belle : les malheureux qui étaient malades ont brutalement eu le droit de bénéficier des congés payés liés à ces absences pour maladie… et le comble, c’est que l’on a failli rendre ce bénéfice rétroactif sur 14 ans ! Finalement on ne pourra remonter « que » sur trois ans. C’est tout comme si le gouvernement ne savait plus quoi inventer pour soustraire les salariés à leur entreprise. Avec l’intention sans doute de donner le « bon exemple » au privé, les parents divorcés dans la fonction publique pourront-ils dorénavant avoir une semaine par mois « en temps adapté » ?

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Il est évalué que dans une entreprise, 30% des salariés « tirent la boite » alors que les 70% restants suivent le mouvement, plus ou moins concernés. C’est ainsi que l’on constate que certains sont épuisés par l’énergie décuplée qu’ils doivent mettre pour compenser le minimal syndical de leurs collègues tire-au-flanc… Cette avalanche de bienveillances coûteuses, de coolitude organisée, de droits à tout et d’obligations à presque rien, nous entraine vers un dysfonctionnement généralisé dans tous les secteurs : manque de personnel, indifférence sur les engagements pris, retards dans tous les projets. La France fonctionne mal.

« Travailler plus » fait ricaner, on tend vers le travailler moins pour gagner moins, mais avec la compensation d’aides publiques. Alors qu’on devrait plutôt s’adapter à l’intelligence artificielle qui remplacera rapidement bien des emplois. Dernière nouvelle : on vient d’apprendre qu’il faut utiliser beaucoup moins son portable : 3 gigas par semaine max, préconise Najat Vallaud-Belkacem ! Cela donnera à certains une nouvelle excuse : « je ne peux pas vous aider, désolé j’ai atteint mes 3 gigas… »

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La parole révélée

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Judith Godrèche accorde un entretien au média Brut, 26 janvier 2024. © D.R

Judith Godrèche n’en finit pas d’accuser-condamner les hommes qui ont partagé sa vie et sa carrière. Victime sanctifiée aux Césars, elle est devenue le nouveau visage de MeToo. La profession est sommée de racheter son âme et, pour cela, n’hésite pas à sacrifier ses monstres sacrés.


Distillé crescendo depuis plusieurs semaines, l’édifiant feuilleton #MeToo de ce début d’année autour de Judith Godrèche appelle quelques réflexions. Dissonantes sans doute, dans le fascinant unisson qui enfle et porte toujours plus haut la complainte accusatoire de l’actrice « traumatisée »– ornementée parfois de pieuses repentances, ainsi les excuses sirupeuses présentées par Laure Adler à l’héroïne du moment.

Judith Godrèche revient des États-Unis après plusieurs années d’absence, avec une série dont il lui faut assurer la promotion, Icons of French Cinema, inspirée de son « enfance » abusée par le « système de prédation » du cinéma français. La chair innocente livrée sans défense à des Barbe-Bleue « systémiques » : thème porteur (et lucratif), depuis le succès phénoménal du livre de Vanessa Springora, Le Consentement.

Version antérieure

C’est dans le droit fil des thèmes lancés alors sur le marché florissant de la metoosphère – l’emprise, le scandale absolu que représente aujourd’hui l’idée d’une relation amoureuse ou sexuelle entre un adulte et un adolescent, ce dernier aurait-il atteint et dépassé l’âge de la majorité sexuelle –, que la Parole de Judith Godrèche opérera. « Avant d’être enfin entendue, c’est-à-dire que sa parole se change en vérité, Judith Godrèche avait déjà parlé. » (Hélène Frappat). Mystère de la transsubstantiation qui s’accomplit dans la grand-messe MeToo : « Ceci est mon corps outragé, amen ». Pour célébrants : les médias, grands et petits. Et parmi eux, guidant avec componction les génuflexions des dévots, quelques prélats : ainsi Le Monde délivre-t-il, trois jours de suite sur double-page (et en une le troisième jour ; le Christ est une femme) la Parole de la divine « enfant kidnappée ».

Elle avait déjà parlé, oui. Mais pour dire tout autre chose : lors d’une interview en 2010, elle évoquait son histoire de jeune fille de 15 ans « extrêmement déterminée » (fillette terrifiée ?) à vivre sa longue (et à beaucoup d’égards successfull) relation avec Benoît Jacquot, qualifié de « très séduisant » (vous avez dit « dégoût » ?), et dont l’emprise fut « extrêmement inspirante », dit aussi l’actrice.

