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«La journée de la jupe»… c’était il y a 15 ans


À l’heure où des gamins se font poignarder aux abords de leurs collèges, où des professeurs se font assassiner, où des chefs d’établissement menacés ne sont ni soutenus par leur hiérarchie ni protégés par le préfet, où un maire jette l’éponge devant les menaces antisémites dont il fait l’objet, il est difficile de ne pas se souvenir de La journée de la Jupe. Ceux qui ont vu, en 2009, ce film de Jean-Paul Lilienfeld ont été saisis par un scénario qui, contre toute attente, renversait le traditionnel rapport de force instauré dans nombre de collèges par l’indiscipline et la vulgarité. Rien à voir avec Entre les murs, le film de Laurent Cantet, auquel une certaine démagogie valut, en 2008, une Palme d’Or au Festival de Cannes.

Ici, coup de théâtre : dans la confusion la plus totale, une jeune femme, professeur de lettres, prend sa classe en otage à l’aide d’un pistolet malencontreusement tombé du sac d’un élève. La situation est d’autant plus grave que les représentants de l’autorité ne semblent pas à la hauteur. Côté collège, le principal rase les murs. Côté forces de l’ordre, les rivalités internes, malgré l’urgence de la situation, prennent le pas sur la concertation nécessaire à la bonne conduite des opérations. Quant à la ministre de l’Intérieur arrivée en toute hâte sur les lieux, elle peine à dissimuler sa crainte de voir sa carrière politique compromise. Le sens du film se précise lorsqu’on découvre que cette jeune enseignante, qui n’entend pas céder sur Molière, est d’origine maghrébine.

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Lui avait-on dit, lorsqu’elle préparait les concours, qu’elle aurait à s’intégrer dans une société qui se désintègre, que sa terre de mission ce serait les territoires d’une République qui démissionne, qu’elle aurait à enseigner en France devant des élèves qui exigent d’elle qu’elle soit arabe avant d’être professeur de français ? Puisqu’à tout preneur d’otages il faut une revendication, quelle est la sienne ? Comme si son enfer quotidien n’était pas une condition suffisante pour « craquer ».

Alors, puisque la République est sourde et aveugle, ce jeune professeur, qui depuis des années n’en peut plus de cette continuelle lapidation de la femme par l’insulte, va jeter à la figure du pays son refus de l’humiliation : « Pouvoir porter une jupe sans se faire traiter de « salope » ». Appeler les choses par leurs noms et les dire comme elles sont – ce qui est le métier même d’un professeur de français – est devenu intolérable à une société intoxiquée depuis longtemps par une télévision qui falsifie quotidiennement la réalité. Aussi la jeune femme, lâchée par ses collègues, sera-t-elle abattue d’un coup de feu parti d’une caméra piégée par la police, abattue comme une « salope » par une force qui, mise au service de la faiblesse morale et de la lâcheté, cesse totalement d’être républicaine.

Souvenons-nous non seulement de ce film mais également de ce qu’à l’époque l’on pouvait lire dans Le Monde : « Tout y est tellement simplifié, tellement cousu de fil blanc, qu’on a l’impression que le réalisateur prend a priori son public pour une classe à éduquer ». Et sur un blog du Monde diplomatique : « Le machisme, l’islam, l’antisémitisme, les tournantes… […] La journée de la jupe aligne avec soin tous les clichés que la féroce propagande de ces dernières années a installés dans les têtes comme autant d’évidence ».

Souvenons-nous également que ce film n’était sorti que dans cinquante-trois salles de cinéma, dont huit dans la capitale, les gros circuits de salles (UGC, Gaumont, Pathé, CGR) ayant refusé de le diffuser au prétexte qu’il avait été diffusé quelque temps auparavant par Arte et vu par 2,245 millions de téléspectateurs.

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Quand Satan traîne dans les couloirs du lycée

Et si on pactisait avec le diable ? C’est ce que nous propose Jérémie Delsart dans un premier roman très réussi.


Le diable boudait-il la littérature française ? Depuis Le Spleen de Paris où le narrateur du Joueur généreux relatait sa rencontre avec un Malin aux allures de dandy, Satan s’était fait discret. Tout au plus l’avait-on aperçu dans les personnages secondaires des romans de Bernanos, figures insolites croisées par les héros en des lieux et des circonstances improbables. Dans Le miracle de Théophile, premier roman de Jérémie Delsart, Belzébuth fait un retour très réussi en dandy facétieux, cynique et flamboyant. Dans une langue impeccable, précieuse mais sans ostentation et qui ne concède rien à la prose facile voire insipide goûtée par notre époque, Delsart réinvente l’éternelle histoire du mortel pactisant avec le diable. Théophile de Saint-Chasne, jeune professeur épris de littérature, fait ses débuts dans l’Éducation nationale ; stagiaire dans l’académie de Lyon, le voilà livré aux pédagogues, inspecteurs et autres formateurs jargonneux et techniciens. Inféodés au mal depuis belle lurette, ils ont déjà renié le Beau, la Liberté et l’Idéal mais pour l’impétrant, la rééducation commence. Enserré dans les rets poisseux de la médiocrité, notre jeune homme s’étiole. Aussi finit-il par céder son âme à « l’Andalou », esthète cultivé et amateur de bon vin. Se damner pour survivre en pareil cloaque, c’est de toute façon peu cher payé.

Qui a eu cette idée folle, de déconstruire l’école ?

Il serait dommage de passer à côté de ce roman dont on parle peu. Il ne faudrait pas croire qu’il n’est qu’un récit de plus consacré à la décadence de l’Éducation nationale (rebaptisée ici l’Éducation pour Tous) ; il est bien plus que cela. Bien sûr, il y a la savoureuse peinture d’une institution devenue folle qui se refuse à transmettre la culture et préfère spécialiser ses professeurs dans le brassage du vide en leur dispensant dans une langue barbare des concepts aussi creux qu’inutiles. Delsart décrit à merveille la sottise de ces pédagogues sournois et infatués qui sabotent l’école. Il nous rapporte ainsi la leçon donnée aux professeurs stagiaires par une affidée de la secte des trissotins : « Ce métier a changé », « il faut savoir s’adapter aux enjeux du monde et de notre société, les vieilles recettes sont dépassées. », l’heure est « au pilotage pédagogique », « au tissage », « à l’encadrement » et « à la création de liens. » Mais, on comprend vite que Delsart va plus loin: quand il décrit les mécanismes et les motivations qui agissent les sinistres pantins de l’Éducation nationale, c’est en fait la corruption et l’inanité d’un monde occidental globalisé, assujetti à la technique et à la quantité, qu’il dénonce. Ce récit dépasse largement le cadre de l’école pour nous parler de notre société où l’individu, asservi, est manipulé.

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Ilote et passif, il se laisse transformer en imbécile pourvu qu’on lui promette le bonheur et qu’il lui soit donné d’assouvir son insatiable consumérisme. À l’école, on apprend à oublier l’effort, à s’affranchir de la fatigue engendrée par la réflexion, à s’interdire tout regard discriminant porté sur le monde pour communier dans l’inane révérence de l’égalitarisme. Un seul mot d’ordre: profiter de l’instant ; celui où l’on jouit, écervelé et sans entrave. Pour Delsart, la faillite de l’école est aussi celle d’un Occident qui se perd dans la conquête du progrès et de la rentabilité quitte à sacrifier l’intelligence à la fabrique d’exécutants dociles et entièrement dévolus à cette quête chimérique. « La culture fait des hommes libres ; la méthodologie fait des automates ; et les automates se règlent plus aisément que les hommes libres », affirme Théophile de Saint-Chasne qui porte la voix du romancier.

Dans l’intérêt des « apprenants »…

Et puis, il y a l’écriture de Delsart, jubilatoire. Digne de celles de Baudelaire ou de Barbey d’Aurevilly, elle atteste le compagnonnage assidu de l’auteur avec nos grands écrivains. Dans son récit, celui-ci s’amuse à opposer une prose altière dont il a la parfaite maîtrise au sabir des pédagogues et à la langue débraillée de notre époque. Ainsi pérore un enseignant, dans la salle des professeurs d’un lycée: « Cette réduction des épreuves avec le Grand Oral, en fait, c’est comme le bac napoléonien, c’est magnifique ! Surtout, j’vois pas pourquoi les collègues réactionnaires y s’insurgent. Attends, pour un gamin d’Term, c’est super intimidant de prendre la parole sur un sujet de Spé approfondi. » Suit le portrait du pontifiant: « Celui qui parlait ainsi était Jaubert Aubiniault, un professeur de S.E.S, trapu, bedonnant, babillard, chenu, avec des châsses globuleuses et rieuses sous des sourcils broussailleux et nerveux, un petit nez aquilin et des lèvres pincées et railleuses. Il se jugeait assez drôle pour se permettre de piquer. Assez spirituel pour ne pas craindre d’être désobligeant. (…) Jaubert dispensait libéralement ses visions et ses sagesses sur l’institution scolaire, dont il se présentait en vétéran. » Ailleurs une dé-formatrice invite le malheureux Théophile de Saint-Chasne à réformer sa pratique « dans l’intérêt des apprenants », ceux-ci n’étant pas parvenus, en raison de l’enseignement magistral du jeune réactionnaire, à « s’approprier les savoirs », « les savoir-être » et « les savoir-faire du début de Seconde. » La langue littéraire et soutenue dans laquelle est écrite ce roman s’efface ponctuellement pour épingler les tristes parlures de notre époque. L’écriture de Delsart souligne ainsi la confrontation qui oppose notre héros, épris de beauté, à la laideur utilitariste actuelle. Tout ça vaut bien la peine, le temps d’une lecture, qu’on fraternise avec le diable.

Le livre refermé, comme le narrateur du Joueur généreux face à Satan, « enivrée de toutes ces délices », « dans un excès de familiarité », je me suis adressée au diable et me suis écriée, « m’emparant d’une coupe pleine jusqu’au bord : À votre immortelle santé, vieux Bouc ! »

Jérémie Delsart, Le miracle de Théophile, préface de Patrice Jean. Cherche Midi, 2024. 416 pages.

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Insolite: l’antisionisme des Juifs de New York

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La population juive de l’État de New York est divisée, une partie non négligeable adoptant une position ouvertement antisioniste qui, en réalité, reprend les éléments essentiels de la propagande palestinienne. Harold Hyman est allé à la rencontre des militants de Jewish Voice for Peace, association importante qui regroupe un grand nombre de ces Juifs américains qui dénoncent l’État d’Israël. Récit.


Les Américains de la Côte Est se prennent de passion pour le conflit entre Israël et le Hamas. Dans la ville de New York, et plus encore dans la vallée de l’Hudson qui va de la ville jusqu’à Saratoga, à 300 km au nord, tous les regards sont braqués sur cette guerre, et les expressions de solidarité pour le camp palestinien l’emportent clairement. Curieusement, c’est dans les districts où il y a le plus de Juifs des classes moyennes ou aisées que ce sentiment pro-palestinien est le plus visible. Une organisation juive se récalamant de l’antisionisme, Jewish Voice for Peace (La Voix juive pour la paix) (JVP), est très présente ici. Elle place ses affiches et dépliants dans tous les endroits stratégiques : librairies, salons de thé, cafés et restaurants, boutiques, galeries d’art, pharmacies, quincailleries, poteaux électriques… Sociologiquement, cette Vallée de l’Hudson est comme un nouveau Brooklyn et devient de plus en plus bobo. Très peu de présence musulmane ou arabe. Une constante minorité juive, et une majorité d’Anglo-néerlandais (la première souche de colonisation), d’Irlando-américains, d’Italo-américains, et ça et là des Hispaniques et des Afro-américains. Ce n’est pas une région qui envoie des Républicains MAGA au Congrès des États-Unis.

C’est le 16 mars que j’ai eu l’occasion de rencontrer les adhérents de la Jewish Voice for Peace of the Hudson Valley, la section locale de l’organisation. JVP se présente comme « la plus grande organisation juive progressiste anti-sioniste au monde ». Elle se dit populaire, multiraciale, interclasse, intergénérationnelle. « Si vous cherchez un domicile politique pour les Juifs de gauche en cette période périlleuse, si vous voulez une communauté juive axée sur la justice, si vous cherchez à transformer votre indignation et votre chagrin en action concrète et stratégique : Rejoignez-nous ! ». Ces quelques lignes, qui figurent sur le site web officiel de la section, reflètent parfaitement l’ambiance de la branche de l’Hudson Valley. J’ai croisé ses membres dans le village de Saugerties, à 15 km de Woodstock, le célèbre endroit près duquel habite Bob Dylan et le site du méga concert de rock (qui en fait a eu lieu à 80 km de là). 

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Une affiche devant la librairie du village de Saugerties invite le passant à venir visionner le film documentaire de 2013 Voices Across the Divide, d’Alice Rothchild, une Juive américaine, qui présente des portraits de Palestiniens en exil. Curieux, je me rends dans la salle de projection de la bibliothèque municipale. Une quarantaine de spectateurs, dont une majorité de retraités, quelques rares jeunes. Une poignée de keffiyeh. Le documentaire en question, consacré à des Palestiniens, ou leurs enfants, qui avaient fui ce qui allait devenir l’État d’Israël en 1948, était touchant. On y voit des personnes bien réelles en 2013, qui ont dû emporter quelques valises et attendre chez des cousins ou dans des hôtels en Jordanie. Des réfugiés qui se souviennent de leurs mères qui avaient vendu leurs bijoux pour survivre dans les premiers jours ; des hommes, tout petits alors, qui avaient fui avec leurs parents et qui, à l’époque, avaient trouvé cela amusant, sans rien comprendre. Des enfants élevés en Jordanie, qui sont venus étudier aux États-Unis ou au Canada, pour ensuite y rester et découvrir que personne autour d’eux ne connaissait la Nakba, ni même l’existence d’Arabes palestiniens sauf en tant que terroristes.

Le prisme américain domine leur vision du Moyen-Orient.

Le film d’une heure met en scène ces personnes, leurs souvenirs, leurs photos de famille. Leurs expériences sont touchantes et infiniment tristes. Pourtant, le film présente également un récit des guerres de 1948 et de 1967 qui est tiré directement des documents pédagogiques fournis par les nationalistes palestiniens : « En 1948 les Juifs ne formaient qu’un tiers de la population et ne possédaient que 7% des terres. Le plan de partage de l’ONU leur en offrit 55%, et à la fin de la guerre ils en possédaient 78% ».

Que veut dire l’inclusion de cette séquence ? Que les Juifs auraient dû se contenter de 7%, que 55%, c’était déjà très généreux ? Ensuite, qu’aucun kibbutz n’a été attaqué, qu’il n’y a eu aucune expulsion de colons juifs dans l’autre sens, depuis Hébron et l’Est de Jérusalem ? Pourquoi taire ainsi le fait que plusieurs armées arabes ont attaqué en même temps, contre une armée juive squelettique sous-armée et sans alliés internationaux ? Pourquoi taire le fait que le seul véritable succès arabe a été celui de la Légion Arabe de Jordanie, avec ses éléments britanniques ? Rien n’est faux dans cette séquence historique, mais les omissions sont archi-trompeuses.

