Accueil Site Page 394

Scandale des maltraitances dans les instituts pour personnes handicapées: la crise a bon dos

À la suite de la diffusion du reportage « Les dossiers noirs du handicap », nous avons constaté, à plusieurs reprises, des tentatives de la part des associations de justifier les difficultés vécues au sein des établissements accueillant des personnes handicapées en grande partie par le manque de moyens. Si cet argument est pertinent et indiscutable aux vues de notre système de santé connaissant depuis des années une crise d’une ampleur impressionnante, peut-on sortir encore et toujours cette justification pour les dérives les plus graves?


Au cœur du documentaire diffusé le 24 mars dans Zone Interdite sur M6[1] furent pointées les nombreuses difficultés vécues au quotidien par beaucoup de familles de personnes en situation de handicap. Scandale d’État sur les aides sociales détournées au détriment de celles-ci (par exemple, un foyer pour handicapés imposant à une famille de lui restituer, contre son bon droit, l’intégralité des allocations logements destinées au résident sans les déduire du loyer), dysfonctionnements de l’école inclusive, manque de places au sein des instituts… et maltraitances. 

Délabrement, insalubrité, faute de mises aux normes : la première réalité dénoncée par le reportage est effectivement bien le reflet de l’intolérable manque de moyens accordés par les pouvoirs publics à la question du handicap. Des chutes de cheminées à celles des résidents, des pièces condamnées aux bâtiments en débris : sur ces plans, l’absence de préoccupation constante des gouvernements successifs au sujet du handicap est dénoncée à de multiples reprises. Et à l’évidence, tout ceci est ô combien condamnable. Mais on ne peut pas mettre sur le même plan de mauvaises conditions d’hébergement et… les maltraitances constatées par les reporters de M6.

Néanmoins… J’ai pu lire sur le net l’indignation de certaines associations, comme l’Unapei. J’ai pu lire que la maltraitance intervenait, lorsque le système était « défaillant »[2]. J’ai pu lire que certains considéraient les faits dénoncés comme des « effets de la crise ». J’ai lu que les solutions d’accompagnement perduraient « au prix de la qualité des soins ». Pardonnez-moi, mais il est clair, aux vues des effroyables constats établis par les familles, qu’il ne s’agit pas exclusivement d’une question de moyens. On a pu voir les images d’un enfant handicapé, subissant de lourds problèmes de déglutition pouvant le mener à l’étouffement, laissé à lui-même dans une chambre insalubre. On a aussi pu voir les images de refus de la part des responsables de laisser les parents visiter les établissements. Mais par-dessus tout, ce documentaire aborde une autre dimension des problèmes rencontrés par nos concitoyens handicapés encore plus indigne, une dimension qui ne devrait en aucun cas, et à aucun moment, exister. Peu importe sa rareté et peu importe qu’elle ne soit pas une généralité. Les maltraitances (en particulier dans le milieu du soin !) n’ont pas et n’ont jamais lieu d’être. Il est intolérable de voir des enfants, comme Gaëtan, jeune autiste, revenir de centres spécialisés avec des blessures en tout genre: des hématomes, des bleus sur les bras, des gants des personnels médicaux dans les selles, des fractures.

A lire aussi: École privée: et si l’on remettait à plat le système des contrats?

Il est intolérable de lire ces attestations faites sur l’honneur par des salariés dénonçant des problèmes de malnutrition, de maltraitances. Ces employés dénoncent les étonnantes pratiques de certains membres des personnels. Par exemple, des infirmières auraient déposé du chocolat au sol pour faire rentrer des résidents dans un établissement, des insultes et rabaissements auraient été administrés à certains.

Une fois encore, il va sans dire que les défaillances sont dues, pour la majeure partie d’entre elles, à la crise sanitaire d’envergure connue depuis des années par les professionnels de santé. Il va sans dire que ces métiers indispensables au bien-être de l’homme mériteraient une meilleure rémunération, et que les pouvoirs publics ont le devoir de donner à ces derniers les moyens d’accomplir leurs missions. Il va sans dire que ces professions demeurent sous-payées et connaissent des conditions d’exercice difficiles comme le dénoncent les associations. Néanmoins, est-il toujours pertinent de parler d’argent dans le domaine du soin où bien-être et dignité des personnes devraient primer en toute occasion ? Peut-on toujours dédouaner l’intolérable par la crise ? Dire que l’on omet systématiquement les questions de compétences par souci économique dans le recrutement est aussi une réalité à dénoncer.

Car oui, la personne humaine, peu importe son handicap ou ses difficultés, dispose de droits fondamentaux. En effet, l’article R311-35 du Code de l’action sociale et des familles prévoit que le règlement d’un établissement doit contenir les mesures relatives à la sûreté des personnes. De plus, la structure doit être dotée une équipe soignante (kinés, orthoptistes …) ayant pour mission de surveiller la santé des enfants, et d’une équipe pédagogique composée d’enseignants et d’éducateurs. Enfin, plusieurs droits fondamentaux sont reconnus aux personnes accueillies au sein d’établissements, comme le respect, par le personnel, de leur dignité, intégrité, vie privée, intimité et de leur sécurité (article L311-3 du CASF).

Au vu de la gravité des constats établis par les parents au sein de ce documentaire, la dignité de la personne est-elle toujours respectée ? Est-elle respectée quand les enfants sont humiliés ? L’intégrité physique n’est-elle pas violée quand ceux-ci sont retrouvés avec des blessures sur le corps ? Est-ce ce que l’on pourrait appeler une prise en charge… de qualité ?

Les métiers du soin et de l’accompagnement sont sujets à une responsabilité particulière. Les professionnels et dirigeants d’établissements sont garants de la prise en charge des personnes dans des conditions dignes mais aussi de leur intégrité corporelle. En droit français, de par l’héritage des valeurs inculquées par la société chrétienne et conformément à la volonté de protéger les personnes contre les atteintes portées au corps, celles-ci sont systématiquement réprimandées. Il s’agit d’un principe fondamental : on ne touche pas, en aucun cas, à l’intégrité physique.

A lire aussi: Au pays du soleil levant, les vieux en tiennent une de ces couches!

Un autre aspect, que j’ai également pu découvrir dans la presse, a particulièrement attiré mon attention. En effet, nous avons été informés d’une stratégie lancée par le gouvernement à partir de fin 2025 en matière de facilitation du signalement, mais aussi visant à rendre systématique « la vérification des antécédents judiciaires de tous les intervenants qui accompagnent les personnes vulnérables – professionnels comme bénévoles ». Pardonnez-moi, mais je peine à saisir le sens véritable de cette annonce… Celle-ci signifierait que les textes actuels n’auraient pas déjà pour effet de systématiser la vérification des antécédents judiciaires des accompagnants de personnes vulnérables ? Cela signifierait que l’absence de tels antécédents ne serait pas à l’heure actuelle, considérée comme un critère de sélection dans un domaine nécessitant de prodiguer des soins et de porter à l’autre une attention toute particulière ? Mais sérieusement, de qui se moque-t-on ?

Si le manque de moyens est une réalité qu’il convient de prendre en compte à sa juste valeur et s’il est nécessaire de souligner la difficulté des conditions de travail des personnels médicaux et médico-sociaux, la responsabilité de l’ensemble des acteurs est aussi celle de dire que le manque de moyens ne justifie en aucun cas que des mauvais traitements soient infligés. Le manque de moyens n’excuse pas la violation des droits fondamentaux. Le manque de moyens n’est pas une explication au non-respect de la dignité humaine. Le manque de moyens n’est pas seulement l’affaire des personnes handicapées et vulnérables ! Le manque de moyens n’est pas une arme rhétorique destinée à fermer les yeux ! Le manque de moyens n’est de nature à expliquer ni les blessures, ni les ustensiles retrouvés dans les selles, ni le refus de recevoir les parents dans les établissements.

Sans nulle volonté de jeter la pierre et d’engager la responsabilité d’un acteur plutôt qu’un autre, je pense incorrect d’apporter une seule et même explication à un problème d’une telle envergure. La responsabilité, en matière d’atteintes corporelles justifiées par un manque de moyens, est bien souvent une affaire collective.


[1] https://www.6play.fr/zone-interdite-p_845/scandales-et-defaillance-de-letat-les-dossiers-noirs-du-handicap-c_13060525

[2] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/le-gouvernement-veut-controler-tous-les-etablissements-accueillant-des-personnes-handicapees-20240325

Deauville divertimento

La 28è édition du Festival de Pâques se tient à Deauville jusqu’au 27 avril 2024


Ce sont d’autres races de purs-sang qui, en ouverture du printemps, investissent pour trois semaines la salle Elie de Brignac-Argana, à Deauville. Non pas les yearling hors de prix dont, le reste de l’année, quelques émirs ou capitaines d’industrie hippophiles font l’acquisition dans cet équestre colisée. Les juvéniles chevaux de course du traditionnel Festival de Pâques dont, à deux heures de Paris, la mythique station balnéaire s’enorgueillit depuis près de trente ans, en partenariat avec la prestigieuse Fondation Singer-Polignac et sous l’impulsion de son co-fondateur le violoniste Renaud Capuçon (avec feu le pianiste Nicholas Angelich), ce sont les musiciens prometteurs de la nouvelle génération. Jeunes mais déjà concertistes de haut vol, pour certains. L’autre signature du festival, c’est d’associer délibérément les must du répertoire classique à des œuvres plus rares, voire à des compositions contemporaines, lesquelles exigent parfois une oreille avertie. Un équilibre subtil.

Éclectisme au rendez-vous

Le concert d’ouverture du 6 avril offrait l’illustration parfaite de cette combinaison. Avec, en guise de hors-d’œuvre, La Truite, le célèbre quintette composé par un Schubert âgé de 21 ans sur la base de son lied Die Forelle dont tout un chacun sait fredonner les variations mélodiques du quatrième mouvement, jadis parodié par les Frères Jacques… Moins galvaudé, le sublime andante, second mouvement du quintette, atteignait un sommet sous les archets d’Emmanuel Coppey (qui jouait « baroque », sur un violon fin XVIIIe), de Manuel-Vioque-Judde à l’alto, de Yann Dubost à la contrebasse. Au clavier, le remarquable Arthur Hinnewinkel, 24 ans, pianiste actuellement en résidence, justement, à la Fondation Singer-Polignac, dans le XVIème arrondissement de Paris.

C’est peu dire que le second morceau du concert, Ich ruf zu Dir pour piano, clarinette et quatuor à cordes, millésimé 1999, œuvre d’Olivier Grief, compositeur mystique, fils d’un déporté de la Shoah, un temps adepte d’une secte bouddhique, mort à 50 ans à peine en l’an 2000, supposément d’une crise cardiaque, requérait l’écoute de l’auditeur : musique d’écorché vif, proche de la transe, une clarinette stridente ne ménageant pas les tympans, pas plus que le piano frappé comme la sonnaille d’un bourdon de cathédrale, cri dissonant, accablé de lourds silences neurasthéniques. De ce climat funèbre témoigne la bouleversante Danse des morts, aux mélopées nourries de musique ancienne. Elle est éditée en CD sous la bannière de Deauville Live, au sein d’une précieuse collection qui compte déjà une douzaine d’albums : chaque année, la gravure d’un concert du festival – éclectisme au rendez-vous, donc.

A lire aussi: «La langue anglaise n’existe pas». Une mise en perspective aussi savoureuse que convaincante

Prokofiev clôturait ce concert du 6 avril, avec cette Ouverture sur des thèmes juifs, pour piano, clarinette et quatuor à cordes, œuvre peu connue, d’une écriture saisissante. Modifié à la dernière minute, ce programme dominical nous aura privé de la sonate pour clarinette et piano n°3 de Max Reger (1873-1916) initialement prévue : d’autant plus dommage qu’en toute franchise l’interprétation du fameux quatuor pour violon, alto violoncelle et piano, remplacement au débotté, par une formation manifestement peu à l’aise, ne faisait pas honneur au génie de Mahler. S’ensuivaient deux morceaux d’Alban Berg pas faciles d’accès, il faut bien le dire, mais superbement rendus, auxquels succédait un Der Wind échevelé, œuvre pour violon, clarinette, cor, violoncelle et piano de Franz Schrecker (1878-1934), d’une magnifique amplitude post-romantique, ce avant le trio pour clarinette, violoncelle et piano opus 114 de Brahms puis – scies absolues du répertoire s’il en est ! –  quatre danses hongroises de l’impérissable compositeur germanique ne viennent conclure ce dimanche en feu d’artifice, par un quatre mains vibrionnant – les tous jeunes Gabriel Durliat et Arthur Hinnewinkel se disputant le clavier avec entrain.

Aude Extrémo très attendue

On l’aura compris, les deux concerts de ce week-end – qui ont fait salle pleine – ne sont jamais que l’entrée en matière de l’événement deauvillais, promis à s’achever en beauté fin avril à l’enseigne de Max Reger, avec la Suite romantique (1912), de Schönberg, avec la Kammersyphonie n°1 (1906-1912) mais surtout avec les envoûtants Kindertotenlieder de Mahler, chantés par la mezzo-soprano Aude Extrémo, dont le répertoire ahurissant va de la musique française aux rôles wagnériens, en passant par le belcanto. C’est ce concert final qui, cette année, fera l’objet d’une captation pour l’édition CD du « Deauville Live », millésime 2024.

Pour autant, le Festival de Pâques, loin en arrière des planches de Deauville, ne vient pas clouer le bec au classique dès l’arrivée des beaux jours et des transhumances touristiques : du 30 juillet au 10 août, cette même salle Elie de Brignac-Arquana ravive les attraits de la musique de chambre, avec la 23ème édition de l’Août musical – un programme qui, encore une fois, n’hésite pas à conjuguer Schumann et Martinu, Mozart et Poulenc, Chausson et Tchaïkovski, Berg et Mendelssohn…

On notera que pour les moins de 18 ans, le Festival de Pâques s’annonce gratuit une heure avant le concert, dans la limite des places disponibles – et 10€ si tu réserves, gamin. Qui dira qu’en France on néglige la transmission de la culture auprès de notre tendre jeunesse ? Ne néglige pas pour autant l’injonction de Paul Valéry, en lettres d’or au fronton du Palais de Chaillot : « Il dépend de celui qui passe / que je sois tombe ou trésor/ que je parle ou me taise/ Ceci ne tient qu’à toi/ Ami n’entre pas sans désir ». En bord de mer, jeunes gens, choisissez donc le bain de culture, divertimento pas salé : comme l’on sait, la musique adoucit les mœurs.