Sa parole alors –sans majuscule : flatus vocis ? Judith Godrèche, toute fière, ne chuchotait guère pourtant. Elle renie aujourd’hui sa version antérieure, et ses mots inverses, consacrés par la liturgie médiatique de la « parole libérée » à laquelle tous sont aujourd’hui sommés de communier, font advenir enfin, proclame-t-on, le règne du Vrai, du Bien, du Juste. Que les Mauvais soient, en masse indistincte, précipités dans la géhenne. Jacquot = Doillon = Depardieu (derniers en date) = Richard Berry = Alain Corneau (†) = Harvey Weinstein = Woody Allen = Roman Polanski (le prototype) = tous les autres, à quoi bon les différencier, ils SONT le Vice. Dans un monde dûment purifié, tout ira mieux.

Sanctification définitive d’une opération de communication digne des télévangélistes les plus consommés : Judith Godrèche – qui a aussi officié lors de la cérémonie des César, la glamourisation de la « victimitude » est une affaire qui marche– sera reçue au Sénat, à l’initiative de quelques dames patronnesses des bonnes œuvres « féministes » (?) de la vénérable institution.

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La séquence va s’amplifiant jour après jour sous nos yeux azimutés par tant de « révélations » fracassantes – y compris sur des morts, au moins Alain Corneau n’aura-t-il pas le mauvais goût de vouloir se défendre des accusations de certaine demoiselle Grappin, « inspirée » (sic) par Judith Godrèche. Laquelle en dézingue deux d’un coup, plus un troisième (plus fort que Springora) : après Jacquot, Doillon, et dans le sillage de Jacquot, Gérard Miller, premier cas sérieux, quant à lui, de lapideur lapidé (Julien Bayou et Aurélien Quatennens, coupeurs de têtes intransigeants, sans oublier les déboires de quelques figures du Collectif 50/50 : des amuse-bouches vite oubliés). Lisons ou relisons Les dieux ont soif (Anatole France).

Les malheurs de Judith

L’accès le plus direct à la Parole de Judith Godrèche : une vidéo d’une dizaine de minutes sur le média Brut.

Nous y voyons une femme de 50 ans, habillée en mignon chérubin, débiter d’une voix sucrée –assez peu convaincante pour tout esprit sensé – l’histoire de ses « malheurs », puis de son réveil miraculeux, nous gratifiant au passage de quelques assertions péremptoires pêchées dans le catéchisme de la « victimologie traumatique ».

Or non, une jeune fille de 15, 16, 17 ans, ce n’est pas une petite fille. C’est une adolescente, dont la sexualité peut être impérieuse, comme la disposition à la passion amoureuse. Vulnérable certes, à la mesure des élans de cet âge de passage et d’initiation à l’état adulte. Certaines relations précoces font mal – ou font du mal. D’autres au contraire donnent force et confiance en soi pour la suite d’une vie amoureuse. Dans tous les cas on y apprend beaucoup, sur soi, et sur la vie. Pour mémoire, l’âge de la majorité sexuelle est fixé à 15 ans – avec des restrictions de plus en plus drastiques, garde-fous illusoires qui privent les adolescents de leur protection la plus sûre : l’indispensable conscience de leur responsabilité personnelle dans la conduite de leur vie, y compris amoureuse. Affaire capitale de l’éducation. Ajoutons que l’on est pénalement responsable dès 13 ans. Le législateur considère donc que l’on n’est plus un enfant.

A lire aussi : La liberté sexuelle et la différence générationnelle

Si manipulateurs ou abusifs qu’aient été – peut-être – les hommes que dénonce aujourd’hui Godrèche, et nonobstant l’abandon éducatif dont elle a pu souffrir de la part de parents négligents, la question pertinente est celle de son implication, active et désirante, dans les fantasmes de transgression de ses amants plus âgés. Prétendre la méconnaître n’est d’aucun secours pour se remettre de tels épisodes – si c’est vraiment de cela qu’il s’agit.

Et puis il existe des histoires d’amour et/ou sexuelles qui enjambent la différence d’âge. Ce n’est ni dégoûtant, ni criminel. Simplement – un peu – hors norme.

Mais l’« emprise », me direz-vous ?

« C’est Vénus tout entière à sa proie attachée » : Phèdre, éprise de son beau-fils. Image de prédation, en effet. Mais quel que soit son destin, heureux ou tragique, une passion – une emprise – a-t-elle ailleurs qu’au plus secret de soi sa source irrépressible ?

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Le déconcertant président du Salvador

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Monsieur Bukele et son épouse montrent leurs doigts tachés d'encre, après avoir voté aux municipales à San Salvador, 4 mars 2024 © SOPA Images/SIPA

Les résultats de Nayib Bukele en matière sécuritaire étant impressionnants et profitant à toute la population, il a été réélu triomphalement pour un second mandat le mois dernier. Toutefois, on ne fait pas d’omelette sans casser quelques œufs…


À l’inverse de l’image donnée par la presse, l’élection le 4 février du président salvadorien, Nayib Bukele, 43 ans, Palestinien de la troisième génération, à un second mandat de cinq ans, n’est pas anecdotique, et lui encore moins un « huluberlu ». Sa réélection pose deux questions de fond que ledit État de droit élude. Est-ce que le droit à la sécurité de tout un chacun n’est pas celui qui doit primer sur tous les autres ? Et est-ce que la limitation des mandats, qui tend à se généraliser, ne porte pas atteinte au libre choix des électeurs ?