Cependant, le documentaire révèle certains points historiques qui méritent toute l’attention du spectateur. D’abord, une absence totale de logique chez les leaders arabes, qui, à certains endroits, voulaient que les villageois arabes restent et se battent, mais en d’autres endroits voulaient que les milices palestiniennes se retirent. In fine, beaucoup de civils palestiniens sont partis pour éviter d’être pris entre deux feux. Par la suite, l’État israélien n’a permis à aucun de ceux qui s’étaient enfuis de de rentrer dans sa demeure. L’explication juridique de cette dure réalité n’est pas faite, le spectateur doit simplement se dire : c’était la loi inique israélienne. Je m’attends à une ébauche d’explication, mais il s’agit là d’un film de souvenirs, et non un documentaire historique.

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Après le film, je participe à discussion entre les spectateurs, animée par le comité directeur au café du coin. Beaucoup de ces spectateurs commencent par un discours similaire : « Je viens d’une famille juive, nous ne nous sommes jamais vraiment préoccupés des Palestiniens, mais maintenant je ressens une vive émotion face à leur sort ». Quand je leur fais remarquer que les Palestiniens filmés étaient pratiquement tous des chrétiens, on me demande, sans aucune agressivité, « Comment le savez-vous? » Je suis donc obligé d’attirer leur attention sur le fait que la majorité des intervenants porte la croix ou célèbre Noël. Bien qu’un petit nombre ne dit ou ne révèle rien sur sa religion, il n’y a pas une seule femme en foulard et à peine deux ou trois prénoms coraniques. Les membres de la branche locale de JVP ne se montrent pas bornés et sont ouverts au questionnement. « Le documentaire est donc biaisé ? Est-ce possible ? » s’interrogent-ils à haute voix. C’est la première fois qu’ils prennent conscience de cette possibilité. Leurs certitudes en sont-elles ébranlées ? Nullement.

Une autre de leurs certitudes : Benjamin Netanyahu est archi-criminel. Je leur fais remarquer que sa coalition gouvernementale comporte de nombreuses personnes qui partagent son avis et que certains font preuve de plus d’intransigeance encore que lui. Que Netanyahu n’a jamais caché son refus d’une solution à deux États. Qu’on pouvait lui reprocher ses turpitudes présumées, mais pas une quelconque imposture idéologique. Ce sur quoi ils semblent acquiescer. Un homme israélo-américain ayant immigré à Saugerties dans son adolescence mais qui a gardé des liens avec Israël se montre le plus ouvert et compréhensif.

J’ajoute que les Israéliens du centre et du centre-gauche ne veulent pas épargner le Hamas, et exigent – tout comme Netanyahu – la restitution des otages sans renoncer à désarmer le Hamas par la force brute. Que le Hamas ne veut pas s’arrêter, continue à tirer sans cesse, et attaque où il peut. Que le Hezbollah, autrement plus puissant que le Hamas, menace de se mêler à cette histoire. Et enfin, que le Hamas a promis de refaire le 7 octobre, et ne reconnait aucune exaction barbare, accusant Tsahal d’avoir tourmenté les civils israéliens fautifs d’avoir laissé le Hamas envahir ! Là, personne ne me contredit.

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Les JVP écoutent toutes mes remarques d’un air poli, souriant, et même réceptif. Ma connaissance journalistique d’Israël et de la situation actuelle leur inspire un certain respect. Mais ils ne peuvent changer d’avis en un quart d’heure. Ils m’expliquent leur passé de militants politiques, et je comprends que, pour eux, les Gazaouis ressemblent aux Vietnamiens qui ont résisté à la puissance américaine, ou aux Irakiens écrasés par l’armée de l’Oncle Sam. Le prisme américain domine leur vision du Moyen-Orient. L’idée que les Israéliens vivent une crise existentielle est éclipsée par leurs sentiments sincères d’Américains déconnectés de la périlleuse réalité. Je me demande si les JVP de Saugerties ont gardé la même vision des choses après l’attaque aérienne iranienne. J’irai peut-être les revoir lors de mon prochain voyage pour voir s’ils ont modifié leur point de vue.

La difficile victoire des mots

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier Dartigolles a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise !» pourrait être sa devise.


La menace était ancienne. Le 12 août 2022, à Chautauqua (État de New York), quand le couteau transperce Salman Rushdie, la condamnation à mort prononcée par l’ayatollah Khomeini a plus de trente-trois ans. « C’est donc toi, te voilà », pense alors l’auteur des Versets sataniques. En lisant le dernier livre de Rushdie (Le Couteau, Gallimard), vous aurez la description clinique des vingt-sept secondes de cette attaque, de cette « intimité d’étrangers » entre « l’aspirant assassin » et celui dont une part de lui-même continue à murmurer : « Vivre. Vivre. »

Trop de couteaux dans l’actualité

Quand mon libraire de la rue Mathurin-Moreau a sorti le livre de son carton, un jour avant la parution officielle, je n’ai pas vraiment ressenti la jubilation qui accompagne habituellement ce moment si particulier. Je suis un lecteur de Rushdie depuis longtemps. Je n’ai pas terminé Les Versets, mais j’ai dévoré Les Enfants de minuit et, plus récemment, La Cité de la victoire. Alors pourquoi ce soudain manque de plaisir au contact physique du livre ?

Je n’ai pas su répondre à cette question lors des premières minutes de ma promenade dans les allées des Buttes-Chaumont. Tout y était pourtant propice à la réflexion, pour faire une pause enchantée et savourer le retour de Rushdie en littérature. J’ai alors saisi l’origine de mon trouble. Trop de couteaux dans l’actualité ces dernières années et plus encore ces dernières semaines. « Les mots sont les seuls vainqueurs », comme le proclame l’écrivain ? Je commence sérieusement à en douter. D’autant que nous commençons à les perdre quand des plumes chastes n’arrivent pas à écrire « islamisme » pour ne pas stigmatiser l’islam, et quand d’autres répondent à la terreur par l’ignorance dont la haine se nourrit. Si la distinction entre les deux continuait de s’amenuiser, ce serait une victoire idéologique pour les islamistes.

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Alors que faire ?

Rushdie écrit sur le bonheur de son amour pour Rachel Eliza Griffiths. Le premier sourire dans le salon vert. « J’ai toujours voulu écrire sur le bonheur, en grande partie parce que c’est extrêmement difficile. “Le bonheur écrit à l’encre blanche sur des pages blanches.” (Henry de Montherlant) » C’est infiniment beau, tout comme l’hommage de l’écrivain aux soignants qui l’ont sauvé, mais rien n’y fait. Au fil des pages et jusqu’au dernier paragraphe, mon imaginaire est resté en panne, lesté par les corps lourds et douloureux des dernières victimes du fanatisme. 

Face au couteau, « les mots sont les seuls vainqueurs » ? Quand les plus jeunes ont très peu de mots, ils s’expriment par d’autres moyens et notamment par des actes violents. De plus en plus violents. C’est un constat. C’est une faillite. Nous n’avons en rien besoin d’une nouvelle « consultation » pour un « diagnostic partagé », mais d’une action résolue : agir en amont (éducation/ prévention/ accompagnement) et fermement, dès les premiers délits, avec des réponses judiciaires aussi rapides qu’effectives.

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Insécurité: une France à l’abandon

Dans le XVe arrondissement de Paris, un homme de 62 ans a été roué de coups par quatre mineurs venus de Seine-Saint-Denis dont il tentait d’empêcher l’intrusion dans son immeuble mercredi matin.


Rien n’est facile et on ne me trouvera jamais aux côtés de ceux qui, vindicatifs et adeptes du « il faut qu’on… on n’a qu’à… », considèrent qu’il suffit de vouloir pour pouvoir et que notre démocratie est le régime rêvé pour tout réussir en temps de crise. Cela étant dit, comment ne pas être effaré par l’état de la France au quotidien, avec les multiples exemples qui nous sont donnés du délitement et de la faiblesse de notre nation, dans l’exercice du pouvoir, le rôle des institutions et le courage des directions ? Il y a une France officielle qui, à tous niveaux, va à vau-l’eau et n’est plus tenue. Comme si une lâcheté générale avait remplacé l’envie de résister. Comme si le « à quoi bon » avait remplacé l’optimisme de l’action.

Un pays à feu et à sang

Avec la criminalité, la délinquance, la violence décuplée des mineurs et la législation absurde qui les concerne depuis le mois de septembre 2021, la diffusion du délire de minorités incultes et fanatisées dans les instituts de sciences politiques et les universités – la détestation d’Israël étant prioritaire -, l’impression que jour après jour la bonne volonté du gouvernement est ridiculisée par le réel des transgressions, des subversions qui ont pour particularité de nuire en totale liberté et impunité. Avec le sentiment d’une France à l’abandon, avec des services publics qui ne paraissent pas nous rendre ce que nos impôts leur donnent, une morosité démocratique oscillant entre polémiques de mauvais aloi et parole présidentielle confondant impartialité et esprit partisan, des ministres cultivant une politique d’annonces et de projets quand ils auraient eu largement le temps, en amont, d’en faire des réalités, avec l’obsession de montrer du doigt le RN plutôt que de désigner la lune et la catastrophe globale qu’elle porte.

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Avec une nostalgie délétère qui loin de préparer au futur englue dans un passé qui ne nous aide pas parce que nous n’avons plus de caractères à sa hauteur, une frénésie de commémorations qui masque notre inaptitude à trouver des motifs pour nous réjouir du présent, une République dont le nom est d’autant plus ressassé qu’elle sert d’ultime argument quand on ne sait plus quoi dire, une liberté d’expression qu’on répugne à accepter pleine et entière et que des totalitaires confisquent à leur seul profit, la dénaturation de valeurs et de principes qui permettaient, à peu près respectés, de coexister et qui, moqués ou répudiés, rendent notre pays à feu et à sang.

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Et les élections européennes, le 9 juin, autoriseront, en détournant leur objet, une protestation frustrée de n’avoir pu correctement se traduire sur le mode parlementaire.

Un courage qui force le respect

Face à ce délabrement, à cette lâcheté générale, à cette chape toute de mélancolie stérile : des courages singuliers, des énergies combatives, des révoltes anonymes, des sursauts venant combler les béances d’un État dépassé mais regardant pourtant passer la vraie France, ses violences, ses fureurs, ses cruautés, comme s’il n’y pouvait rien. J’ai été très frappé par l’exemple de cet homme âgé qui le 1er mai, vers 10 heures 30, rue Théophraste Renaudot dans le 15e arrondissement à Paris, a hurlé parce que des voyous, dont quelques mineurs, s’apprêtaient à forcer la porte de l’immeuble. Il a été roué de coups. C’est ce que j’ai nommé « courage singulier ». Face aux barbares, à ce qui décivilise et ensauvage, c’est une politique du désespoir.
Il y en a qui ne se résignent pas. Qui s’opposent à la lâcheté générale. Exemple trop modeste pour être suivi, je le crains. En tout cas, respect.

André Chaix, maquisard

Rien ne liait le résistant André Chaix à l’auteur à succès Hervé Le Tellier. Jusqu’à ce que ce dernier fasse fortune grâce au best-seller L’Anomalie et déménage dans la Drôme.


Hervé Le Tellier avait créé la surprise en obtenant le prix Goncourt 2020 – année ô combien étrange – pour L’Anomalie (Gallimard). Les lecteurs en avaient fait un phénomène éditorial puisque les ventes s’envolèrent jusqu’à atteindre le chiffre d’un million et demi d’exemplaires, de quoi acheter une maison en province, le rêve du Parisien mal remis d’un confinement arbitraire de deux mois. Hervé Le Tellier a trouvé la sienne dans la Drôme provençale, entre Montjoux et Dieulefit. C’est en rénovant la vieille bâtisse de deux étages, un ancien relais de poste, qu’il découvre, derrière une plaque de céramique vernissée, un nom et un prénom gravés à la pointe en lettres majuscules : ANDRÉ CHAIX.

Enragés volontaires

L’écrivain, intrigué, va mener son enquête pour connaitre la vie de cet homme dont le destin vient de lui faire un signe. Hervé Le Tellier nous propose, non pas un roman, mais un récit circonstancié, émaillé de réflexions personnelles, sur une période sombre de notre histoire, qui n’en finit pas d’enflammer les débats contemporains, la France de Vichy (1940-1944). Chaix figure sur le monument aux morts du village ; c’est bien de s’arrêter pour lire les noms, le devoir de mémoire est essentiel, surtout quand on s’aperçoit que le garçon est mort à l’âge de vingt ans, deux mois, et trente jours.

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Le Tellier, membre de l’Oulipo et admirateur de Perec, délaisse les jeux lexicaux pour reconstituer le parcours du jeune homme foudroyé. On apprend très vite qu’il s’agit d’un maquisard, fils du boulanger de Montjoux, tué par les Allemands en août 1944. Il avait une fiancée, Simone Reynier. Durant ses recherches, il tombe sur une boîte en carton qui recèle des fragments de la vie d’André. Il y a, notamment, une photo où le jeune résistant est avec son frère. Il sourit au photographe. Le Tellier va tomber sur une autre photo où André est avec son cousin et son frère. C’est pendant une perm, parce que les maquisards avaient droit à des perms, apprend-on. André sourit encore. Il croit en l’avenir. Mais comme dans le livre de Malraux, L’Espoir, c’est la mort qui attend ces enragés volontaires.

Il y a de très belles pages, émouvantes et épiques, dans le récit d’Hervé Le Tellier, intitulé Le nom sur le mur. Il raconte le quotidien des résistants qui ont faim, froid et peur. Ils sont désorganisés, leurs armes sont dérisoires, mais leur courage est immense ; insensé, pourrait-on écrire. André a pris comme pseudonyme Olivier, « un prénom et un nom d’arbre qui ne pousse pas en Allemagne ». Il a intégré le maquis dirigé par « Yves Morvan » pseudonyme de Félix Germain, un sacré gaillard à la forte personnalité. Le contexte politique, particulièrement embrouillé, n’est pas exclu du récit, au contraire. Le Tellier n’hésite pas à décrire ces Français qui se gobergent à Paris pendant que les jeunes patriotes se font occire. Et puis arrive le jour funeste. Le face à face est inégal. Les blindés de la 11e Panzerdivision « accrochent » une colonne de maquisards du maquis « Morvan ». Chaix et cinq de ses compagnons sont tués. Le Tellier nous apprend que sur les réseaux sociaux des nostalgiques de l’Elfte continue de la glorifier. C’était un sale temps où il fallait se méfier de tout le monde. C’est un des placards de notre histoire qu’il convient d’ouvrir. Ça pue, certes, mais c’est salutaire.
À la fin du livre, Le Tellier confie : « Je ne sais pas qui a écrit ANDRÉ CHAIX sur le mur, et aucune des personnes que j’ai pu interroger non plus. » L’important était de savoir qui il est. C’est désormais chose faite.


Hervé le Tellier, Le nom sur le mur, Gallimard.

Le nom sur le mur

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La Justice des délicats

Épidémie de « micro-agressions » lors des stages des étudiants de l’École Nationale de la Magistrature.  


Scandale à l’École nationale de la magistrature. À l’appui d’un questionnaire anonyme distribué à l’ensemble des étudiants et auquel ont répondu plus de la moitié d’entre eux, le très à gauche Syndicat de la magistrature (SM) dénonce d’inquiétants « comportements humiliants ou dégradants » lors des stages probatoires que chaque élève doit effectuer dans un tribunal, révèle Le Monde. Qu’on se rassure toutefois : seule une poignée de cas méritent d’être signalés à la police. Mais derrière les faits graves, il convient aussi de déplorer les innombrables micro-agressions du quotidien. Pensez, quantité d’étudiants se plaignent d’avoir été « évalués » par les magistrats qui les ont surveillés durant leurs quarante semaines d’immersion sur le terrain. Certains ont même eu l’impression d’avoir été « rabaissés », d’autres relatent carrément « un sentiment de solitude ». Pire, 62 % déclarent « avoir pleuré ». Glaçant, n’est-ce pas ?