Festival de Pâques (28è édition).  Jusqu’au 27 avril 2024. Salle Elie de Brignac-Argana. Deauville.

Réservations sur www.musiqueadeauville.com

Concert d’ouverture du 6 avril diffusé sur France Musique le 20 mai à 20h, puis disponible en streaming sur le site de France Musique et l’application Radio France.

Shamseddine, Samara, Mila: non, le problème ce n’est pas «Internet»

À la vraie source de l’hyperviolence des « jeunes »


« Les réseaux sociaux, les réseaux sociaux, vous dis-je ». Le sociologue en chambre est pareil au médecin de Molière. Les diagnostics des Diafoirus contemporains sur l’hyperviolence des « jeunes » se réduisent à des couplets qui évitent la source des maux. Les dévots paresseux se contentent de réciter le « Faire nation », à mesure que celle-ci se délite.

Haines tribales

À entendre les commentaires dominants, l’inhumanité dont font preuve des adolescents enragés – à Viry-Châtillon, ils ont tué Shamseddine (15 ans) à coups de pied dans la tête1 et, à Montpellier, ils se sont acharnés sur Samara, 13 ans, placée un temps dans le coma2 – refléterait le visage de la société. Elle serait malade d’une décivilisation. L’internet en serait le symptôme mimétique. Cette grille de lecture simplette n’est pas seulement celle des diplômés en sciences sociales et en écoles de journalisme. Elle est partagée par le gouvernement, qui rêve depuis sept ans de mettre sous surveillance ces réseaux trop libres. Or il est faux d’associer la France entière à ces barbaries.

La vérité est ailleurs

La plupart du temps, ces haines sexistes et tribales sont produites dans les marges de la contre-société issue du Maghreb et de l’Afrique noire. Samara aurait été tabassée parce qu’elle s’habillait « à l’européenne » selon sa mère. Shamseddine aurait été victime d’un « crime d’honneur » sous fond possible d’un antagonisme entre arabes et africains subsahariens. Ces lynchages sont les fruits d’autres civilisations, d’autres cultures importées. L’islam a codifié dans le Coran l’inégalité homme-femme et la violence. « Il est plus féroce qu’un Arabe », fait dire Flaubert à un de ses personnages de Madame Bovary. Le racisme avait fait reconnaître à l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade : « Un Burkinabé souffre plus en Côte d’Ivoire qu’un Noir en Europe ». Mais cette réalité-là ne doit pas être dite.

A lire aussi, Aurélien Marq: Viry-Châtillon, du déni aux larmes

Décivilisation, séparatisme ou ensauvagement, choisis ta France

La France ouverte à l’islam et au tiers-monde s’est islamisée et tiers-mondisée.  Du moins, pour une partie d’entre elle, encore minoritaire il est vrai. Mais l’aveuglement « progressiste » accélère le déclin. Les faiseurs d’opinion, qui indifférencient les civilisations présumées remplaçables, ne veulent admettre la séparation de deux France. Elles n’ont pas atteint en même temps la même exigence civilisationnelle. Les hyperviolences révèlent un choc de cultures. La France française n’est certes pas exemplaire en tout. Elle se laisse gagner par capillarité à la détestation d’elle-même. Mais c’est Mila, 20 ans, invitée ce lundi matin sur RMC, qui s’approche au plus près des causes de ces envies de tuer ou de violer qu’elle a elle-même subies pour avoir critiqué l’islam et son prophète il y a quatre ans.

L’alerte Mila

Abordant la France diversitaire, elle dit en substance : « Il y a une police des mœurs dans des lycées, encouragée par certains parents. La laïcité est morte. La charia s’impose avec facilité. La détestation de la France est tendance ». Les solutions à ce désastre passent donc par un arrêt de cette immigration de masse, par une sanction immédiate des jeunes barbares et des familles, par une mise au pas de l’islam politique qui encourage les punitions contre les « mécréants ». Plus que jamais, les Français musulmans qui acceptent la civilisation française devraient la défendre. Peu d’entre eux, pour l’instant, osent vaincre la peur.

Les Traîtres

Price: 18,00 €

14 used & new available from 4,90 €

Sur la violence gratuite en France: Adolescents hyper-violents, témoignages et analyse

Price: 15,00 €

19 used & new available from 8,41 €

Journal d'un paria: Journal d'un paria suivi de Bloc-notes 2020-21

Price: 11,99 €

1 used & new available from 11,99 €

Silence coupable

Price: 22,70 €

24 used & new available from 3,00 €


  1. Viry-Châtillon, du déni aux larmes, Aurélien Marq, 8 avril ↩︎
  2. Montpellier: le collège des kouffars brisés, Céline Pina, 6 avril ↩︎

«La langue anglaise n’existe pas». Une mise en perspective aussi savoureuse que convaincante

La langue anglaise n’existe pas, ce n’est que du français mal prononcé, nous dit Bernard Cerquiglini dans un petit essai aussi drôle que brillant.


L’étude des langues, de leurs origines, de leurs ressemblances, de leurs disparités, de leurs métissages, a toujours constitué une branche importante de la science. Un rameau toujours vert.
Sans remonter à la Tour de Babel et pour s’en tenir aux savants de notre temps, des gens comme Ferdinand de Saussure, Émile Benveniste ou Jean Séguy, ce dernier, pionnier de l’ethnolinguistique dans les années 60, lui ont donné ses lettres de noblesse.

Bernard Cerquiglini se situe dans cette lignée. Universitaire, il a enseigné à Paris, Bruxelles et Bâton Rouge (Louisiane) avant d’occuper de hautes fonctions, dont celle de Directeur de l’institut national de la langue française (CNRS). Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, il a notamment publié, avec Erik Orsenna, Les Mots immigrés (Stock). Son dernier ouvrage, « La langue anglaise n’existe pas », c’est du français mal prononcé, a pour titre une citation – d’où les guillemets.  Il s’agit d’une phrase de Clémenceau, empruntée par ce dernier à Alexandre Dumas qui la place dans la bouche de son héros d’Artagnan. Et Clémenceau, qui n’était pas dépourvu d’humour, d’ajouter : « L’Angleterre n’est qu’une colonie française qui a mal tourné ». Étrange itinéraire pour un titre insolite. Car nous avons ici à faire à un essai des plus sérieux, fruit d’une érudition sans faille. C’est que Bernard Cerquiglini présente  une  particularité importante : il est membre de L’Ouvroir de Littérature Potentielle (OulipO). Lequel fut créé en 1960 par le romancier, poète et essayiste Raymond Queneau et le mathématicien François Le Lionnais.

A lire aussi: La boîte du bouquiniste

Petit tour d’horizon

L’Oulipo s’est donné pour tâche d’explorer toutes les potentialités de la langue. C’est une manière de pseudopode du Collège de Pataphysique qui a compté parmi ses notables, outre Queneau, des écrivains tels que Boris Vian et Georges Pérec.
La pataphysique, chère à Alfred Jarry et à son héros, le Dr Faustroll, professe l’identité des contraires. Il est vrai qu’il est parfois difficile, voire impossible, de tracer clairement une ligne de démarcation entre littérature et science, ou entre rêve et réalité. Auteur des Fleurs bleues (1965), roman qui illustre cet apparent paradoxe, mais aussi de Bâtons Chiffres et Lettres et d’Exercices de style, Queneau est le prototype de l’explorateur passionné de notre langue qu’il scrute sous tous ses aspects, phonétique, sémantique, philologique.  

Tel est aussi le propos de la Sémantique générale, théorie développée au début du XXe siècle par le linguiste américain Alfred Korzybski et selon laquelle le sens des mots et des phrases n’est pas fixe, mais varie selon le contexte. Ainsi convient-il d’avoir toujours à l’esprit que « la carte n’est pas le territoire ». L’un des axiomes de la Programmation neuro-linguistique (PNL), élaborée aux États-Unis dans les années 70 par John Grinder et Richard  Bandler.

A lire aussi: Langue française à Villers-Cotterêts: vous reprendrez bien quelques lieux communs…

Pour sa part, René Etiemble connut un grand succès avec son Parlez-vous franglais ?, une dénonciation coruscante de l’invasion et de la « colonisation » de notre langue remplacée en maints domaines par l’anglais.

Du bœuf et du mouton

Revenons à nos moutons. S’il est clair que Bernard Cerquiglini marche sur les brisées de René Etiemble comme le montre sa conclusion, il est tout aussi évident que le contentieux entre l’anglais et le français, reflet d’une lutte pour la suprématie dans tous les domaines, ne date pas d’hier. Elle remonte à 1066 et à la victoire de Guillaume le Conquérant à Hastings. Les Français importèrent avec eux leur langue dans les territoires conquis et celle-ci se répandit, mais seulement dans la classe dominante. C’est ainsi que le bœuf, appelé ox par les manants qui labouraient les champs, se transforma en beef, saignant ou bien cuit, dans l’assiette des aristocrates. Semblable destin pour ship, mué en mutton, et pour bien d’autres mots témoignant de l’emprise du français sur le vocabulaire anglais. Il va sans dire que le domaine de la gastronomie n’était pas le seul à être impacté, comme on dit aujourd’hui quand on est up to date. L’auteur explore maints secteurs venant corroborer la boutade de Clémenceau. L’industrie, le commerce, le droit, l’administration, la diplomatie se trouvent sous l’emprise du français, langue dominante jusqu’au dix-huitième siècle.
Constat de l’essayiste à propos de l’anglais : « Plus d’un tiers du vocabulaire est d’origine française ; si l’on ajoute les mots imités du latin, la barre des 50% est dépassée ».

Un voyage fascinant

Tel est le constat quantifiable. Encore faut-il y ajouter ce qui fait la saveur du français, son pittoresque, sa subtilité. Partant de là, Bernard Cerquiglini entraîne son lecteur dans un voyage à travers le temps et l’espace, analysant avec précision toutes les circonstances historiques, politiques, sociales, économiques et culturelles qui ont changé la donne au cours des siècles. Au point de voir à son tour notre langue envahie, submergée par un lexique indigne d’elle. Ainsi se trouve confirmée l’alerte lancée en son temps par Etiemble.
La particularité de cet essai au titre provoquant, bien dans la ligne de l’Oulipo, ce qui le rend incomparable, c’est, d’abord, le degré d’érudition de son auteur. Une érudition dont témoigne la bibliographie citée en fin d’ouvrage et l’impressionnant index des mots commentés. Rien de pesant, toutefois. À l’inverse, une légèreté souvent teintée d’humour.

Bernard Cerquiglini « La Langue anglaise n’existe pas ». C’est du français mal prononcé. Gallimard, Folio essais n° 704, 196 pages.

Des baux pas si beaux!

Les Français se désolent de voir de plus en plus de commerces qui ferment dans leurs villes. Mais ce n’est pas seulement la faute d’Amazon !


Imaginez un instant que le propriétaire de votre appartement vous demande de payer sa taxe foncière en plus de votre loyer et des charges qui vous incombent. Évidemment, vous refuseriez et prendriez cela pour une mauvaise blague. Imaginez maintenant que ce même propriétaire vous demande, de surcroît, de verser un dépôt de garantie équivalent à douze mois de loyer, tout en vous précisant qu’il sera inutile de le joindre en cas de problème de plomberie, d’électricité ou de quelconque mise aux normes. Non, vous ne rêvez pas : cela se déroule bien en France, à l’exception près que cela ne concerne pas les appartements mais les locaux commerciaux.

Ouvrir son commerce : du rêve au cauchemar administratif

Si l’on part du principe que ces usages sont non seulement largement répandus mais complètement tolérés, on comprend aisément qu’il y ait aussi peu de murs commerciaux en vente puisqu’il s’agit d’un des placements immobiliers les plus lucratifs qui soient. Chaque jour, des gens se promènent dans les centres-villes et font amèrement le même constat : les commerces ferment. Les raisons sont multiples : départs en retraite de la génération des baby-boomers, concurrence des géants de l’e-commerce international, baisse du pouvoir d’achat des Français, hausse de l’épargne ou encore changement des modes de consommation. Les études à ce sujet sont nombreuses et sont toutes très instructives. En réalité, vous savez quoi ? Ce n’est pas si grave. La vraie question qu’on devrait se poser et qui devrait nous inquiéter, ce n’est pas pourquoi les commerces ferment mais pourquoi il y en a si peu qui ouvrent ?

À lire aussi, du même auteur: Je suis une femme et je suis contre le congé menstruel

Non, les jeunes générations ne sont pas fainéantes et, aussi étonnant que cela puisse paraître dans cette société 2.0 qui est la nôtre, le commerce physique de proximité créée encore des vocations. Je rencontre fréquemment des jeunes gens, seuls ou en couple, qui rêvent d’ouvrir leur échoppe que ce soit pour une activité artisanale ou commerçante. Malheureusement, si ceux-ci survivent au dédale administratif et au parcours du combattant de l’entrepreneuriat en France, ce n’est souvent   que pour se heurter à un mur, celui du commerce qu’ils n’ouvriront jamais, faute de moyens. La législation des baux commerciaux n’a quasiment pas évolué depuis les années cinquante. C’est bien la seule chose qui n’ait pas changé dans le monde du commerce depuis cette période !

Et si on mettait un bon coup de pied dans la fourmilière de l’immobilier commercial?