Un score canon

S’il a été plébiscité, en recueillant 84,6% des suffrages et en réduisant l’opposition à trois sièges sur les 60 de l’Assemblée législative, chambre unique, c’est parce qu’il a réussi l’impossible : éradiquer les « maras », ces gangs importés de Los Angeles par les migrants de retour au pays après les accords de paix de 1992 et qui avaient mis en coupe réglée le pays, le plus petit d’Amérique centrale, deux départements et demi français, mais le plus densément peuplé avec 310 habitants au km2. Le Salvador a été de 1980 à 1992 le théâtre d’une guerre civile qui a fait 80 000 tués. A leur démobilisation, bon nombre de guérilleros « perdus », n’ayant pas été intégrés dans l’armée régulière, mais forts d’une compétence acquise au cours de ces 12 années de lutte armée, rejoignirent les « maras », contribuant de la sorte à qu’elles s’érigent en un quasi-Etat.

En vert, le petit Salvador, 6 millions d’habitants, capitale : San Salvador. DR.

Pour y parvenir, Nayid Bukele n’a pas eu d’état d’âme ni lésiné sur les moyens. Estimant que les droits de l’homme doivent bénéficier aux honnêtes gens et non aux criminels qui s’en moquent, il confia, à peine investi, à l’armée, autorisée à ouvrir le feu, la traque des membres de ces gangs, faciles à identifier car tatoués des pieds jusqu’au visage, construisit une prison de 40 000 places « d’où on ne sort plus quand on y rentre ». Et envoya 75 000 de ces tatoués derrière les barreaux. C’est comme si la France avait construit 400 000 places de prison et incarcéré 750 000 délinquants.

Exceptionnel

Les vendredi et samedi 22 et 23 mars 2022 furent la fin de semaine la plus sanglante depuis la conclusion de l’accord de paix : 87 individus furent tués dans l’agglomération de San Salvador, la capitale, qui compte en tout près de 2 millions d’habitants, un tiers de la population du pays. D’urgence, le samedi soir, Nayid Bukele convoque une cellule de crise, le lendemain matin fait voter à une majorité des deux tiers l’Etat d’exception qui entre immédiatement en vigueur. L’armée déboule alors dans les quartiers sous contrôle des deux principales « maras », Salvatrucha (Sauvetruite) et Barrio 13 (Quartier 13) et procède à des rafles massives. Le résultat a été immédiat et spectaculaire. En 2018, un an avant son accession à la présidence, le taux d’homicides était de 56 pour 100 000 habitants, le plus élevé au monde à l’époque. En 2023, il n’était plus que de 2,5. En France, il est de 1,5. Anticipant les reproches rituels des ONG, de l’ONU, sur l’atteinte aux valeurs démocratiques, lui-même se qualifia de dictateur, mais de « dictateur cool ».   

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Tenue décontractée-chic, courte barbe, chevelure gominée rejetée en arrière, parfois coiffé d’une casquette visière sur la nuque, Nayib Bukele est un personnage assurément déconcertant, car, à première vue paradoxal.

Publicitaire de profession, à ce titre, il a été chargé de la com du principal parti de gauche, le Front Farabundo Marti de Libération nationale (FMLN), héritier du mouvement de guérilla quand, suite à l’accord de paix, celui-ci a troqué les balles pour le bulletin. Pendant 30 ans, il alterne au pouvoir avec le parti de droite Alliance pour la Renaissance nationale (ARENA), jusqu’en 2019, quand Nayib Bukele est élu président à la surprise générale dès le premier tour avec 53% des voix. Dégagisme et sécurité avaient été les deux thèmes de campagne.

Bitcoin City

Auparavant, Nayid Bukele a été pendant six ans un élu de terrain, notamment maire de la capitale sous l’étiquette FMLN qui l’exclura pour « dérive droitière ». Puis à la tête de l’Etat, trois ans avant qu’il soit côté à Wall Street, il adopte le bitcoin comme devise nationale avec le dollar. Son projet est d’ériger une ville nouvelle, la Bitcoin-city, qui se consacrerait à la production de la cryptomonnaie. Son ambition est de faire du Salvador une plateforme à « start-ups ». Fan de surf, pour donner une image fun de son pays, il transforme aussi trois modestes stations balnéaires en Surf-city…