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Trêve de plaisanterie. Des jeunes gens, certes brillants mais sans doute un peu trop protégés des réalités de la vie, ont donc découvert que la justice est un métier difficile, qu’elle s’accomplit dans des conditions matérielles compliquées, et parfois même en compagnie de collègues peu sympathiques. Allez savoir, peut-être que certains des « comportements humiliants et dégradants » recensés dans l’enquête sont imputables à des membres du SM, deuxième syndicat de la profession…

En tout cas, pour Kim Reuflet, sa présidente, pas question de se demander si les stagiaires ne méritent pas de temps en temps d’être un peu rudoyés. Au contraire, dit-elle, il faut que cesse la « complaisance » envers le discours d’un autre temps selon lequel « on est tous passés par là, ça fait partie du package, on n’en est pas morts ».

Bref, il est temps que l’hypersensibilité soit érigée en valeur cardinale dans l’administration judiciaire. Les tribunaux français ne donnent pourtant pas l’impression d’être peuplés de magistrats impitoyables et hautains. Il suffit de voir le nombre de décisions clémentes qui y sont rendues chaque jour. La prochaine génération de juges sera-t-elle encore plus laxiste ? Parions plutôt que, l’expérience venant, elle se permettra de se montrer à son tour sévère, mais juste, avec les stagiaires.

Alphabet woke: non-acquis!

À l’Université de Lorraine, ironiser à propos de l’alphabet LGBT entraîne une procédure disciplinaire. Et la cellule Égalité, Diversité et Inclusion de l’établissement a installé des « safe boxes » où glisser les dénonciations en cas de blasphème diversitaire. Pourtant, Massimo Nespolo, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences et Technologies, n’a pas renoncé à jouer les trublions.


« Un corps étudiant plutôt à gauche, qui suit les cours d’un corps enseignant très à gauche, et qui est encadré par un corps administratif démesurément à gauche ». Voici le tableau du milieu universitaire américain que dressait en 2018, dans le New York Times, Samuel Abrams, politologue et chercheur à l’AEI (American Enterprise Institute). En 2023 ? C’est pire. 77% des profs à Harvard se disent à gauche (dont 32% très à gauche), 20% centristes, 2,5% conservateurs et 0,4% très conservateurs[1].

Au Royaume-Uni, le politologue Eric Kaufmann vient de fonder le Centre de Science Sociale Hétérodoxe (Center for Heterodox Social Science, Université de Buckingham) où seront explorés les sujets tabous. Il est convaincu que la pire des menaces n’est pas la cancel culture mais l’auto-censure due à l’homogénéité politique. Dans les universités les plus prestigieuses du Royaume-Uni, d’Australie, ou d’Amérique du Nord, parmi les chercheurs en sciences sociales qui se disent conservateurs, trois sur quatre avouent s’auto-censurer, rappelait-il lors du lancement du nouveau centre fin février. Dans toute l’anglosphère, la liberté académique pâtit de ce défaut de pluralisme.

Et la France n’y coupe pas. Chez nous aussi, le conformisme asphyxie le débat au sein d’une éducation supérieure majoritairement woke. Saluons, en passant, le travail de L’Observatoire des Idéologies Identitaires, collectif d’une centaine d’universitaires qui s’opposent à la déconstruction des savoirs et l’intrusion du militantisme woke à l’université.

Des commentaires non conformes signalés à Nancy

L’Université de Lorraine (UL), gigantesque pôle académique à l’Est du pays, fruit de la fusion de quatre facs, est devenue ces derniers temps l’un de ces temples du wokisme. Mais Massimo Nespolo, 59 ans, né à Sienne, chercheur et professeur à la Faculté des Sciences et Technologies, ne peut s’empêcher de jouer les mouches du coche. Il a, notamment, eu l’outrecuidance de s’exprimer librement sur une plateforme interne intitulée Expression Libre. Ses commentaires, non-conformes, ont choqué certains de ses collègues au point de déclencher une procédure disciplinaire qui s’apparente à un procès pour délit d’opinion[2].

Expression Libre est un fil de discussion où les enseignants échangent petites annonces et commentaires de l’actualité. Ce jour-là, 11 juillet 2023, les messages vont bon train à propos de l’arrestation de Youssouf Traoré en marge d’une manifestation contre les violences policières en mémoire d’Adama Traoré. Les collègues de Nespolo condamnent unanimement la police française qui « passe à tabac », « casse des nez », « étouffe », « brutalise », « La routine, quoi ! »

Massimo Nespolo est alors au Japon ; il enseigne, tous les étés, à Tsukuba, sorte de capitale des sciences nipponne où il passa sa jeunesse de postdoctorant. Depuis l’autre bout du monde, donc, Nespolo consulte la liste Expression Libre. Les réflexes anti-flics de ses collègues l’irritent. Il pique un coup de sang. Un quart d’heure avant d’aller en cours, il poste, sur la plateforme, un brûlot à propos de la gauche qui a « abandonné son ADN » et ne défend plus que :
« – les voyous, multirécidivistes de préférence ;
– les migrants ;
– les lobbies LGBTQIAxyz:-x etc, avec leurs dérives pédophiles (« les lectures pour enfants » des « Drag Queens » et d’autres obscénités) ;
– toute la racaille qui s’en prend aux institutions, en particulier les forces de l’ordre ;
– et j’oublie sans doute bien d’autres aménités.
Que des marginaux puissent suivre une telle déliquescence, rien de surprenant. Mais que des collègues universitaires s’y plient aussi, ça n’a aucune explication ».

Nespolo y va franco. Les collègues « signalent » son message à la direction de l’université ainsi qu’aux autorités judiciaires via la Plateforme d’Harmonisation, d’Analyse, de Recoupement et d’Orientation des Signalements – la bien nommée PHAROS, phare de la pensée surveillée…

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Sur la liste d’échanges Expression Libre, les commentaires redoublent. Nespolo découvre que sa diatribe est qualifiée d’« homo/transphobe ». « Abject », « ligne rouge », « clichés nauséabonds »… les accusations pleuvent, on exige des sanctions. « Ce type de sous-entendu ne pourrait-il pas motiver du disciplinaire et/ou du pénal ? » écrit un collègue, en toute confraternité. Ou encore : « très investie et attachée à travailler sur les luttes contre les discriminations, je ne peux pas lire ces mots sans réagir. Je souhaite que nous soyons protégé.es de tels propos qui ne peuvent pas être diffusés impunément ». C’est en écriture inclusive qu’on demande l’exclusion. « Personnellement, si j’exerçais dans le même champ de recherche que Massimo Nespolo, j’accueillerais ses annonces de résultat avec beaucoup de prudence ». Celui qui questionne la vulgate woke ne peut être tout à fait intègre…

Il faut écarter le collègue toxique. Onze heures plus tard, c’est chose faite : « Chères et chers collègues, vous avez été nombreux à signaler le message adressé par Mr Nespolo à 1h47 ce jour. La présidence a décidé d’interdire à Mr Nespolo l’accès à la liste « expression libre » à effet immédiat », notifie la direction des Affaires Juridiques. Et la présidente de l’université de Lorraine saisit la section disciplinaire qui évoquera, entre autres motifs du blâme bientôt infligé à Nespolo[3], sa malveillance du fait que « figure au sein de son message non pas l’acronyme LGBTQIA+ mais « LGBTQIAxyz:-x etc » ».

Pour sa défense, Nespolo précise qu’il ne porte aucun jugement négatif sur les individus LGBT ; ce sont plutôt les dérives des lobbies LGBT qu’il condamne. Il maintient par ailleurs sa critique des lectures pour enfants organisées par des drag queens, activités qu’il juge obscènes. « Donc, sur le fil Expression Libre, me dit-il encore, on peut insulter les forces de l’ordre mais on ne peut pas dire que les lobbies LGBT défendent l’indéfendable lorsqu’ils cautionnent les ateliers Drag Queens pour enfants. Le deux poids deux mesures me semble plus que flagrant ». Regrette-t-il d’avoir posté ce message somme toute un peu corsé ? « Si j’avais eu le temps (j’entrais en cours un quart d’heure plus tard) j’aurais élaboré un peu plus la phrase ! Mais regretter, bien sûr que non ! Si je n’avais pas réagi, personne ne l’aurait fait. J’ai remis les gauchistes à leur place ».

Un procès politique

Parmi les auditions lors du conseil disciplinaire, figure la déposition d’une co-secrétaire du syndicat CGT FERC SUP (Fédération de l’Éducation, de la Recherche et de la Culture – Enseignement Supérieur) : « Pour nous, lutter contre les idées de l’extrême droite, car on pense qu’on est dans ce cadre-là pour ce dossier, c’est prendre la mesure de son poids, de ses idéologies […] La mention du – à la place du + à la suite de LGBTQIA est un signe d’autant plus choquant ».

Procès politique ? « Ils ont saisi l’occasion », estime Nespolo, dans le collimateur depuis qu’il est secrétaire départemental de Debout La France. Il n’est pas du bon bord politique. Certes il est étranger et le wokisme sanctifie la figure de l’Autre. Mais il y a l’Autre et l’Autre. Un Italien vivant en France et marié à une Japonaise, ça n’est pas la bonne diversité… surtout s’il est de droite.

Nespolo veut faire appel de son blâme. Il ira jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme s’il le faut. « On ne peut être condamné simplement sur le ressenti d’un certain nombre de personnes qui se disent choquées, insiste-t-il. Il n’y a rien de factuel dans ce jugement ». Le plus glaçant dans cette affaire, est peut-être la gravité dans le ton des « signalements ». C’est presque pire que si c’était un faux procès cynique pour mauvaises pensées au service d’un régime autoritaire. On a le sentiment que les délateurs y croient dur comme fer. Les cerveaux semblent reprogrammés à la doxa diversitaire.

Ces procédures picrocholines sont diligentées au sein d’une université, entre gens qu’on croirait plus occupés à résoudre des équations. Nespolo est une tête. Son domaine de recherche ? « L’application de l’algèbre à des structures cristallines », m’a-t-il répondu. Et je l’ai cru sur parole… Son CV est infini, la liste de ses publications et conférences, comme celle de ses participations aux sociétés savantes en impose. Comment comprendre qu’on s’en prenne à un prof en poste dans la même fac depuis 21 ans, qu’on engage des chicanes pendant des mois, en vertu de cette espèce de culture de l’offense qui nous vient d’Amérique ?

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Les conséquences du blâme ? « Ça peut peser sur la progression de carrière. Sachant que je suis déjà prof en classe exceptionnelle, il ne me manque qu’un échelon. Du point de vue du prestige, ça ne change rien. Ça change un peu pour le salaire, mais c’est pas ça qui compte ». Nespolo n’est pas une victime, c’est juste une sorte de dinosaure décidé à ne pas se laisser dicter ses pensées. Les universitaires qui vénèrent la culture du désaccord se font rare.

Seuls trois chercheurs sont intervenus en faveur de Mr Nespolo dans le fil de discussion. Par ailleurs, pour sa défense, Massimo Nespolo a produit les messages de soutien qui lui ont été envoyés personnellement par des collègues scandalisés qu’il soit exclu de la plateforme Expression Libre. Tous contestent les accusations de racisme et autres phobies portées contre lui. Certains le connaissent et témoignent de son innocence. D’autres ne le connaissent pas personnellement mais réprouvent l’esprit de censure qui gagne.

Ces messages lui ont donc été envoyés directement sur sa boîte mail. Ils sont au nombre de seize. Treize parmi leurs signataires ont demandé à ce que leur nom n’apparaisse pas dans le dossier de défense. C’est dire le climat. Un exemple ? « Je suis malheureusement contraint de rester silencieux car je sais ces gens capables de mettre fin à mon début de carrière purement et simplement », écrit l’un des anonymes à Nespolo. On touche du doigt ce « totalitarisme d’atmosphère » évoqué par la sociologue Nathalie Heinich dans son essai Le wokisme serait-il un totalitarisme ? ou par Mathieu Bock-Côté dans Le totalitarisme sans le goulag.

Ça n’est plus un secret : le totem woke EDI (Égalité Diversité Inclusion) est un exemple chimiquement pur de double langage. L’égalité d’opportunités est jetée aux orties au profit d’une utopique égalité de résultat. La diversité s’applique aux couleurs de peau ou orientations sexuelles mais la diversité d’opinion est hors-jeu. Quant à l’inclusion, elle consiste à exclure les hérétiques, sous prétexte de protéger les minorités. Et à l’Université de Lorraine, la cellule EDI porte beau. À la veille de Noël, et « dans un effort significatif pour promouvoir un campus inclusif et sûr », elle annonçait l’installation de trois « Safe Boxes ». « Ces boîtes sont destinées à recueillir des témoignages, anonymes ou non, concernant les violences sexistes, sexuelles et les discriminations. […] cette initiative souligne l’importance du « bien vivre ensemble » sur le campus. Il ne s’agit pas seulement d’éradiquer les violences et les discriminations, mais de cultiver une culture d’entraide, de compréhension mutuelle et d’acceptation des différences », est-il précisé sur le site de l’université. « Expression libre », « compréhension mutuelle », « acceptation des différences »… autant de motifs d’inquiétude… La délation a de l’avenir.

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[1] Sondage réalisé par le journal étudiant Harvard Crimson en 2023.

[2] Nous avons contacté les autorités de l’Université de Lorraine pour recueillir leur point de vue à propos de la procédure engagée à l’encontre de Massimo Nespolo. Voici la réponse de Clotilde Boulanger, vice-présidente politique doctorale : « Suite à votre sollicitation, je me permets de vous donner la position de mon université. L’établissement ne commente pas les affaires en cours, l’affaire que vous citez n’étant pas terminée. Par conséquent nous ne répondrons pas au questionnaire. Bien à vous ».

[3] Jugement rendu le 5 décembre 2023

Le Japon, pays sans voleurs de bicyclettes

Notre chroniqueur, enthousiasmé par l’ordre qui règne dans l’archipel nippon, en arrive à recommander l’adoption par la France de pratiques qui règlent effectivement la plus grande part de la délinquance ordinaire, y compris celle des mineurs, mais choquent évidemment notre sens inné de la justice et du respect des droits des criminels, auxquels nos magistrats sont si attachés…


Sans doute vous rappelez-vous le fameux film de Vittorio de Sica (1948), chef d’œuvre du cinéma néo-réaliste, où un pauvre prolo italien se fait voler la bicyclette qui lui aurait permis de se rendre sur son lieu de travail, et finit par tenter d’en voler une autre.
Rien de ça au Japon. Les bicyclettes (nombreuses, et généralement non électriques, le Japonais pédale pour de bon) sont rarement attachées, parce qu’elles ne sont pas volées. Il n’y a pour ainsi dire pas, même dans une ville gigantesque comme Tokyo, de délinquance ordinaire, celle qui fait rager le Français tous les jours. Pas de revendeurs de cigarettes à la sauvette, pas de vol à l’arraché, pas même de fraude dans le métro — où aucun portillon ne vous empêcherait de passer.
Plusieurs raisons à cet état de fait.