Autant vous dire que, début mars, lorsque j’ai entendu Mme Olivia Grégoire, Ministre déléguée chargée des entreprises, annoncer des mesures pour encadrer les baux commerciaux, j’ai eu beaucoup d’espoir. Cela faisait des années que les fédérations commerciales et instances représentatives alertaient le gouvernement à ce sujet. Cette semaine, à la lecture du Projet de Loi Simplification (LSA) qui va bientôt être soumis au Conseil d’état, mon enthousiasme est quelque peu retombé. Au programme : un plafonnement des dépôts de garantie qui ne devront plus excéder trois mois de loyer ainsi que la possibilité pour les commerçants de payer leur loyer mensuellement. J’avais en effet omis ce détail : le propriétaire d’un local commercial est actuellement en droit d’exiger un paiement du loyer par semestre et donc de faire fructifier en placements financiers une trésorerie pourtant vitale aux commerçants…

À lire aussi, Jeremy Stubbs: Plastique bashing: la fausse transition écologique

Tout ça pour en arriver là ! Ce n’est pas la première fois que des politiques  donnent l’impression de s’attaquer à un problème pour, au bout du compte, l’effleurer à peine. Est-ce par manque d’audace, méconnaissance du sujet ou encore conflit d’intérêts ? Qu’importe : l’immobilisme est à l’œuvre et ses conséquences sont, chaque jour, catastrophiques pour les commerçants et artisans français.

École privée: et si l’on remettait à plat le système des contrats?

Plutôt que de faire du privé un bouc-émissaire facile, dont on cherche sans cesse à entraver la marche, l’heure est à refonder les modalités de contractualisation et d’évaluation des écoles !


Haro sur l’école privée ! L’idée n’est pas nouvelle. Sauf que la donne n’est plus la même. D’un côté elle est plébiscitée par 75% des Français, qui la jugent meilleure que l’école publique (selon un sondage Odoxa/ BFM Business réalisé fin mars). De l’autre, elle est contestée dans ses financements et son ouverture sociale : 49% des sondés déclarent être favorables à une réduction ou une suppression de ses subventions publiques, ce qui est lourd de menaces.

Le retour de la guerre scolaire ?

L’urgence est donc, si l’on veut préserver l’avenir de l’école privée, d’accroitre sa transparence budgétaire et tarifaire. Plutôt que de faire de l’école privée un bouc-émissaire dont on cherche à entraver sans cesse la marche, l’heure ne serait-elle pas venue de refonder ses modalités de transparence, de contractualisation et d’évaluation pour qu’elle soit encore plus efficace et légitime?

Le rapport de la Cour des comptes de 2023 comme le récent rapport parlementaire Vannier-Weissberg sur l’école privée se concentrent sur l’enseignement privé sous contrat, sans jamais prendre en compte la dynamique qui existe entre école publique et école privée. Pourtant il est tout sauf anodin que l’Éducation nationale se voie confier la mission de contrôler les écoles privées. S’il est normal que l’Etat contrôle toute structure recevant des subventions publiques, la logique voudrait, en revanche, que ce ne soit pas l’Éducation nationale qui s’en charge. D’abord parce qu’elle perçoit les écoles privées comme des concurrentes dont elle cherche plus à endiguer l’essor qu’à en assurer la qualité. Ensuite parce que l’Éducation nationale est devenue objectivement moins performante que l’école privée, qu’elle est donc peu légitime à contrôler. La différence de performance pédagogique est tout aussi marquée : « Un élève du privé sort de troisième avec plus d’un an d’avance sur un camarade de même milieu social et avec les mêmes acquis en fin de CM2 mais qui a fait sa scolarité dans un collège public », démontre Paul Cahu, consultant pour la Banque mondiale, dans les Echos du 2 avril. Elle a en outre un moindre rapport qualité/ prix : un écolier d’une école privée primaire coûte aux finances publiques 3120 euros contre 6910 euros pour son homologue en école publique. Et un collégien du privé coûte 5544 euros aux finances publiques contre 10 409 pour son homologue du public.

Privé sous contrat : 75% de fonds publics

En matière de transparence budgétaire, il faut exiger des écoles publiques au moins autant que ce qu’on exige de leurs homologues privées, puisqu’elles sont financées à 100% par des fonds publics quand les écoles privées sous contrat le sont à 75%. L’État devrait sanctionner lourdement la non-publication si fréquente des comptes annuels des structures gérant les écoles privées. S’il est assez évident que les structures privées gèrent mieux leur budget que les structures publiques, cette transparence accrue permettrait toutefois de dissuader les appétits malsains de certains gestionnaires d’école privée en matière d’immobilier, de placements financiers ou de contrats de prestation. On verrait aussi que seulement 30% des écoles sous contrat pratiquent des tarifs progressifs. Mécaniquement, cette transparence conduirait à des pressions locales qui aboutiraient à plus de mixité sociale, sans qu’une inhumaine logique quantitative de quotas n’ait besoin d’être imposée.

À lire aussi, Jean-Robert Pitte: Merci à Stanislas !

Mais l’État devrait tout aussi urgemment imposer la publication du budget individuel de chaque école publique. Cette information est inexistante à ce jour. L’emballement improductif des dépenses publiques d’éducation a sans doute à voir avec cette exception française. Ces réformes seraient plus utiles que d’exiger des rapports détaillés sur l’utilisation globale des 10 milliards d’euros alloués chaque année au privé sous contrat. Rendre compte est primordial en démocratie. Encore faut-il que ce soit à une échelle qui parle aux citoyens.

L’innovation éducative bridée en France

Comme les modalités de transparence budgétaire, la gestion des contrats mérite aussi d’être refondée. La loi prévoit qu’une création d’école se fait sans contrat durant ses cinq premières années d’existence. Ensuite, elle peut demander un contrat (qui, rappelons-le, est conclu au niveau de la classe et non de l’établissement). C’est ce que le Code de l’éducation prévoit en théorie mais dans la réalité, très peu de nouveaux contrats sont octroyés. Des concepts vagues comme « le besoin scolaire reconnu » permettent à l’État de refuser le contrat sans motiver réellement son refus. Il n’y a pas de droit à contractualiser qui soit opposable. Son octroi est soumis au fait du prince et sans une intervention politique de haut niveau, il est presqu’impossible d’obtenir un contrat. Cette situation nuit à l’innovation éducative en France et à l’essor des écoles non confessionnelles. C’est par exemple le cas de l’école privée Diagonale, dont la qualité est louée au plus haut niveau de l’Etat mais qui échoue à obtenir un contrat.

Résultats du baccalauréat 2022 devant un lycée de Douai, 5 juillet 2022 © FRANCOIS GREUEZ/SIPA

Pour les établissements sous contrat en place, la situation n’est guère plus enviable. Ils dépendent du responsable du réseau auquel l’école appartient. C’est le SGEC ou le Fonds Social Juif Unifié par exemple qui se livrent à des tractations sans que les écoles elles-mêmes n’y puissent mais, alors que la loi prévoit que c’est au niveau de chaque établissement directement que les négociations devraient avoir lieu avec le rectorat. Côté État, le retrait du contrat est rarissime. Un établissement qui bénéficie de contrats ne les perd pas tant qu’il a le nombre requis d’élèves par classe, quelles que soient la qualité pédagogique, la sélection ou l’importance de l’entre soi social qu’il pratique. Autrement dit, l’écrasante majorité des contrats sont reconduits sans aucune évaluation de performance. C’est la prime à l’antériorité et à l’appartenance à un réseau d’écoles confessionnelles qui compte.

De l’air !

Pourquoi ne pas gérer plutôt les contrats selon une procédure d’appel d’offre tous les cinq ou 10 ans avec un cahier des charges public et des candidatures publiques ? Cela créerait une saine concurrence entre établissements privés. Cela suppose de mettre en place un vrai système d’évaluation de la qualité des établissements scolaires, qui n’existe pas actuellement en raison de l’effondrement du niveau du brevet et du bac. Pour veiller à la justice de l’évaluation, il faudrait aussi faire passer des tests nationaux de niveau en début et fin d’année, ou au moins en début et fin de cycles, et noter les établissements sur leur capacité à faire progresser leurs élèves par rapport à leur niveau de début d’une part, et au niveau scolaire absolu auquel ils les auront conduits d’autre part. Ces éléments seraient publiés, ainsi que les évaluations des parents, comme le fait l’OFSTED britannique. Ce dernier élément, peu habituel en France, permet de prendre en compte le niveau de satisfaction des parents dans l’évaluation de l’établissement, ce qui semble la moindre des choses, dans le cadre de la co-éducation prônée par les pouvoirs publics depuis des décennies.

À lire aussi, Nicolas Bourez: Mise en place de l’uniforme scolaire: quand la politique s’invite ouvertement à l’école!

Cette évolution permettrait aussi à notre système scolaire collectif de respirer, de s’adapter aux évolutions des besoins de la société et de la qualité des nouvelles initiatives éducatives. La faible évolution du paysage scolaire public ou financé par l’État est assez surprenante, alors que l’éducation – surtout à l’heure du numérique et de l’IA – devrait être un domaine privilégié de l’innovation. Il est temps de sortir de ces rentes de situation. Les nouvelles écoles créées, à condition qu’elles aient fait leurs preuves dans le cadre des évaluations réformées comme proposé, devraient jouir d’un droit opposable à passer sous contrat. Aujourd’hui, les écoles hors contrat sont bloquées dans ce statut défavorable, même quand elles aspirent à contractualiser avec l’Etat et en ont le niveau. C’est l’innovation qui est empêchée, en raison d’une entente malsaine entre une Éducation nationale, qui voit d’un mauvais œil la concurrence des écoles privées, et les baronnies des réseaux institués qui n’ont aucune envie d’ouvrir le jeu à d’autres établissements que les leurs.

Pour éviter un séparatisme social entre ceux de l’école publique et ceux de l’école privée, il est urgent d’instaurer des outils communs : des évaluations nationales communes et des obligations de transparence également communes. La feuille de route est tracée. C’est à présent une question de courage politique.

Viry-Châtillon, du déni aux larmes

Quatre jeunes hommes ont été mis en examen la nuit dernière pour assassinat, après la mort de Shemseddine, 15 ans, tabassé la semaine passée devant son collège de Viry-Châtillon (91). Une contre-société s’installe en France, et sans surprise, les discours bisounours de nos élus ne parviennent pas à l’empêcher.


« Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer » écrivait jadis Bossuet – on connaît mieux la version apocryphe de cette citation : « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences dont ils chérissent les causes. »

Il y aurait en effet de quoi rire, d’un rire amer, s’il ne s’agissait pas du décès tragique et révoltant d’un adolescent : Shamseddine, 15 ans, tabassé à mort à la sortie du collège, à Viry-Châtillon. D’après les déclarations du procureur, ses meurtriers l’auraient agressé parce que les contacts de Shamseddine avec leur sœur leur faisaient « craindre » pour leur « réputation et celle de leur famille. »

Émotion n’est vraiment pas raison

Et voilà le maire UDI de Viry-Châtillon en larmes à la télévision, disant qu’ « il faut apprendre aux enfants, quand ils sont jeunes, qu’il y a le bien, et puis il y a le mal, et puis le mal on n’a pas le droit de le faire, et quand on le fait on est puni » et aussi « c’est pas pour être fermes, pour être méchants avec eux, c’est pour leur apprendre que dans la vie il y a des choses bien et il y a des choses mal, ces choses mal on n’a pas le droit de les faire parce que c’est toujours au détriment de quelqu’un. »

A lire aussi, Céline Pina: Montpellier: le collège des kouffars brisés

Accordons-lui que l’émotion, que l’on sent sincère, n’aide pas à trouver les mots. Mais le décalage entre ce discours très infantilisant, très enfantin même, et la sauvagerie de la mise à mort de Shamseddine ne peut que laisser songeur. Et notons que d’après ce que l’on sait, les tueurs avaient justement une notion assez précise de ce qu’ils estiment « bien » (la réputation de la famille) et de ce qu’ils estiment « mal » (les discussions de Shamseddine avec leur sœur), et parce que leur éducation leur avait enseigné que c’était « mal » ils ont « puni » l’adolescent. C’est une loi barbare et tribale qui a exercé ce qui lui tient lieu de « justice », une loi en opposition à notre décence commune, mais néanmoins une loi. Ce n’est pas une absence de repères comme semble le croire le maire, c’est au contraire une volonté assumée d’imposer des repères radicalement différents des nôtres.

Cruelle ironie

On rirait, en citant Bossuet, si l’aveuglement de l’édile et de tant et tant de nos élus, dirigeants, intellectuels, faiseurs d’opinion, depuis des décennies, n’était pas la source de drames horribles toujours plus nombreux dans notre pays.

Par une cruelle ironie, il y a deux ans le maire de Viry-Châtillon portait plainte contre Éric Zemmour, qui parlait de « talibanisation » de nombreux quartiers justement pour dénoncer la loi barbare qui, depuis, a frappé Shamseddine. Et le maire d’invoquer alors les mantras habituels, « vivre ensemble » et « refus des discours de haine ». À Viry-Châtillon, un adolescent a payé de sa vie la soumission de notre société à cette doxa.

«Emmanuel, ça fait quand même onze ans que tu es là!»

Le président de la République entend faire porter la responsabilité de l’état catastrophique des finances du pays sur les autres.


Selon Le Figaro, lors d’une réunion à l’Élysée consacrée aux finances publiques et au déficit abyssal plus grave que prévu, le président énervé s’est adressé au ministre Bruno Le Maire en ces termes : « Bruno, ça fait quand même sept ans que tu es là ! » La scène se déroulait en présence du Premier ministre Gabriel Attal, des ministres Darmanin et Cazenave, le jour même de la publication du dernier livre de Bruno Le Maire. Contrairement à l’habitude présidentielle en public, Emmanuel Macron tutoyait et prénommait notre ministre de l’Économie. Si Bruno Le Maire avait été au bout d’une audace qui l’aurait brouillé avec le président, il aurait réagi vivement ainsi : « Emmanuel, ça fait quand même onze ans que tu es là », temporalité justement rappelée par Eric Ciotti.

A lire aussi: Mise en place de l’uniforme scolaire: quand la politique s’invite ouvertement à l’école!