Second président d’origine palestinienne, père chrétien converti à l’islam, mère et épouse catholiques (cette dernière a eu un grand-père juif), lui se dit sans religion. Le lendemain du pogrom du 7 octobre, il fait une déclaration fracassante : « La meilleure chose qui puisse arriver au peuple palestinien est la disparition du Hamas. Ces bêtes sauvages ne représentent pas les Palestiniens. Quiconque soutient la cause palestinienne commettrait une grave erreur en se rangeant du côté de ces criminels. »

En principe, la constitution lui interdisait de se présenter à un second mandat, à moins d’attendre dix ans. Mais c’était sans compter sur une maladresse dans la rédaction de l’article concerné. Il saisit la Cour constitutionnelle. Celle-ci tranche en sa faveur. L’article proscrit « deux mandats de suite ». Les juges estiment qu’en effet s’il démissionne six mois avant l’échéance de son premier mandat, il n’enchaîne pas « deux mandats de suite » et peut donc postuler puisqu’il y a eu ce qu’on appelle « une solution de continuité ». S’il n’avait pas pu se présenter, les Salvadoriens auraient eu droit à nouveau à un duel entre les deux candidats du FMLN et l’ARENA qui ont recueilli respectivement 6,4% et 5,5% des voix, et chaque parti, l’un deux députés, l’autre un. Les urnes ont tranché sans appel.

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Bas de laine

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© Wanca Cine

Le nouveau film de l’Argentin Rodrigo Moreno suit deux modestes – mais audacieux – employés de banque de Buenos Aires qui en ont assez de la routine… Savoureux, attendrissant et cruel. Los delincuentes de Rodrigo Moreno. En salles le 27 mars 2024


Costard cravate ringard de petit employé de banque, Moràn (Daniel Elias) exerce son métier sans joie depuis des lustres dans une agence défraîchie de Buenos Aires, assez loin du décor high-tech auquel nous sommes accoutumés pour ce genre de boutique. N’en pouvant plus, le quarantenaire fait le calcul : si, dans le coffre auquel ses années de bons et loyaux services lui donnent accès quotidiennement, il puise, en cash, l’équivalent de ce qu’il va toucher comme salaire jusqu’à sa retraite, il pourra se la couler douce, sans faire d’excès, en claquant lentement, avec pondération, son petit bas de laine. Adieu travail, adieu routine.   

Insoupçonnables

Moràn prend soin de multiplier par deux l’estimation du montant nécessaire, en sorte de partager le pactole, le temps venu, avec Ramon (Esteban Bigliardi), son collègue employé modèle, encore plus insoupçonnable que lui. À Ramon de mettre en lieu sûr les liasses de dollars (le peso argentin, comme l’on sait, ne vaut plus rien), pendant que lui, après s’être dénoncé à la police, purgera comme il se doit ses six années de prison dont, prévoyant, il anticipe qu’elles seront automatiquement ramenées à trois ans, pour bonne conduite.

Complices d’opportunité, voilà nos deux hères devenus delincuentes – faut-il traduire ? Tout semble se passer selon leurs plans. A cela près que la sinistre maison d’arrêt n’a rien d’un havre de paix pour Moràn, soudoyé sans délai par le parrain des lieux (de façon significative, un seul et même acteur, German Da Silva, campe d’ailleurs le malfrat et le directeur de la banque – Janus d’une seule et même oppression, semble nous suggérer ce doublon). Quant à Ramon, il doit faire face aux soupçons (légitimes) d’une investigatrice pugnace, en charge d’enquêter pour le compte des assurances au sein de la banque, dans une ambiance évidemment délétère, qui met le personnel à cran. Ramon, en proie aux insomnies et tenté par l’alcoolisme, voit son foyer conjugal passablement perturbé.

A lire aussi: «Ceci est mon corps…»

La fable nous entraîne bientôt loin de la capitale argentine, au cœur de cette nature inviolée où Ramon a été chargé par Moràn d’enfouir le sac contenant les précieuses liasses, sous un énorme rocher, non loin d’un plan d’eau sur la rive duquel pique-nique et se délasse un conclave des deux sexes, auquel le citadin sera invité à se joindre… S’ensuivra une drôle de romance où convergeront à leur insu les assiduités de nos deux apprentis forbans pour une naïade néo-rurale.

Conte savoureux

Los delincuentes, sixième long métrage du pontife de la « nouvelle vague argentine » Rodrigo Moreno déploie ainsi, en deux actes dont cette « partie de campagne » fait la jonction, le théâtre captivant d’un récit nimbé de musiques, aux aller-retours temporels inattendus, et dont la durée, étirée sur plus trois heures, fait pièce au formatage de nos fatigantes séries télévisées. Conjuguant l’air de rien, et sans y insister outre-mesure, quelques remarquables audaces formelles (split-screens, fondus alentis, superbes panoramiques ou plans fixes sur les paysages), sa coulée sans accrocs s’adosse à un scénario construit avec sûreté. Au fil des péripéties de ce conte à la fois savoureux, attendrissant et cruel, s’esquisse sans pathos, mais avec beaucoup de poésie, le rêve rousseauiste d’une vie simple, tout entière livrée à l’oisiveté, en communion avec la nature, sans préoccupation du lendemain, sans iPhone ni réseaux sociaux.