Un pays où l’on respecte les règles

D’abord, le Japonais est éduqué. Il respecte les consignes, ne se vautre pas sur les banquettes réservées aux infirmes et aux femmes enceintes, n’écoute pas de la musique à fond en public, ne fume même pas en marchant — il y a des espaces clos, dans la rue, pour fumeurs, et même pour fumeurs de cigarettes électroniques. Du coup, pas un mégot par terre, pas un chewing-gum — et personne ne s’aviserait de cracher dans la rue.

À l’école, j’ai eu l’occasion d’en parler l’année dernière, il est en uniforme, ne sort pas intempestivement son portable qui reste au fond de son sac, il respecte ses maîtres et objectivement, il a l’air très heureux de ces contraintes.
Ensuite, il y a la Loi…

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Tout délinquant arrêté en infraction est passible, dans un premier temps, d’une garde à vue de 23 jours, pendant lesquels vous n’avez pas le droit de passer un coup de fil (la police s’en charge), on vous nourrit de trois bols de riz par vingt-quatre heures, vous dormez sur une natte, et vous ne pouvez recevoir de visite qu’une fois par semaine, en présence de la police, et à condition de parler japonais — ce qui handicapa considérablement Carlos Ghosn, dont l’épouse n’articulait pas un mot.
Cette garde à vue peut être rallongée quasi indéfiniment, car les motifs d’inculpation sont découpés en tranches fines, et chaque nouvelle charge remet 20 jours dans le compteur.
De surcroît, pendant cette garde à vue où on vous incarcère dans des Daiyō kangoku, centres de détention gérés par la police, vous êtes interrogé, et souvent d’une manière assez brutale, 12 heures par jour. Les flics nippons ont à la main soit de courtes matraques, soit de grands bâtons du type boken — avec l’entraînement adéquat. Amnesty International, qui trouve tant à redire à la façon dont on traite en France les étudiants qui soutiennent le Hamas, a protesté maintes fois sans que cela émeuve qui que ce soit dans l’archipel.
Au bout de cette garde à vue, qui de fait peut durer des mois, la seule façon de vous en sortir est d’avouer. On a appelé cela la « justice de l’otage ». Sûr que tout le monde n’a pas les moyens de s’enfuir dans une sacoche rigide de contrebasse…

Les sauvageons savent à quoi s’en tenir

Quand il s’agit de mineurs (de 14 à 20 ans), la garde à vue ne peut être que de 3 jours, éventuellement prolongés de 10 — avec traitement approprié. Puis le jeune est expédié dans un kanbetsusho, centre de rétention où il subit pendant un mois divers tests visant à cerner sa personnalité. À l’issue de cette période d’un confort très relatif (lever à l’aurore, marche au pas, obéissance et silence absolus), le juge aux affaires familiales prend la mesure qui lui paraît la plus appropriée : période de probation à domicile avec convocation pour un entretien de contrôle une fois par mois, envoi dans un centre de vie en collectivité très encadrée type internat, envoi en maison de correction (shônen in), cadre plus rigoureux, plus proche d’une prison.
Et là, écoutez bien : dans tous les cas, la durée n’est pas fixée à l’avance car il ne s’agit pas de sanctions mais de mesures éducatives. Tout dépend de l’évolution constatée du jeune. La mesure se termine quand on considère que le jeune s’est suffisamment amendé.
Ils sont pleins d’humour, ces Japonais…
Alors forcément, ça calme.

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Une source d’inspiration pour nous Français ?

La Justice française répugnera sans doute à s’inspirer de pratiques étrangères, aussi efficaces soient-elles. Faisons donc une suggestion.
Chaque jour on entend parler de multirécidivistes. Et pourquoi ne le seraient-ils pas, les juges devant lesquels ils passent les condamnant en gros à des stages poney ? Les deux énergumènes qui ont cassé la figure à deux couples (plus un passant qui s’était porté à leur secours) à Nice il y a quelques jours ont été libérés par la police.
Pourquoi ne pas instaurer un système de points, comme pour le permis ? Quand tu as épuisé ton quota, on s’en prend directement à la prime de rentrée scolaire ou aux aides sociales. Il s’agirait de déléguer réellement aux parents, dont c’est le boulot, la surveillance et la répression de leur petite canaille… Nous connaissons tous des multirécidivistes routiers que la perspective de perdre les deux derniers points assagit soudain. Frapper au portefeuille est aussi efficace, et moins voyant, que les torgnoles policières, qui de fait sont interdites depuis des années.

Nous connaissons bien sûr des malfrats qui roulent sans permis ni assurance. Ma foi, dans ce cas, la police japonaise, qui est très inspirée des pratiques américaines, n’hésite pas à tirer. Et les juges — et l’opinion publique — lui donnent raison.
Mais c’est une hypothèse d’école : cela ne se produit pas, dans l’archipel nippon.

Bardella/Hayer: qui a remporté le débat?

Si les grosses ficelles politiciennes et les éléments de langage agressifs de la candidate Renaissance Valérie Hayer étaient bien trop visibles au début du débat de BFMTV, hier soir, elle a ensuite marqué quelques points face à un Jordan Bardella jusqu’alors présenté comme le « candidat de l’esquive »1 de cette campagne électorale.


Il faut le reconnaitre, certains débats ont tout du pensum et quand on est journaliste politique, on se demande parfois comment font les citoyens ordinaires pour tenir aussi longtemps devant leur écran, alors qu’ils n’y sont pas obligés. Je dois le reconnaitre, j’ai trouvé la première heure de cette rencontre opposant les deux « favoris » de l’élection européenne à mourir d’ennui. Valérie Hayer n’a rien d’une politique et elle s’avère incapable de donner un quelconque sens à son action. Pourtant, tout le monde reconnait que la candidate Renaissance a été présente au parlement européen et s’y est investie au cours de son mandat. Mais de cela les Français se moquent ! Ils ont compris que le vrai pouvoir était entre les mains de la Commission et n’accordent que peu de crédit au parlement. Les élections européennes sont donc devenues une façon de dire son fait au pouvoir en l’absence de rendez-vous électoraux majeurs. Et ce débat ne risquait pas de changer la donne. Si Jordan Bardella, bien plus à l’aise que Valérie Hayer, déroulait bien ses thèmes et gérait de façon professionnelle la situation face à une candidate au début peu consistante, le moins que l’on puisse dire est qu’il ne forçait pas non plus son talent.

Des enjeux différents

Il faut dire que les enjeux n’étaient pas les mêmes pour les deux protagonistes.

Jordan Bardella. DR.

L’une devait exister et sortir de l’indifférence ou du profond ennui qu’elle inspire. Il est impératif pour elle de garder sa place de seconde et de ne pas se faire doubler sur sa gauche par Raphaël Glucksmann. Elle n’avait donc rien à perdre à la confrontation. Partant de très bas en termes de notoriété, simplement résister au rouleau compresseur Jordan Bardella serait déjà vu comme positif. Elle avait donc tout à gagner si elle parvenait à exister ne serait-ce qu’un peu.

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Lui ne devait pas freiner une bonne dynamique qui, à un peu plus d’un mois de l’échéance électorale, peut difficilement être inversée sauf accident industriel lourd. Il devait gérer à la fois la normalisation, afin de rendre le procès en extrême-droite instruit par ses adversaires inaudible, faire profil bas, et garder son calme pour rester concentré sur les enjeux intéressant vraiment les Français.

Un début difficile pour Valérie Hayer

Le début du débat a été catastrophique pour Valérie Hayer. Elle n’est pas faite pour ça et correspond à tout ce que les Français n’aiment guère : trop techno, maladroitement agressive, sans pertinence, peu concrète. L’épisode où l’animateur Benjamin Duhamel demande à l’un et à l’autre d’évoquer les qualités et défauts de leur adversaire est particulièrement symptomatique : Valérie Hayer sombre dans l’attaque personnelle, alors que l’on ne sent pas chez elle une agressivité naturelle. De ce fait la séquence apparait surjouée, mal maitrisée, inutilement brutale et fait cadeau à Jordan Bardella – plus posé et objectif – d’une forme de retenue et d’élégance… Cette erreur de positionnement donne l’impression d’une candidate macroniste factice, la façade Potemkine d’un pouvoir en place aux abois. Une impression que la candidate Renaissance donnera à plusieurs reprises au début du débat. Elle cherche alors ses mots, fuit le regard de son adversaire et ne parait ni vraiment être là, ni habiter sa parole. Pire même : si les deux candidats manient évidemment des éléments de langage préparés, ceux de Valérie Hayer sont déballés à la hâte et sans finesse. Ainsi dans cette première partie du débat, elle va tenter la victimisation en mode : « Cela vous dérange tant que cela de laisser parler une femme ? » Et va le faire à plusieurs reprises. Sauf que cela ne passe pas, sent la grosse ficelle, et que l’échec de la manœuvre sera complet lorsqu’elle va à son tour couper le discours de Jordan Bardella et que celui-ci va lui demander si c’est par sexisme aussi qu’elle lui refuse la parole !

Changeant de stratégie, après avoir échoué à présenter Jordan Bardella en macho viriliste patriarcal, Mme Hayer tente à nouveau de réactiver la diabolisation de l’adversaire en élargissant le procès au RN et à son fondateur, Jean-Marie Le Pen. « Neuf minutes de débat et vous appelez déjà Jean-Marie Le Pen au secours ? » lui lancera alors, goguenard, Jordan Bardella. Au vu de l’ennui intense de la soirée, tout le monde est allé vérifier : cela faisait en réalité plus de 20 minutes que les deux candidats échangeaient. Autres tentatives de déstabilisation, ressortir des phrases prononcées par Marine Le Pen il y a 10 ans, ou répéter en boucle « je ne suis pas candidate au poste de Premier ministre ou de président de la République ». Tout cela tombe à plat, tant l’utilisation de ces arguments arrive souvent mal-à-propos et cache mal les faiblesses oratoires de la candidate.

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Valérie Hayer va faire dans cette première partie du débat un autre cadeau énorme à Jordan Bardella, en faisant du lien qu’il fait entre immigration et délinquance l’occasion d’une énième leçon de morale et d’un procès en essentialisation. Hélas, les chiffres que brandit alors le président de RN sont implacables et l’accusation de cliver le pays fait « pschitt » quand celui-ci lui demande si elle croit vraiment que c’est le RN qui est responsable de l’ensauvagement et de la montée de la violence en France.

Un Jordan Bardella qui ne force pas son talent

Pendant ce temps, Jordan Bardella prend garde à ne pas paraitre agressif et déroule avec efficacité ses thèmes : énergie, immigration, sécurité, en veillant toujours à parler par-dessus l’épaule de la candidate, s’adressant aux Français quand son adversaire, elle, se laisse aveugler par le duel et se focalise sur lui. Mais, cette faiblesse de Valérie Hayer va finir par lui servir. Et elle commence tellement mal son débat que les progrès qu’elle réalise ensuite deviennent notables. Le seul fait de tenir bon devient une preuve de résistance et une forme de courage, et puis, dans la deuxième partie du débat, la tête de liste de Renaissance va enfin se montrer un peu plus incisive et pertinente. Elle réussit notamment une séquence intéressante en confrontant Jordan Bardella à ses soutiens européens et en citant les déclarations de ces alliés. Lesquelles ne sont pas à piquer des hannetons. Là, on sent Jordan Bardella touché. Certes il se défend efficacement et marque des points en faisant remarquer à Valérie Hayer qu’elle-même, dans le cadre d’accords politiques, a soutenu la candidature à un poste européen d’une femme ouvertement anti-avortement – il en profite au passage pour déclarer qu’il est pour l’IVG. Il n’en reste pas moins que Jordan Bardella ne prend pas si clairement ses distances avec des déclarations bien gênantes sur d’autres points (sexisme, homophobie…) de ses amis. Dans cette séquence, Valérie Hayer est pertinente car elle croit profondément à ce qu’elle dit, mais surtout parce qu’elle fait là de la morale et pas de la politique. Elle est donc en phase avec elle-même et sa parole porte.

Une autre séquence l’avait l’illustré un peu avant, concernant la guerre en Ukraine. Valérie Hayer apparait très à l’aise aussi, tant que l’on reste dans le registre théorique, celui de la morale, quand on ne se réfère qu’au monde tel qu’il devrait être. Mais tout cela vole en éclats quand le politique revient. Elle offre alors une bonne séquence de positionnement régalien à Jordan Bardella qui la reprend à la volée : « La guerre c’est sérieux, Madame », et l’on n’est pas forcément utile « en allant se faire prendre en photos en Ukraine »… Là il se passe quelque chose d’intéressant entre les deux protagonistes qui illustre peut-être toute la faiblesse de nos démocraties : puisque l’Ukraine ne doit pas tomber, faisons comme si cela dépendait uniquement de notre volonté et pas de l’état de notre défense, de nos capacités de production militaire. C’est l’incapacité à parler de la vérité de la situation quand la réalité nous déplait qui saute alors aux yeux.

Une carte blanche à l’avantage de Jordan Bardella

Le débat termine inévitablement sur une « carte blanche » laissée aux candidats. Alors que la candidate Renaissance sort d’une bonne séquence, elle termine mal, retombant dans l’ornière techno et agressive. Dommage, c’était pourtant le moment pour elle de s’adresser aux Français. D’ailleurs elle retrouve ses hésitations verbales et une forme d’absence que l’on pouvait déjà remarquer au commencement du débat. Reste qu’elle a résisté, ne s’est pas effondrée et dans le fond a réussi son pari : elle existe un peu plus aux yeux des Français au sortir de cette importante émission.

De son côté, en redoutable animal politique, Jordan Bardella termine mieux qu’elle mais il n’a pas renversé la table alors qu’en face de lui le répondant était pourtant faible. Certes, il a été sans conteste le meilleur, mais sur ce point être dans l’opposition est toujours plus favorable, alors que Valérie Hayer doit gérer l’ombre portée d’Emmanuel Macron. Au vu du rejet que ce dernier suscite chez nombre de Français, cela ne lui facilite pas la tâche. Et d’ailleurs, alors que Valérie Hayer est déjà à la peine dans les sondages, l’ARCOM vient de décompter l’intégralité du discours prononcé par Emmanuel Macron à la Sorbonne pour l’Europe de son temps de parole2 ! Pourtant ce discours n’aura bougé aucune ligne et servi à rien. Sitôt prononcé, sitôt oublié.

Il en sera probablement de même de ce débat.

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  1. La campagne d’évitement de Bardella, Françoise Fressoz dans Le Monde, 2 mai ↩︎
  2. https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/05/02/elections-europeennes-le-discours-d-emmanuel-macron-a-la-sorbonne-decompte-comme-du-temps-de-parole-de-son-camp_6231218_823448.html ↩︎

«La journée de la jupe»… c’était il y a 15 ans

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Isabelle Adjani dans "La journée de la jupe" de Jean-Paul Lilienfeld, 2009 © SIPA

À l’heure où des gamins se font poignarder aux abords de leurs collèges, où des professeurs se font assassiner, où des chefs d’établissement menacés ne sont ni soutenus par leur hiérarchie ni protégés par le préfet, où un maire jette l’éponge devant les menaces antisémites dont il fait l’objet, il est difficile de ne pas se souvenir de La journée de la Jupe. Ceux qui ont vu, en 2009, ce film de Jean-Paul Lilienfeld ont été saisis par un scénario qui, contre toute attente, renversait le traditionnel rapport de force instauré dans nombre de collèges par l’indiscipline et la vulgarité. Rien à voir avec Entre les murs, le film de Laurent Cantet, auquel une certaine démagogie valut, en 2008, une Palme d’Or au Festival de Cannes.