Certes, comme secrétaire général adjoint de l’Élysée sous l’autorité de François Hollande durant deux ans puis, également, en qualité de ministre, Emmanuel Macron n’avait pas tous les pouvoirs et les décisions finales ne relevaient pas de lui. Mais son influence était telle sur un président longtemps abusé, et malgré un Premier ministre Manuel Valls rétif à son charme, qu’il aurait été absurde de lui dénier une part de responsabilité dans la politique économique et budgétaire mise en œuvre. Il n’aurait donc pas été impudent de la part de Bruno Le Maire de rappeler au président son influence, ses prérogatives puis son pouvoir durant onze ans. En tout cas son absolue maîtrise durant sept ans. Qui peut penser une seconde que Bruno Le Maire n’ait pas agi sans l’aval constant du président et que ce dernier n’est évidemment pas directement solidaire des orientations et des entreprises de son ministre ?

«Bruno, ça fait quand même sept ans que tu es là» aurait déclaré le président Macron lors d’une réunion consacrée aux finances publiques à l’Elysée le 20 mars, selon le Figaro © image d’archive / Blondet Eliot -pool/SIPA

A lire aussi, Ivan Rioufol: Anatomie de la chute française

Cette semonce d’il y a quelques jours demeurerait un épisode marquant mais sans plus, si elle ne révélait pas un trait de caractère détestable d’Emmanuel Macron. Il est à la fois présent et absent, il est impliqué dans les désastres mais se situe en surplomb comme s’il n’était coupable de rien, il évoque et dénonce les fautes de ses ministres comme s’ils n’étaient pas les siens, il se vit tranquille et dénonciateur comme un observateur alors que le déplorable bilan de ses sept ans sur l’état économique, financier, sécuritaire et judiciaire du pays est à mettre à sa charge. Le président ne se serait pas calmé : il ne répondrait plus à Bruno Le Maire au téléphone et le Premier ministre aurait « recadré » ce dernier. Les deux prêtent à ce ministre une stratégie cherchant à inciter LR à la motion de censure. Mais Emmanuel Macron ne devrait s’en prendre qu’à lui-même pour son inaptitude à choisir les bons ministres pour les bons postes. Et Bruno Le Maire n’est de loin pas son fiasco le plus désastreux ! À force, il est trop commode de s’attribuer le meilleur quand il survient et d’imputer le pire à d’autres. Je n’aurais pas pu être ministre, je n’aurais pas eu la politesse de Bruno Le Maire ! Je n’aurais pas attendu 2027 pour dire la vérité…

Libres propos d'un inclassable

Price: 12,50 €

11 used & new available from 4,96 €

Extrêmement politique

Aux yeux du ministère de l’Intérieur, le Rassemblement national est d’« extrême droite ». Un étiquetage peu éthique et peu équilibré, alors que de l’autre côté du spectre politique, LFI ne se voit pas qualifié d’extrême.


Le RN est-il d’extrême droite ? D’un point de vue topographique, la réponse ne fait pas de doute. Sur les bancs de l’Assemblée nationale, les députés marinistes siègent bel et bien à l’extrémité droite de l’hémicycle, tandis que le groupe communiste ferme le bord gauche. D’un point de vue philosophique en revanche, parler d’« extrême » relève du parti pris, si ce n’est de la mauvaise foi.

Peut-on taxer d’extrémisme une formation qui a défilé contre l’antisémitisme le 12 novembre, a majoritairement approuvé la constitutionnalisation de l’IVG le 4 mars, et s’est abstenue, huit jours après, lors du vote au Parlement sur la stratégie de la France en Ukraine (alors que La France insoumise prenait quant à elle une position nettement moins consensuelle en se prononçant contre) ? Ne serait-il pas plus honnête de parler de « droite populiste », de « droite autoritaire » ou de « droite nationaliste » ?

A lire aussi : Jordan Bardella, Quoi ma gueule? Marine, Poutine, Saint-Denis… L’idole des jeunes se confie

Place Beauvau, on refuse de se poser la question. Les circulaires préfectorales continuent de ranger les candidats du Rassemblement national à l’extrême droite. Une pratique validée par le Conseil d’État le 11 mars, suite à une plainte pour atteinte à la « sincérité du scrutin ». Pourtant, à l’autre bout du spectre politique, ni LFI ni le PC ne sont classés à l’extrême gauche par le ministère de l’Intérieur, qui réserve cette catégorie au NPA et à Lutte ouvrière, à juste titre du reste puisque ces deux groupuscules prônent rien moins que le renversement de l’État, la fin de la propriété privée et le soutien au Hamas. Bien sûr, un simple adjectif ne fait pas l’Histoire, et les Français ne sont pas dupes de la sémantique du pouvoir quand elle est caricaturale (on ne saurait en dire autant des médias qui se conforment au vocabulaire administratif avec un curieux plaisir).

Mais à l’heure, où, au nom du pluralisme, il est demandé à l’Arcom de soupeser avec un zèle appuyé chaque parole politique exprimée sur nos ondes, on peut se demander si, pour paraphraser Albert Camus, mal nommer un parti, ce n’est pas ajouter au malheur de la démocratie.

Sénégal: des bouleversements majeurs qui doivent interroger Paris

0

Le président élu Bassirou Diomaye Faye est sorti de prison 10 jours avant le scrutin présidentiel et est polygame, il a nommé le populiste Ousmane Sonko Premier ministre.


L’année 2023 fut particulièrement agitée au Sénégal, pays d’Afrique qui entretient depuis longtemps d’excellentes relations avec la France. Pôle de stabilité démocratique au cœur de l’Afrique de l’Ouest francophone et membre incontournable de la CEDEAO, le Sénégal a néanmoins dû faire face à des troubles sociaux relativement importants et inhabituels qui auront mis en exergue les mutations qui s’opèrent sur l’ensemble de la région.

Le 6 juillet 2023, ici-même sur Causeur, nous revenions sur l’annonce inattendue de Macky Sall qui renonçait alors officiellement à briguer un troisième mandat dans l’optique de restaurer le calme dans les rues de Dakar[1]. Une décision qui avait été saluée par d’importants grands dirigeants et responsables mondiaux, notamment le Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres qui avait tenu à féliciter l’ancien président du Sénégal pour son sens des responsabilités, tout en indiquant que son discours constituait « un exemple très important pour son pays et le reste du monde ». La suite ne lui a que partiellement donné raison.

Un nouveau binôme à la tête de l’exécutif sénégalais

L’élection présidentielle qui s’est tenue le dimanche 24 mars constitue d’abord et avant tout une victoire des institutions sénégalaises. Elles ont démontré leur maturité démocratique et leur résilience. Alors que de nombreux observateurs craignaient que la situation ne débouche sur des troubles civils, tout s’est déroulé dans le calme le plus parfait. Les militaires sont restés dans leurs casernes et les résultats ont été connus rapidement – bien plus tôt qu’aux États-Unis en 2020, soit dit en passant ! Libéré de prison dix jours avant le vote, l’opposant au pouvoir Bassirou Diomaye Faye a été élu dès le premier tour. Âgé de 44 ans, ce contrôleur des impôts a joué les remplaçants pour le meneur du Parti des Patriotes africains du Sénégal (Pastef), Monsieur Ousmane Sonko.

Indépendant depuis 1960, le Sénégal avait pour l’heure toujours connu des élections apaisées. Ce ne fut pas le cas cette fois-ci. Le pays s’est agité, singulièrement sa jeunesse urbanisée et travaillée par de nouvelles idées, inspirées du panafricanisme. On a d’ailleurs pu voir à plusieurs reprises le très médiatique Juan Branco s’immiscer dans la vie politique locale, représentant notamment les intérêts d’Ousmane Sonko. Malheureusement, nombre de critiques formulées à l’encontre de Macky Sall étaient tout particulièrement injustes. Choisissant la voie du développement économique libéral, l’ancien président sénégalais était aussi un soutien clair des pays occidentaux qui a tout fait pour lutter contre les radicalités politiques mais aussi religieuses.

Il faut bien comprendre que depuis son élection en 2012, Macky Sall avait su préserver le Sénégal des terribles difficultés expérimentées par certains de ses voisins mais aussi de l’islamisme, tant djihadiste que politique, dans un pays qui a toujours su avoir un rapport raisonnable à la chose religieuse. Au Mali, au Burkina ou en Guinée Conakry, des gouvernements ont été renversés sans que la menace djihadiste ne soit endiguée. Des pays autrefois paisibles comme le Bénin ou le Togo assistent aussi à une progression du salafisme politique. Sera-ce toujours le cas demain à Dakar alors que le sentiment anti-occidental est en pleine explosion, alimenté d’ailleurs par des extrémistes venus d’Occident comme par des pays antagonistes dans la région à l’image de la Russie toujours à la manœuvre dans l’espace francophone ?

Une décolonisation qui n’en finit jamais

Paradoxal, le Sénégal fait figure de bon élève pour n’avoir pas sombré dans le coup d’Etat lancé par une junte comme c’est la triste norme régionale depuis quelques années… tout en envoyant des signaux faibles inquiétants. Ainsi, le président Bassirou Diomaye Faye s’est affiché avec ses deux épouses, revendiquant une polygamie pourtant en déclin. S’il ne nous appartient pas de juger les mœurs de pays souverains, la polygamie provoque d’importantes tensions sociales et est un pratique particulièrement préjudiciable aux femmes modestes. Cela manifeste aussi une volonté affichée d’éloignement de notre modèle, qui n’est plus considéré comme un objectif à atteindre.

Ousmane Sonko, lui aussi passé par l’administration fiscale, ça ne s’invente pas, est un personnage ombrageux. Ayant commencé sa carrière politique en 2014, il a rapidement été élu député puis maire de Zinguichor, principale ville de Casamance. Allié à Abdoulaye Wade, l’ancien président sénégalais, aux dernières élections législatives, il défend des idées controversées que l’on pourrait rapprocher de celles défendues par le militant béninois Kemi Seba – du moins en apparence. Il n’a ainsi pas hésité à encourager le président malien Assimi Goïta, opposant déclaré à la France, ou à se réclamer de l’idéologie panafricaine. Il s’agit, au fond, d’un populiste chimiquement pur pratiquant la dialectique clivante de l’ami et de l’ennemi, dénonçant les « élites » d’un pays qu’il juge corrompu par la France.

Sa popularité a d’ailleurs explosé après qu’il a été accusé de viols répétés prétendument commis entre juin 2020 et février 2021 sur une jeune masseuse prénommée Adji Sarr. Cette accusation a provoqué la levée de son immunité parlementaire… ainsi que d’importantes manifestations de soutiens où ont défilé des milliers de jeunes gens. Il s’est ainsi rendu à sa convocation au tribunal pour s’expliquer sous les vivats de la foule, avant d’être arrêté pour troubles à l’ordre public. Un tribun de la plèbe était né ! Reste pourtant de multiples dossiers sensibles à traiter, tels que l’exploitation des hydrocarbures, et des défis infrastructurels. Si la contestation peut avoir du bon, le binôme Sonko-Faye qui rappellera furieusement la période transitoire où Medevedev occupait pour la galerie la première place dévolue à Vladimir Poutine, devra aussi se pencher sur les affaires courantes.

Vue aérienne de Dakar. DR.

Les promesses ne finissent pas dans les assiettes. Pour l’Elysée, il sera aussi compliqué de composer avec un personnage plutôt hostile et soutenu par l’extrême-gauche française, surtout au Sénégal qui est une pièce maîtresse de la stabilité de toute la façade atlantique. C’est aussi un avertissement. Sans frais ? Il va falloir prendre la mesure de la nouvelle opinion africaine, très politisée et désireuse d’une rupture, se pensant enchaînée à son passé colonial. Là-bas aussi, la rupture semble plus vendeuse que la réforme.

Directeur d’Afrique Magazine, Zyan Liman expliquait au micro de France Info qu’ « au Sénégal et dans plusieurs pays de la zone, il y a la sensation que tous ces discours sur la croissance, l’émergence, l’Afrique nouvelle, ne se traduit pas par des concrétisations sur le terrain et seraient captés par une certaine élite internationalisée, bourgeoise, francophone, parisienne ». Le Premier ministre Sonko a présenté son gouvernement comme entérinant la « rupture ». Quelques éléments rassurants se détachent néanmoins. Le général Birame Diop, ancien chef d’état-major, a été placé à la tête des forces armées, et le général Jean-Baptiste Tine, ancien haut commandant de la gendarmerie nationale, à l’Intérieur. Le nouveau ministre de la Justice, Ousmane Diagne, est un ancien procureur général à la Cour d’appel de Dakar, sérieux et professionnel.   

Outre ces nouveaux éléments, des profils incarnant la stabilité des institutions et des politiques menées sous Macky Sall ont été maintenus, à l’image de Serigne Guèye Diop, ministre de l’Industrie et du Commerce. Oumar Samba Ba, déjà Secrétaire général de la présidence sous la précédente mandature a été maintenu. Un choix qui permet d’assurer la continuité de l’Etat, comme c’est le cas au Sénégal depuis Léopold Sédar Senghor.

Finalement, le gouvernement est bien plus prudent que ne le laissait supposer la campagne. Si la moitié des ministres sont issus des rangs du Pastef, ils ont pour la plupart de l’expérience. Yacine Fall, vice-présidente du parti de la majorité chargée des relations internationales, aura la charge des Affaires étrangères. Gageons que nous sachions arrondir les angles… La tâche, si elle ne semble pas insurmontable, n’est pas gagnée d’avance.


[1] https://www.causeur.fr/macky-sall-renonce-a-se-representer-retour-au-calme-a-dakar-262903

Scandale des maltraitances dans les instituts pour personnes handicapées: la crise a bon dos

0
Un établissement de santé présenté dans le reportage de "Zone Interdite". Capture d'écran M6.

À la suite de la diffusion du reportage « Les dossiers noirs du handicap », nous avons constaté, à plusieurs reprises, des tentatives de la part des associations de justifier les difficultés vécues au sein des établissements accueillant des personnes handicapées en grande partie par le manque de moyens. Si cet argument est pertinent et indiscutable aux vues de notre système de santé connaissant depuis des années une crise d’une ampleur impressionnante, peut-on sortir encore et toujours cette justification pour les dérives les plus graves?