Sciemment anagrammés pour leur donner sens, les prénoms de Moràn et Ramon, et de Morna et Norma, leurs âmes-sœurs de rencontre dans ce paradis sylvestre, paraphent en quelque sorte l’utopie mi-écolo mi-anarchiste de se soustraire une bonne fois pour toutes aux contingences du réel. L’errance contre la routine, en somme. À ce titre, nous sommes tous des délinquants en puissance.              


Los delincuentes. Film de Rodrigo Moreno. Argentine, Luxembourg, Brésil, Chili. Durée : 3h10.

Crocus City Hall: l’Etat islamique frappe en Russie

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Le toit calciné du bâtiment où a eu lieu la tuerie, au lendemain de l'attaque, Krasnogorsk, 23 mars 2024 © Vyacheslav Prokofyev/TASS/Sipa USA/SIPA

Un deuil national a été observé hier dimanche, au surlendemain de l’attentat revendiqué par l’Etat islamique qui a fait au moins 137 morts dans une salle de concert de la banlieue de Moscou. Vladimir Poutine a allumé un cierge dans la chapelle de sa résidence de Nono-Ogarevo à cette occasion. Samedi, il s’est exprimé sans mentionner la revendication de l’organisation Etat islamique, et le régime travaille depuis à faire porter des responsabilités sur… l’Ukraine – pour y motiver une augmentation de ses frappes.


Vendredi 22 mars au soir, Moscou connaissait l’un des attentats les plus sanglants de son histoire. A l’heure où ces lignes sont écrites, le bilan humain s’est considérablement alourdi. On décompte ainsi au moins 137 personnes assassinées et 114 blessées causés par cette attaque armée qui a été suivie de l’incendie du Crocus City Hall, salle de concert de la proche banlieue moscovite située à Krasnogork. Le Kremlin a annoncé l’arrestation de quatre des onze terroristes présumés impliqués lors de cette équipée sauvage et meurtrière.

Un attentat revendiqué par l’Etat islamique

Revendiqué par l’Etat islamique, l’attentat de Moscou rappellera à tous les Français les images traumatiques du 13 novembre 2015 au Bataclan. Dès le lendemain, le groupe Etat islamique publiait un communiqué décrivant l’opération : « Elle a été menée par quatre combattants du Califat armés de mitrailleuses, d’un pistolet, de couteaux et de bombes incendiaires ». Les djihadistes ont aussi précisé que l’attentat s’inscrivait dans le contexte plus large de « la guerre faisant rage » entre eux et tous « les pays combattant l’islam ». Visé par les spécialistes comme Wassim Nasr, le groupe Etat islamique au Khorasan est la piste privilégiée par les experts. Il ne s’agit pas d’un groupe mineur puisque l’EI-Khorasan d’origine afghane s’est fait connaître par une importante activité terroriste ces dernières années.

Issu d’une scission au sein des talibans pakistanais, le groupe djihadiste dont le nom fait référence à l’Afghanistan médiéval, qui comprenait alors des pans du Turkménistan, de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan d’où viennent les quatre premiers terroristes interpellés, sont particulièrement violents et suivis par les services de renseignement américains depuis déjà plusieurs années. En août 2021, ils ont notamment commis un attentat à l’aéroport international de Kaboul qui a entraîné la mort de 13 soldats américains et 170 civils. Ils ont aussi été à l’origine de l’attentat de Kerman en Iran, causant 84 victimes lors d’un évènement commémorant le souvenir du général Qassem Soleimani.

Plus significatif encore, ils ont attaqué l’ambassade russe de Kaboul lors d’un attentat suicide en septembre 2022. En guerre contre le régime des Talibans en Afghanistan, le groupe Khorasan reproche notamment à la Russie de s’être rapprochée de son principal antagoniste. Les Talibans ont tué l’un des chefs du groupe en avril 2023, et l’ont de ce fait empêché de s’emparer de territoires au sein de cet Etat d’Asie mineure perpétuellement déstabilisés par les conflits tribaux et les factions islamistes. Il n’y a pas à chercher beaucoup plus loin la motivation de Khorasan, groupe qui ne recule devant rien et d’un fanatisme tel qu’il effraie donc même les Talibans.