Ici, coup de théâtre : dans la confusion la plus totale, une jeune femme, professeur de lettres, prend sa classe en otage à l’aide d’un pistolet malencontreusement tombé du sac d’un élève. La situation est d’autant plus grave que les représentants de l’autorité ne semblent pas à la hauteur. Côté collège, le principal rase les murs. Côté forces de l’ordre, les rivalités internes, malgré l’urgence de la situation, prennent le pas sur la concertation nécessaire à la bonne conduite des opérations. Quant à la ministre de l’Intérieur arrivée en toute hâte sur les lieux, elle peine à dissimuler sa crainte de voir sa carrière politique compromise. Le sens du film se précise lorsqu’on découvre que cette jeune enseignante, qui n’entend pas céder sur Molière, est d’origine maghrébine.

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Lui avait-on dit, lorsqu’elle préparait les concours, qu’elle aurait à s’intégrer dans une société qui se désintègre, que sa terre de mission ce serait les territoires d’une République qui démissionne, qu’elle aurait à enseigner en France devant des élèves qui exigent d’elle qu’elle soit arabe avant d’être professeur de français ? Puisqu’à tout preneur d’otages il faut une revendication, quelle est la sienne ? Comme si son enfer quotidien n’était pas une condition suffisante pour « craquer ».

Alors, puisque la République est sourde et aveugle, ce jeune professeur, qui depuis des années n’en peut plus de cette continuelle lapidation de la femme par l’insulte, va jeter à la figure du pays son refus de l’humiliation : « Pouvoir porter une jupe sans se faire traiter de « salope » ». Appeler les choses par leurs noms et les dire comme elles sont – ce qui est le métier même d’un professeur de français – est devenu intolérable à une société intoxiquée depuis longtemps par une télévision qui falsifie quotidiennement la réalité. Aussi la jeune femme, lâchée par ses collègues, sera-t-elle abattue d’un coup de feu parti d’une caméra piégée par la police, abattue comme une « salope » par une force qui, mise au service de la faiblesse morale et de la lâcheté, cesse totalement d’être républicaine.

Souvenons-nous non seulement de ce film mais également de ce qu’à l’époque l’on pouvait lire dans Le Monde : « Tout y est tellement simplifié, tellement cousu de fil blanc, qu’on a l’impression que le réalisateur prend a priori son public pour une classe à éduquer ». Et sur un blog du Monde diplomatique : « Le machisme, l’islam, l’antisémitisme, les tournantes… […] La journée de la jupe aligne avec soin tous les clichés que la féroce propagande de ces dernières années a installés dans les têtes comme autant d’évidence ».

Souvenons-nous également que ce film n’était sorti que dans cinquante-trois salles de cinéma, dont huit dans la capitale, les gros circuits de salles (UGC, Gaumont, Pathé, CGR) ayant refusé de le diffuser au prétexte qu’il avait été diffusé quelque temps auparavant par Arte et vu par 2,245 millions de téléspectateurs.

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Quand Satan traîne dans les couloirs du lycée

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Jérémie Delsart publie son premier roman. DR.

Et si on pactisait avec le diable ? C’est ce que nous propose Jérémie Delsart dans un premier roman très réussi.


Le diable boudait-il la littérature française ? Depuis Le Spleen de Paris où le narrateur du Joueur généreux relatait sa rencontre avec un Malin aux allures de dandy, Satan s’était fait discret. Tout au plus l’avait-on aperçu dans les personnages secondaires des romans de Bernanos, figures insolites croisées par les héros en des lieux et des circonstances improbables. Dans Le miracle de Théophile, premier roman de Jérémie Delsart, Belzébuth fait un retour très réussi en dandy facétieux, cynique et flamboyant. Dans une langue impeccable, précieuse mais sans ostentation et qui ne concède rien à la prose facile voire insipide goûtée par notre époque, Delsart réinvente l’éternelle histoire du mortel pactisant avec le diable. Théophile de Saint-Chasne, jeune professeur épris de littérature, fait ses débuts dans l’Éducation nationale ; stagiaire dans l’académie de Lyon, le voilà livré aux pédagogues, inspecteurs et autres formateurs jargonneux et techniciens. Inféodés au mal depuis belle lurette, ils ont déjà renié le Beau, la Liberté et l’Idéal mais pour l’impétrant, la rééducation commence. Enserré dans les rets poisseux de la médiocrité, notre jeune homme s’étiole. Aussi finit-il par céder son âme à « l’Andalou », esthète cultivé et amateur de bon vin. Se damner pour survivre en pareil cloaque, c’est de toute façon peu cher payé.

Qui a eu cette idée folle, de déconstruire l’école ?

Il serait dommage de passer à côté de ce roman dont on parle peu. Il ne faudrait pas croire qu’il n’est qu’un récit de plus consacré à la décadence de l’Éducation nationale (rebaptisée ici l’Éducation pour Tous) ; il est bien plus que cela. Bien sûr, il y a la savoureuse peinture d’une institution devenue folle qui se refuse à transmettre la culture et préfère spécialiser ses professeurs dans le brassage du vide en leur dispensant dans une langue barbare des concepts aussi creux qu’inutiles. Delsart décrit à merveille la sottise de ces pédagogues sournois et infatués qui sabotent l’école. Il nous rapporte ainsi la leçon donnée aux professeurs stagiaires par une affidée de la secte des trissotins : « Ce métier a changé », « il faut savoir s’adapter aux enjeux du monde et de notre société, les vieilles recettes sont dépassées. », l’heure est « au pilotage pédagogique », « au tissage », « à l’encadrement » et « à la création de liens. » Mais, on comprend vite que Delsart va plus loin: quand il décrit les mécanismes et les motivations qui agissent les sinistres pantins de l’Éducation nationale, c’est en fait la corruption et l’inanité d’un monde occidental globalisé, assujetti à la technique et à la quantité, qu’il dénonce. Ce récit dépasse largement le cadre de l’école pour nous parler de notre société où l’individu, asservi, est manipulé.

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Ilote et passif, il se laisse transformer en imbécile pourvu qu’on lui promette le bonheur et qu’il lui soit donné d’assouvir son insatiable consumérisme. À l’école, on apprend à oublier l’effort, à s’affranchir de la fatigue engendrée par la réflexion, à s’interdire tout regard discriminant porté sur le monde pour communier dans l’inane révérence de l’égalitarisme. Un seul mot d’ordre: profiter de l’instant ; celui où l’on jouit, écervelé et sans entrave. Pour Delsart, la faillite de l’école est aussi celle d’un Occident qui se perd dans la conquête du progrès et de la rentabilité quitte à sacrifier l’intelligence à la fabrique d’exécutants dociles et entièrement dévolus à cette quête chimérique. « La culture fait des hommes libres ; la méthodologie fait des automates ; et les automates se règlent plus aisément que les hommes libres », affirme Théophile de Saint-Chasne qui porte la voix du romancier.

Dans l’intérêt des « apprenants »…

Et puis, il y a l’écriture de Delsart, jubilatoire. Digne de celles de Baudelaire ou de Barbey d’Aurevilly, elle atteste le compagnonnage assidu de l’auteur avec nos grands écrivains. Dans son récit, celui-ci s’amuse à opposer une prose altière dont il a la parfaite maîtrise au sabir des pédagogues et à la langue débraillée de notre époque. Ainsi pérore un enseignant, dans la salle des professeurs d’un lycée: « Cette réduction des épreuves avec le Grand Oral, en fait, c’est comme le bac napoléonien, c’est magnifique ! Surtout, j’vois pas pourquoi les collègues réactionnaires y s’insurgent. Attends, pour un gamin d’Term, c’est super intimidant de prendre la parole sur un sujet de Spé approfondi. » Suit le portrait du pontifiant: « Celui qui parlait ainsi était Jaubert Aubiniault, un professeur de S.E.S, trapu, bedonnant, babillard, chenu, avec des châsses globuleuses et rieuses sous des sourcils broussailleux et nerveux, un petit nez aquilin et des lèvres pincées et railleuses. Il se jugeait assez drôle pour se permettre de piquer. Assez spirituel pour ne pas craindre d’être désobligeant. (…) Jaubert dispensait libéralement ses visions et ses sagesses sur l’institution scolaire, dont il se présentait en vétéran. » Ailleurs une dé-formatrice invite le malheureux Théophile de Saint-Chasne à réformer sa pratique « dans l’intérêt des apprenants », ceux-ci n’étant pas parvenus, en raison de l’enseignement magistral du jeune réactionnaire, à « s’approprier les savoirs », « les savoir-être » et « les savoir-faire du début de Seconde. » La langue littéraire et soutenue dans laquelle est écrite ce roman s’efface ponctuellement pour épingler les tristes parlures de notre époque. L’écriture de Delsart souligne ainsi la confrontation qui oppose notre héros, épris de beauté, à la laideur utilitariste actuelle. Tout ça vaut bien la peine, le temps d’une lecture, qu’on fraternise avec le diable.

Le livre refermé, comme le narrateur du Joueur généreux face à Satan, « enivrée de toutes ces délices », « dans un excès de familiarité », je me suis adressée au diable et me suis écriée, « m’emparant d’une coupe pleine jusqu’au bord : À votre immortelle santé, vieux Bouc ! »

Jérémie Delsart, Le miracle de Théophile, préface de Patrice Jean. Cherche Midi, 2024. 416 pages.

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Insolite: l’antisionisme des Juifs de New York

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Des groupes de juifs propalestiniens manifestent devant la maison du sénateur Chuck Schumer, New York, le 23/04/2024 Michael Nigro/PACIFIC PRE/SIPA

La population juive de l’État de New York est divisée, une partie non négligeable adoptant une position ouvertement antisioniste qui, en réalité, reprend les éléments essentiels de la propagande palestinienne. Harold Hyman est allé à la rencontre des militants de Jewish Voice for Peace, association importante qui regroupe un grand nombre de ces Juifs américains qui dénoncent l’État d’Israël. Récit.


Les Américains de la Côte Est se prennent de passion pour le conflit entre Israël et le Hamas. Dans la ville de New York, et plus encore dans la vallée de l’Hudson qui va de la ville jusqu’à Saratoga, à 300 km au nord, tous les regards sont braqués sur cette guerre, et les expressions de solidarité pour le camp palestinien l’emportent clairement. Curieusement, c’est dans les districts où il y a le plus de Juifs des classes moyennes ou aisées que ce sentiment pro-palestinien est le plus visible. Une organisation juive se récalamant de l’antisionisme, Jewish Voice for Peace (La Voix juive pour la paix) (JVP), est très présente ici. Elle place ses affiches et dépliants dans tous les endroits stratégiques : librairies, salons de thé, cafés et restaurants, boutiques, galeries d’art, pharmacies, quincailleries, poteaux électriques… Sociologiquement, cette Vallée de l’Hudson est comme un nouveau Brooklyn et devient de plus en plus bobo. Très peu de présence musulmane ou arabe. Une constante minorité juive, et une majorité d’Anglo-néerlandais (la première souche de colonisation), d’Irlando-américains, d’Italo-américains, et ça et là des Hispaniques et des Afro-américains. Ce n’est pas une région qui envoie des Républicains MAGA au Congrès des États-Unis.

C’est le 16 mars que j’ai eu l’occasion de rencontrer les adhérents de la Jewish Voice for Peace of the Hudson Valley, la section locale de l’organisation. JVP se présente comme « la plus grande organisation juive progressiste anti-sioniste au monde ». Elle se dit populaire, multiraciale, interclasse, intergénérationnelle. « Si vous cherchez un domicile politique pour les Juifs de gauche en cette période périlleuse, si vous voulez une communauté juive axée sur la justice, si vous cherchez à transformer votre indignation et votre chagrin en action concrète et stratégique : Rejoignez-nous ! ». Ces quelques lignes, qui figurent sur le site web officiel de la section, reflètent parfaitement l’ambiance de la branche de l’Hudson Valley. J’ai croisé ses membres dans le village de Saugerties, à 15 km de Woodstock, le célèbre endroit près duquel habite Bob Dylan et le site du méga concert de rock (qui en fait a eu lieu à 80 km de là). 

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Une affiche devant la librairie du village de Saugerties invite le passant à venir visionner le film documentaire de 2013 Voices Across the Divide, d’Alice Rothchild, une Juive américaine, qui présente des portraits de Palestiniens en exil. Curieux, je me rends dans la salle de projection de la bibliothèque municipale. Une quarantaine de spectateurs, dont une majorité de retraités, quelques rares jeunes. Une poignée de keffiyeh. Le documentaire en question, consacré à des Palestiniens, ou leurs enfants, qui avaient fui ce qui allait devenir l’État d’Israël en 1948, était touchant. On y voit des personnes bien réelles en 2013, qui ont dû emporter quelques valises et attendre chez des cousins ou dans des hôtels en Jordanie. Des réfugiés qui se souviennent de leurs mères qui avaient vendu leurs bijoux pour survivre dans les premiers jours ; des hommes, tout petits alors, qui avaient fui avec leurs parents et qui, à l’époque, avaient trouvé cela amusant, sans rien comprendre. Des enfants élevés en Jordanie, qui sont venus étudier aux États-Unis ou au Canada, pour ensuite y rester et découvrir que personne autour d’eux ne connaissait la Nakba, ni même l’existence d’Arabes palestiniens sauf en tant que terroristes.

Le prisme américain domine leur vision du Moyen-Orient.

Le film d’une heure met en scène ces personnes, leurs souvenirs, leurs photos de famille. Leurs expériences sont touchantes et infiniment tristes. Pourtant, le film présente également un récit des guerres de 1948 et de 1967 qui est tiré directement des documents pédagogiques fournis par les nationalistes palestiniens : « En 1948 les Juifs ne formaient qu’un tiers de la population et ne possédaient que 7% des terres. Le plan de partage de l’ONU leur en offrit 55%, et à la fin de la guerre ils en possédaient 78% ».

Que veut dire l’inclusion de cette séquence ? Que les Juifs auraient dû se contenter de 7%, que 55%, c’était déjà très généreux ? Ensuite, qu’aucun kibbutz n’a été attaqué, qu’il n’y a eu aucune expulsion de colons juifs dans l’autre sens, depuis Hébron et l’Est de Jérusalem ? Pourquoi taire ainsi le fait que plusieurs armées arabes ont attaqué en même temps, contre une armée juive squelettique sous-armée et sans alliés internationaux ? Pourquoi taire le fait que le seul véritable succès arabe a été celui de la Légion Arabe de Jordanie, avec ses éléments britanniques ? Rien n’est faux dans cette séquence historique, mais les omissions sont archi-trompeuses.