Au cœur du documentaire diffusé le 24 mars dans Zone Interdite sur M6[1] furent pointées les nombreuses difficultés vécues au quotidien par beaucoup de familles de personnes en situation de handicap. Scandale d’État sur les aides sociales détournées au détriment de celles-ci (par exemple, un foyer pour handicapés imposant à une famille de lui restituer, contre son bon droit, l’intégralité des allocations logements destinées au résident sans les déduire du loyer), dysfonctionnements de l’école inclusive, manque de places au sein des instituts… et maltraitances. 

Délabrement, insalubrité, faute de mises aux normes : la première réalité dénoncée par le reportage est effectivement bien le reflet de l’intolérable manque de moyens accordés par les pouvoirs publics à la question du handicap. Des chutes de cheminées à celles des résidents, des pièces condamnées aux bâtiments en débris : sur ces plans, l’absence de préoccupation constante des gouvernements successifs au sujet du handicap est dénoncée à de multiples reprises. Et à l’évidence, tout ceci est ô combien condamnable. Mais on ne peut pas mettre sur le même plan de mauvaises conditions d’hébergement et… les maltraitances constatées par les reporters de M6.

Néanmoins… J’ai pu lire sur le net l’indignation de certaines associations, comme l’Unapei. J’ai pu lire que la maltraitance intervenait, lorsque le système était « défaillant »[2]. J’ai pu lire que certains considéraient les faits dénoncés comme des « effets de la crise ». J’ai lu que les solutions d’accompagnement perduraient « au prix de la qualité des soins ». Pardonnez-moi, mais il est clair, aux vues des effroyables constats établis par les familles, qu’il ne s’agit pas exclusivement d’une question de moyens. On a pu voir les images d’un enfant handicapé, subissant de lourds problèmes de déglutition pouvant le mener à l’étouffement, laissé à lui-même dans une chambre insalubre. On a aussi pu voir les images de refus de la part des responsables de laisser les parents visiter les établissements. Mais par-dessus tout, ce documentaire aborde une autre dimension des problèmes rencontrés par nos concitoyens handicapés encore plus indigne, une dimension qui ne devrait en aucun cas, et à aucun moment, exister. Peu importe sa rareté et peu importe qu’elle ne soit pas une généralité. Les maltraitances (en particulier dans le milieu du soin !) n’ont pas et n’ont jamais lieu d’être. Il est intolérable de voir des enfants, comme Gaëtan, jeune autiste, revenir de centres spécialisés avec des blessures en tout genre: des hématomes, des bleus sur les bras, des gants des personnels médicaux dans les selles, des fractures.

A lire aussi: École privée: et si l’on remettait à plat le système des contrats?

Il est intolérable de lire ces attestations faites sur l’honneur par des salariés dénonçant des problèmes de malnutrition, de maltraitances. Ces employés dénoncent les étonnantes pratiques de certains membres des personnels. Par exemple, des infirmières auraient déposé du chocolat au sol pour faire rentrer des résidents dans un établissement, des insultes et rabaissements auraient été administrés à certains.

Une fois encore, il va sans dire que les défaillances sont dues, pour la majeure partie d’entre elles, à la crise sanitaire d’envergure connue depuis des années par les professionnels de santé. Il va sans dire que ces métiers indispensables au bien-être de l’homme mériteraient une meilleure rémunération, et que les pouvoirs publics ont le devoir de donner à ces derniers les moyens d’accomplir leurs missions. Il va sans dire que ces professions demeurent sous-payées et connaissent des conditions d’exercice difficiles comme le dénoncent les associations. Néanmoins, est-il toujours pertinent de parler d’argent dans le domaine du soin où bien-être et dignité des personnes devraient primer en toute occasion ? Peut-on toujours dédouaner l’intolérable par la crise ? Dire que l’on omet systématiquement les questions de compétences par souci économique dans le recrutement est aussi une réalité à dénoncer.

Car oui, la personne humaine, peu importe son handicap ou ses difficultés, dispose de droits fondamentaux. En effet, l’article R311-35 du Code de l’action sociale et des familles prévoit que le règlement d’un établissement doit contenir les mesures relatives à la sûreté des personnes. De plus, la structure doit être dotée une équipe soignante (kinés, orthoptistes …) ayant pour mission de surveiller la santé des enfants, et d’une équipe pédagogique composée d’enseignants et d’éducateurs. Enfin, plusieurs droits fondamentaux sont reconnus aux personnes accueillies au sein d’établissements, comme le respect, par le personnel, de leur dignité, intégrité, vie privée, intimité et de leur sécurité (article L311-3 du CASF).

Au vu de la gravité des constats établis par les parents au sein de ce documentaire, la dignité de la personne est-elle toujours respectée ? Est-elle respectée quand les enfants sont humiliés ? L’intégrité physique n’est-elle pas violée quand ceux-ci sont retrouvés avec des blessures sur le corps ? Est-ce ce que l’on pourrait appeler une prise en charge… de qualité ?

Les métiers du soin et de l’accompagnement sont sujets à une responsabilité particulière. Les professionnels et dirigeants d’établissements sont garants de la prise en charge des personnes dans des conditions dignes mais aussi de leur intégrité corporelle. En droit français, de par l’héritage des valeurs inculquées par la société chrétienne et conformément à la volonté de protéger les personnes contre les atteintes portées au corps, celles-ci sont systématiquement réprimandées. Il s’agit d’un principe fondamental : on ne touche pas, en aucun cas, à l’intégrité physique.

A lire aussi: Au pays du soleil levant, les vieux en tiennent une de ces couches!

Un autre aspect, que j’ai également pu découvrir dans la presse, a particulièrement attiré mon attention. En effet, nous avons été informés d’une stratégie lancée par le gouvernement à partir de fin 2025 en matière de facilitation du signalement, mais aussi visant à rendre systématique « la vérification des antécédents judiciaires de tous les intervenants qui accompagnent les personnes vulnérables – professionnels comme bénévoles ». Pardonnez-moi, mais je peine à saisir le sens véritable de cette annonce… Celle-ci signifierait que les textes actuels n’auraient pas déjà pour effet de systématiser la vérification des antécédents judiciaires des accompagnants de personnes vulnérables ? Cela signifierait que l’absence de tels antécédents ne serait pas à l’heure actuelle, considérée comme un critère de sélection dans un domaine nécessitant de prodiguer des soins et de porter à l’autre une attention toute particulière ? Mais sérieusement, de qui se moque-t-on ?

Si le manque de moyens est une réalité qu’il convient de prendre en compte à sa juste valeur et s’il est nécessaire de souligner la difficulté des conditions de travail des personnels médicaux et médico-sociaux, la responsabilité de l’ensemble des acteurs est aussi celle de dire que le manque de moyens ne justifie en aucun cas que des mauvais traitements soient infligés. Le manque de moyens n’excuse pas la violation des droits fondamentaux. Le manque de moyens n’est pas une explication au non-respect de la dignité humaine. Le manque de moyens n’est pas seulement l’affaire des personnes handicapées et vulnérables ! Le manque de moyens n’est pas une arme rhétorique destinée à fermer les yeux ! Le manque de moyens n’est de nature à expliquer ni les blessures, ni les ustensiles retrouvés dans les selles, ni le refus de recevoir les parents dans les établissements.

Sans nulle volonté de jeter la pierre et d’engager la responsabilité d’un acteur plutôt qu’un autre, je pense incorrect d’apporter une seule et même explication à un problème d’une telle envergure. La responsabilité, en matière d’atteintes corporelles justifiées par un manque de moyens, est bien souvent une affaire collective.


[1] https://www.6play.fr/zone-interdite-p_845/scandales-et-defaillance-de-letat-les-dossiers-noirs-du-handicap-c_13060525

[2] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/le-gouvernement-veut-controler-tous-les-etablissements-accueillant-des-personnes-handicapees-20240325

Deauville divertimento

0

La 28è édition du Festival de Pâques se tient à Deauville jusqu’au 27 avril 2024


Ce sont d’autres races de purs-sang qui, en ouverture du printemps, investissent pour trois semaines la salle Elie de Brignac-Argana, à Deauville. Non pas les yearling hors de prix dont, le reste de l’année, quelques émirs ou capitaines d’industrie hippophiles font l’acquisition dans cet équestre colisée. Les juvéniles chevaux de course du traditionnel Festival de Pâques dont, à deux heures de Paris, la mythique station balnéaire s’enorgueillit depuis près de trente ans, en partenariat avec la prestigieuse Fondation Singer-Polignac et sous l’impulsion de son co-fondateur le violoniste Renaud Capuçon (avec feu le pianiste Nicholas Angelich), ce sont les musiciens prometteurs de la nouvelle génération. Jeunes mais déjà concertistes de haut vol, pour certains. L’autre signature du festival, c’est d’associer délibérément les must du répertoire classique à des œuvres plus rares, voire à des compositions contemporaines, lesquelles exigent parfois une oreille avertie. Un équilibre subtil.

Éclectisme au rendez-vous

Le concert d’ouverture du 6 avril offrait l’illustration parfaite de cette combinaison. Avec, en guise de hors-d’œuvre, La Truite, le célèbre quintette composé par un Schubert âgé de 21 ans sur la base de son lied Die Forelle dont tout un chacun sait fredonner les variations mélodiques du quatrième mouvement, jadis parodié par les Frères Jacques… Moins galvaudé, le sublime andante, second mouvement du quintette, atteignait un sommet sous les archets d’Emmanuel Coppey (qui jouait « baroque », sur un violon fin XVIIIe), de Manuel-Vioque-Judde à l’alto, de Yann Dubost à la contrebasse. Au clavier, le remarquable Arthur Hinnewinkel, 24 ans, pianiste actuellement en résidence, justement, à la Fondation Singer-Polignac, dans le XVIème arrondissement de Paris.

C’est peu dire que le second morceau du concert, Ich ruf zu Dir pour piano, clarinette et quatuor à cordes, millésimé 1999, œuvre d’Olivier Grief, compositeur mystique, fils d’un déporté de la Shoah, un temps adepte d’une secte bouddhique, mort à 50 ans à peine en l’an 2000, supposément d’une crise cardiaque, requérait l’écoute de l’auditeur : musique d’écorché vif, proche de la transe, une clarinette stridente ne ménageant pas les tympans, pas plus que le piano frappé comme la sonnaille d’un bourdon de cathédrale, cri dissonant, accablé de lourds silences neurasthéniques. De ce climat funèbre témoigne la bouleversante Danse des morts, aux mélopées nourries de musique ancienne. Elle est éditée en CD sous la bannière de Deauville Live, au sein d’une précieuse collection qui compte déjà une douzaine d’albums : chaque année, la gravure d’un concert du festival – éclectisme au rendez-vous, donc.

A lire aussi: «La langue anglaise n’existe pas». Une mise en perspective aussi savoureuse que convaincante

Prokofiev clôturait ce concert du 6 avril, avec cette Ouverture sur des thèmes juifs, pour piano, clarinette et quatuor à cordes, œuvre peu connue, d’une écriture saisissante. Modifié à la dernière minute, ce programme dominical nous aura privé de la sonate pour clarinette et piano n°3 de Max Reger (1873-1916) initialement prévue : d’autant plus dommage qu’en toute franchise l’interprétation du fameux quatuor pour violon, alto violoncelle et piano, remplacement au débotté, par une formation manifestement peu à l’aise, ne faisait pas honneur au génie de Mahler. S’ensuivaient deux morceaux d’Alban Berg pas faciles d’accès, il faut bien le dire, mais superbement rendus, auxquels succédait un Der Wind échevelé, œuvre pour violon, clarinette, cor, violoncelle et piano de Franz Schrecker (1878-1934), d’une magnifique amplitude post-romantique, ce avant le trio pour clarinette, violoncelle et piano opus 114 de Brahms puis – scies absolues du répertoire s’il en est ! –  quatre danses hongroises de l’impérissable compositeur germanique ne viennent conclure ce dimanche en feu d’artifice, par un quatre mains vibrionnant – les tous jeunes Gabriel Durliat et Arthur Hinnewinkel se disputant le clavier avec entrain.

Aude Extrémo très attendue

On l’aura compris, les deux concerts de ce week-end – qui ont fait salle pleine – ne sont jamais que l’entrée en matière de l’événement deauvillais, promis à s’achever en beauté fin avril à l’enseigne de Max Reger, avec la Suite romantique (1912), de Schönberg, avec la Kammersyphonie n°1 (1906-1912) mais surtout avec les envoûtants Kindertotenlieder de Mahler, chantés par la mezzo-soprano Aude Extrémo, dont le répertoire ahurissant va de la musique française aux rôles wagnériens, en passant par le belcanto. C’est ce concert final qui, cette année, fera l’objet d’une captation pour l’édition CD du « Deauville Live », millésime 2024.

Pour autant, le Festival de Pâques, loin en arrière des planches de Deauville, ne vient pas clouer le bec au classique dès l’arrivée des beaux jours et des transhumances touristiques : du 30 juillet au 10 août, cette même salle Elie de Brignac-Arquana ravive les attraits de la musique de chambre, avec la 23ème édition de l’Août musical – un programme qui, encore une fois, n’hésite pas à conjuguer Schumann et Martinu, Mozart et Poulenc, Chausson et Tchaïkovski, Berg et Mendelssohn…

On notera que pour les moins de 18 ans, le Festival de Pâques s’annonce gratuit une heure avant le concert, dans la limite des places disponibles – et 10€ si tu réserves, gamin. Qui dira qu’en France on néglige la transmission de la culture auprès de notre tendre jeunesse ? Ne néglige pas pour autant l’injonction de Paul Valéry, en lettres d’or au fronton du Palais de Chaillot : « Il dépend de celui qui passe / que je sois tombe ou trésor/ que je parle ou me taise/ Ceci ne tient qu’à toi/ Ami n’entre pas sans désir ». En bord de mer, jeunes gens, choisissez donc le bain de culture, divertimento pas salé : comme l’on sait, la musique adoucit les mœurs.