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Les Etats-Unis avaient d’ailleurs alerté le Kremlin de l’imminence d’une attaque il y a tout juste quinze jours. Ce partage de renseignements a semble-t-il été balayé d’un revers de la main par Vladimir Poutine lui-même, comme en témoigne un enregistrement où le président russe explique qu’il ne se laissera pas intimider par « le chantage de la peur des Occidentaux visant à déstabiliser la société ». Une vidéo depuis effacée du site officiel du Kremlin ! Il aurait pourtant dû prendre en compte ces bienveillants conseils au vu de la catastrophe du 22 mars… Mais il faut croire que Vladimir Poutine semble ne pas vouloir ouvrir la boite de Pandore de la Fédération de Russie, où vivent entre 15 et 20% de musulmans de diverses obédiences, parfois particulièrement guerriers comme les Ingouches, les Daghestanais ou encore les Tchétchènes dont l’actuel calme apparent ne peut masquer les rancœurs tenaces encore présentes dans une partie non négligeable de la population. Quant aux Tadjiks, à l’œuvre lors de l’attentat du Crocus City Hall, ils sont tout de même plus de 500 000 à Moscou et indispensables pour occuper les petits métiers de service. A Moscou comme chez nous, Vladimir Poutine devra aussi composer avec le « pas d’amalgame » d’un Empire qui peut basculer d’un moment à l’autre dans la guerre civile, où la citoyenneté russe ne se confond pas avec la nationalité. Il est aussi à noter que la garde personnelle du premier Calife de l’Etat islamique Al-Baghdadi était constituée de Tadjiks.

Autre élément troublant, le Kremlin a désigné l’un des Tadjiks interpellés comme ayant combattu en Ukraine. Il s’agit d’une désinformation puisqu’ils ont sciemment montré une photo de Abdel Hakim al-Chichani, ancien émir d’Ajnad al-Kavkaz en Syrie, un Tchétchène dissident qui a effectivement servi à Bakhmout mais qui n’a jamais appartenu ni à Al-Qaeda ni à l’Etat islamique, et n’a par ailleurs rien à voir avec l’attentat du Crocus City Hall.

Quand le régime russe se défausse et alimente le complotisme mondial

Pour comprendre les positions du Kremlin, il faut parfois regarder ce que disent ses zélateurs occidentaux sur les réseaux sociaux. Confus et troublés par la situation, nombre d’entre eux ont immédiatement accusé les Ukrainiens, la CIA ou encore Israël d’être derrière les attentats.

Une personnalité comme Aymeric Chauprade a manifesté son soutien légitime au peuple russe endeuillé tout en ajoutant, grandiloquent et plein d’emphase : « Des forces profondes et maléfiques, venues de l’Ouest, ont entrepris depuis 2014 au moins de précipiter le monde dans la guerre mondiale. Rien ne les arrêtera pour semer la haine entre les peuples et à l’intérieur des peuples. » Un sous-entendu ne faisant pas mystère de son sentiment profond : l’attentat djihadiste couvrirait selon lui une opération plus obscure, issue des esprits dérangés des Occidentaux… Dans le même goût, Youssef Hindi écrivait le soir même que « Daech frappe systématiquement les ennemis des Etats-Unis et d’Israël. C’est pas du complotisme, c’est la théorie de la coïncidence. »

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Des propos qui trouvent un écho aux Etats-Unis, avec un compte Twitter très influent et dont le compteur s’affole depuis qu’il a adopté des positions propalestiniennes lors du conflit entre Israël et le Hamas, celui de Jackson Hinckle. Ce trouble personnage, reçu récemment au Kremlin par Sergeï Lavrov, voyait lui aussi la main de la CIA dans l’attaque. Du côté des officiels russes, il ne semble pas y avoir urgence à lutter contre les djihadistes, mais bien à instrumentaliser l’attentat pour justifier de nouveaux bombardements contre les civils ukrainiens. Bricolant à la va-vite un lien avec le « régime kievin » honni, Vladimir Poutine a ainsi affirmé que les terroristes se dirigeaient vers la frontière la plus gardée du monde dans l’espoir de rejoindre leurs complices « nazis ». Un amusant et paradoxal aveu de faiblesse destiné tant à cacher la réalité de la menace islamiste pesant sur la Russie qu’à opportunément saisir un nouveau prétexte pour blâmer l’ennemi héréditaire et démonisé.