Cependant, le documentaire révèle certains points historiques qui méritent toute l’attention du spectateur. D’abord, une absence totale de logique chez les leaders arabes, qui, à certains endroits, voulaient que les villageois arabes restent et se battent, mais en d’autres endroits voulaient que les milices palestiniennes se retirent. In fine, beaucoup de civils palestiniens sont partis pour éviter d’être pris entre deux feux. Par la suite, l’État israélien n’a permis à aucun de ceux qui s’étaient enfuis de de rentrer dans sa demeure. L’explication juridique de cette dure réalité n’est pas faite, le spectateur doit simplement se dire : c’était la loi inique israélienne. Je m’attends à une ébauche d’explication, mais il s’agit là d’un film de souvenirs, et non un documentaire historique.

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Après le film, je participe à discussion entre les spectateurs, animée par le comité directeur au café du coin. Beaucoup de ces spectateurs commencent par un discours similaire : « Je viens d’une famille juive, nous ne nous sommes jamais vraiment préoccupés des Palestiniens, mais maintenant je ressens une vive émotion face à leur sort ». Quand je leur fais remarquer que les Palestiniens filmés étaient pratiquement tous des chrétiens, on me demande, sans aucune agressivité, « Comment le savez-vous? » Je suis donc obligé d’attirer leur attention sur le fait que la majorité des intervenants porte la croix ou célèbre Noël. Bien qu’un petit nombre ne dit ou ne révèle rien sur sa religion, il n’y a pas une seule femme en foulard et à peine deux ou trois prénoms coraniques. Les membres de la branche locale de JVP ne se montrent pas bornés et sont ouverts au questionnement. « Le documentaire est donc biaisé ? Est-ce possible ? » s’interrogent-ils à haute voix. C’est la première fois qu’ils prennent conscience de cette possibilité. Leurs certitudes en sont-elles ébranlées ? Nullement.

Une autre de leurs certitudes : Benjamin Netanyahu est archi-criminel. Je leur fais remarquer que sa coalition gouvernementale comporte de nombreuses personnes qui partagent son avis et que certains font preuve de plus d’intransigeance encore que lui. Que Netanyahu n’a jamais caché son refus d’une solution à deux États. Qu’on pouvait lui reprocher ses turpitudes présumées, mais pas une quelconque imposture idéologique. Ce sur quoi ils semblent acquiescer. Un homme israélo-américain ayant immigré à Saugerties dans son adolescence mais qui a gardé des liens avec Israël se montre le plus ouvert et compréhensif.

J’ajoute que les Israéliens du centre et du centre-gauche ne veulent pas épargner le Hamas, et exigent – tout comme Netanyahu – la restitution des otages sans renoncer à désarmer le Hamas par la force brute. Que le Hamas ne veut pas s’arrêter, continue à tirer sans cesse, et attaque où il peut. Que le Hezbollah, autrement plus puissant que le Hamas, menace de se mêler à cette histoire. Et enfin, que le Hamas a promis de refaire le 7 octobre, et ne reconnait aucune exaction barbare, accusant Tsahal d’avoir tourmenté les civils israéliens fautifs d’avoir laissé le Hamas envahir ! Là, personne ne me contredit.

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Les JVP écoutent toutes mes remarques d’un air poli, souriant, et même réceptif. Ma connaissance journalistique d’Israël et de la situation actuelle leur inspire un certain respect. Mais ils ne peuvent changer d’avis en un quart d’heure. Ils m’expliquent leur passé de militants politiques, et je comprends que, pour eux, les Gazaouis ressemblent aux Vietnamiens qui ont résisté à la puissance américaine, ou aux Irakiens écrasés par l’armée de l’Oncle Sam. Le prisme américain domine leur vision du Moyen-Orient. L’idée que les Israéliens vivent une crise existentielle est éclipsée par leurs sentiments sincères d’Américains déconnectés de la périlleuse réalité. Je me demande si les JVP de Saugerties ont gardé la même vision des choses après l’attaque aérienne iranienne. J’irai peut-être les revoir lors de mon prochain voyage pour voir s’ils ont modifié leur point de vue.

La difficile victoire des mots

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L'écrivain Salman Rushdie photographié le 18 avril 2024. © Andres Kudacki/AP/SIPA

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier Dartigolles a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise !» pourrait être sa devise.


La menace était ancienne. Le 12 août 2022, à Chautauqua (État de New York), quand le couteau transperce Salman Rushdie, la condamnation à mort prononcée par l’ayatollah Khomeini a plus de trente-trois ans. « C’est donc toi, te voilà », pense alors l’auteur des Versets sataniques. En lisant le dernier livre de Rushdie (Le Couteau, Gallimard), vous aurez la description clinique des vingt-sept secondes de cette attaque, de cette « intimité d’étrangers » entre « l’aspirant assassin » et celui dont une part de lui-même continue à murmurer : « Vivre. Vivre. »

Trop de couteaux dans l’actualité

Quand mon libraire de la rue Mathurin-Moreau a sorti le livre de son carton, un jour avant la parution officielle, je n’ai pas vraiment ressenti la jubilation qui accompagne habituellement ce moment si particulier. Je suis un lecteur de Rushdie depuis longtemps. Je n’ai pas terminé Les Versets, mais j’ai dévoré Les Enfants de minuit et, plus récemment, La Cité de la victoire. Alors pourquoi ce soudain manque de plaisir au contact physique du livre ?

Je n’ai pas su répondre à cette question lors des premières minutes de ma promenade dans les allées des Buttes-Chaumont. Tout y était pourtant propice à la réflexion, pour faire une pause enchantée et savourer le retour de Rushdie en littérature. J’ai alors saisi l’origine de mon trouble. Trop de couteaux dans l’actualité ces dernières années et plus encore ces dernières semaines. « Les mots sont les seuls vainqueurs », comme le proclame l’écrivain ? Je commence sérieusement à en douter. D’autant que nous commençons à les perdre quand des plumes chastes n’arrivent pas à écrire « islamisme » pour ne pas stigmatiser l’islam, et quand d’autres répondent à la terreur par l’ignorance dont la haine se nourrit. Si la distinction entre les deux continuait de s’amenuiser, ce serait une victoire idéologique pour les islamistes.

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Alors que faire ?

Rushdie écrit sur le bonheur de son amour pour Rachel Eliza Griffiths. Le premier sourire dans le salon vert. « J’ai toujours voulu écrire sur le bonheur, en grande partie parce que c’est extrêmement difficile. “Le bonheur écrit à l’encre blanche sur des pages blanches.” (Henry de Montherlant) » C’est infiniment beau, tout comme l’hommage de l’écrivain aux soignants qui l’ont sauvé, mais rien n’y fait. Au fil des pages et jusqu’au dernier paragraphe, mon imaginaire est resté en panne, lesté par les corps lourds et douloureux des dernières victimes du fanatisme. 

Face au couteau, « les mots sont les seuls vainqueurs » ? Quand les plus jeunes ont très peu de mots, ils s’expriment par d’autres moyens et notamment par des actes violents. De plus en plus violents. C’est un constat. C’est une faillite. Nous n’avons en rien besoin d’une nouvelle « consultation » pour un « diagnostic partagé », mais d’une action résolue : agir en amont (éducation/ prévention/ accompagnement) et fermement, dès les premiers délits, avec des réponses judiciaires aussi rapides qu’effectives.

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Insécurité: une France à l’abandon

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Xose Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Dans le XVe arrondissement de Paris, un homme de 62 ans a été roué de coups par quatre mineurs venus de Seine-Saint-Denis dont il tentait d’empêcher l’intrusion dans son immeuble mercredi matin.


Rien n’est facile et on ne me trouvera jamais aux côtés de ceux qui, vindicatifs et adeptes du « il faut qu’on… on n’a qu’à… », considèrent qu’il suffit de vouloir pour pouvoir et que notre démocratie est le régime rêvé pour tout réussir en temps de crise. Cela étant dit, comment ne pas être effaré par l’état de la France au quotidien, avec les multiples exemples qui nous sont donnés du délitement et de la faiblesse de notre nation, dans l’exercice du pouvoir, le rôle des institutions et le courage des directions ? Il y a une France officielle qui, à tous niveaux, va à vau-l’eau et n’est plus tenue. Comme si une lâcheté générale avait remplacé l’envie de résister. Comme si le « à quoi bon » avait remplacé l’optimisme de l’action.

Un pays à feu et à sang

Avec la criminalité, la délinquance, la violence décuplée des mineurs et la législation absurde qui les concerne depuis le mois de septembre 2021, la diffusion du délire de minorités incultes et fanatisées dans les instituts de sciences politiques et les universités – la détestation d’Israël étant prioritaire -, l’impression que jour après jour la bonne volonté du gouvernement est ridiculisée par le réel des transgressions, des subversions qui ont pour particularité de nuire en totale liberté et impunité. Avec le sentiment d’une France à l’abandon, avec des services publics qui ne paraissent pas nous rendre ce que nos impôts leur donnent, une morosité démocratique oscillant entre polémiques de mauvais aloi et parole présidentielle confondant impartialité et esprit partisan, des ministres cultivant une politique d’annonces et de projets quand ils auraient eu largement le temps, en amont, d’en faire des réalités, avec l’obsession de montrer du doigt le RN plutôt que de désigner la lune et la catastrophe globale qu’elle porte.

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Avec une nostalgie délétère qui loin de préparer au futur englue dans un passé qui ne nous aide pas parce que nous n’avons plus de caractères à sa hauteur, une frénésie de commémorations qui masque notre inaptitude à trouver des motifs pour nous réjouir du présent, une République dont le nom est d’autant plus ressassé qu’elle sert d’ultime argument quand on ne sait plus quoi dire, une liberté d’expression qu’on répugne à accepter pleine et entière et que des totalitaires confisquent à leur seul profit, la dénaturation de valeurs et de principes qui permettaient, à peu près respectés, de coexister et qui, moqués ou répudiés, rendent notre pays à feu et à sang.

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Et les élections européennes, le 9 juin, autoriseront, en détournant leur objet, une protestation frustrée de n’avoir pu correctement se traduire sur le mode parlementaire.

Un courage qui force le respect

Face à ce délabrement, à cette lâcheté générale, à cette chape toute de mélancolie stérile : des courages singuliers, des énergies combatives, des révoltes anonymes, des sursauts venant combler les béances d’un État dépassé mais regardant pourtant passer la vraie France, ses violences, ses fureurs, ses cruautés, comme s’il n’y pouvait rien. J’ai été très frappé par l’exemple de cet homme âgé qui le 1er mai, vers 10 heures 30, rue Théophraste Renaudot dans le 15e arrondissement à Paris, a hurlé parce que des voyous, dont quelques mineurs, s’apprêtaient à forcer la porte de l’immeuble. Il a été roué de coups. C’est ce que j’ai nommé « courage singulier ». Face aux barbares, à ce qui décivilise et ensauvage, c’est une politique du désespoir.
Il y en a qui ne se résignent pas. Qui s’opposent à la lâcheté générale. Exemple trop modeste pour être suivi, je le crains. En tout cas, respect.

André Chaix, maquisard

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Hervé Le Tellier, écrivain français © Francesca Mantovani

Rien ne liait le résistant André Chaix à l’auteur à succès Hervé Le Tellier. Jusqu’à ce que ce dernier fasse fortune grâce au best-seller L’Anomalie et déménage dans la Drôme.


Hervé Le Tellier avait créé la surprise en obtenant le prix Goncourt 2020 – année ô combien étrange – pour L’Anomalie (Gallimard). Les lecteurs en avaient fait un phénomène éditorial puisque les ventes s’envolèrent jusqu’à atteindre le chiffre d’un million et demi d’exemplaires, de quoi acheter une maison en province, le rêve du Parisien mal remis d’un confinement arbitraire de deux mois. Hervé Le Tellier a trouvé la sienne dans la Drôme provençale, entre Montjoux et Dieulefit. C’est en rénovant la vieille bâtisse de deux étages, un ancien relais de poste, qu’il découvre, derrière une plaque de céramique vernissée, un nom et un prénom gravés à la pointe en lettres majuscules : ANDRÉ CHAIX.

Enragés volontaires

L’écrivain, intrigué, va mener son enquête pour connaitre la vie de cet homme dont le destin vient de lui faire un signe. Hervé Le Tellier nous propose, non pas un roman, mais un récit circonstancié, émaillé de réflexions personnelles, sur une période sombre de notre histoire, qui n’en finit pas d’enflammer les débats contemporains, la France de Vichy (1940-1944). Chaix figure sur le monument aux morts du village ; c’est bien de s’arrêter pour lire les noms, le devoir de mémoire est essentiel, surtout quand on s’aperçoit que le garçon est mort à l’âge de vingt ans, deux mois, et trente jours.

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Le Tellier, membre de l’Oulipo et admirateur de Perec, délaisse les jeux lexicaux pour reconstituer le parcours du jeune homme foudroyé. On apprend très vite qu’il s’agit d’un maquisard, fils du boulanger de Montjoux, tué par les Allemands en août 1944. Il avait une fiancée, Simone Reynier. Durant ses recherches, il tombe sur une boîte en carton qui recèle des fragments de la vie d’André. Il y a, notamment, une photo où le jeune résistant est avec son frère. Il sourit au photographe. Le Tellier va tomber sur une autre photo où André est avec son cousin et son frère. C’est pendant une perm, parce que les maquisards avaient droit à des perms, apprend-on. André sourit encore. Il croit en l’avenir. Mais comme dans le livre de Malraux, L’Espoir, c’est la mort qui attend ces enragés volontaires.

Il y a de très belles pages, émouvantes et épiques, dans le récit d’Hervé Le Tellier, intitulé Le nom sur le mur. Il raconte le quotidien des résistants qui ont faim, froid et peur. Ils sont désorganisés, leurs armes sont dérisoires, mais leur courage est immense ; insensé, pourrait-on écrire. André a pris comme pseudonyme Olivier, « un prénom et un nom d’arbre qui ne pousse pas en Allemagne ». Il a intégré le maquis dirigé par « Yves Morvan » pseudonyme de Félix Germain, un sacré gaillard à la forte personnalité. Le contexte politique, particulièrement embrouillé, n’est pas exclu du récit, au contraire. Le Tellier n’hésite pas à décrire ces Français qui se gobergent à Paris pendant que les jeunes patriotes se font occire. Et puis arrive le jour funeste. Le face à face est inégal. Les blindés de la 11e Panzerdivision « accrochent » une colonne de maquisards du maquis « Morvan ». Chaix et cinq de ses compagnons sont tués. Le Tellier nous apprend que sur les réseaux sociaux des nostalgiques de l’Elfte continue de la glorifier. C’était un sale temps où il fallait se méfier de tout le monde. C’est un des placards de notre histoire qu’il convient d’ouvrir. Ça pue, certes, mais c’est salutaire.
À la fin du livre, Le Tellier confie : « Je ne sais pas qui a écrit ANDRÉ CHAIX sur le mur, et aucune des personnes que j’ai pu interroger non plus. » L’important était de savoir qui il est. C’est désormais chose faite.


Hervé le Tellier, Le nom sur le mur, Gallimard.

Le nom sur le mur

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La Justice des délicats

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D.R

Épidémie de « micro-agressions » lors des stages des étudiants de l’École Nationale de la Magistrature.  