Festival de Pâques (28è édition).  Jusqu’au 27 avril 2024. Salle Elie de Brignac-Argana. Deauville.

Réservations sur www.musiqueadeauville.com

Concert d’ouverture du 6 avril diffusé sur France Musique le 20 mai à 20h, puis disponible en streaming sur le site de France Musique et l’application Radio France.

Shamseddine, Samara, Mila: non, le problème ce n’est pas «Internet»

0
Le 8 avril 2024, Mila répond aux questions de la journaliste Apolline de Malherbe sur BFMTV / RMC. Capture YouTube.

À la vraie source de l’hyperviolence des « jeunes »


« Les réseaux sociaux, les réseaux sociaux, vous dis-je ». Le sociologue en chambre est pareil au médecin de Molière. Les diagnostics des Diafoirus contemporains sur l’hyperviolence des « jeunes » se réduisent à des couplets qui évitent la source des maux. Les dévots paresseux se contentent de réciter le « Faire nation », à mesure que celle-ci se délite.

Haines tribales

À entendre les commentaires dominants, l’inhumanité dont font preuve des adolescents enragés – à Viry-Châtillon, ils ont tué Shamseddine (15 ans) à coups de pied dans la tête1 et, à Montpellier, ils se sont acharnés sur Samara, 13 ans, placée un temps dans le coma2 – refléterait le visage de la société. Elle serait malade d’une décivilisation. L’internet en serait le symptôme mimétique. Cette grille de lecture simplette n’est pas seulement celle des diplômés en sciences sociales et en écoles de journalisme. Elle est partagée par le gouvernement, qui rêve depuis sept ans de mettre sous surveillance ces réseaux trop libres. Or il est faux d’associer la France entière à ces barbaries.

La vérité est ailleurs

La plupart du temps, ces haines sexistes et tribales sont produites dans les marges de la contre-société issue du Maghreb et de l’Afrique noire. Samara aurait été tabassée parce qu’elle s’habillait « à l’européenne » selon sa mère. Shamseddine aurait été victime d’un « crime d’honneur » sous fond possible d’un antagonisme entre arabes et africains subsahariens. Ces lynchages sont les fruits d’autres civilisations, d’autres cultures importées. L’islam a codifié dans le Coran l’inégalité homme-femme et la violence. « Il est plus féroce qu’un Arabe », fait dire Flaubert à un de ses personnages de Madame Bovary. Le racisme avait fait reconnaître à l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade : « Un Burkinabé souffre plus en Côte d’Ivoire qu’un Noir en Europe ». Mais cette réalité-là ne doit pas être dite.

A lire aussi, Aurélien Marq: Viry-Châtillon, du déni aux larmes

Décivilisation, séparatisme ou ensauvagement, choisis ta France

La France ouverte à l’islam et au tiers-monde s’est islamisée et tiers-mondisée.  Du moins, pour une partie d’entre elle, encore minoritaire il est vrai. Mais l’aveuglement « progressiste » accélère le déclin. Les faiseurs d’opinion, qui indifférencient les civilisations présumées remplaçables, ne veulent admettre la séparation de deux France. Elles n’ont pas atteint en même temps la même exigence civilisationnelle. Les hyperviolences révèlent un choc de cultures. La France française n’est certes pas exemplaire en tout. Elle se laisse gagner par capillarité à la détestation d’elle-même. Mais c’est Mila, 20 ans, invitée ce lundi matin sur RMC, qui s’approche au plus près des causes de ces envies de tuer ou de violer qu’elle a elle-même subies pour avoir critiqué l’islam et son prophète il y a quatre ans.

L’alerte Mila

Abordant la France diversitaire, elle dit en substance : « Il y a une police des mœurs dans des lycées, encouragée par certains parents. La laïcité est morte. La charia s’impose avec facilité. La détestation de la France est tendance ». Les solutions à ce désastre passent donc par un arrêt de cette immigration de masse, par une sanction immédiate des jeunes barbares et des familles, par une mise au pas de l’islam politique qui encourage les punitions contre les « mécréants ». Plus que jamais, les Français musulmans qui acceptent la civilisation française devraient la défendre. Peu d’entre eux, pour l’instant, osent vaincre la peur.

Les Traîtres

Price: 18,00 €

14 used & new available from 4,90 €

Sur la violence gratuite en France: Adolescents hyper-violents, témoignages et analyse

Price: 15,00 €

19 used & new available from 8,41 €

Journal d'un paria: Journal d'un paria suivi de Bloc-notes 2020-21

Price: 11,99 €

1 used & new available from 11,99 €

Silence coupable

Price: 22,70 €

24 used & new available from 3,00 €


  1. Viry-Châtillon, du déni aux larmes, Aurélien Marq, 8 avril ↩︎
  2. Montpellier: le collège des kouffars brisés, Céline Pina, 6 avril ↩︎

«La langue anglaise n’existe pas». Une mise en perspective aussi savoureuse que convaincante

0
Le linguiste français Bernard Cerquiglini. DR.

La langue anglaise n’existe pas, ce n’est que du français mal prononcé, nous dit Bernard Cerquiglini dans un petit essai aussi drôle que brillant.


L’étude des langues, de leurs origines, de leurs ressemblances, de leurs disparités, de leurs métissages, a toujours constitué une branche importante de la science. Un rameau toujours vert.
Sans remonter à la Tour de Babel et pour s’en tenir aux savants de notre temps, des gens comme Ferdinand de Saussure, Émile Benveniste ou Jean Séguy, ce dernier, pionnier de l’ethnolinguistique dans les années 60, lui ont donné ses lettres de noblesse.

Bernard Cerquiglini se situe dans cette lignée. Universitaire, il a enseigné à Paris, Bruxelles et Bâton Rouge (Louisiane) avant d’occuper de hautes fonctions, dont celle de Directeur de l’institut national de la langue française (CNRS). Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, il a notamment publié, avec Erik Orsenna, Les Mots immigrés (Stock). Son dernier ouvrage, « La langue anglaise n’existe pas », c’est du français mal prononcé, a pour titre une citation – d’où les guillemets.  Il s’agit d’une phrase de Clémenceau, empruntée par ce dernier à Alexandre Dumas qui la place dans la bouche de son héros d’Artagnan. Et Clémenceau, qui n’était pas dépourvu d’humour, d’ajouter : « L’Angleterre n’est qu’une colonie française qui a mal tourné ». Étrange itinéraire pour un titre insolite. Car nous avons ici à faire à un essai des plus sérieux, fruit d’une érudition sans faille. C’est que Bernard Cerquiglini présente  une  particularité importante : il est membre de L’Ouvroir de Littérature Potentielle (OulipO). Lequel fut créé en 1960 par le romancier, poète et essayiste Raymond Queneau et le mathématicien François Le Lionnais.

A lire aussi: La boîte du bouquiniste

Petit tour d’horizon

L’Oulipo s’est donné pour tâche d’explorer toutes les potentialités de la langue. C’est une manière de pseudopode du Collège de Pataphysique qui a compté parmi ses notables, outre Queneau, des écrivains tels que Boris Vian et Georges Pérec.
La pataphysique, chère à Alfred Jarry et à son héros, le Dr Faustroll, professe l’identité des contraires. Il est vrai qu’il est parfois difficile, voire impossible, de tracer clairement une ligne de démarcation entre littérature et science, ou entre rêve et réalité. Auteur des Fleurs bleues (1965), roman qui illustre cet apparent paradoxe, mais aussi de Bâtons Chiffres et Lettres et d’Exercices de style, Queneau est le prototype de l’explorateur passionné de notre langue qu’il scrute sous tous ses aspects, phonétique, sémantique, philologique.  

Tel est aussi le propos de la Sémantique générale, théorie développée au début du XXe siècle par le linguiste américain Alfred Korzybski et selon laquelle le sens des mots et des phrases n’est pas fixe, mais varie selon le contexte. Ainsi convient-il d’avoir toujours à l’esprit que « la carte n’est pas le territoire ». L’un des axiomes de la Programmation neuro-linguistique (PNL), élaborée aux États-Unis dans les années 70 par John Grinder et Richard  Bandler.

A lire aussi: Langue française à Villers-Cotterêts: vous reprendrez bien quelques lieux communs…

Pour sa part, René Etiemble connut un grand succès avec son Parlez-vous franglais ?, une dénonciation coruscante de l’invasion et de la « colonisation » de notre langue remplacée en maints domaines par l’anglais.

Du bœuf et du mouton

Revenons à nos moutons. S’il est clair que Bernard Cerquiglini marche sur les brisées de René Etiemble comme le montre sa conclusion, il est tout aussi évident que le contentieux entre l’anglais et le français, reflet d’une lutte pour la suprématie dans tous les domaines, ne date pas d’hier. Elle remonte à 1066 et à la victoire de Guillaume le Conquérant à Hastings. Les Français importèrent avec eux leur langue dans les territoires conquis et celle-ci se répandit, mais seulement dans la classe dominante. C’est ainsi que le bœuf, appelé ox par les manants qui labouraient les champs, se transforma en beef, saignant ou bien cuit, dans l’assiette des aristocrates. Semblable destin pour ship, mué en mutton, et pour bien d’autres mots témoignant de l’emprise du français sur le vocabulaire anglais. Il va sans dire que le domaine de la gastronomie n’était pas le seul à être impacté, comme on dit aujourd’hui quand on est up to date. L’auteur explore maints secteurs venant corroborer la boutade de Clémenceau. L’industrie, le commerce, le droit, l’administration, la diplomatie se trouvent sous l’emprise du français, langue dominante jusqu’au dix-huitième siècle.
Constat de l’essayiste à propos de l’anglais : « Plus d’un tiers du vocabulaire est d’origine française ; si l’on ajoute les mots imités du latin, la barre des 50% est dépassée ».

Un voyage fascinant

Tel est le constat quantifiable. Encore faut-il y ajouter ce qui fait la saveur du français, son pittoresque, sa subtilité. Partant de là, Bernard Cerquiglini entraîne son lecteur dans un voyage à travers le temps et l’espace, analysant avec précision toutes les circonstances historiques, politiques, sociales, économiques et culturelles qui ont changé la donne au cours des siècles. Au point de voir à son tour notre langue envahie, submergée par un lexique indigne d’elle. Ainsi se trouve confirmée l’alerte lancée en son temps par Etiemble.
La particularité de cet essai au titre provoquant, bien dans la ligne de l’Oulipo, ce qui le rend incomparable, c’est, d’abord, le degré d’érudition de son auteur. Une érudition dont témoigne la bibliographie citée en fin d’ouvrage et l’impressionnant index des mots commentés. Rien de pesant, toutefois. À l’inverse, une légèreté souvent teintée d’humour.

Bernard Cerquiglini « La Langue anglaise n’existe pas ». C’est du français mal prononcé. Gallimard, Folio essais n° 704, 196 pages.

"La langue anglaise n'existe pas": C'est du français mal prononcé

Price: 8,00 €

8 used & new available from 8,00 €

Des baux pas si beaux!

0
Olivia Grégoire, ministre déléguée en charge du Commerce, Paris, 27 mars 2024 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Les Français se désolent de voir de plus en plus de commerces qui ferment dans leurs villes. Mais ce n’est pas seulement la faute d’Amazon !


Imaginez un instant que le propriétaire de votre appartement vous demande de payer sa taxe foncière en plus de votre loyer et des charges qui vous incombent. Évidemment, vous refuseriez et prendriez cela pour une mauvaise blague. Imaginez maintenant que ce même propriétaire vous demande, de surcroît, de verser un dépôt de garantie équivalent à douze mois de loyer, tout en vous précisant qu’il sera inutile de le joindre en cas de problème de plomberie, d’électricité ou de quelconque mise aux normes. Non, vous ne rêvez pas : cela se déroule bien en France, à l’exception près que cela ne concerne pas les appartements mais les locaux commerciaux.

Ouvrir son commerce : du rêve au cauchemar administratif

Si l’on part du principe que ces usages sont non seulement largement répandus mais complètement tolérés, on comprend aisément qu’il y ait aussi peu de murs commerciaux en vente puisqu’il s’agit d’un des placements immobiliers les plus lucratifs qui soient. Chaque jour, des gens se promènent dans les centres-villes et font amèrement le même constat : les commerces ferment. Les raisons sont multiples : départs en retraite de la génération des baby-boomers, concurrence des géants de l’e-commerce international, baisse du pouvoir d’achat des Français, hausse de l’épargne ou encore changement des modes de consommation. Les études à ce sujet sont nombreuses et sont toutes très instructives. En réalité, vous savez quoi ? Ce n’est pas si grave. La vraie question qu’on devrait se poser et qui devrait nous inquiéter, ce n’est pas pourquoi les commerces ferment mais pourquoi il y en a si peu qui ouvrent ?

À lire aussi, du même auteur: Je suis une femme et je suis contre le congé menstruel

Non, les jeunes générations ne sont pas fainéantes et, aussi étonnant que cela puisse paraître dans cette société 2.0 qui est la nôtre, le commerce physique de proximité créée encore des vocations. Je rencontre fréquemment des jeunes gens, seuls ou en couple, qui rêvent d’ouvrir leur échoppe que ce soit pour une activité artisanale ou commerçante. Malheureusement, si ceux-ci survivent au dédale administratif et au parcours du combattant de l’entrepreneuriat en France, ce n’est souvent   que pour se heurter à un mur, celui du commerce qu’ils n’ouvriront jamais, faute de moyens. La législation des baux commerciaux n’a quasiment pas évolué depuis les années cinquante. C’est bien la seule chose qui n’ait pas changé dans le monde du commerce depuis cette période !

Et si on mettait un bon coup de pied dans la fourmilière de l’immobilier commercial?