La réalité est aussi que les services de renseignements et les forces de l’ordre russes ont failli au Crocus City Hall. Les terroristes ont pu massacrer des innocents plusieurs heures durant au vu et au su des caméras, sans masques, et repartir au volant de la voiture à bord de laquelle ils s’étaient rendus sur les lieux en empruntant une autoroute ultra surveillée. Arrêtés dans la région de Bryansk, ils sont ensuite passés aux aveux express après avoir été vraisemblablement torturés, l’un d’entre eux ayant été forcé à manger l’une de ses oreilles coupées sous l’œil des caméras, admettant finalement avoir fomenté une opération suicide dans l’optique de gagner l’équivalent en roubles de 11 000 euros… Ca ne tient pas. Sur place, la police n’a pas tiré un coup de feu. La vérité est que la police russe a été débordée et était insuffisamment préparée à une telle attaque. Le Kremlin, à commencer par le vice-président Medvedev qui a accusé l’Ukraine de complicité, ne veut pas assumer ses responsabilités et tente de profiter du brouillard informationnel habituel que ses mensonges permanents amènent. Comme l’a très justement déclaré François Hollande : « Certains suspects parmi les personnes interpellées avoueront, sans doute sous la torture, qu’ils voulaient fuir en Ukraine et nieront leurs liens avec Daech. Car Poutine voudra mettre cette atrocité au service de sa guerre contre l’Ukraine. » Il n’est qu’à voir l’acharnement mis par les terroristes pour être bien certains que leurs actes cruels leur soient attribués à eux et rien qu’à eux, notamment avec la diffusion d’une vidéo en caméra embarquée d’une extrême brutalité.

La Russie ayant fait du faux un moment du vrai, il est malheureusement à craindre que ses contre-vérités ne soient crues par beaucoup. Elle alimente aussi légitimement la suspicion de ses adversaires, qui faisant référence à des évènements passés comme l’empoisonnement de Timochenko ou les attentats possiblement sous faux drapeaux tchétchène de la fin des années 90, les pensent capables d’avoir provoqué un attentat. Pourtant, il semblerait bien que cette cellule de l’Etat islamique ait la Russie dans son viseur depuis longtemps. Ça ne fait pas les affaires de Vladimir Poutine, pas plus que celle de son peuple ou les nôtres, mais c’est ainsi.

Reste que la lecture partielle et partiale de certains commentateurs qui se sont empressés de dire que le véritable ennemi n’était pas la Russie mais l’islamisme est toute aussi fausse.

Les deux entités sont aussi dangereuses l’une que l’autre. Les atermoiements russes et le flou entretenu autour de ce cas tragique permettent d’ailleurs de mesurer l’irresponsabilité de ce régime.

Adieu, Maurizio Pollini!

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Le pianiste Maurizio Pollini à New York en 2001 © Robert Mecea/AP/SIPA

Hommage à un dieu du piano


La sonate s’appelle « Les adieux ». En allemand, l’adieu (Lebewohl). Le premier mouvement dit merveilleusement l’attente. Le troisième mouvement, le retour, est un cri d’allégresse. On dit de cette sonate sa richesse et sa difficulté. À la fin d’un concert, pour prendre congé d’un public transporté, il s’asseyait et jouait la tendre berceuse de Chopin. Nous n’entendrons plus cette berceuse. Maurizio Pollini est décédé samedi 23 mars, à l’âge de quatre-vingt-deux ans, dans les premiers jours du printemps, à Milan, nous laissant en partage la nostalgie —ce sentiment si beau — de sa présence et de ses concerts, salle Pleyel et à la Philarmonie.

Des sonates, des sonates, oui mais avec Pollini!

On ne présente pas Maurizio Pollini, ce monde de musique qu’il a construit et nous a donné, année après année, avec une rigueur et une émotion exceptionnelles. Je me souviens de l’intégrale des sonates de Beethoven. Je me souviens de Debussy, d’une merveilleuse Cathédrale engloutie, loin d’un climat français symboliste décadent. Du Clavecin bien tempéré de Bach, à l’opposé de la mécanique des notes à laquelle certaines interprétations nous avaient habitués. De la sonate de Liszt qui avait bouleversé une salle entière debout dans une standing ovation qui n’en finissait pas. Des sonates de Pierre Boulez. En 2019, il avait joué, de nouveau, les trois dernières sonates de Beethoven qui demandent une telle virtuosité que peu de pianistes les donnent en concert. Ces sonates qui mêlent fugue et variations, harmonies et dissonances, exaltation et rêverie n’avaient jamais été jouées du vivant de Beethoven. Elles avaient désarçonné le public de l’époque par leur excentricité, jusqu’à mettre au compte de la surdité de l’auteur le baroque d’une musique échevelée. Pour nous, les sonates entrent en résonance avec les bouleversants derniers quatuors.

A lire aussi, du même auteur: Immortelle, à quoi bon?

Année après année, le temps avait creusé le visage, intériorisé les sentiments mais la vigueur, la violence titanesque, la virtuosité étaient toujours là, l’émotion allant de pair avec la sobriété. Ses concerts — on se souvient de la série « Perspectives Pollini » — étaient toujours composés avec le souci ardent d’éduquer le goût du public en lui faisant connaître ce qui ne lui était pas forcément familier. De l’ouvrir à des horizons inconnus. Chaque concert avait donc un climat musical singulier. En trente ans, de Debussy à Beethoven, Bach, Liszt, Nono, Boulez on n’aura vu qu’une fois Pollini devant une partition. Quel cerveau électronique remplacera jamais les mains du pianiste quand un public, fait d’êtres vivants, participe, disait-il, à l’acoustique elle-même du piano ?