Scandale à l’École nationale de la magistrature. À l’appui d’un questionnaire anonyme distribué à l’ensemble des étudiants et auquel ont répondu plus de la moitié d’entre eux, le très à gauche Syndicat de la magistrature (SM) dénonce d’inquiétants « comportements humiliants ou dégradants » lors des stages probatoires que chaque élève doit effectuer dans un tribunal, révèle Le Monde. Qu’on se rassure toutefois : seule une poignée de cas méritent d’être signalés à la police. Mais derrière les faits graves, il convient aussi de déplorer les innombrables micro-agressions du quotidien. Pensez, quantité d’étudiants se plaignent d’avoir été « évalués » par les magistrats qui les ont surveillés durant leurs quarante semaines d’immersion sur le terrain. Certains ont même eu l’impression d’avoir été « rabaissés », d’autres relatent carrément « un sentiment de solitude ». Pire, 62 % déclarent « avoir pleuré ». Glaçant, n’est-ce pas ?

A lire aussi, Philippe Bilger: Étudiants magistrats: une culture précoce de la plainte…

Trêve de plaisanterie. Des jeunes gens, certes brillants mais sans doute un peu trop protégés des réalités de la vie, ont donc découvert que la justice est un métier difficile, qu’elle s’accomplit dans des conditions matérielles compliquées, et parfois même en compagnie de collègues peu sympathiques. Allez savoir, peut-être que certains des « comportements humiliants et dégradants » recensés dans l’enquête sont imputables à des membres du SM, deuxième syndicat de la profession…

En tout cas, pour Kim Reuflet, sa présidente, pas question de se demander si les stagiaires ne méritent pas de temps en temps d’être un peu rudoyés. Au contraire, dit-elle, il faut que cesse la « complaisance » envers le discours d’un autre temps selon lequel « on est tous passés par là, ça fait partie du package, on n’en est pas morts ».

Bref, il est temps que l’hypersensibilité soit érigée en valeur cardinale dans l’administration judiciaire. Les tribunaux français ne donnent pourtant pas l’impression d’être peuplés de magistrats impitoyables et hautains. Il suffit de voir le nombre de décisions clémentes qui y sont rendues chaque jour. La prochaine génération de juges sera-t-elle encore plus laxiste ? Parions plutôt que, l’expérience venant, elle se permettra de se montrer à son tour sévère, mais juste, avec les stagiaires.

Alphabet woke: non-acquis!

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La Faculte des Sciences et Technologies, Nancy, 2008 © POL EMILE/SIPA

À l’Université de Lorraine, ironiser à propos de l’alphabet LGBT entraîne une procédure disciplinaire. Et la cellule Égalité, Diversité et Inclusion de l’établissement a installé des « safe boxes » où glisser les dénonciations en cas de blasphème diversitaire. Pourtant, Massimo Nespolo, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences et Technologies, n’a pas renoncé à jouer les trublions.


« Un corps étudiant plutôt à gauche, qui suit les cours d’un corps enseignant très à gauche, et qui est encadré par un corps administratif démesurément à gauche ». Voici le tableau du milieu universitaire américain que dressait en 2018, dans le New York Times, Samuel Abrams, politologue et chercheur à l’AEI (American Enterprise Institute). En 2023 ? C’est pire. 77% des profs à Harvard se disent à gauche (dont 32% très à gauche), 20% centristes, 2,5% conservateurs et 0,4% très conservateurs[1].

Au Royaume-Uni, le politologue Eric Kaufmann vient de fonder le Centre de Science Sociale Hétérodoxe (Center for Heterodox Social Science, Université de Buckingham) où seront explorés les sujets tabous. Il est convaincu que la pire des menaces n’est pas la cancel culture mais l’auto-censure due à l’homogénéité politique. Dans les universités les plus prestigieuses du Royaume-Uni, d’Australie, ou d’Amérique du Nord, parmi les chercheurs en sciences sociales qui se disent conservateurs, trois sur quatre avouent s’auto-censurer, rappelait-il lors du lancement du nouveau centre fin février. Dans toute l’anglosphère, la liberté académique pâtit de ce défaut de pluralisme.

Et la France n’y coupe pas. Chez nous aussi, le conformisme asphyxie le débat au sein d’une éducation supérieure majoritairement woke. Saluons, en passant, le travail de L’Observatoire des Idéologies Identitaires, collectif d’une centaine d’universitaires qui s’opposent à la déconstruction des savoirs et l’intrusion du militantisme woke à l’université.

Des commentaires non conformes signalés à Nancy

L’Université de Lorraine (UL), gigantesque pôle académique à l’Est du pays, fruit de la fusion de quatre facs, est devenue ces derniers temps l’un de ces temples du wokisme. Mais Massimo Nespolo, 59 ans, né à Sienne, chercheur et professeur à la Faculté des Sciences et Technologies, ne peut s’empêcher de jouer les mouches du coche. Il a, notamment, eu l’outrecuidance de s’exprimer librement sur une plateforme interne intitulée Expression Libre. Ses commentaires, non-conformes, ont choqué certains de ses collègues au point de déclencher une procédure disciplinaire qui s’apparente à un procès pour délit d’opinion[2].

Expression Libre est un fil de discussion où les enseignants échangent petites annonces et commentaires de l’actualité. Ce jour-là, 11 juillet 2023, les messages vont bon train à propos de l’arrestation de Youssouf Traoré en marge d’une manifestation contre les violences policières en mémoire d’Adama Traoré. Les collègues de Nespolo condamnent unanimement la police française qui « passe à tabac », « casse des nez », « étouffe », « brutalise », « La routine, quoi ! »

Massimo Nespolo est alors au Japon ; il enseigne, tous les étés, à Tsukuba, sorte de capitale des sciences nipponne où il passa sa jeunesse de postdoctorant. Depuis l’autre bout du monde, donc, Nespolo consulte la liste Expression Libre. Les réflexes anti-flics de ses collègues l’irritent. Il pique un coup de sang. Un quart d’heure avant d’aller en cours, il poste, sur la plateforme, un brûlot à propos de la gauche qui a « abandonné son ADN » et ne défend plus que :
« – les voyous, multirécidivistes de préférence ;
– les migrants ;
– les lobbies LGBTQIAxyz:-x etc, avec leurs dérives pédophiles (« les lectures pour enfants » des « Drag Queens » et d’autres obscénités) ;
– toute la racaille qui s’en prend aux institutions, en particulier les forces de l’ordre ;
– et j’oublie sans doute bien d’autres aménités.
Que des marginaux puissent suivre une telle déliquescence, rien de surprenant. Mais que des collègues universitaires s’y plient aussi, ça n’a aucune explication ».

Nespolo y va franco. Les collègues « signalent » son message à la direction de l’université ainsi qu’aux autorités judiciaires via la Plateforme d’Harmonisation, d’Analyse, de Recoupement et d’Orientation des Signalements – la bien nommée PHAROS, phare de la pensée surveillée…

A lire aussi: Comment? «Quelques jours pas plus» est un bide et «Transmania» un succès?

Sur la liste d’échanges Expression Libre, les commentaires redoublent. Nespolo découvre que sa diatribe est qualifiée d’« homo/transphobe ». « Abject », « ligne rouge », « clichés nauséabonds »… les accusations pleuvent, on exige des sanctions. « Ce type de sous-entendu ne pourrait-il pas motiver du disciplinaire et/ou du pénal ? » écrit un collègue, en toute confraternité. Ou encore : « très investie et attachée à travailler sur les luttes contre les discriminations, je ne peux pas lire ces mots sans réagir. Je souhaite que nous soyons protégé.es de tels propos qui ne peuvent pas être diffusés impunément ». C’est en écriture inclusive qu’on demande l’exclusion. « Personnellement, si j’exerçais dans le même champ de recherche que Massimo Nespolo, j’accueillerais ses annonces de résultat avec beaucoup de prudence ». Celui qui questionne la vulgate woke ne peut être tout à fait intègre…

Il faut écarter le collègue toxique. Onze heures plus tard, c’est chose faite : « Chères et chers collègues, vous avez été nombreux à signaler le message adressé par Mr Nespolo à 1h47 ce jour. La présidence a décidé d’interdire à Mr Nespolo l’accès à la liste « expression libre » à effet immédiat », notifie la direction des Affaires Juridiques. Et la présidente de l’université de Lorraine saisit la section disciplinaire qui évoquera, entre autres motifs du blâme bientôt infligé à Nespolo[3], sa malveillance du fait que « figure au sein de son message non pas l’acronyme LGBTQIA+ mais « LGBTQIAxyz:-x etc » ».

Pour sa défense, Nespolo précise qu’il ne porte aucun jugement négatif sur les individus LGBT ; ce sont plutôt les dérives des lobbies LGBT qu’il condamne. Il maintient par ailleurs sa critique des lectures pour enfants organisées par des drag queens, activités qu’il juge obscènes. « Donc, sur le fil Expression Libre, me dit-il encore, on peut insulter les forces de l’ordre mais on ne peut pas dire que les lobbies LGBT défendent l’indéfendable lorsqu’ils cautionnent les ateliers Drag Queens pour enfants. Le deux poids deux mesures me semble plus que flagrant ». Regrette-t-il d’avoir posté ce message somme toute un peu corsé ? « Si j’avais eu le temps (j’entrais en cours un quart d’heure plus tard) j’aurais élaboré un peu plus la phrase ! Mais regretter, bien sûr que non ! Si je n’avais pas réagi, personne ne l’aurait fait. J’ai remis les gauchistes à leur place ».

Un procès politique

Parmi les auditions lors du conseil disciplinaire, figure la déposition d’une co-secrétaire du syndicat CGT FERC SUP (Fédération de l’Éducation, de la Recherche et de la Culture – Enseignement Supérieur) : « Pour nous, lutter contre les idées de l’extrême droite, car on pense qu’on est dans ce cadre-là pour ce dossier, c’est prendre la mesure de son poids, de ses idéologies […] La mention du – à la place du + à la suite de LGBTQIA est un signe d’autant plus choquant ».

Procès politique ? « Ils ont saisi l’occasion », estime Nespolo, dans le collimateur depuis qu’il est secrétaire départemental de Debout La France. Il n’est pas du bon bord politique. Certes il est étranger et le wokisme sanctifie la figure de l’Autre. Mais il y a l’Autre et l’Autre. Un Italien vivant en France et marié à une Japonaise, ça n’est pas la bonne diversité… surtout s’il est de droite.

Nespolo veut faire appel de son blâme. Il ira jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme s’il le faut. « On ne peut être condamné simplement sur le ressenti d’un certain nombre de personnes qui se disent choquées, insiste-t-il. Il n’y a rien de factuel dans ce jugement ». Le plus glaçant dans cette affaire, est peut-être la gravité dans le ton des « signalements ». C’est presque pire que si c’était un faux procès cynique pour mauvaises pensées au service d’un régime autoritaire. On a le sentiment que les délateurs y croient dur comme fer. Les cerveaux semblent reprogrammés à la doxa diversitaire.

Ces procédures picrocholines sont diligentées au sein d’une université, entre gens qu’on croirait plus occupés à résoudre des équations. Nespolo est une tête. Son domaine de recherche ? « L’application de l’algèbre à des structures cristallines », m’a-t-il répondu. Et je l’ai cru sur parole… Son CV est infini, la liste de ses publications et conférences, comme celle de ses participations aux sociétés savantes en impose. Comment comprendre qu’on s’en prenne à un prof en poste dans la même fac depuis 21 ans, qu’on engage des chicanes pendant des mois, en vertu de cette espèce de culture de l’offense qui nous vient d’Amérique ?

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Les conséquences du blâme ? « Ça peut peser sur la progression de carrière. Sachant que je suis déjà prof en classe exceptionnelle, il ne me manque qu’un échelon. Du point de vue du prestige, ça ne change rien. Ça change un peu pour le salaire, mais c’est pas ça qui compte ». Nespolo n’est pas une victime, c’est juste une sorte de dinosaure décidé à ne pas se laisser dicter ses pensées. Les universitaires qui vénèrent la culture du désaccord se font rare.

Seuls trois chercheurs sont intervenus en faveur de Mr Nespolo dans le fil de discussion. Par ailleurs, pour sa défense, Massimo Nespolo a produit les messages de soutien qui lui ont été envoyés personnellement par des collègues scandalisés qu’il soit exclu de la plateforme Expression Libre. Tous contestent les accusations de racisme et autres phobies portées contre lui. Certains le connaissent et témoignent de son innocence. D’autres ne le connaissent pas personnellement mais réprouvent l’esprit de censure qui gagne.

Ces messages lui ont donc été envoyés directement sur sa boîte mail. Ils sont au nombre de seize. Treize parmi leurs signataires ont demandé à ce que leur nom n’apparaisse pas dans le dossier de défense. C’est dire le climat. Un exemple ? « Je suis malheureusement contraint de rester silencieux car je sais ces gens capables de mettre fin à mon début de carrière purement et simplement », écrit l’un des anonymes à Nespolo. On touche du doigt ce « totalitarisme d’atmosphère » évoqué par la sociologue Nathalie Heinich dans son essai Le wokisme serait-il un totalitarisme ? ou par Mathieu Bock-Côté dans Le totalitarisme sans le goulag.

Ça n’est plus un secret : le totem woke EDI (Égalité Diversité Inclusion) est un exemple chimiquement pur de double langage. L’égalité d’opportunités est jetée aux orties au profit d’une utopique égalité de résultat. La diversité s’applique aux couleurs de peau ou orientations sexuelles mais la diversité d’opinion est hors-jeu. Quant à l’inclusion, elle consiste à exclure les hérétiques, sous prétexte de protéger les minorités. Et à l’Université de Lorraine, la cellule EDI porte beau. À la veille de Noël, et « dans un effort significatif pour promouvoir un campus inclusif et sûr », elle annonçait l’installation de trois « Safe Boxes ». « Ces boîtes sont destinées à recueillir des témoignages, anonymes ou non, concernant les violences sexistes, sexuelles et les discriminations. […] cette initiative souligne l’importance du « bien vivre ensemble » sur le campus. Il ne s’agit pas seulement d’éradiquer les violences et les discriminations, mais de cultiver une culture d’entraide, de compréhension mutuelle et d’acceptation des différences », est-il précisé sur le site de l’université. « Expression libre », « compréhension mutuelle », « acceptation des différences »… autant de motifs d’inquiétude… La délation a de l’avenir.

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[1] Sondage réalisé par le journal étudiant Harvard Crimson en 2023.

[2] Nous avons contacté les autorités de l’Université de Lorraine pour recueillir leur point de vue à propos de la procédure engagée à l’encontre de Massimo Nespolo. Voici la réponse de Clotilde Boulanger, vice-présidente politique doctorale : « Suite à votre sollicitation, je me permets de vous donner la position de mon université. L’établissement ne commente pas les affaires en cours, l’affaire que vous citez n’étant pas terminée. Par conséquent nous ne répondrons pas au questionnaire. Bien à vous ».

[3] Jugement rendu le 5 décembre 2023

Le Japon, pays sans voleurs de bicyclettes

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DR

Notre chroniqueur, enthousiasmé par l’ordre qui règne dans l’archipel nippon, en arrive à recommander l’adoption par la France de pratiques qui règlent effectivement la plus grande part de la délinquance ordinaire, y compris celle des mineurs, mais choquent évidemment notre sens inné de la justice et du respect des droits des criminels, auxquels nos magistrats sont si attachés…


Sans doute vous rappelez-vous le fameux film de Vittorio de Sica (1948), chef d’œuvre du cinéma néo-réaliste, où un pauvre prolo italien se fait voler la bicyclette qui lui aurait permis de se rendre sur son lieu de travail, et finit par tenter d’en voler une autre.
Rien de ça au Japon. Les bicyclettes (nombreuses, et généralement non électriques, le Japonais pédale pour de bon) sont rarement attachées, parce qu’elles ne sont pas volées. Il n’y a pour ainsi dire pas, même dans une ville gigantesque comme Tokyo, de délinquance ordinaire, celle qui fait rager le Français tous les jours. Pas de revendeurs de cigarettes à la sauvette, pas de vol à l’arraché, pas même de fraude dans le métro — où aucun portillon ne vous empêcherait de passer.
Plusieurs raisons à cet état de fait.