Autant vous dire que, début mars, lorsque j’ai entendu Mme Olivia Grégoire, Ministre déléguée chargée des entreprises, annoncer des mesures pour encadrer les baux commerciaux, j’ai eu beaucoup d’espoir. Cela faisait des années que les fédérations commerciales et instances représentatives alertaient le gouvernement à ce sujet. Cette semaine, à la lecture du Projet de Loi Simplification (LSA) qui va bientôt être soumis au Conseil d’état, mon enthousiasme est quelque peu retombé. Au programme : un plafonnement des dépôts de garantie qui ne devront plus excéder trois mois de loyer ainsi que la possibilité pour les commerçants de payer leur loyer mensuellement. J’avais en effet omis ce détail : le propriétaire d’un local commercial est actuellement en droit d’exiger un paiement du loyer par semestre et donc de faire fructifier en placements financiers une trésorerie pourtant vitale aux commerçants…

À lire aussi, Jeremy Stubbs: Plastique bashing: la fausse transition écologique

Tout ça pour en arriver là ! Ce n’est pas la première fois que des politiques  donnent l’impression de s’attaquer à un problème pour, au bout du compte, l’effleurer à peine. Est-ce par manque d’audace, méconnaissance du sujet ou encore conflit d’intérêts ? Qu’importe : l’immobilisme est à l’œuvre et ses conséquences sont, chaque jour, catastrophiques pour les commerçants et artisans français.

École privée: et si l’on remettait à plat le système des contrats?

0
Cours de mathématiques dans l'enseignement catholique privé, Lycée Jeanne D'arc à Bayeux (14), 2007 © LYDIE/SIPA

Plutôt que de faire du privé un bouc-émissaire facile, dont on cherche sans cesse à entraver la marche, l’heure est à refonder les modalités de contractualisation et d’évaluation des écoles !


Haro sur l’école privée ! L’idée n’est pas nouvelle. Sauf que la donne n’est plus la même. D’un côté elle est plébiscitée par 75% des Français, qui la jugent meilleure que l’école publique (selon un sondage Odoxa/ BFM Business réalisé fin mars). De l’autre, elle est contestée dans ses financements et son ouverture sociale : 49% des sondés déclarent être favorables à une réduction ou une suppression de ses subventions publiques, ce qui est lourd de menaces.

Le retour de la guerre scolaire ?

L’urgence est donc, si l’on veut préserver l’avenir de l’école privée, d’accroitre sa transparence budgétaire et tarifaire. Plutôt que de faire de l’école privée un bouc-émissaire dont on cherche à entraver sans cesse la marche, l’heure ne serait-elle pas venue de refonder ses modalités de transparence, de contractualisation et d’évaluation pour qu’elle soit encore plus efficace et légitime?

Le rapport de la Cour des comptes de 2023 comme le récent rapport parlementaire Vannier-Weissberg sur l’école privée se concentrent sur l’enseignement privé sous contrat, sans jamais prendre en compte la dynamique qui existe entre école publique et école privée. Pourtant il est tout sauf anodin que l’Éducation nationale se voie confier la mission de contrôler les écoles privées. S’il est normal que l’Etat contrôle toute structure recevant des subventions publiques, la logique voudrait, en revanche, que ce ne soit pas l’Éducation nationale qui s’en charge. D’abord parce qu’elle perçoit les écoles privées comme des concurrentes dont elle cherche plus à endiguer l’essor qu’à en assurer la qualité. Ensuite parce que l’Éducation nationale est devenue objectivement moins performante que l’école privée, qu’elle est donc peu légitime à contrôler. La différence de performance pédagogique est tout aussi marquée : « Un élève du privé sort de troisième avec plus d’un an d’avance sur un camarade de même milieu social et avec les mêmes acquis en fin de CM2 mais qui a fait sa scolarité dans un collège public », démontre Paul Cahu, consultant pour la Banque mondiale, dans les Echos du 2 avril. Elle a en outre un moindre rapport qualité/ prix : un écolier d’une école privée primaire coûte aux finances publiques 3120 euros contre 6910 euros pour son homologue en école publique. Et un collégien du privé coûte 5544 euros aux finances publiques contre 10 409 pour son homologue du public.

Privé sous contrat : 75% de fonds publics

En matière de transparence budgétaire, il faut exiger des écoles publiques au moins autant que ce qu’on exige de leurs homologues privées, puisqu’elles sont financées à 100% par des fonds publics quand les écoles privées sous contrat le sont à 75%. L’État devrait sanctionner lourdement la non-publication si fréquente des comptes annuels des structures gérant les écoles privées. S’il est assez évident que les structures privées gèrent mieux leur budget que les structures publiques, cette transparence accrue permettrait toutefois de dissuader les appétits malsains de certains gestionnaires d’école privée en matière d’immobilier, de placements financiers ou de contrats de prestation. On verrait aussi que seulement 30% des écoles sous contrat pratiquent des tarifs progressifs. Mécaniquement, cette transparence conduirait à des pressions locales qui aboutiraient à plus de mixité sociale, sans qu’une inhumaine logique quantitative de quotas n’ait besoin d’être imposée.

À lire aussi, Jean-Robert Pitte: Merci à Stanislas !

Mais l’État devrait tout aussi urgemment imposer la publication du budget individuel de chaque école publique. Cette information est inexistante à ce jour. L’emballement improductif des dépenses publiques d’éducation a sans doute à voir avec cette exception française. Ces réformes seraient plus utiles que d’exiger des rapports détaillés sur l’utilisation globale des 10 milliards d’euros alloués chaque année au privé sous contrat. Rendre compte est primordial en démocratie. Encore faut-il que ce soit à une échelle qui parle aux citoyens.

L’innovation éducative bridée en France

Comme les modalités de transparence budgétaire, la gestion des contrats mérite aussi d’être refondée. La loi prévoit qu’une création d’école se fait sans contrat durant ses cinq premières années d’existence. Ensuite, elle peut demander un contrat (qui, rappelons-le, est conclu au niveau de la classe et non de l’établissement). C’est ce que le Code de l’éducation prévoit en théorie mais dans la réalité, très peu de nouveaux contrats sont octroyés. Des concepts vagues comme « le besoin scolaire reconnu » permettent à l’État de refuser le contrat sans motiver réellement son refus. Il n’y a pas de droit à contractualiser qui soit opposable. Son octroi est soumis au fait du prince et sans une intervention politique de haut niveau, il est presqu’impossible d’obtenir un contrat. Cette situation nuit à l’innovation éducative en France et à l’essor des écoles non confessionnelles. C’est par exemple le cas de l’école privée Diagonale, dont la qualité est louée au plus haut niveau de l’Etat mais qui échoue à obtenir un contrat.

Résultats du baccalauréat 2022 devant un lycée de Douai, 5 juillet 2022 © FRANCOIS GREUEZ/SIPA

Pour les établissements sous contrat en place, la situation n’est guère plus enviable. Ils dépendent du responsable du réseau auquel l’école appartient. C’est le SGEC ou le Fonds Social Juif Unifié par exemple qui se livrent à des tractations sans que les écoles elles-mêmes n’y puissent mais, alors que la loi prévoit que c’est au niveau de chaque établissement directement que les négociations devraient avoir lieu avec le rectorat. Côté État, le retrait du contrat est rarissime. Un établissement qui bénéficie de contrats ne les perd pas tant qu’il a le nombre requis d’élèves par classe, quelles que soient la qualité pédagogique, la sélection ou l’importance de l’entre soi social qu’il pratique. Autrement dit, l’écrasante majorité des contrats sont reconduits sans aucune évaluation de performance. C’est la prime à l’antériorité et à l’appartenance à un réseau d’écoles confessionnelles qui compte.

De l’air !

Pourquoi ne pas gérer plutôt les contrats selon une procédure d’appel d’offre tous les cinq ou 10 ans avec un cahier des charges public et des candidatures publiques ? Cela créerait une saine concurrence entre établissements privés. Cela suppose de mettre en place un vrai système d’évaluation de la qualité des établissements scolaires, qui n’existe pas actuellement en raison de l’effondrement du niveau du brevet et du bac. Pour veiller à la justice de l’évaluation, il faudrait aussi faire passer des tests nationaux de niveau en début et fin d’année, ou au moins en début et fin de cycles, et noter les établissements sur leur capacité à faire progresser leurs élèves par rapport à leur niveau de début d’une part, et au niveau scolaire absolu auquel ils les auront conduits d’autre part. Ces éléments seraient publiés, ainsi que les évaluations des parents, comme le fait l’OFSTED britannique. Ce dernier élément, peu habituel en France, permet de prendre en compte le niveau de satisfaction des parents dans l’évaluation de l’établissement, ce qui semble la moindre des choses, dans le cadre de la co-éducation prônée par les pouvoirs publics depuis des décennies.

À lire aussi, Nicolas Bourez: Mise en place de l’uniforme scolaire: quand la politique s’invite ouvertement à l’école!

Cette évolution permettrait aussi à notre système scolaire collectif de respirer, de s’adapter aux évolutions des besoins de la société et de la qualité des nouvelles initiatives éducatives. La faible évolution du paysage scolaire public ou financé par l’État est assez surprenante, alors que l’éducation – surtout à l’heure du numérique et de l’IA – devrait être un domaine privilégié de l’innovation. Il est temps de sortir de ces rentes de situation. Les nouvelles écoles créées, à condition qu’elles aient fait leurs preuves dans le cadre des évaluations réformées comme proposé, devraient jouir d’un droit opposable à passer sous contrat. Aujourd’hui, les écoles hors contrat sont bloquées dans ce statut défavorable, même quand elles aspirent à contractualiser avec l’Etat et en ont le niveau. C’est l’innovation qui est empêchée, en raison d’une entente malsaine entre une Éducation nationale, qui voit d’un mauvais œil la concurrence des écoles privées, et les baronnies des réseaux institués qui n’ont aucune envie d’ouvrir le jeu à d’autres établissements que les leurs.

Pour éviter un séparatisme social entre ceux de l’école publique et ceux de l’école privée, il est urgent d’instaurer des outils communs : des évaluations nationales communes et des obligations de transparence également communes. La feuille de route est tracée. C’est à présent une question de courage politique.

Viry-Châtillon, du déni aux larmes

0

Quatre jeunes hommes ont été mis en examen la nuit dernière pour assassinat, après la mort de Shemseddine, 15 ans, tabassé la semaine passée devant son collège de Viry-Châtillon (91). Une contre-société s’installe en France, et sans surprise, les discours bisounours de nos élus ne parviennent pas à l’empêcher.


« Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer » écrivait jadis Bossuet – on connaît mieux la version apocryphe de cette citation : « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences dont ils chérissent les causes. »

Il y aurait en effet de quoi rire, d’un rire amer, s’il ne s’agissait pas du décès tragique et révoltant d’un adolescent : Shamseddine, 15 ans, tabassé à mort à la sortie du collège, à Viry-Châtillon. D’après les déclarations du procureur, ses meurtriers l’auraient agressé parce que les contacts de Shamseddine avec leur sœur leur faisaient « craindre » pour leur « réputation et celle de leur famille. »

Émotion n’est vraiment pas raison

Et voilà le maire UDI de Viry-Châtillon en larmes à la télévision, disant qu’ « il faut apprendre aux enfants, quand ils sont jeunes, qu’il y a le bien, et puis il y a le mal, et puis le mal on n’a pas le droit de le faire, et quand on le fait on est puni » et aussi « c’est pas pour être fermes, pour être méchants avec eux, c’est pour leur apprendre que dans la vie il y a des choses bien et il y a des choses mal, ces choses mal on n’a pas le droit de les faire parce que c’est toujours au détriment de quelqu’un. »

A lire aussi, Céline Pina: Montpellier: le collège des kouffars brisés

Accordons-lui que l’émotion, que l’on sent sincère, n’aide pas à trouver les mots. Mais le décalage entre ce discours très infantilisant, très enfantin même, et la sauvagerie de la mise à mort de Shamseddine ne peut que laisser songeur. Et notons que d’après ce que l’on sait, les tueurs avaient justement une notion assez précise de ce qu’ils estiment « bien » (la réputation de la famille) et de ce qu’ils estiment « mal » (les discussions de Shamseddine avec leur sœur), et parce que leur éducation leur avait enseigné que c’était « mal » ils ont « puni » l’adolescent. C’est une loi barbare et tribale qui a exercé ce qui lui tient lieu de « justice », une loi en opposition à notre décence commune, mais néanmoins une loi. Ce n’est pas une absence de repères comme semble le croire le maire, c’est au contraire une volonté assumée d’imposer des repères radicalement différents des nôtres.

Cruelle ironie

On rirait, en citant Bossuet, si l’aveuglement de l’édile et de tant et tant de nos élus, dirigeants, intellectuels, faiseurs d’opinion, depuis des décennies, n’était pas la source de drames horribles toujours plus nombreux dans notre pays.

Par une cruelle ironie, il y a deux ans le maire de Viry-Châtillon portait plainte contre Éric Zemmour, qui parlait de « talibanisation » de nombreux quartiers justement pour dénoncer la loi barbare qui, depuis, a frappé Shamseddine. Et le maire d’invoquer alors les mantras habituels, « vivre ensemble » et « refus des discours de haine ». À Viry-Châtillon, un adolescent a payé de sa vie la soumission de notre société à cette doxa.

«Emmanuel, ça fait quand même onze ans que tu es là!»

0
Paris, 5 avril 2024 © Jacques Witt/SIPA

Le président de la République entend faire porter la responsabilité de l’état catastrophique des finances du pays sur les autres.


Selon Le Figaro, lors d’une réunion à l’Élysée consacrée aux finances publiques et au déficit abyssal plus grave que prévu, le président énervé s’est adressé au ministre Bruno Le Maire en ces termes : « Bruno, ça fait quand même sept ans que tu es là ! » La scène se déroulait en présence du Premier ministre Gabriel Attal, des ministres Darmanin et Cazenave, le jour même de la publication du dernier livre de Bruno Le Maire. Contrairement à l’habitude présidentielle en public, Emmanuel Macron tutoyait et prénommait notre ministre de l’Économie. Si Bruno Le Maire avait été au bout d’une audace qui l’aurait brouillé avec le président, il aurait réagi vivement ainsi : « Emmanuel, ça fait quand même onze ans que tu es là », temporalité justement rappelée par Eric Ciotti.