Ne reste que les enregistrements…

Dans Musique, mythe, nature, le musicien contemporain François-Bernard Mâche dit que la musique doit faire trouver «  comme l’ébauche d’un sens dans ce monde »— le critère en étant la joie. L’immense pianiste Maurizio Pollini nous a quittés. Nous ne le verrons plus, vêtu avec élégance, se diriger de son pas pressé, vers le piano, avoir hâte de nous prendre dans la musique. Nous n’entendrons plus les dernières notes de la berceuse de Chopin. Il nous reste ses enregistrements, et la mémoire, servante fidèle.

Car jamais un enregistrement ne rendra la grâce— et c’est heureux— du moment d’éternité que représentait le concert. Adieu, Maurizio Pollini, et merci !

Musique - Mythe - Nature

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Ainsi, à Poutine aussi…

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24 mars 2024 © Mikhail Metzel/SPUTNIK/SIPA

Que Vladimir Poutine soit à la tête de la puissante Russie avec la main de fer que l’on sait ne l’a pas rendue invulnérable. Pire, ses services de renseignements ont été ridiculisés, car des avertissements n’ont semble-t-il pas été écoutés.


L’horreur de cet attentat revendiqué par l’Etat islamique et perpétré apparemment par quatre assaillants (au moins cent trente-sept morts dont trois enfants et cent vingt-et-un blessés dans cette salle de spectacle dans la périphérie de Moscou) suscite analyses et sentiments mélangés. Onze personnes ont été interpellées dont, semble-t-il, les tueurs. Ainsi cela arrive aussi dans une dictature et aucun pouvoir n’est à l’abri. Que la cause de cette tuerie soit endogène, comme le pense Christian Prouteau sur CNews, ou exogène, Daech a donc la possibilité, ses capacités de nuisance recouvrées et organisées, de commettre le pire et de réussir cette odieuse entreprise : massacrer des chrétiens et autres victimes. Qu’un Poutine soit à la tête de ce pays avec une main de fer ne l’a pas rendu invulnérable. En plus de la guerre contre l’Ukraine dont la responsabilité lui incombe, Poutine va devoir mener une lutte sur un second front qui va le mobiliser encore davantage que le premier car il concerne, sans le moindre filtre, son image auprès de ses concitoyens. Le virilisme autoritaire de leur président n’est pas un bouclier absolu. Pour peu que l’information circule, les Russes seront également au fait de la bêtise absurdement complotiste de leur chef, avisé une quinzaine de jours avant le massacre par l’ambassade des Etats-Unis à Moscou du risque sérieux d’une attaque mais qualifiant cette annonce, trois jours avant qu’elle ait lieu, de « chantage évident ». Poutine n’est pas le premier, dans l’Histoire du monde et parmi les potentats l’ayant dévoyée, à ne pas avoir cru à une révélation qui pourtant aurait peut-être pu permettre de prévenir une ignoble tuerie. Mais les dictateurs, dominés par leur haine et la certitude de leur toute-puissante lucidité, ne savent plus écouter. On devrait, dans un Etat normal, en faire grief à ce chef sourd et aveugle mais la Russie vit en autarcie politique sous une implacable férule. N’est connu que ce qui sert à glorifier le dictateur et à mentir à son peuple. Quand j’ai appris l’horreur, ma naïveté, mon rêve de paix ont une seconde espéré. Malgré les menaces toujours aussi délirantes d’un Medvedev qui semble avoir perdu la tête en pratiquant un honteux extrémisme du langage, hier contre notre président, le 22 contre les dirigeants de l’Ukraine. Poutine sur la même ligne, en moins grossier, avec des insinuations sur la responsabilité ukrainienne… Quoi qu’il se passe, rien ne change… Cette illusion fugace, si vite dissipée, se fondait sur le fait qu’il aurait pu se créer avec ce massacre une sorte de fraternité liant les victimes de Daech et faisant passer au second plan toutes les autres considérations. Mais à l’évidence ce sentiment ne pouvait pas naître dans la tête d’un Poutine. Celui-ci est encore là pour longtemps et sa personnalité totalement cynique et abjecte va continuer à dominer, dans la force des rapports, un jeu international où sa supériorité, parce que dépourvue de toute morale, va l’emporter dans le rapport de force avec ses adversaires entravés. Contrairement à lui, ils ne peuvent pas, ils ne doivent pas, tout s’autoriser.