Un pays où l’on respecte les règles

D’abord, le Japonais est éduqué. Il respecte les consignes, ne se vautre pas sur les banquettes réservées aux infirmes et aux femmes enceintes, n’écoute pas de la musique à fond en public, ne fume même pas en marchant — il y a des espaces clos, dans la rue, pour fumeurs, et même pour fumeurs de cigarettes électroniques. Du coup, pas un mégot par terre, pas un chewing-gum — et personne ne s’aviserait de cracher dans la rue.

À l’école, j’ai eu l’occasion d’en parler l’année dernière, il est en uniforme, ne sort pas intempestivement son portable qui reste au fond de son sac, il respecte ses maîtres et objectivement, il a l’air très heureux de ces contraintes.
Ensuite, il y a la Loi…

A lire aussi, du même auteur: Amal, un esprit libre — et mort

Tout délinquant arrêté en infraction est passible, dans un premier temps, d’une garde à vue de 23 jours, pendant lesquels vous n’avez pas le droit de passer un coup de fil (la police s’en charge), on vous nourrit de trois bols de riz par vingt-quatre heures, vous dormez sur une natte, et vous ne pouvez recevoir de visite qu’une fois par semaine, en présence de la police, et à condition de parler japonais — ce qui handicapa considérablement Carlos Ghosn, dont l’épouse n’articulait pas un mot.
Cette garde à vue peut être rallongée quasi indéfiniment, car les motifs d’inculpation sont découpés en tranches fines, et chaque nouvelle charge remet 20 jours dans le compteur.
De surcroît, pendant cette garde à vue où on vous incarcère dans des Daiyō kangoku, centres de détention gérés par la police, vous êtes interrogé, et souvent d’une manière assez brutale, 12 heures par jour. Les flics nippons ont à la main soit de courtes matraques, soit de grands bâtons du type boken — avec l’entraînement adéquat. Amnesty International, qui trouve tant à redire à la façon dont on traite en France les étudiants qui soutiennent le Hamas, a protesté maintes fois sans que cela émeuve qui que ce soit dans l’archipel.
Au bout de cette garde à vue, qui de fait peut durer des mois, la seule façon de vous en sortir est d’avouer. On a appelé cela la « justice de l’otage ». Sûr que tout le monde n’a pas les moyens de s’enfuir dans une sacoche rigide de contrebasse…

Les sauvageons savent à quoi s’en tenir

Quand il s’agit de mineurs (de 14 à 20 ans), la garde à vue ne peut être que de 3 jours, éventuellement prolongés de 10 — avec traitement approprié. Puis le jeune est expédié dans un kanbetsusho, centre de rétention où il subit pendant un mois divers tests visant à cerner sa personnalité. À l’issue de cette période d’un confort très relatif (lever à l’aurore, marche au pas, obéissance et silence absolus), le juge aux affaires familiales prend la mesure qui lui paraît la plus appropriée : période de probation à domicile avec convocation pour un entretien de contrôle une fois par mois, envoi dans un centre de vie en collectivité très encadrée type internat, envoi en maison de correction (shônen in), cadre plus rigoureux, plus proche d’une prison.
Et là, écoutez bien : dans tous les cas, la durée n’est pas fixée à l’avance car il ne s’agit pas de sanctions mais de mesures éducatives. Tout dépend de l’évolution constatée du jeune. La mesure se termine quand on considère que le jeune s’est suffisamment amendé.
Ils sont pleins d’humour, ces Japonais…
Alors forcément, ça calme.

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Une source d’inspiration pour nous Français ?

La Justice française répugnera sans doute à s’inspirer de pratiques étrangères, aussi efficaces soient-elles. Faisons donc une suggestion.
Chaque jour on entend parler de multirécidivistes. Et pourquoi ne le seraient-ils pas, les juges devant lesquels ils passent les condamnant en gros à des stages poney ? Les deux énergumènes qui ont cassé la figure à deux couples (plus un passant qui s’était porté à leur secours) à Nice il y a quelques jours ont été libérés par la police.
Pourquoi ne pas instaurer un système de points, comme pour le permis ? Quand tu as épuisé ton quota, on s’en prend directement à la prime de rentrée scolaire ou aux aides sociales. Il s’agirait de déléguer réellement aux parents, dont c’est le boulot, la surveillance et la répression de leur petite canaille… Nous connaissons tous des multirécidivistes routiers que la perspective de perdre les deux derniers points assagit soudain. Frapper au portefeuille est aussi efficace, et moins voyant, que les torgnoles policières, qui de fait sont interdites depuis des années.

Nous connaissons bien sûr des malfrats qui roulent sans permis ni assurance. Ma foi, dans ce cas, la police japonaise, qui est très inspirée des pratiques américaines, n’hésite pas à tirer. Et les juges — et l’opinion publique — lui donnent raison.
Mais c’est une hypothèse d’école : cela ne se produit pas, dans l’archipel nippon.

Bardella/Hayer: qui a remporté le débat?

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Jordan Bardella et Valérie Hayer, BFMTV, 2 mar 2024. Capture d'écran.

Si les grosses ficelles politiciennes et les éléments de langage agressifs de la candidate Renaissance Valérie Hayer étaient bien trop visibles au début du débat de BFMTV, hier soir, elle a ensuite marqué quelques points face à un Jordan Bardella jusqu’alors présenté comme le « candidat de l’esquive »1 de cette campagne électorale.


Il faut le reconnaitre, certains débats ont tout du pensum et quand on est journaliste politique, on se demande parfois comment font les citoyens ordinaires pour tenir aussi longtemps devant leur écran, alors qu’ils n’y sont pas obligés. Je dois le reconnaitre, j’ai trouvé la première heure de cette rencontre opposant les deux « favoris » de l’élection européenne à mourir d’ennui. Valérie Hayer n’a rien d’une politique et elle s’avère incapable de donner un quelconque sens à son action. Pourtant, tout le monde reconnait que la candidate Renaissance a été présente au parlement européen et s’y est investie au cours de son mandat. Mais de cela les Français se moquent ! Ils ont compris que le vrai pouvoir était entre les mains de la Commission et n’accordent que peu de crédit au parlement. Les élections européennes sont donc devenues une façon de dire son fait au pouvoir en l’absence de rendez-vous électoraux majeurs. Et ce débat ne risquait pas de changer la donne. Si Jordan Bardella, bien plus à l’aise que Valérie Hayer, déroulait bien ses thèmes et gérait de façon professionnelle la situation face à une candidate au début peu consistante, le moins que l’on puisse dire est qu’il ne forçait pas non plus son talent.

Des enjeux différents

Il faut dire que les enjeux n’étaient pas les mêmes pour les deux protagonistes.

Jordan Bardella. DR.

L’une devait exister et sortir de l’indifférence ou du profond ennui qu’elle inspire. Il est impératif pour elle de garder sa place de seconde et de ne pas se faire doubler sur sa gauche par Raphaël Glucksmann. Elle n’avait donc rien à perdre à la confrontation. Partant de très bas en termes de notoriété, simplement résister au rouleau compresseur Jordan Bardella serait déjà vu comme positif. Elle avait donc tout à gagner si elle parvenait à exister ne serait-ce qu’un peu.

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Lui ne devait pas freiner une bonne dynamique qui, à un peu plus d’un mois de l’échéance électorale, peut difficilement être inversée sauf accident industriel lourd. Il devait gérer à la fois la normalisation, afin de rendre le procès en extrême-droite instruit par ses adversaires inaudible, faire profil bas, et garder son calme pour rester concentré sur les enjeux intéressant vraiment les Français.

Un début difficile pour Valérie Hayer

Le début du débat a été catastrophique pour Valérie Hayer. Elle n’est pas faite pour ça et correspond à tout ce que les Français n’aiment guère : trop techno, maladroitement agressive, sans pertinence, peu concrète. L’épisode où l’animateur Benjamin Duhamel demande à l’un et à l’autre d’évoquer les qualités et défauts de leur adversaire est particulièrement symptomatique : Valérie Hayer sombre dans l’attaque personnelle, alors que l’on ne sent pas chez elle une agressivité naturelle. De ce fait la séquence apparait surjouée, mal maitrisée, inutilement brutale et fait cadeau à Jordan Bardella – plus posé et objectif – d’une forme de retenue et d’élégance… Cette erreur de positionnement donne l’impression d’une candidate macroniste factice, la façade Potemkine d’un pouvoir en place aux abois. Une impression que la candidate Renaissance donnera à plusieurs reprises au début du débat. Elle cherche alors ses mots, fuit le regard de son adversaire et ne parait ni vraiment être là, ni habiter sa parole. Pire même : si les deux candidats manient évidemment des éléments de langage préparés, ceux de Valérie Hayer sont déballés à la hâte et sans finesse. Ainsi dans cette première partie du débat, elle va tenter la victimisation en mode : « Cela vous dérange tant que cela de laisser parler une femme ? » Et va le faire à plusieurs reprises. Sauf que cela ne passe pas, sent la grosse ficelle, et que l’échec de la manœuvre sera complet lorsqu’elle va à son tour couper le discours de Jordan Bardella et que celui-ci va lui demander si c’est par sexisme aussi qu’elle lui refuse la parole !

Changeant de stratégie, après avoir échoué à présenter Jordan Bardella en macho viriliste patriarcal, Mme Hayer tente à nouveau de réactiver la diabolisation de l’adversaire en élargissant le procès au RN et à son fondateur, Jean-Marie Le Pen. « Neuf minutes de débat et vous appelez déjà Jean-Marie Le Pen au secours ? » lui lancera alors, goguenard, Jordan Bardella. Au vu de l’ennui intense de la soirée, tout le monde est allé vérifier : cela faisait en réalité plus de 20 minutes que les deux candidats échangeaient. Autres tentatives de déstabilisation, ressortir des phrases prononcées par Marine Le Pen il y a 10 ans, ou répéter en boucle « je ne suis pas candidate au poste de Premier ministre ou de président de la République ». Tout cela tombe à plat, tant l’utilisation de ces arguments arrive souvent mal-à-propos et cache mal les faiblesses oratoires de la candidate.

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Valérie Hayer va faire dans cette première partie du débat un autre cadeau énorme à Jordan Bardella, en faisant du lien qu’il fait entre immigration et délinquance l’occasion d’une énième leçon de morale et d’un procès en essentialisation. Hélas, les chiffres que brandit alors le président de RN sont implacables et l’accusation de cliver le pays fait « pschitt » quand celui-ci lui demande si elle croit vraiment que c’est le RN qui est responsable de l’ensauvagement et de la montée de la violence en France.

Un Jordan Bardella qui ne force pas son talent

Pendant ce temps, Jordan Bardella prend garde à ne pas paraitre agressif et déroule avec efficacité ses thèmes : énergie, immigration, sécurité, en veillant toujours à parler par-dessus l’épaule de la candidate, s’adressant aux Français quand son adversaire, elle, se laisse aveugler par le duel et se focalise sur lui. Mais, cette faiblesse de Valérie Hayer va finir par lui servir. Et elle commence tellement mal son débat que les progrès qu’elle réalise ensuite deviennent notables. Le seul fait de tenir bon devient une preuve de résistance et une forme de courage, et puis, dans la deuxième partie du débat, la tête de liste de Renaissance va enfin se montrer un peu plus incisive et pertinente. Elle réussit notamment une séquence intéressante en confrontant Jordan Bardella à ses soutiens européens et en citant les déclarations de ces alliés. Lesquelles ne sont pas à piquer des hannetons. Là, on sent Jordan Bardella touché. Certes il se défend efficacement et marque des points en faisant remarquer à Valérie Hayer qu’elle-même, dans le cadre d’accords politiques, a soutenu la candidature à un poste européen d’une femme ouvertement anti-avortement – il en profite au passage pour déclarer qu’il est pour l’IVG. Il n’en reste pas moins que Jordan Bardella ne prend pas si clairement ses distances avec des déclarations bien gênantes sur d’autres points (sexisme, homophobie…) de ses amis. Dans cette séquence, Valérie Hayer est pertinente car elle croit profondément à ce qu’elle dit, mais surtout parce qu’elle fait là de la morale et pas de la politique. Elle est donc en phase avec elle-même et sa parole porte.

Une autre séquence l’avait l’illustré un peu avant, concernant la guerre en Ukraine. Valérie Hayer apparait très à l’aise aussi, tant que l’on reste dans le registre théorique, celui de la morale, quand on ne se réfère qu’au monde tel qu’il devrait être. Mais tout cela vole en éclats quand le politique revient. Elle offre alors une bonne séquence de positionnement régalien à Jordan Bardella qui la reprend à la volée : « La guerre c’est sérieux, Madame », et l’on n’est pas forcément utile « en allant se faire prendre en photos en Ukraine »… Là il se passe quelque chose d’intéressant entre les deux protagonistes qui illustre peut-être toute la faiblesse de nos démocraties : puisque l’Ukraine ne doit pas tomber, faisons comme si cela dépendait uniquement de notre volonté et pas de l’état de notre défense, de nos capacités de production militaire. C’est l’incapacité à parler de la vérité de la situation quand la réalité nous déplait qui saute alors aux yeux.

Une carte blanche à l’avantage de Jordan Bardella

Le débat termine inévitablement sur une « carte blanche » laissée aux candidats. Alors que la candidate Renaissance sort d’une bonne séquence, elle termine mal, retombant dans l’ornière techno et agressive. Dommage, c’était pourtant le moment pour elle de s’adresser aux Français. D’ailleurs elle retrouve ses hésitations verbales et une forme d’absence que l’on pouvait déjà remarquer au commencement du débat. Reste qu’elle a résisté, ne s’est pas effondrée et dans le fond a réussi son pari : elle existe un peu plus aux yeux des Français au sortir de cette importante émission.

De son côté, en redoutable animal politique, Jordan Bardella termine mieux qu’elle mais il n’a pas renversé la table alors qu’en face de lui le répondant était pourtant faible. Certes, il a été sans conteste le meilleur, mais sur ce point être dans l’opposition est toujours plus favorable, alors que Valérie Hayer doit gérer l’ombre portée d’Emmanuel Macron. Au vu du rejet que ce dernier suscite chez nombre de Français, cela ne lui facilite pas la tâche. Et d’ailleurs, alors que Valérie Hayer est déjà à la peine dans les sondages, l’ARCOM vient de décompter l’intégralité du discours prononcé par Emmanuel Macron à la Sorbonne pour l’Europe de son temps de parole2 ! Pourtant ce discours n’aura bougé aucune ligne et servi à rien. Sitôt prononcé, sitôt oublié.

Il en sera probablement de même de ce débat.

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  1. La campagne d’évitement de Bardella, Françoise Fressoz dans Le Monde, 2 mai ↩︎
  2. https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/05/02/elections-europeennes-le-discours-d-emmanuel-macron-a-la-sorbonne-decompte-comme-du-temps-de-parole-de-son-camp_6231218_823448.html ↩︎