A lire aussi: Mise en place de l’uniforme scolaire: quand la politique s’invite ouvertement à l’école!

Certes, comme secrétaire général adjoint de l’Élysée sous l’autorité de François Hollande durant deux ans puis, également, en qualité de ministre, Emmanuel Macron n’avait pas tous les pouvoirs et les décisions finales ne relevaient pas de lui. Mais son influence était telle sur un président longtemps abusé, et malgré un Premier ministre Manuel Valls rétif à son charme, qu’il aurait été absurde de lui dénier une part de responsabilité dans la politique économique et budgétaire mise en œuvre. Il n’aurait donc pas été impudent de la part de Bruno Le Maire de rappeler au président son influence, ses prérogatives puis son pouvoir durant onze ans. En tout cas son absolue maîtrise durant sept ans. Qui peut penser une seconde que Bruno Le Maire n’ait pas agi sans l’aval constant du président et que ce dernier n’est évidemment pas directement solidaire des orientations et des entreprises de son ministre ?

«Bruno, ça fait quand même sept ans que tu es là» aurait déclaré le président Macron lors d’une réunion consacrée aux finances publiques à l’Elysée le 20 mars, selon le Figaro © image d’archive / Blondet Eliot -pool/SIPA

A lire aussi, Ivan Rioufol: Anatomie de la chute française

Cette semonce d’il y a quelques jours demeurerait un épisode marquant mais sans plus, si elle ne révélait pas un trait de caractère détestable d’Emmanuel Macron. Il est à la fois présent et absent, il est impliqué dans les désastres mais se situe en surplomb comme s’il n’était coupable de rien, il évoque et dénonce les fautes de ses ministres comme s’ils n’étaient pas les siens, il se vit tranquille et dénonciateur comme un observateur alors que le déplorable bilan de ses sept ans sur l’état économique, financier, sécuritaire et judiciaire du pays est à mettre à sa charge. Le président ne se serait pas calmé : il ne répondrait plus à Bruno Le Maire au téléphone et le Premier ministre aurait « recadré » ce dernier. Les deux prêtent à ce ministre une stratégie cherchant à inciter LR à la motion de censure. Mais Emmanuel Macron ne devrait s’en prendre qu’à lui-même pour son inaptitude à choisir les bons ministres pour les bons postes. Et Bruno Le Maire n’est de loin pas son fiasco le plus désastreux ! À force, il est trop commode de s’attribuer le meilleur quand il survient et d’imputer le pire à d’autres. Je n’aurais pas pu être ministre, je n’aurais pas eu la politesse de Bruno Le Maire ! Je n’aurais pas attendu 2027 pour dire la vérité…

Libres propos d'un inclassable

Price: 12,50 €

11 used & new available from 4,96 €

Extrêmement politique

0
Marine Le Pen à l'Assemblée nationale. Jacques Witt/SIPA

Aux yeux du ministère de l’Intérieur, le Rassemblement national est d’« extrême droite ». Un étiquetage peu éthique et peu équilibré, alors que de l’autre côté du spectre politique, LFI ne se voit pas qualifié d’extrême.


Le RN est-il d’extrême droite ? D’un point de vue topographique, la réponse ne fait pas de doute. Sur les bancs de l’Assemblée nationale, les députés marinistes siègent bel et bien à l’extrémité droite de l’hémicycle, tandis que le groupe communiste ferme le bord gauche. D’un point de vue philosophique en revanche, parler d’« extrême » relève du parti pris, si ce n’est de la mauvaise foi.

Peut-on taxer d’extrémisme une formation qui a défilé contre l’antisémitisme le 12 novembre, a majoritairement approuvé la constitutionnalisation de l’IVG le 4 mars, et s’est abstenue, huit jours après, lors du vote au Parlement sur la stratégie de la France en Ukraine (alors que La France insoumise prenait quant à elle une position nettement moins consensuelle en se prononçant contre) ? Ne serait-il pas plus honnête de parler de « droite populiste », de « droite autoritaire » ou de « droite nationaliste » ?

A lire aussi : Jordan Bardella, Quoi ma gueule? Marine, Poutine, Saint-Denis… L’idole des jeunes se confie

Place Beauvau, on refuse de se poser la question. Les circulaires préfectorales continuent de ranger les candidats du Rassemblement national à l’extrême droite. Une pratique validée par le Conseil d’État le 11 mars, suite à une plainte pour atteinte à la « sincérité du scrutin ». Pourtant, à l’autre bout du spectre politique, ni LFI ni le PC ne sont classés à l’extrême gauche par le ministère de l’Intérieur, qui réserve cette catégorie au NPA et à Lutte ouvrière, à juste titre du reste puisque ces deux groupuscules prônent rien moins que le renversement de l’État, la fin de la propriété privée et le soutien au Hamas. Bien sûr, un simple adjectif ne fait pas l’Histoire, et les Français ne sont pas dupes de la sémantique du pouvoir quand elle est caricaturale (on ne saurait en dire autant des médias qui se conforment au vocabulaire administratif avec un curieux plaisir).

Mais à l’heure, où, au nom du pluralisme, il est demandé à l’Arcom de soupeser avec un zèle appuyé chaque parole politique exprimée sur nos ondes, on peut se demander si, pour paraphraser Albert Camus, mal nommer un parti, ce n’est pas ajouter au malheur de la démocratie.

Sénégal: des bouleversements majeurs qui doivent interroger Paris

0
Des partisians de MM. Faye et Sonko, Dakar, 24 mars 2024 © Mosa'ab Elshamy/AP/SIPA

Le président élu Bassirou Diomaye Faye est sorti de prison 10 jours avant le scrutin présidentiel et est polygame, il a nommé le populiste Ousmane Sonko Premier ministre.


L’année 2023 fut particulièrement agitée au Sénégal, pays d’Afrique qui entretient depuis longtemps d’excellentes relations avec la France. Pôle de stabilité démocratique au cœur de l’Afrique de l’Ouest francophone et membre incontournable de la CEDEAO, le Sénégal a néanmoins dû faire face à des troubles sociaux relativement importants et inhabituels qui auront mis en exergue les mutations qui s’opèrent sur l’ensemble de la région.

Le 6 juillet 2023, ici-même sur Causeur, nous revenions sur l’annonce inattendue de Macky Sall qui renonçait alors officiellement à briguer un troisième mandat dans l’optique de restaurer le calme dans les rues de Dakar[1]. Une décision qui avait été saluée par d’importants grands dirigeants et responsables mondiaux, notamment le Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres qui avait tenu à féliciter l’ancien président du Sénégal pour son sens des responsabilités, tout en indiquant que son discours constituait « un exemple très important pour son pays et le reste du monde ». La suite ne lui a que partiellement donné raison.

Un nouveau binôme à la tête de l’exécutif sénégalais

L’élection présidentielle qui s’est tenue le dimanche 24 mars constitue d’abord et avant tout une victoire des institutions sénégalaises. Elles ont démontré leur maturité démocratique et leur résilience. Alors que de nombreux observateurs craignaient que la situation ne débouche sur des troubles civils, tout s’est déroulé dans le calme le plus parfait. Les militaires sont restés dans leurs casernes et les résultats ont été connus rapidement – bien plus tôt qu’aux États-Unis en 2020, soit dit en passant ! Libéré de prison dix jours avant le vote, l’opposant au pouvoir Bassirou Diomaye Faye a été élu dès le premier tour. Âgé de 44 ans, ce contrôleur des impôts a joué les remplaçants pour le meneur du Parti des Patriotes africains du Sénégal (Pastef), Monsieur Ousmane Sonko.

Indépendant depuis 1960, le Sénégal avait pour l’heure toujours connu des élections apaisées. Ce ne fut pas le cas cette fois-ci. Le pays s’est agité, singulièrement sa jeunesse urbanisée et travaillée par de nouvelles idées, inspirées du panafricanisme. On a d’ailleurs pu voir à plusieurs reprises le très médiatique Juan Branco s’immiscer dans la vie politique locale, représentant notamment les intérêts d’Ousmane Sonko. Malheureusement, nombre de critiques formulées à l’encontre de Macky Sall étaient tout particulièrement injustes. Choisissant la voie du développement économique libéral, l’ancien président sénégalais était aussi un soutien clair des pays occidentaux qui a tout fait pour lutter contre les radicalités politiques mais aussi religieuses.

Il faut bien comprendre que depuis son élection en 2012, Macky Sall avait su préserver le Sénégal des terribles difficultés expérimentées par certains de ses voisins mais aussi de l’islamisme, tant djihadiste que politique, dans un pays qui a toujours su avoir un rapport raisonnable à la chose religieuse. Au Mali, au Burkina ou en Guinée Conakry, des gouvernements ont été renversés sans que la menace djihadiste ne soit endiguée. Des pays autrefois paisibles comme le Bénin ou le Togo assistent aussi à une progression du salafisme politique. Sera-ce toujours le cas demain à Dakar alors que le sentiment anti-occidental est en pleine explosion, alimenté d’ailleurs par des extrémistes venus d’Occident comme par des pays antagonistes dans la région à l’image de la Russie toujours à la manœuvre dans l’espace francophone ?

Une décolonisation qui n’en finit jamais

Paradoxal, le Sénégal fait figure de bon élève pour n’avoir pas sombré dans le coup d’Etat lancé par une junte comme c’est la triste norme régionale depuis quelques années… tout en envoyant des signaux faibles inquiétants. Ainsi, le président Bassirou Diomaye Faye s’est affiché avec ses deux épouses, revendiquant une polygamie pourtant en déclin. S’il ne nous appartient pas de juger les mœurs de pays souverains, la polygamie provoque d’importantes tensions sociales et est un pratique particulièrement préjudiciable aux femmes modestes. Cela manifeste aussi une volonté affichée d’éloignement de notre modèle, qui n’est plus considéré comme un objectif à atteindre.

Ousmane Sonko, lui aussi passé par l’administration fiscale, ça ne s’invente pas, est un personnage ombrageux. Ayant commencé sa carrière politique en 2014, il a rapidement été élu député puis maire de Zinguichor, principale ville de Casamance. Allié à Abdoulaye Wade, l’ancien président sénégalais, aux dernières élections législatives, il défend des idées controversées que l’on pourrait rapprocher de celles défendues par le militant béninois Kemi Seba – du moins en apparence. Il n’a ainsi pas hésité à encourager le président malien Assimi Goïta, opposant déclaré à la France, ou à se réclamer de l’idéologie panafricaine. Il s’agit, au fond, d’un populiste chimiquement pur pratiquant la dialectique clivante de l’ami et de l’ennemi, dénonçant les « élites » d’un pays qu’il juge corrompu par la France.

Sa popularité a d’ailleurs explosé après qu’il a été accusé de viols répétés prétendument commis entre juin 2020 et février 2021 sur une jeune masseuse prénommée Adji Sarr. Cette accusation a provoqué la levée de son immunité parlementaire… ainsi que d’importantes manifestations de soutiens où ont défilé des milliers de jeunes gens. Il s’est ainsi rendu à sa convocation au tribunal pour s’expliquer sous les vivats de la foule, avant d’être arrêté pour troubles à l’ordre public. Un tribun de la plèbe était né ! Reste pourtant de multiples dossiers sensibles à traiter, tels que l’exploitation des hydrocarbures, et des défis infrastructurels. Si la contestation peut avoir du bon, le binôme Sonko-Faye qui rappellera furieusement la période transitoire où Medevedev occupait pour la galerie la première place dévolue à Vladimir Poutine, devra aussi se pencher sur les affaires courantes.

Vue aérienne de Dakar. DR.

Les promesses ne finissent pas dans les assiettes. Pour l’Elysée, il sera aussi compliqué de composer avec un personnage plutôt hostile et soutenu par l’extrême-gauche française, surtout au Sénégal qui est une pièce maîtresse de la stabilité de toute la façade atlantique. C’est aussi un avertissement. Sans frais ? Il va falloir prendre la mesure de la nouvelle opinion africaine, très politisée et désireuse d’une rupture, se pensant enchaînée à son passé colonial. Là-bas aussi, la rupture semble plus vendeuse que la réforme.

Directeur d’Afrique Magazine, Zyan Liman expliquait au micro de France Info qu’ « au Sénégal et dans plusieurs pays de la zone, il y a la sensation que tous ces discours sur la croissance, l’émergence, l’Afrique nouvelle, ne se traduit pas par des concrétisations sur le terrain et seraient captés par une certaine élite internationalisée, bourgeoise, francophone, parisienne ». Le Premier ministre Sonko a présenté son gouvernement comme entérinant la « rupture ». Quelques éléments rassurants se détachent néanmoins. Le général Birame Diop, ancien chef d’état-major, a été placé à la tête des forces armées, et le général Jean-Baptiste Tine, ancien haut commandant de la gendarmerie nationale, à l’Intérieur. Le nouveau ministre de la Justice, Ousmane Diagne, est un ancien procureur général à la Cour d’appel de Dakar, sérieux et professionnel.   

Outre ces nouveaux éléments, des profils incarnant la stabilité des institutions et des politiques menées sous Macky Sall ont été maintenus, à l’image de Serigne Guèye Diop, ministre de l’Industrie et du Commerce. Oumar Samba Ba, déjà Secrétaire général de la présidence sous la précédente mandature a été maintenu. Un choix qui permet d’assurer la continuité de l’Etat, comme c’est le cas au Sénégal depuis Léopold Sédar Senghor.

Finalement, le gouvernement est bien plus prudent que ne le laissait supposer la campagne. Si la moitié des ministres sont issus des rangs du Pastef, ils ont pour la plupart de l’expérience. Yacine Fall, vice-présidente du parti de la majorité chargée des relations internationales, aura la charge des Affaires étrangères. Gageons que nous sachions arrondir les angles… La tâche, si elle ne semble pas insurmontable, n’est pas gagnée d’avance.


[1] https://www.causeur.fr/macky-sall-renonce-a-se-representer-retour-au-calme-a-dakar-262903